Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lieu commun
29 avril 2007

Europe - Irlande

Samuel Beckett  (1906-1989), né à Dublin, est sans doute, avec James Joyce (voir plus bas), le plus connu des écrivains irlandais. C'est un romancier, dramaturge (En attendant Godot, 1952) et poète. Il quitte son pays à la veille de la Seconde Guerre mondiale et choisit de vivre en France, où il participe activement à la Résistance. Prix Nobel de la Paix en 1969, il a écrit en français une grande partie de son oeuvre et la plupart de ses poèmes.

Que ferais-je  (titre proposé)

que ferais-je sans ce monde sans visage
sans questions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi

pas de ponctuation ni de majuscules
    
Samuel Beckett ("Poèmes suivi de Mirlitonnades" - éditions de Minuit, 1978, rééditions augmentées :1992, 1998)
On trouvera dans ce recueil tous les poèmes que Samuel Beckett a écrits en français depuis 1937.


La mouche

entre la scène et moi
la vitre
vide sauf elle

ventre à terre
sanglée dans ses boyaux noirs
antennes affolées ailes liées
pattes crochues bouche suçant à vide
sabrant l'azur s'écrasant contre l'invisible
sous mon pouce impuissant elle fait chavirer
la mer et le ciel serein.

Samuel Beckett ("Poèmes suivi de Mirlitonnades" - éditions de Minuit, 1978, rééd augmentées 1992, 1998)


William Butler Yeats (1865-1939) est né lui aussi à Dublin et a reçu le Prix Nobel, mais de littérature, en 1923 pour "sa poésie toujours inspirée, dont la forme hautement artistique exprime l'esprit d'une nation entière".
Il s'engage politiquement pour la reconnaissance de la nation irlandaise (il sera sénateur de l'État libre d'Irlande) et ses poèmes célèbrent le pays natal, avec son combat pour l'indépendance, et aussi l'humanisme et dans le sentiment amoureux, "la douleur d'aimer". Comme Beckett, il quitte l'Irlande  pour vivre en France, mais seulement les dernières années de sa vie, en 1930.

Pourquoi mon coeur bat-il ainsi ?

Pourquoi mon coeur bat-il ainsi ?
Etait-ce une ombre qui passait ?
Elle vient de passer ici.
Et qui donc sur l'herbe marchait ?
Quel vagabond erre en la nuit ?
Parfois le vertige des rêves,
Comme d'anciens auteurs l'ont dit,
Des os séchés des morts s'élève.
Et la nuit, il semble souvent
Que s'emplit toute la vallée
De ces rêves hallucinants.
Les collines sont submergées
Par une ombre qui se dilate,
Comme à ras bord le vin remplit
Une coupe en jade vert-gris,
Ou même une coupe d'agate.

William Butler Yeats (tiré de l'anthologie "Une Europe des poètes" - Livre de Poche - Hachette, 1991) - Traduction de Jacques Charpentreau.


Les textes de William Butler Yeats qui suivent sont parus dans  le recueil Choix de poèmes aux Editions Aubier, en édition bilingue :

Avant que le monde ne fût

Si j’assombris mes cils
Et illumine mes yeux
Et fais mes lèvres plus écarlates,
Ou demande si tout cela est juste
De miroir en miroir,
Sans montrer de vanité :
Je cherche le visage que j’avais
Avant que le monde ne fût.

Et si je regarde un homme
Comme on regarde son aimé,
Comme si mon sang un instant se glace
Dans mon coeur immobile ?
Pourquoi penserait-il que je suis cruel
Ou qu’il soit trahi ?
J'aurais aimé le voir aimer ce qui était
Avant que le monde ne fût.

William Butler Yeats

texte original :
Before the world was made

If I make the lashes dark
And the eyes more bright
And the lips more scarlet,
Or ask if all be right
From mirror after mirror,
No vanity’s displayed:
I’m looking for the face I had
Before the world was made.

What if I look upon a man
As though on my beloved,
And my blood be cold the while
And my heart unmoved ?
Why should he think me cruel
Or that he is betrayed ?
I’d have him love the thing that was
Before the world was made.

William Butler Yeats


Quand tu seras vieille

Quand tu seras vieille et grise et pleine de sommeil,
Quand, ta tête inclinée près du feu, tu prendras ce livre,
Et lentement, liras et reverras le doux regard
De tes yeux d’autrefois, et de leurs ombres profondes.

Combien ont aimé tes moments de joie prodigue,
Et aimèrent ta beauté d’un amour sincère ou faux,
Mais un seul aima l’âme du pèlerin en toi,
Et aima les défaites de ton visage changeant ;

Et quand courbée sur la hampe incandescente,
Tu murmureras comment l’amour te quitta
Comment il s’envola au-dessus des montagnes
Et cacha son visage dans un amas d’étoiles.

William Butler Yeats

When you are old

When you are old and grey and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly read and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;

How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;

And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his face amid a crowd of stars.

William Butler Yeats


La douleur d'aimer

Une douleur au-delà des mots
Se cache dans le coeur d’amour :
Les peuples qui vendent et achètent
Les nuages de leurs voyages passés,
Les vents froids et humides qui toujours ont soufflé,
Et l’ombrageuse coudraie
Où s’écoulent les eaux opaques,
Ils menacent l’être que j’aime.

William Butler Yeats

The pity of love

A pity beyond all telling
Is hid in the heart of love:
The folk who are buying and selling,
The clouds on their journey above,
The cold wet winds ever blowing,
And the shadowy hazel grove
Where moves-grey waters are flowing,
Threaten the head that I love.

William Butler Yeats ("Choix de poèmes" - Editions Aubier, collection bilingue,1990)


James Joyce (1882-1941), né à Dublin lui aussi, est un romancier et poète irlandais expatrié, considéré comme un des écrivains les plus influents du XXe siècle. Ses œuvres majeures sont un recueil de nouvelles Les Gens de Dublin (1914) et des romans Dedalus (1916), Ulysse (1922), et Finnegans Wake (1939). (inspiré de Wikipedia)

Ma colombe (titre proposé)

Ma colombe, ma belle,
Prend ton envol !

La rosée de la nuit repose
Sur mes lèvres et mes yeux.
Brodent les vents parfumés
Une musique de soupirs :

Prend ton envol,
Ma colombe, ma belle !

J’attends auprès du cèdre,
Ma sœur, mon amour.
Cœur blanc de la colombe,
Ma poitrine sera ton lit.

La rosée pale repose
Comme un voile sur ma tête.

Ma belle, ma jolie colombe,
Prend ton envol !

