Robert Desnos (1900-1945) a fait partie avec Benjamin Péret et André Breton du mouvement Dada et du surréalisme. Il rompra plus tard avec eux. Auteur de nombreux textes poétiques, ses poèmes pour les enfants sont très connus (" Chantefables et Chantefleurs" - Gründ éditeur, 1995).
Engagé dans la Résistance, il est incarcéré à Compiègne, puis déporté. Il meurt au camp de concentration de Térézin (Theresienstadt, en Tchécoslovaquie).
... "Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent
Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux" ...
Louis Aragon ("Complainte de Robert le Diable" dans "Il ne m'est Paris que d'Elsa" - Seghers 1975).
Des textes de Desnos sont déjà présents sur le blog dans les catégories C2 et C3 pour la classe (La fourmi - Le pélican - L'escargot - La grenouille aux souliers percés - Les hiboux - Le zèbre - L'oiseau du Colorado - Il était une feuille).
En voici d'autres, qui tournent rond autour du thème.
Le carré pointu
Le carré a quatre côtés
Mais il est quatre fois pointu
Comme le Monde.
On dit pourtant que la terre est ronde
Comme ma tête
Ronde et monde et mappemonde :
Un anticyclone se dirigeant vers le nord-ouest...
Le monde est rond, la terre est ronde
Mais elle est, mais il est
Quatre fois pointu
Est Nord Sud Ouest
Le monde est pointu
La terre est pointue
L'espace est carré.
Robert Desnos ("Destinée arbitraire" - éditions Poésie/Gallimard, 1975 - publication posthume)
Par un point situé sur un plan...
Par un point situé sur un plan
On ne peut faire passer qu'une perpendiculaire
à ce plan.
On dit ça...
Mais par tous les points de mon plan à moi
On peut faire passer tous les hommes, tous les animaux de la terre
Alors votre perpendiculaire me fait rire.
Et pas seulement les hommes et les bêtes
Mais encore beaucoup de choses
Des cailloux
Des fleurs
Des nuages
Mon père et ma mère
Un bateau à voiles
Un tuyau de poêle
Et si cela me plaît
Quatre cents millions de perpendiculaires.
Robert Desnos ("Destinée arbitraire" - éditions Poésie/Gallimard, 1975 - publication posthume)
Conte de fée
Il était un grand nombre de fois
Un homme qui aimait une femme
Il était un grand nombre de fois
Une femme qui aimait un homme
Il était un grand nombre de fois
Une femme et un homme
Qui n'aimaient pas celui et celle qui les aimaient
Il était une fois
Une seule fois peut-être
Une femme et un homme qui s'aimaient.
Robert Desnos ("Les nuits blanches" dans "Destinée arbitraire" - éditions Poésie/Gallimard, 1975 - publication posthume)
Le Souci
Et pour qui sont ces six soucis ?
Ces six soucis sont pour mémoire.
Ne froncez donc pas les sourcils,
Ne faites donc pas une histoire,
Mais souriez, car vous aussi,
Vous aussi, aurez des soucis.
Robert Desnos ("Chantefables et Chantefleurs" - Gründ éditeur, 1995 - publication posthume)
L'anneau de Moebius
Le chemin sur lequel je cours
Ne sera pas le même quand je ferai demi-tour
J'ai beau le suivre tout droit
Il me ramène à un autre endroit
Je tourne en rond mais le ciel change
Hier j'étais un enfant
Je suis un homme maintenant
Le monde est une drôle de chose
Et la rose parmi les roses
Ne ressemble pas à une autre rose.
