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lieu commun
1 avril 2008

Angèle Vannier, Anne Vernon, Louise de Vilmorin

Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Pierre

Pierre je compatis à ta vie lente et dure
Même le saule en pleurs ne me déchire pas
Comme le verbe d’or caché sous ton armure.

J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël
Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même
Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime
Et se souvient d’avoir été semblable à toi.

Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu
Que je vous ai donné sans détourner la tête
Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut
Traduire pour Jésus sa prière muette.

Règne du minéral ouvre-moi ton église
Et travaillons ensemble à refuser l’hiver
Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer
Le diable et ses petits ricanent dans la brise
Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs
Qui durent lentement debout face à la mer.

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

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Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

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La lavandière (première et dernière strophes du poème)

La lavandière est mon amie
Ses cheveux roux sont des ruisseaux
Ses cheveux mènent à l'amour.
La lavandière est jeune fille
Elle a volé ma chanson d'eau
Pour laver le seuil de l'auberge.



Lavandière lavant la vie
Nous suivons le même chemin
Celui de l'eau celui des mains.
La lavandière est mon amie.

Angèle Vannier ("Songes de la lumière et de la brume" - éditions Savel, 1947)



Anne Vernon , poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars :

Est-ce moi qui choisis le creuset ?...

Est-ce moi qui choisis le creuset
ou le creuset qui me choisit ?

Allez savoir
et faut-il d'ailleurs
le savoir ?
Ca creuse pareillement.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Louise de Vilmorin (1902-1969) est une romancière et poétesse française.
Son oeuvre est empreinte d'humour et de fantaisie, avec des regards vers l'Oulipo (cf Raymond Queneau dans la catégorie "L'humour des poètes").
Quelques recueils :  Le Sable du Sablier, l'Alphabet des aveux.

Récitez-moi votre leçon

Récitez-moi votre leçon
"L'oiseau se prend à l'hameçon
Le poisson s'apprivoise et chante
Le papillon est une plante
L'été ramène les grands froids."
Je vous l'ai redit mille fois.

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")

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Dans le ciel mauve ...

Dans le ciel mauve
La lune est ronde,
C’est une blonde
Mais elle est chauve.

Louise de Vilmorin ("L'heure malicieuse", 1967)

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Vers olorimes*

Étonnamment monotone et lasse,
Est ton âme en mon automne, hélas !

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Les vers holorimes (voir Alphonse Allais) sont identiques à l'oreille. L'auteure orthographie ce mot : "olorimes".

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Palindromes*

Lune de ma dame d’été
Été de ma dame de nul.

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L’âme sûre ruse mal.

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Suce ses écus

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Eh! Ça va la vache?
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Ta bête te bat
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À l’étape épate-la

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Rue : Verte fenêtre
Verte nef
Et rêveur
   

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Un palindrome est un écrit qu'on peut lire dans les deux sens avec le même résultat.

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Ce poème phonétique n'est-il pas précurseur du SMS ?

Poème phonétique (titre suggéré)

Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
J’ai assez cédé, aimé, obéi,                                      G  AC  CD  ME  OBI
Et double vécu et rêvé et fui                                     E  WQ   REV  FUI

Ogive et émaux et miel et mer                                  OJVMO   MIL  MR
Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
Hélène aima et fit grec et la chair et l’été.               LN  MA  FY  LHR  LET

Louise de Vilmorin (dans "L'alphabet des aveux", 1954, illustrations de Jean Hugo - rééédition Le Promeneur, 2004)

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La solitude est verte

Chasseresse ou dévote ou porteuse de dons
La solitude est verte en des landes hantées,
Comme chansons du vent aux provinces chantées
Comme le souvenir lié à l’abandon.

La solitude est verte.

Verte comme verveine au parfum jardinier
Comme mousse crépue au bord de la fontaine
Et comme le poisson messager des sirènes,
Verte comme la science au front de l’écolier.

La solitude est verte.

Verte comme la pomme en sa simplicité,
Comme la grenouille, cœur glacé des vacances,
Verte comme tes yeux de désobéissance,
Verte comme l’exil où l’amour m’a jeté.

La solitude est verte.

Louise de Vilmorin ("Le sable du sablier" - Gallimard, 1945)

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L’île

L’île a des lis
Et des lilas
Pour les délices il y a des lits là.
Pas de soucis,
Cent liserons
Viens tes soucis vite s’enliseront.
Un cycle amène
Cycle centaure,
Sous les lilas où j’oublie tes cent torts,
Un cyclamen
Des centaurées
Et des pensées pour le temps dépensé.
L’île à délices
A des lilas,
Avec des lis j’ai porté ton lit là.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)

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Fado*

L’ami docile a mis là
Fade au sol ciré la sole
Ah ! si facile à dorer.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

L’art est docile à l’ami.
La sole adorée dort et
L’ami l’a cirée, dorée.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Sire et fade au sol ciré,
L’adoré, do raide aussi,
L’ami dort hélas ici.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)
* Le fado est une musique du Brésil et du Portugal.

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La Reine

La Reine en moi bercée
Me donne sa grandeur
Je suis la tour hantée
Dont les hommes ont peur.

Bouche de Reine
Sans un baiser,
Tour sur la plaine
Sans escalier.

Mes yeux sont les fenêtres
Où brillent ses beaux yeux,
La Reine va paraître
Chassant les amoureux.

Nul ne me dit :
"Viens ma maîtresse
Il est minuit
Dénoue tes tresses."

Une Reine est en moi
Qui défie l’aventure,
Sa main est en mes doigts
Mon corps est son armure.

Et nul ne veut
De ma personne
Car je suis deux
Quand je me donne.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire", 1939)

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Dame des courants

Peu m’importent vos noms Dame des courants
Seules vos mains comptent
Vos sourires au bord de vos mains
Sont les oiseaux sans lendemains
Que le vent emporte
Fiancés à la dérive
Qui frappez aux portes des rives
Vos écharpes sont d’herbes et de petits papiers.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire", 1939)



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