(traduction de  Gilles de Seze : http://gdeseze.free.fr/)

Texte original :

My dove, my beautiful one,            
Arise, arise!                                       

The night-dew lies                           
Upon my lips and eyes.                  
The odorous winds are weaving         
A music of sighs :                            

Arise, arise,                                       
My dove, my beautiful one!            

I wait by the cedar tree,                      
My  sister, my love.                           
White breast of the dove,                
My breast shall be your bed.         

The pale dew lies                           
Like a veil on my head.                                        

My fair one, my fair dove,                                    
Arise, arise !

James Joyce ("Chamber Music", 1907)


Thomas Moore (1779-1852) est un poète irlandais, né également à Dublin.

"Au sud de Dublin, dans le comté de Wicklow, rivières, collines et sous-bois forment ce que l’on appelle le "Jardin d’Irlande".
La vallée d’Avoca est une région dont la nature abondante enchante les passionnées de randonnée et de silence.
C'est dans ce lieu que Thomas Moore écrit, pendant l'été 1807 (publié l'année suivante) "The meetings of the water" (La réunion des eaux).
(source : http://www.pluralworld.com/)

The meetings of the water

1. There is not in the wide world a valley so sweet
As that vale in whose bosom the bright waters meet; (*)
Oh! the last rays of feeling and life must depart,
Ere the bloom of that valley shall fade from my heart.

2. Yet it was not that nature had shed o'er the scene
Her purest of crystal and brightest of green;
'Twas not her soft magic of streamlet or hill,
Oh! no, -- it was something more exquisite still.

3. 'Twas that friends, the beloved of my bosom, were near,
Who made every dear scene of enchantment more dear,
And who felt how the best charms of nature improve,
When we see them reflected from looks that we love.

4. Sweet vale of Avoca! how calm could I rest
In thy bosom of shade, with the friends I love best,
Where the storms that we feel in this cold world should cease,
And our hearts, like thy waters, be mingled in peace.

(*)
Il s'agit des rivières Avon et Avoca
Thomas Moore ("The Meeting of the Waters",1808 - in "Irish Melodies", volume 1)

Traduction des strophes 1 et 4 :

La réunion des eaux

Il n'y a pas de vallée aussi douce dans le monde
Que cette vallée dont les eaux brillantes se rencontrent en son cœur
Oh ! Les dernières lueurs de sentiment et la vie doivent s’en aller,
Avant que la fleur de cette vallée ne s'efface de mon cœur.
[...]
Douce Vallée d'Avoca ! Comment pourrais-je me reposer
Au sein de l’ombre, avec mes amis chers,
Où les tempêtes que nous ressentons dans ce monde froid devraient cesser
Et nos cœurs, comme vos eaux, être en paix.

Thomas Moore


The last rose of summer

Tis the last rose of summer
Left blooming alone;
All her lovely companions
Are faded and gone;
No flower of her kindred,
No rosebud is nigh,
To reflect back her blushes,
To give sigh for sigh.

I'll not leave thee, thou lone one !
To pine on the stem;
Since the lovely are sleeping,
Go, sleep thou with them.
Thus kindly I scatter
Thy leaves o`er the bed,
Where thy mates of the garden
Lie scentless and dead.

So soon may I follow,
When friendships decay,
And from Love`s shining circle
The gems drop away.
When true hearts lie withered
And fond ones are flown,
Oh! who would inhabit
This bleak world alone ?

La dernière rose de l'été
(traduction de Karl Petit)

C'est la dernière rose de l'été
Abandonnée en fleur ;
Toutes ces belles compagnes,
Sans retour sont fanées ;
Plus de fleur de sa parenté
Plus de boutons de rose à l'article de la mort
Pour réfléchir ses rougeurs,
Et rendre soupir pour soupir.

Je te laisserai point chère solitaire,
Languir sur ta tige ;
Puisque sommeillent tes sœurs
Va donc les rejoindre.
Et par sympathie, je répandrai
Tes feuilles sur le sol
Où tes compagnes de jardin
Gisent mortes et sans parfum.

Puissé-je te suivre bientôt
Lorsque l'amitié s'émoussera
Et que du cercle magique de l'amour
Les gemmes se détacheront ;
Quand les cœurs fidèles ne palpiteront plus
Et que les êtres aimés auront disparu,
Oh ! qui donc voudrait habiter seul
En ce monde désert !

Thomas Moore  ("Mélodies irlandaises", 1807-1834)

Et enfin en voici une adaptation de G. Newton pour une chanson dont la musique est d'Eddy Marnay :

La dernière rose de l'été

Si jamais tu cueilles une rose
Dont le coeur a déjà fané
Dis-toi bien que cette rose
Est la dernière de l'été

Hier encore en voisinage
Le ruisseau, tous les jardins
Il me reste plus qu'un feuillage
Que l'hiver brûlera demain

En amour comme en toute chose
En amour comme en amitié
Si ton coeur trouve une rose
Cette rose il faut garder

Même si c'est la première
Que tu as jamais trouvé
C'est peut-être, c'est la dernière
Et la vie n'est qu'un seul été (bis)

d'après le poème de Thomas Moore



Publicité
29 avril 2007

Europe - Kurdistan

Le Kurdistan n'est pas (encore ?) une nation. C'est une région à cheval sur plusieurs pays : la Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie. Lieu de conflits, revendiquée et revendiquant son indépendance, d'où de nombreux kurdes se sont exilés.

Kamuran Aali Bedir Khan (émir) est un poète kurde contemporain, défenseur de l'identité politique, économique et culturelle du Kurdistan.

Ris

Ris !
Douceur du printemps, parfum des vergers,
Ris !
Que les fleurs s'épanouissent,
Que les astres brillent
Ris !
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infinie de ce monde,
Que les souffrances s'éloignent
Que les tristesses s'évanouissent
Et que ce monde devienne
Un bouquet de roses
Ris ! ... Ris !  ... Ris ...!
Le jour et la nuit,
Dans la passion des minuits.
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infini de ce monde

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


L'agneau et sa maman

Je suis né dans la vallée ;
Dans un tout petit chalet,
C'était plutôt une cabane ...
Me réveillaient la voix des faons,
La douce musique du torrent,
Les bruissements des feuilles naissantes,
Le gazouillement de mille oiseaux,
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane ! ...

Le grand soleil
Dormait encore ...
Tout étourdi,
Il faisait nuit
Quand je quittais
Mon petit lit.
Malgré mon âge,
J'étais « la garde »
De nos brebis ...
L'agneau pleurait en bégayant
Cherchant sans cesse sa chère maman ...