Robert Desnos ("La géométrie de Daniel" 1939, publié dans "Destinée arbitraire" - Poésie/Gallimard, 1975)
Demain
Âgé de cent-mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, o demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir: neuf est le matin, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos ("État de veille" 1942, édité par Robert-J. Godet en 1943 et dans "Destinée arbitraire" - Poésie/Gallimard, 1975)
C'était un bon copain
Il avait le cœur sur la main
Et la cervelle dans la lune
C'était un bon copain
Il avait l'estomac dans les talons
Et les yeux dans nos yeux
C'était un triste copain
Il avait la tête à l'envers
Et le feu là où vous pensez
Mais non quoi il avait le feu au derrière
C'était un drôle de copain
Quand il prenait les jambes à son cou
Il mettait son nez partout
C'était un charmant copain
Il avait une dent contre Étienne
A la tienne Étienne à la tienne mon vieux
C'était un amour de copain
Il n'avait pas la langue dans sa poche
Ni la main dans la poche du voisin
Il ne pleurait jamais dans mon gilet
C'était un copain
C'était un bon copain.
Robert Desnos ("Corps et biens" - Gallimard,1930 et Poésie/Gallimard, 1968)
Voici le poème Couplets de la rue Saint-Martin, que Desnos a écrit à la mémoire de son ami André Platard, résistant fusillé par les nazis.
Couplets de la rue Saint-Martin
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Je n'aime rien, pas même le vin.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Nous partagions la chambre et le pain.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Il a disparu un matin,
Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.
On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin.
Pas la peine d'implorer les saints,
Saint Merri, Jacques, Gervais et Martin,
Pas même Valérien qui se cache sur la colline.
Le temps passe, on ne sait rien.
André Platard a quitté la rue Saint-Martin.
Robert Desnos ("État de veille" 1942, édité par Robert-J. Godet en 1943 et dans "Destinée arbitraire" - Poésie/Gallimard, 1975)
Un poème pour la classe à plusieurs niveaux, si on en propose des passages :
Ma sirène
Ma sirène est bleue comme les veines où elle nage
Pour l'instant elle dort sur la nacre
Et sur l'océan que je crée pour elle
Elle peut visiter les grottes magiques des îles saugrenues
Là des oiseaux très bêtes
conversent avec des crocodiles qui n'en finissent plus
Et les oiseaux très bêtes volent au-dessus de la sirène bleue
Les crocodiles retournent à leur boire
Et l'île n'en revient pas ne revient pas d'où elle se trouve
où ma sirène et moi nous l'avons oubliée
Ma sirène a des étoiles très belles dans son ciel
Des étoiles blondes aux yeux noirs
Des étoiles rousses aux dents étincelantes
et des étoiles brunes aux beaux seins
Chaque nuit trois par trois
alternant la couleur de leurs cheveux
Ces étoiles visitent ma sirène
Cela fait beaucoup d'allées et venues dans le ciel
Mais le ciel de ma sirène n'est pas un ciel ordinaire ...
Ma sirène a des savons de toutes formes et de toutes couleurs
C'est pour laver sa jolie peau
Ma sirène a beaucoup de savons
L'un pour les mains
L'autre pour les pieds
Un pour hier
Un pour demain
Un pour chacun des yeux
Et celui-là pour sa queue d'écailles
Et cet autre pour les cheveux
Et encore un pour son ventre
Et encore un pour ses reins.
Ma sirène ne chante que pour moi
J'ai beau dire à mes amis de l'écouter
Personne ne l'entendit jamais
Excepté un, un seul
Mais bien qu'il ait l'air sincère
Je me méfie car il peut être menteur.
Robert Desnos ("Les nuits blanches" dans "Destinée arbitraire" - éditions Poésie/Gallimard, 1975 - publication posthume)
L’hippocampe
Gloire, gloire au bel hippocampe,
Cheval marin, cheval de trempe,
Qu’aucun jockey n’a chevauché,
Hip ! Hip ! Hip ! pour l’hippocampe.
Gloire ! Gloire au bel hippocampe,
Dans une poche, sur son ventre,
Il porte et il couve ses œufs.
Là, ses petits sont bien chez eux.
Hip ! Hip ! Hip ! pour l’hippocampe.
Robert Desnos ("Chantefables et Chantefleurs" - Gründ éditeur, 1995 - publication posthume)
La fourmi
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Une fourmi parlant français;
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?
Robert Desnos ("Chantefables et Chantefleurs" - Gründ éditeur, 1995 - publication posthume)