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29 avril 2007

"L'autre" - Victor Hugo

De Victor Hugo (1802-1885), trop connu pour être présenté :

Chanson de grand-père

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S'embrasseront.

Dansez les petites folles,
Toutes en rond.
Les bouquins dans les écoles
Bougonneront.

Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.

Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L'aurore au front.

Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu'ils voudront

Victor Hugo ("L'art d'être grand père" 1877)


Le semeur

C'est le moment crépusculaire
J'admire assis sous un portail
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles,
Le geste auguste du semeur.

Victor Hugo ("Les chansons des rues et des bois" - 1865)


Et puisqu'on parle d'éloge de l'autre, ce poème servira de contre-exemple :

L'ogre

Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Était fort amoureux d'une fée, et l'envie
Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut :
L'ogre un beau jour d'hiver peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre.
Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ?
L'ogre se mit alors à croquer le marmot.

Victor Hugo (extrait de "Bons conseils aux amants", dans le recueil "Toute la lyre", Nouvelle série XI)


Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur
Voyez, la grande sœur et la petite sœur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d’œillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillon arrêté dans l'extase.

Victor Hugo ("Les Contemplations" - 1856)


Après la bataille

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard (1) qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute,
Qui se traînait, sanglant, sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié,
Et qui disait : "A boire, à boire par pitié !"
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit : "Tiens donne à boire à ce pauvre blessé."
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de Maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant : "Caramba !".
Le coup passa si près que le chapeau tomba,
Et que le cheval fit un écart en arrière.
"Donne lui tout de même à boire", dit mon père.

(1) Un housard, ou houssard, ou encore plus communément hussard (chaussé de housses, des sortes de bottes), est un soldat de la cavalerie légère.
Victor Hugo ("La Légende des Siècles" , deuxième série - XLIX, IV - 1877)


Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent (extrait)

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
...
Victor Hugo ("Les Châtiments" - 1844)


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