Le doux soleil se réveillant
Nous arrosait de poudre dorée ...
Je comprenais nos villageois

Qui l'aimaient tant, qui l'adoraient
Dans l'eau limpide de la fontaine
Je voyais son chaud visage,
Où venaient pour s'abreuver
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane

Viens ! toi aussi pour te plonger
Dans ce silence majestueux
En regardant les flots muets
De mon ruisseau
Qui coule, qui coule
Sans dire un mot !
Comme il est bon le petit agneau,
La chère maman!
Il fait si doux dans ma cabane ! ...

Dans la joie de la lumière
Tout est chanson et couleur,
Tout est amour et douceur,
Tout est frisson et chaleur,
Tout est bonheur, enchantement
Comme il fait bon dans ma cabane

Le sentier qui monte en haut,
Il est long comme mes soupirs,
Il est long comme mes chansons,
Il est long comme la distance
Entre l'agneau et sa maman...
Comme il fait triste dans ma cabane ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


La caravane

La caravane passe
Entourée d'une cadence,
D'un silence,
D'un rythme sans écho.
Cherchant des sources des coteaux
Comme sur les mers, sans routes, les bateaux.
Sur la page blanche du désert
Où la lumière fond comme le plomb sur la flamme,
Les gazelles regardent de leurs yeux de femme.
La caravane passe
Liant les pays et les races,
Laissant sous leurs pas
Des mesures égales.
Le soleil est blanc, un morceau de cristal
Escortée par des ombres vives et berçantes,
Pensant à la nuit aux fraîcheurs caressantes
La vie a le rythme du pas des chameaux.
Tel un ciel hivernal par ses astres, les hameaux.
Des visages maigres et des regards sombres,
Leurs nuits sont longues et leur fatigue brève,
Cultivant la lumière et récoltant l'ombre.
Ils consolent leur espoir sur l'oreiller du rêve.

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


Le silence ... (extrait)

Silence ... silence ...
Sur les cimes, dans les vallées,
Sur la neige immaculée,
Dans les parcs, dans les plaines ...
Le monde retient son haleine.

Les ruisseaux ne murmurent plus
Comme dans les caves,
Comme dans les vignes
C'est le silence, c'est le silence

Le ciel se tait ...
Le vent se tait
Comme si c'était un jour d'été ...
C'est le silence, c'est le silence
Mais ceci n'est
Qu'une apparence! ...
Interroge-le !
Est-il muet ?
Ecoute-le bien
Entends-le bien

Il te dira combien je t'aime

Sous ma poitrine mon coeur se tait
De nostalgie et d'espérance ...
Dans le bonheur, dans la souffrance
Le mot sublime est le silence,
C'est le silence, c'est le silence,
C'est l'ivresse de l'espérance ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)



29 avril 2007

Europe - Portugal - Fernando Pessoa

Fernando Pessoa (1888-1935) est le poète et écrivain portugais le plus connu et le plus traduit.

De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...

De mon village

Dans les villes la vie est plus petite
Qu'ici dans ma maison sur la crête de cette colline.
Dans les villes les grandes maisons ferment la vue à clé...
De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...
C'es pourquoi mon village est aussi grand qu'un autre pays quelconque.

Da minha aldeia

Nas cidades a vida é mais pequena
Que aqui na minha casa no cimo deste outeiro.
Na cidade as grandes casas fecham a vista à chave...
Da minha aldeia vejo quanto da terra se pode ver no Universo...
Por isso a minha  aldeia é tao grande como outra terra qualquer...

Fernando Pessoa - sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro ("Le gardien de troupeaux" - "O Guardador de rebanhos").


Comme des nuages dans le ciel

Comme des nuages dans le ciel
je  sens mes rêves passer.
Aucun d'eux ne m'appartient
Et je les ai pourtant rêvés.

Como nuvens pelo céu

Como nuvens pelo céu
Passam os sonhos por mim.
Nenhum dos sonhos é meu
Embora eu os sonhe assim.

Fernando Pessoa 1932


Entre le sommeil et le songe

Entre le sommeil et le songe,
Entre moi et ce qui en moi
Est l'être que je me suppose,
Coule un fleuve sans fin.
Il est passé par d'autres rives,
Toujours autres et plus lointaines,
Au cours de ces nombreux voyages
Que connaissent les fleuves.
Il est arrivé là où j'habite à présent
Cette maison qu'à présent je suis.
Il passe,si je ne médite;
Si je m'éveille,il est passé.
L'être que je ressens et qui se meurt
Dans ce qui m'enchaîne à moi-même
Sommeille où le fleuve s'écoule
Ce fleuve qui n'a pas de fin.

Entre o sono eo sonho

Entre o sono eo sonho,
Entre mim e o que em mim
E o quem eu me suponho,
Corre um rio sem fim.
Passou por outras margens,
Diversas mais além,
Naquelas varias viagens
Que todo o rio tem.
Chegou onde hoje habito
A casa que hoje sou,
Passa,se eu me medito;
Se desperto,passou.
E quem me sinto e morre
No que me liga a mim
Dorme onde o rio corre
Esse rio sem fim.

Fernando Pessoa 1933 (Cancioneiro)


29 avril 2007

"L'autre" - Pierre Menanteau

Pierre Menanteau (1895-1992) est très présent sur ce blog, dans les poésies pour la classe.

Qu’elle est belle la Terre

Qu’elle est belle la Terre, avec ses vols d’oiseaux
Qu’on entrevoit soudain à la vitre de l’air,
Avec tous ses poissons à la vitre de l’eau !
La peur les force vite à chercher un couvert
Et l’homme reste seul derrière le rideau.

Qu’elle est belle la Terre, avec ses animaux,
Avec sa cargaison de grâce et de mystère !
Le poète se tient à la vitre des mots.
Cette beauté qu’il chante, il la donne à son frère
Qui se lave les yeux dans le matin nouveau.

Pierre Menanteau ("Bestiaire pour un Enfant Poète" - Seghers 1958)


Le vieux et son chien

S'il était le plus laid
De tous les chiens du monde,
Je l'aimerais encore
A cause de ses yeux.

Si j'étais le plus laid
De tous les vieux du monde,
L'amour luirait encore
Dans le fond de ses yeux.

Et nous serions tous deux,
Lui si laid, moi si vieux,
Un peu moins seuls au monde
A cause de ses yeux

Pierre Menanteau - 1959 ("Florilège poétique")


29 avril 2007

Europe de l'Est - Roumanie - Poètes roumains et Tsiganes

De Jenuz Duka, poète tsigane d'aujourd'hui, ces poèmes chantés, en rromani (deux "r"), la langue des Rroms (Roms). Les Roms sont autrement appelés les Tsiganes, qu'il ne faut pas confondre avec les Roumains, même si  c'est sur le territoire de la Roumanie qu'ils sont les plus nombreux : Roumains et Roms ont des origines, des langues et des cultures différentes.

