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26 avril 2007

"L'autre" - Émile Verhaeren

Émile Verhaeren (1855-1916) est (très) présent sur le blog ICI. Si la page est déplacée (aléas du blog), c'est dans la catégorie Des POÈTES et de la POÉSIE.

Ce long poème est souvent proposé aux élèves de CM2 en version courte, correspondant au passage mis en couleur. C'est ainsi que l'école me l'a donné à apprendre en CM2, et c'était déjà pas facile.

L'effort

Groupes de travailleurs, fiévreux et haletants,
Qui vous dressez et qui passez au long des temps
Avec le rêve au front des utiles victoires,
Torses carrés et durs, gestes précis et forts,
Marches, courses, arrêts, violences, efforts,
Quelles lignes fières de vaillance et de gloire
Vous inscrivez tragiquement dans ma mémoire !
Je vous aime, gars des pays blonds, beaux conducteurs
De hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous, bûcherons roux des bois pleins de senteurs,
Et toi, paysan fruste et vieux des blancs villages,
Qui n'aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d'une ample main
D'abord en l'air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu'elle en vive un peu, avant de choir en terre ;
Et vous aussi, marins qui partez sur la mer
Avec un simple chant, la nuit, sous les étoiles,
Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles
Et que vibrent les mâts et les cordages clairs ;
Et vous, lourds débardeurs dont les larges épaules
Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils,
Les navires qui vont et vont sous les soleils
S'assujettir les flots jusqu'aux confins des pôles ;

Et vous encor, chercheurs d'hallucinants métaux,
En des plaines de gel, sur des grèves de neige,
Au fond de pays blancs où le froid vous assiège
Et brusquement vous serre en son immense étau ;
Et vous encor mineurs qui cheminez sous terre,
Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents
Jusqu'à la veine étroite où le charbon branlant
Cède sous votre effort obscur et solitaire ;
Et vous enfin, batteurs de fer, forgeurs d'airain,
Visages d'encre et d'or trouant l'ombre et la brume,
Dos musculeux tendus ou ramassés, soudain,
Autour de grands brasiers et d'énormes enclumes,
Lamineurs noirs bâtis pour un oeuvre éternel
Qui s'étend de siècle en siècle toujours plus vaste,
Sur des villes d'effroi, de misère et de faste,
Je vous sens en mon coeur, puissants et fraternels !
Ô ce travail farouche, âpre, tenace, austère,
Sur les plaines, parmi les mers, au coeur des monts,
Serrant ses noeuds partout et rivant ses chaînons
De l'un à l'autre bout des pays de la terre !
Ô ces gestes hardis, dans l'ombre où la clarté,
Ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses,
Ces bras, ces mains unis à travers les espaces
Pour imprimer quand même à l'univers dompté
La marque de l'étreinte et de la force humaines
Et recréer les monts et les mers et les plaines,
D'après une autre volonté.

Émile Verhaeren (La multiple splendeur)


À la gloire du vent

- Toi qui t'en vas là-bas,
Par toutes les routes de la terre,
Homme tenace et solitaire,
Vers où vas-tu, toi qui t'en vas ?
- J'aime le vent, l'air et l'espace ;
Et je m'en vais sans savoir où,
Avec mon coeur fervent et fou,
Dans l'air qui luit et dans le vent qui passe.
- Le vent est clair dans le soleil,
Le vent est frais sur les maisons,
Le vent incline, avec ses bras vermeils,

Émile Verhaeren (La multiple splendeur)


Chanson de fou

je les ai vus, je les ai vus,
ils passaient par les sentes,
avec leurs yeux, comme des fentes,
et leurs barbes, comme du chanvre.

Deux bras de paille,
un dos de foin,
blessés, troués, disjoints,
ils s' en venaient des loins,
comme d' une bataille.

Un chapeau mou sur leur oreille,
un habit vert comme l' oseille ;
ils étaient deux, ils étaient trois,
j' en ai vu dix, qui revenaient du bois.

L' un d' eux a pris mon âme
et mon âme comme une cloche
vibre en sa poche.

L' autre a pris ma peau,
-ne le dites à personne-
ma peau de vieux tambour
qui sonne.

Quant à mes pieds, ils sont liés,
par des cordes au terrain ferme ;
regardez-moi, regardez-moi,
je suis un terme.

Un paysan est survenu
qui nous piqua dans le sol nu,
eux tous et moi, vieilles défroques,
dont les enfants se moquent.

Et nous servons d' épouvantails qui veillent
aux corbeaux lourds et aux corneilles.

Émile Verhaeren ("Les campagnes hallucinées")


Aux moines (début de ce long poème)

Moines venus vers nous des horizons gothiques,
Mais dont l'âme, mais dont l'esprit meurt de demain,
Qui reléguez l'amour dans vos jardins mystiques
Pour l'y purifier de tout orgueil humain,
Fermes, vous avancez par les routes des hommes,
Les yeux hallucinés par les feux de l'enfer,
Depuis les temps lointains jusqu'au jour où nous sommes,
Dans les âges d'argent et les siècles de fer,
Toujours du même pas sacerdotal et large.
...

Émile Verhaeren ("Les moines")


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