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29 avril 2007

"L'autre" - Robert Lohro

Robert Lohro - Lionel Ray

Robert Lohro, parfois orthographié Lorho, est né en 1935 à Mantes-La-Ville (Yvelines).
Il a d'abord publié des poèmes sous son vrai nom (le recueil "Légendaire" a obtenu le prix Apollinaire en 1965, il a été édité par les éditions Pierre Seghers), et à partir de 1970 sous le pseudonyme de Lionel Ray : ("Le corps obscur", 1981, aux éditions Gallimard, lui vaut le prix de poésie Mallarmé).
Lionel Ray est lauréat du prix Goncourt de Poésie en 1995 et du Grand prix de poésie de la Société des Gens de Lettres en 2001.

Voici quelques poèmes sans titre, sur le thème de "l'autre" qui habite l'auteur. Ces passages sont tous extraits(1) du recueil "Comme un château défait", paru aux éditions Gallimard en 1993  :

Ce qui parle dans le bois, ce qui parle au bord
du gouffre et dans l'horloge et dans l'effondrement
des heures, te ressemble.

Ce qui parle dans le feuillage des consonnes,
dans l'encre des nuages, te ressemble.

Ce qui parle dans les plaies et les fusils sanglants,
dans les crimes et les branches brisées
de la forêt humaine, te ressemble.


Avec la pluie qui n'appartient à personne
(c'est du ciel qui descend à petit bruit,
comme invisiblement)

Aimer encore forêts et falaises,
le mûrissement du silence,

s'enfermer jusqu'au centre du bruit,
dans cette interminable fin du monde
du siècle pourrissant,

Écrire dans l'imparfait un chant
mobile pour te réconcilier
avec ton sang.


Sur ton épaule un dieu fluide
se pose, papillon qui s'affaiblit,
oublie l'être, se dissout.

Celui qui est dans ces pages, dis-tu,
est un autre, il traverse un ciel mal rédigé

Où s'accumulent nuages et sommeils,
et la nuit revient avec des oiseaux de fête.
Est un autre, disais-tu.


Il y a toutes sortes de vies dans ta vie
et toutes sortes de mots dans tes mots,
mais qu'est-ce à la fin que ce brouillard ?

Même la lampe des morts s'éteint,
il n'y a plus où ils sont de langage.

Qu'est-ce à la fin que cette nuit
d'où tu viens, et cette nuit finale
où ni les mots ni les morts ne font signe ?


Comme on glisse hors de soi
aux confins de la veille et du songe,
on regarde une autre demeure, un corps chantant.

Qui est cet homme proche de toi
si peu semblable et pourtant ressemblant,

Dans le tumulte des soifs et des mondes,
broyant le grain des paroles,
cherchant la source brève, la présence sans nom ?


Tu parles aussi pour toi hors du temps
dans ce grand désordre couleur d'ivresse
des routes des heures des paysages.

Tu parles parmi les ombres finales de la nuit
au bord de l'inimaginable absence.

Tu ne dis rien, tu es en proie à toi-même,
tu cherches la place d'être
un autre ou personne.


Dans la géométrie du soleil mobile,
ailes ouvertes sur tant de plaines,
de décombres et de scintillements,

Tu t'éloignes et te rejoins,
tu te rassembles,

Tu es toi-même chaque mot que tu dis
et chacun te conduit en ce lieu
où tu es plus toi-même que toi.

Lionel Ray (Robert Lohro) (Comme un château défait - Gallimard, 1993, et Comme un château défait suivi de Syllabes de sable, collection Poésie/Gallimard, 2004)
(1) Références électroniques pour les textes et les éléments de biographie :
Lionel Ray, « Poèmes », Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994, [En ligne], mis en ligne le 31 mai 2007. URL : http://semen.revues.org/document2998.html. et
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2007/12/lionel-ray.html



 

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