Le toit de notre maison (chanson)

Le toit de notre maison,
C’est le grand ciel tout nu.
Notre maison est solide.
Personne ne peut la renverser.

Les fondations de notre maison
C’est un coin de terre sans rien.
Notre maison est solide
Personne ne peut la ruiner.

Les murs de notre maison
C’est le froid et ce sont les vents.
Notre maison est solide
Personne ne peut l’atteindre.

A notre maison, il y a une fenêtre
A la fenêtre, tes yeux.
Notre maison est solide
C’est le cœur tsigane.

Jenuz Duka (sur une musique d' Astrit Qerimi)

Texte original :

Amare kheresqo ćhatlo / Le toit de notre maison (chanson)

Amare kheresqo ćhatlo
si o baro devel o nango.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti peravel les.

Amare kheresqo temèli
si o nango than e phuvǎqo.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti thabarel les.

Amare kheresqe barranga
si o śil ta e balvala.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti xarravel les.

Amare kheresθe jekh penʒèra
k-i penʒèra tire jakha.
Amaro kher si zoralo
Ov si o rromano ilo.

Jenuz Duka

Deuxième texte :

Oiseau (chanson)

Je veux être un oiseau
Pour retourner près de toi,
Je veux poursuivre ma route,
Sans toi je ne peux pas.

Pourquoi m'as-tu quitté ?
Pourquoi m'as-tu m'oublié ?
Qu'ai-je fait pour celà, je me le demande,
Pourquoi me faire pleurer.

Je veux être un oiseau
Pour retourner près de toi,
Je veux oublier tout le reste
Et mourir près de toi.

Jenuz Duka (sur une musique d' Astrit Qerimi)

version originale en roumain :

Ćirikl / Oiseau (chanson)

Ćirikli ka kerdǒvav
tuθe mangav te avav
sa o drom mangav te prastav
bi tiro naśti beśav.

Sosθar gelǎn tu naśe manθar ?
Sosθar man tu bistardan ?
So kerdom tuqe, pućhav tut
kerè'a man te rovav.

Ćirikli ka kerdǒvav
tuθe mangav te avav
aver sa mangav te bistrav
paśe tuθe te merav.

Jenuz Duka


Autres poètes Roms et des poètes roumains, à suivre


Publicité
29 avril 2007

Europe de l'est - poètes de Russie

Alexandre Pouchkine (Alexandre Sergueïevitch Pouchkine - en russe :  Александр Сергеевич Пушкин) est né à Moscou en 1799. Il est mort en 1837.

C'est un des plus importants écrivains russe, romancier (La Dame de pique, nouvelle - 1833 ...), dramaturge  et poète (Eugène Onéguine - roman en vers, 1823 à 1831 ; Les Tsiganes - 1824 ...).
Sous le règne d'Alexandre Ier, il est exilé dans le Caucase ("Le Prisonnier du Caucase" - poésies, en 1821), puis le tsar Nicolas Ier, qui lui succède, le prend sous sa protection.
Il est tué au cours d'un duel. Mikhaïl Lermontov (voir plus haut) a écrit "La Mort du poète" en hommage à Pouchkine.

La rose et le rossignol

Dans l'ombre et le silence et la nuit du printemps
Chante le rossignol aux jardins d'Orient,
Chante son chant d'amour pour l'insensible rose
Qui ne l'écoute pas, se balance et repose.
Tel celui qui célèbre une froide beauté ;
Eveille-toi, poète, à quoi sert de chanter ?
Insensible au poète ainsi l'ignore-t-elle,
Belle à qui la regarde, et sourde à qui l'appelle.

Alexandre Pouchkine ("Poésie russe" - anthologie du XVIIIe au XXe siècle - traduction de Jean-Luc Moreau - éditions Maspéro - coll La Découverte, 1983)


 

Soir d'hiver

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête,
Ou gémit comme un enfant,
Et soufflant soudain pénètre
Dans le vieux chaume avec bruit,
Elle frappe à la fenêtre,
Voyageur pris par la nuit.

La chaumière est triste et sombre,
Chère vieille, qu'as-tu donc
A rester dans la pénombre,
Sans plus dire ta chanson ?
C'est la bise qui résonne
Et, hurlant, t'abasourdit ?
Ou la ronde monotone
Du fuseau qui t'assoupit ?

Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !
Chante comme l'hirondelle,
Doucement vivait au loin ;
Chante-moi comme la belle
Puisait l'eau chaque matin.

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête
Ou gémit comme un enfant.
Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !

Alexandre Pouchkine ("Poésie" - Alexandre Pouchkine - traduction de Claude Frioux - Librairie du Globe, 1999) 
Il existe d'autres traductions de ce poème.

Texte original du poème en russe :

ЗИМНИЙ ВЕЧЕР (Soir d'hiver)

Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя,
То по кровле обвешалой
Вдруг соломой зашумит,
То, как путник запоздалый,
К нам в окошко постучит.
Наша ветхая лачужка
И печальна и темна.
Что же ты, моя старушка,
Приумолкла у окна ?
Или бури завыванием
Ты мой друг утомлена,
Или дремлешь под жужанием
Своего веретена ?
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.
Спой мне песню, как синица
Тихо за морем жила ;
Спой мне песню, как девица
За водой поутру шла.
Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя.
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.


Пушкин


Mikhaïl Lermontov (1814-1841) est un poète russe, de la Russie des tsars, bien avant la Révolution et l'URSS.
Il a publié un seul recueil de poèmes, en 1840.
"Engagé dans les troupes du Tsar pour la conquête du Caucase, il a consacré plusieurs poèmes aux peuples montagnards, vus à la fois comme des peuples fiers et libres et comme des bandits vivants de rapines."

Le texte original en russe et les précisions entre guillemets, sont issues du site universitaire : http://epi.univ-paris1.fr

Voici un de ses plus fameux poèmes, une berceuse, apparemment pour les enfants, mais ...
"Le passage le plus célèbre de la berceuse est le « Злой чеченец ползëт на берег, точит свой кинжал » (Le méchant tchétchène rampe sur la berge, aiguise son couteau) – qui n’est pas chanté ici. Il est néanmoins fréquemment cité pour expliquer les représentations dominantes en Russie sur les Tchétchènes, en particulier depuis le début de la seconde guerre de Tchétchénie en 1999" (1).

Спи, младенец мой прекрасный,
Баюшки-баю.
Тихо смотрит месяц ясный
В колыбель твою.
Стану сказывать я сказки,
Песенку спою;
Ты ж дремли, закрывши глазки,
Баюшки-баю.
(……)
Богатырь ты будешь с виду
И казак душой. --
Провожать тебя я выйду
Ты махнëшь рукой...
Сколько горьких слëз украдкой
Я в ту ночь пролью!..
Спи, малютка, тихо, сладко,
Баюшки-баю.


Dors, mon enfant, dors, mon joli,
Do-do, do-do.
Doucement la lune se penche
Sur ton berceau.
Je vais te dire des légendes,
Chanter pour toi ;
Mais dors, ferme tes petits yeux
Do-do, do-do.
(….) (1)
Héros d’aspect, sois dans ton âme
Un vrai Cosaque !
Je sortirai... Tu me feras
De loin adieu.
Ah ! que de pleurs amers, secrets,
Cette nuit-là !
Dors, mon ange, sans bruit, tout doux...
Do-do, do-do.

Mikhaïl Yourievitch Lermontov (1840) ("Anthologie de la poésie russe" - traduction de Jacques David - éditions Stock, 1947)
Cette berceuse traditionnelle est chantée par Marina Vlady.
(1) Passage omis : Sur les cailloux le Terek roule,  / Sombre, et clapote, / Sur ses bords le Tchétchène aiguise, /  Sournois, sa lame : / Mais ton père, le vieux guerrier, / Est endurci ; / Dors, mon petit, dors, n’aie point peur, /  Do-do, do-do. / Tu apprendras (tu as le temps) /  À guerroyer. / Hardi, tu chausseras l’étrier, /  Tu t’armeras... / J’ornerai ta selle de guerre / De soie brodée... / Dors, mon enfant, dors, mon chéri, /  Do-do, do-do.

Un autre texte du même auteur : Le voilier

ПАРУС (Le voilier)

Белеет парус одинокий
В тумане моря голубом!..
Что ищет он в стране далекой?
Что кинул он в краю родном?..

Играют волны - ветер свищет,
И мачта гнется и скрипит...
Увы, - он счастия не ищет
И не от счастия бежит!

Под ним струя светлей лазури,
Над ним луч солнца золотой...
А он, мятежный, просит бури,
Как будто в бурях есть покой!

Le voilier

Ce voilier tout blanc, solitaire,
Qui dans le brouillard bleu s'enfuit
Qu' a-t-il besoin d'une autre terre?
Qu'abandonna-t-il après lui?

Son mât sur l'onde vagabonde
S'incline et grince dans le vent
Hélas! point de bonheur au monde
Ni derrière lui ni devant

Pour le porter la mer est belle
Le soleil brille au firmament...
Mais lui réclame, le rebelle,
L'orage, cet apaisement.

Mikhaïl Yourievitch Lermontov, 1832

Lermontov a écrit un poème en hommage à Pouchkine, tué en duel (voir Pouchkine plus bas) :

La mort du poète (fragments)

Le poète est mort, de l’honneur esclave ;
Diffamé par l’opinion, il emporte
Au coeur ce plomb... et sa soif de revanche.

Et vous,  (...)
Les bourreaux du génie, et de la liberté !
(...) vous pourrez bien user de calomnie :
Cela ne vous sera d’aucun secours.
Vous ne laverez point de tout votre sang noir
Tout le juste sang du Poète.

Mikhaïl  Lermontov, 1837


Sacha Tchiorny ou Alexandre Noir (pseudonymes du poète Alexandre Glikberg) est né en Russie en 1880. Emigré en France en 1917 après la Révolution russe, il y est mort en 1932. Il a écrit de nombreux poèmes pour les enfants.

La fête de la forêt

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Le mât, l'espar (1),
Pour tenir les agrès ;
Le pont, la coque
Et l' abri du sextant
Pour naviguer
Par mer calme ou gros temps.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
L'aile qui nous soulève au ciel d'un trait ;
Le banc, la table
Où nous nous asseyons,
La feuille blanche
Et même le crayon.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Une maison
Pour renards et furets,
Pour l'écureuil,
Sa femme
Et ses petits,
Pour le pivert
Et ses pizzicati (2).

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
De l'eau
De l'ombre
Et des feuillages frais ;
Le houx l' hiver,
Au printemps les chatons ...
C' est tout cela
Qu' aujourd' hui
Nous plantons.

(1) l'espar est une longue pièce de bois utilisée pour "tenir les agrès" du bateau.
(2)
pizzicati (pluriel de pizzicato) : musique produite par les pincements des cordes du violon, à quoi on compare ici le bruit que font les coups de bec du pivert sur l'écorce de l'arbre. (Notes du blog Lieucommun)

Sacha Tchiorny (dans "Poèmes de Russie", choisis, traduits et présentés par Jean-Luc Moreau - Éditions ouvrières, 1985)


Daniil Kharms ou Daniil Harms, (1905-1942), en russe : Даниил Хармс (mais son vrai nom est Daniil Ivanovitch Iouvatchev : Даниил Иванович Ювачев), et en plus il a usé de nombreux autres pseudonymes ... a écrit des poèmes, des saynettes et des textes satiriques qui lui ont valu la prison, des années d'exil, et pour finir, la mort en détention psychiatrique, en URSS.

Il est  considéré comme un des précurseurs de l'art absurde en poésie, mais son apport n'a été reconnu dans son propre pays que bien après sa disparition. "Jeu", recueil de textes pour enfants est publié en 1962. Ses textes sont publiés en anglais en 1971, avant de l'être en russe en 1974 ("Oeuvres choisies", Würzburg, Jal-Verlag) ; et c'est l'éditeur français Christian Bourgeois qui publie ses "Écrits" en 1993, dans une traduction de Jean-Philippe Jaccard.

Un tigre dans la rue

Dans ma rue il y a un tigre.
Bigre !
D'où peut-il bien sortir ?
D'où peut-il bien venir ?
Longuement j'ai réfléchi,
J'ai réfléchi et pensé,
J'ai pensé et réfléchi :
D'où ce tigre est-il venu ?
D'où ce tigre est-il sorti ?
Mais le vent a soufflé,
Emportant mes pensées,
Et plus jamais je ne saurai
D'où il peut bien sortir,
D'où il peut bien venir
Dans ma rue ce gros tigre …
Bigre !

Le poème original en russe :

ТИГР НА УЛИЦЕ

Я долго  думал,  откуда
на улице  взялся тигр.
Думал, думал,
Думал, думал,

Oткуда на улице
Bзялся этот  тигр ?
Думал, думал,
Думал, думал.
В это  время ветер дунул,
И я забыл, о чем  я  думал.
Так я и не узнаю,
Откуда
На улице взялся тигр.

Daniil Harms ou Kharms ("Oeuvres en prose et en vers", traduit du russe par Yvan Mignot, Verdier, 2005 ; et ce poème est cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Un dernier texte, en russe et en français, que Daniil Harms a écrit en 1937 :

ИЗ ДОМА ВЫШЕЛ ЧЕЛОВЕК        (Un homme s'en alla)

Из дома вышел человек
 Un jour un homme s'en alla
С дубинкой и мешком
 Avec son baluchon
И в дальний путь
 Et il marcha,
И в дальний путь
 Et il marcha
Отправился пешком.
 Toujours vers l'horizon.

Он шел все прямо и вперед
 Et il avançait ce bonhomme
И все вперед глядел
 Sans jamais s'arrêter.
Не спал, не пил,
 Sans faire un somme,
Не пил, не спал,
 Sans faire un somme (les termes sont inversés)
Не спал, не пил, не ел.
 Sans boire ni manger.

И вот однажды на заре
 Dans une forêt à l'aurore
Вошел он в темный лес
.       Un jour il est entré,
И с той поры,
 Et depuis lors,
И с той поры,
 Et depuis lors
И с той поры исчез. Nul ne l'a rencontré.

Но если как-нибудь его
 S'il vous arrivait par la suite
Случится встретить вам,
 De le voir quelque part,
Тогда скорей,
 Venez bien vite,
Тогда скорей,
 Venez bien vite,
Скорей скажите нам.
 Nous le faire savoir.

Даниил Хармс  Daniil Harms - (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Samuel Marchak (1887-1964) est lui, un poète russe contemporain, qui a connu la Russie impériale et la Russie République de l'URSS. Il est auteur pour enfants de poésies et de pièces de théâtre.

Voici un drôle de voyage :

Les bagages

Une dame avait pour bagages :
Un coffre, une cage, trois paniers, cinq malles, un faitout,
Plus un gentil petit toutou.

Au guichet d’enregistrement,
L’enregistreur évidemment
Enregistra tous ses bagages :
Un coffre, une cage, trois paniers, cinq malles, un faitout,
Un tout petit toutou.

Puis, dans le tout dernier wagon,
Le wagon dénommé fourgon,
On empila tous ses bagages :
On y mit tout, jusqu’au toutou.

Or, avant même qu’on roulât,
Le cher toutou se défila ...

Ce ne fut qu’à l’arrêt suivant
À l’arrêt suivant, pas avant !
Qu’on recompta les bagages :
Nom d’un bonhomme ! et le toutou ?

Au même instant qu’est-ce qu’on voit ?
Un dogue, à côté du convoi ...
On l’attrape, et hop ! aux bagages ! ...
Le mâtin rejoint coffre, cage, paniers, valises, malles et faitout :
Le dit dogue devient toutou.

Bref, on arrive à Jitomir.
Un porteur nommé Vladimir, ou Kantémir ou Clodomir ...
Un porteur porte les bagages :
Sur ses talons trotte un toutou ...

Le toutou pousse un aboiement ! ...
La dame alors : - Hein ? Quoi ? Comment ? Bandits ! Voyous ! Vauriens !
Ce chien ... ce chien n’est pas le mien !
Que m’importent tous ces bagages !
Gardez valises et coffre et cages, malles et faitout ...
Rendez- moi mon petit toutou !

Madame ! à quoi bon tout casser ?
Si j’en crois le récépissé, vous ne déposâtes aux bagages
Alors, qu’un tout petit toutou ...
À voyager, votre toutou
A pu changer du tout au tout !

Ci-dessous, un autre long et drôle de voyage qu'on peut raccourcir. Par exemple, le passage avec les jeux de mots amuse beaucoup les enfants.

L'hurluberlu

Connaissez-vous l'hurluberlu
De la rue Lanturlu ?

Il se lève un dimanche,
Enfile ses deux manches

De chemise… Allons bon,
C'est son vieux pantalon !

Ah ! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu !

Il met des caoutchoucs :
C'est pas les siens du tout!

Et puis un pardessus :
C'est pas le sien non plus !

Ah! quel hurluberlu

De la rue Lanturlu!

Au lieu de son chapeau
Il s'est coiffé d'un pot,

Et il met ses pantoufles
À la place des moufles.

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu !

Il a pris l'autobus
Pour aller à la gare;

S'embrouillant tant et plus,
Le voici qui déclare
Au chauffeur-conducteur :

"Très cher et honoré
Chaubus de l'autoffeur,
Cher auto chauforé,
Honobus du cherfeur !
Laissez-moi démonter,
Je vais être en retard;
Pouvez-vous arrêter
Votre gus à la bare  ?"

Le chauffeur stupéfait
Freine vite à l'arrêt.
Et notre hurluberlu
De la rue Lanturlu
Court alors au buffet
Acheter un billet,
Puis il file chercher
Un sandwich au guichet.

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu!

Sans trop faire  attention,
Il va vers un wagon
Qui était en garage,
Y monte ses bagages,
S'installe et tôt s'endort

Après tous ces efforts,
De bon matin, il dit :

" Quel est donc cet arrêt ? "

" Mais c'est Paris, pardi ! "
Lui répond-on du quai.

Après un petit somme
Il se penche au-dehors,
Voit une gare énorme
Et une fois encore
Demande, un peu surpris :
" Mais quel est cet arrêt ?
Trifouillis ou Tremblay ? "
" Non, pardi, c'est Paris ! "
Lui répond-on du quai.

Il refait un bon somme,
Puis se penche au-dehors,
Voit une gare énorme
Et demande bien fort,
De plus en plus surpris:
" Mais quel est cet arrêt ?
Bécon ou Bilboquet ? "
" Non, pardi, c'est Paris ! "
Lui répond-on du quai.

" Quelle blague ! " il s'écrie,
"J 'ai bien roulé deux jours,
Et voilà qu'à Paris
Je serais de retour ! "

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu... 

Samuel Marchak (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Autre poète russe du XXe siècle : Guenrikh Sapguir

Le capricorne

Dans la rue des Mirages
ce matin
j'ai croisé un bonhomme
qui avait d'aussi longues moustaches
que celles d'un
capricorne.
Mais peut-être était-ce bien
un insecte dit capricorne
qui voulait, gros malin,
se faire passer pour un homme ?

Guenrikh Sapguir (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000).

Les mots de couleur

L’herbe a des mots tout verts
qui chuchotent dans l’air.

Le vent a des mots bleus
qui sont parfois houleux.

Le soleil à l’aurore
a des mots rouge et or.

Et les mots se répondent
en repeignant le monde.

Guenrikh Sapguir (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000).


Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe d'aujourd'hui, est née à Moscou (en 1963), où elle vit toujours. Son premier recueil de poésies en traduction française, L'Animal céleste, est paru en 2004 :

La balance

Sur un des plateaux la joie.
Sur l'autre le chagrin.
Le chagrin est lourd.
Voilà pourquoi
la joie est plus haute.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" recueil en français traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

Je voudrais t’écrire une lettre ...

Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot
de reproche, de rancune, d’insolence,
pas de coquetterie, de caprice, de bravade,
pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe,
pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie…
Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" recueil en français traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

On peut lire ce poème de Vera Pavlova  dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov :  "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".


29 avril 2007

Europe - Turquie - Orhan Veli

Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul, sujet du poème ci-dessous.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J'écoute Istanbul

J'écoute Istanbul les yeux fermés
Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches
Mahmout Pacha est tout grouillant de monde ;
les cours sont pleines de pigeons,
Des bruits de marteaux montent des docks,
dans le vent du printemps flottent
des odeurs de sueur ;
J'écoute Istanbul, les yeux fermés…

Orhan Veli (le passage en français est emprunté à : "Tour de terre en poésie" pour  - Jean-Marie Henry - Rue du Monde éditeur, 1998)

Texte intégral du poème en turc :

İstanbul'u dinliyorum

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Önce hafiften bir rüzgar esiyor ;
Yavaş yavaş sallanıyor
Yapraklar, ağaçlarda ;
Uzaklarda, çok uzaklarda ,
Sucuların hiç durmayan çıngırakları ;
İstanbul'u dinliyorum gözlerim kapalı.

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Kuşlar geçiyor, derken ;
Yükseklerden, sürü sürü, çığlık çığlık.
Ağlar çekiliyor dalyanlarda ;
Bir kadının suya değiyor ayakları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Serin serin Kapalı Çarşı ;
Cıvıl cıvıl Mahmutpaşa ;
Güvercin dolu avlular.
Çekiç sesleri geliyor doklardan,
Güzelim bahar rüzgarında, ter kokuları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Başında eski alemlerin sarhoşluğu ,
Loş kayıkhaneleriyle bir yalı ;
Dinmiş lodosların uğultusu içinde.
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir yosma geçiyor kaldırımdan ;
Küfürler, şarkılar, türküler, laf atmalar.
Bir şey düşüyor elinden yere ;
Bir gül olmalı ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir kuş çırpınıyor eteklerinde ;
Alnın sıcak mı değil mi, biliyorum ;
Dudakların ıslak mı değil mi, biliyorum ;
Beyaz bir ay doğuyor fıstıkların arkasından
Kalbinin vuruşundan anlıyorum ;
İstanbul'u dinliyorum.

Orhan Veli
(Le passage qui a été traduit en français est mis en couleur).


29 avril 2007

Europe - Turquie - Nazim Hikmet

[Puisqu'il faut bien choisir, et que ce premier poète turc a vécu en Pologne et en Russie, nous rangerons les textes des poètes de Turquie en l'Europe]

Nazim Hikmet (1901-1963) est le poète turc le plus traduit. Emprisonné  17 ans pour ses prises de position politiques, il s'est exilé de Turquie. Le prix international de la paix lui a été décerné en 1955.

Vivre comme un arbre, seul et libre,
Vivre en frères comme les arbres d'une forêt,
Ce rêve est le nôtre !


Yasamak bir agaç gibi, tek ve hür,
Ve bir orman gibi kardesesine,
Bu hasret bizim !

Le globe

Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.

Nazim Hikmet (traduction de Charles Dobzynski)


La plus drôle des créatures

Comme le scorpion, mon frère
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d'épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau
Dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
Tu es comme la moule
Enfermée et tranquille.
Tu es terrible, mon frère,
Comme la bouche d'un volcan éteint.
Et tu n'es pas un, hélas,
Tu n'es pas cinq,
Tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
Quand le bourreau habillé de ta peau
Quand le bourreau lève son bâton
Tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
Et tu vas à l'abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
Qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s'il y a tant de misère sur terre
C'est grâce à toi mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés,
Si nous sommes écorchés jusqu'au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu'à dire que c'est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.

Nazim Hikmet ("C'est un dur métier que l'exil" - 1948 - traduction de Charles Dobzynski)
Ce texte est dit et chanté par Yves Montand.


J'ai un arbre en moi (titre proposé)

J'ai un arbre en moi
Dont j'ai rapporté le plan du soleil
Poissons de feu ses feuilles se balancent
Ses fruits tels des oiseaux gazouillent
Les voyageurs depuis longtemps sont
Descendus de leur fusée
Sur l'étoile qui est en moi
Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves
Ni ordres, ni vantardises, ni prières.
J'ai une route blanche en moi
Y passent les fourmis avec les grains de blé
Les camions pleins de cris de fête
Mais cette route est interdite aux corbillards.

Nazim Hikmet



29 avril 2007

Océanie - Australie - poètes contemporains

L'Australie, plus grand pays et plus grande île du continent océanien, est d'abord le territoire des aborigènes, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui.
On trouvera ici : http://www.webmomes.com/pages/monde/australie.htm
des pistes pour une meilleure connaissance de ce peuple et de sa culture, avec des idées pour la création artistique, et des liens vers d'autres cultures encore.
Autre adresse, pour une explication sur la symbolique des peintures aborigènes :
http://nezumi.dumousseau.free.fr/austrar2.htm#symb


David Rowbotham, poète australien de langue anglaise, est né en 1924.livre_David_Rowbotham_Australie
Voici le début d'un de ses poèmes, publié dans le recueil The Penguin Book of Australian Verse, et traduit par Bernard Lorraine pour son anthologie "Un poème, un pays, un enfant" (Le cherche midi, 2002).

"I live with death, as with a star."
Je vis avec la mort, comme avec une étoile

Message du premier homme perdu dans l'espace (extrait)

Aimez la Terre ! Il faut
prendre soin davantage
de ce cadeau,
votre héritage.

Ma fusée ? quelle idée
la dirige, et jusqu'où ?
Qui l'a guidée
si loin de vous ?

J'ai dépassé l'abîme
hors de portée des yeux,
et l'origine
même des dieux.
...
David Rowbotham ("The Penguin Book of Australian Verse" - Harry Eseltine édit, 1972)


29 avril 2007

Océanie - Nouvelle-Calédonie - poésie kanak

D'abord colonie française, la Nouvelle-Calédonie (1853), cet archipel d'Océanie a acquis un statut d'autonomie, et selon les accords de Nouméa négociés en 1998, un référendum doit décider, à partir de 2014, de son indépendance ou de son maintien dans la République française.
Les kanak (en français canaques) sont les Mélanésiens autochtones. Le mot "kanak", invariable, signifie "homme".
La langue officielle est le français, mais ils parlent de nombreuses langues locales indigènes (dont le drehu, dans les Îles Loyauté), la plupart étant des langues orales.
Le drehu possède aujourd'hui une écriture et une grammaire et est enseigné à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. On peut écouter ici un récit en drehu, une des langues kanak parlées en Nouvelle-Calédonie (à Ouvéa).

Voici une chanson traditionnelle et sa traduction, empruntées à cette adresse (où on peut même l'écouter) :

http://www.mamalisa.com/fr/nouvellecaledonie.html

Vaka seke ifo (Le bateau est arrivé)

A fia fi e malino de tai
Touy foki o kilo polo aki
Denei de vaka e seke ifo
Fola ou inaghe

Taou imou kilo foki moa mai
O kitea dogou mata gode taghi
Denei de vata e seke ifo
Fola ou inaghe

Le bateau est arrivé

Un soir, la mer est calme
En regardant, je m'en vais
Voilà, le bateau est arrivé
A bientôt et au revoir.

Les amoureux regardent l'océan.
Regarde mes yeux, ils sont en larmes
Voilà, le bateau est arrivé
A bientôt et au revoir.


Wanir Wélépane est un poète et homme d'église (pasteur) calédonien kanak, né en 1941. Son prénom "Wanir" signifie "petite lumière" en kanak.
Il est l'auteur du recueil de textes multilingues "Aux vents des îles", accompagnés de photographies de Marie-Jacqueline Begueu (édité par l'Agence de développement de la culture kanak en 1993).

Kwènyii
Wêê
Numèè
Caac
Le mât est planté sur la terre
Dans l'aire de danse
Pour annoncer au peuple la danse sacrée
Prenez vos conques
Soufflez sur les montagnes
Soufflez sur les airs
Soufflez dans les forêts
Et dans les vallées
Pour appeler tout le monde
A danser la danse de la terre.

Wanir Wélépane, (texte emprunté à l'anthologie "Le français est un poème qui voyage" - Éditions Rue du Monde, 2006)


Les textes qui suivent sont empruntés (avec gratitude) à cette adresse :

http://lemouton.canalblog.com/archives/livres__poesie__bd___/index.html

Nicolas Kurtovitch est né en 1955 à Nouméa.

Contempler le ciel

Contempler la mer éternelle
C'est comme être transporté
D'un seul vol
Au-dessus d'une vallée
Mystérieuse et embrumée.

Le regard se perd
À attendre un signe de vie,
Comme un appel d'en bas
Qu'il est possible de vivre.

Le brouillard la plume la pluie
Peut-être les nuages cachent
L'herbe épaisse.

Nos pas étouffent ceux d'un
Rôdeur joyeux et malin
Venu subrepticement
Ouvrir les portes et les toits.

Qu'entre le vent et ressortent
Les âmes des morts.

Seuls les vivants restent en bas

Contempler le ciel est comme
Vivre l'éternité.

Nicolas Kurtovitch ("L'arme qui me fera vaincre" - Éditions Vent du Sud, 1989)


Jean Mariotti (1901-1975) est un poète de Nouvelle-Calédonie.
Ce texte est extrait d'un poème d'exil.

Nostalgie

Quand l’âcre odeur du soir,
De la ville mouillée, monte aux toits de Décembre
(...)
Quand la bise aigre, rasant les murs, se rue avec furie
Transportant en longs couloirs
Les senteurs rances
De Paris qui fricotte la tambouille du soir,
Je songe à mon Océanie.

Mon regret vain s’égrène
Du corail caressé par la houle câline
A la senteur si douce
De la brousse violente
Et je crois voir alors,
Perçant les brumes sales
Crevant l’horizon lourd
D’un paysage aux perspectives lentes,
Je crois voir dans le soir
Monter le ciel si clair de mon île natale,
Ciel où l’océan navigue. Irréel concave
Serti de corail. Étincelle
En dérive sous les feux du soleil.

Cette lumière,
Par lambeaux brûle mon cœur gris
Sans le réchauffer
Car je sais, oui, je sens
Puisque, tout ensemble,
Je vois le soleil de midi et
la Croix
du Sud* étincelante,
Je sens que c’est un rêve qui me tourmente,
Que c’est Décembre
Et
Que je suis à Paris.

*La Croix du Sud est une constellation qu'on ne peut voir que dans l'hémisphère sud
Jean Mariotti.


Dewe Gorodey, née en 1949 est un écrivain kanak. Elle occupe des fonctions importantes dans le gouvernement Calédonien.

Araucaria

Araucaria
pin colonnaire*
qui troue le ciel de mon pays
de son tronc s'étirant
vers les souvenirs inavoués
de mon peuple humilié
réfugié dans le ciel des prières

pour oublier

Araucaria
arbre à palabres
de clans et tribus trahis
sur cette terre qui est leur
leurs paroles figées
dans ta dure résine solide
je les dirai en face car je ne veux

PAS OUBLIER

Je les écrirai
là où je le pourrai
du mieux que je le pourrai
ici et maintenant car

j'ai beau chercher
la nuit le jour
je ne vois rien d'autre dans le ciel que
pour éclairer ma mémoire

Le pin colonnaire, comme son nom l'indique, est un arbre qui pousse tout en hauteur et qui peut s'élever jusqu'à 50 m.
Dewe Gorodey ("Sous les Cendres des Conques", 1974)


Pierre Wakaw Gope est né en 1966.

Au rythme du bambou

Eau fluide
Long silence
Nuit creusée
D’un son lourd
Tumulte
Rage
Sourde
Mêlée
Sur la voix du bambou
Le danseur s’élance
Et sa joie relie
La forêt le vent les esprits la Lune
La terre tremble
Clameur
La terre tremble
Poussière de soie
Le danseur s’élance
Soulève
La forêt le vent les esprits la Lune
Et les mêle
            ivre
                   à sa joie

Pierre Wakaw Gope ("S'ouvrir" - éditions L'Herbier de Feu, 1999)


Anonymes :
L'île de Tiga (Toka Nod) est réputée en Nouvelle-Calédonie pour la qualité de ses chants et de ses danses traditionnels :

Berceuse de la chenille (comptine chantée)

Chenille, chenille,
Si tu vas à la mer,
Si tu reviens encore,
Ferme, ferme de tes doigts
Les deux yeux de bébé.

Le sommeil te mange les yeux.
Dors, petit.

Anonyme - Toka Nod (île de Tiga, Nouvelle-Calédonie)
Texte original :

Wa’eni wa’eni
Thahue ricele
Thahue lo yawe
Cani cani lu ore rue
Vaegogo ni wamoro

Mere Kweremeu
Nikwêrê miaro.



Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité