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15 mai 2009

Jeanne RAMEL-CALS, Charles-Ferdinand RAMUZ, Henri de RÉGNIER, Pierre REVERDY, Jean RICHEPIN - 11 PAYSAGES FR

Jeanne Ramel-Cals (1883-1976),  parfois sous le nom d'auteur Jane Cals, romancière, peintre et dessinatrice, journaliste et poète, illustratrice de ses ouvrages, a vécu dans le Tarn. De l'ouvrage, "Légendaire de Cordes sur Ciel", la ville de Cordes, classée dans les "Plus beaux villages de France", tire son surnom.

Robes de printemps *

La saison est venue des robes nouvelles, pour la terre et pour les humains.
Je voudrais une robe verte, comme les prés qui vont pousser ; je voudrais une robe à bouquets, comme les champs qui vont fleurir ; je voudrais aller à pieds nus, bras nus, coiffée d'un chapeau fait comme une guirlande, avec une branche enroulée ; je voudrais avoir toute la vallée autour de mes hanches, toutes les lianes des haies autour de ma tête, et des écharpes de nuées qui flotteraient jusqu'à la lune.

Jeanne Ramel-Cals ("La ronde", éditions Fayard, 1920) - * texte original vérifié



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Alexandre Voisard, et Charles-Ferdinand Ramuz ci-dessous.

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un romancier ("La grande peur dans la montagne", 1926) et poète suisse de langue française.

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"Je comprends mal un paysage sans eau ; un ruisseau, d'ailleurs, me suffit. Mais l'immensité des terres, sans une source, sans une fontaine, sans une mare où le ciel vienne se mirer, de tels sites, malgré le charme de leurs lignes ou la grandeur de leurs contours, me semblent vite une prison…"

(extrait du "Journal" de Charles-Ferdinand Ramuz, note datée du 12 mars 1902).

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Le pays

C'est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
sont là comme un autre silence.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

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Le recueil "Pénates d'argile" regroupe des textes de différents auteurs suisses, et des poèmes en prose de Ramuz :

Le saule

Il y a un vieux saule tordu qui regarde son image dans le lac ; mais elle lui semble laide, car l'eau la déforme encore et la disperse au remous de ses vagues tant que l'arbre fini par ne plus se voir ; et il se regrette, encore qu'il se sache privé de beauté ; mais il est seul à s'aimer sous la figure où il se reconnaît, parce qu'on passe sans prendre garde à lui ou que les femmes ont peur, se jetant de côté avec un petit cri et croyant voir devant elles un pendu.
Et quand il ne peut plus s'admirer; il se tourne vers les peupliers qui sont rangés sur le rivage ; ils sont souples et ils cèdent au vent, balancés en mesure et agitant leurs petites feuilles vertes comme des fumées d'autel. Le saule s'étonne de cette façon qu'ils ont de ne jamais rester immobiles et, comme il est dans l'eau, ils sont dans l'air où il attend debout, condamné au repos par la rigidité de son tronc ; alors il les méprise et rentre sa tête dans ses épaules comme un qui ne s'inquiète de personne.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Pénates d'argile", Ch. Eggimann et Cie, 1904)

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Chaleur

L'ombre du tilleul tourne dans la cour.
La fontaine fait un bruit de tambour.

Un oiseau s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d'un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur.

On n'entend pas un bruit dans les champs
personne n'est en vue sur la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.

Puis plus rien qu'un arbre qui penche,
dans l'opacité de ses branches,
avec son ombre de côté,
comme sous un poids qui l'accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

 

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Le silence
(titre proposé, passages du poème)

[...]

J'aime ce silence au-dessus des toits,
j'aime la fontaine et son bruit de voix.

Elle parle à la nuit qui l'écoute,
et la voix s'en va le long de la route.

[...]

Il fait sommeil, le vent s'est tu,
et la douce lune se penche
comme un visage entre les branches.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)



Henri de Régnier (1864-1936) est un romancier et poète, qualifié de néo-parnassien, ou de symboliste. Les Symbolistes, de Jean Moréas à Stéphane Mallarmé, en passant par Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud, Samain ... dans des registres et des styles très variés, se sont attachés aux rapports entre l'homme et la Nature, en peignant impressions et mystère.

Henri de Régnier a épousé Marie de Hérédia, fille du poète José-Maria de Hérédia (voir dans cette même catégorie), et poète elle-même sous le pseudonyme de Gérard d’Houville, obligée de "masculiniser" son nom pour exister comme auteure (voir textes sur ce blog dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES).

Henri_de_R_gnier_plaque_maison

plaque apposée sur une façade à Paris (rue Boissière, XVIe arrdt - source : http://fr.wikipedia.org)

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" L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...
"

Ces deux vers, qui pourraient passer pour un poème court, avec leur force d'évocation, sont extraits de ce poème :

Le jardin mouillé

La croisée est ouverte, il pleut
Comme minutieusement,
À petit bruit et peu à peu
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.
Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...

Il pleut, et les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.

Henri de Régnier ("Les Médailles d'argile" - Mercure de France, 1903)

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Le poème qui suit, est un paysage symboliste, où déjà s'installent les pins (comme pour d'autres poésies de l'auteur, les pointillés qui ferment le texte en font partie. Ils ne signifient pas que le texte est incomplet) :

Paysage

On voit de cette place*, entre ces deux pins verts
Dont l'écorce est vermeille,
La douceur d'un beau ciel au-dessus d'une mer
À son azur pareille.

Les beaux arbre égaux que balance le vent,
En leurs fines aiguilles
Laissent pendre leurs fruits, écailleux et vivants,
Ainsi que des coquilles.

Dans le flot invisible et transparent de l'air
Elles baignent, bercées,
Tant le ciel semble bien continuer la mer
Jusques en nos pensées

Où se confond, avec le murmure marin,
De la vague  à la grève,
Le doux, le doux soupir que fait, parmi les pins,
La brise la plus brève ...
 

 

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910) - *on attendrait "plage", mais non, c'est place

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L'arbre, et la forêt de pins ont encore inspiré l'auteur, pour ce poème tout d'une traite. Il faudra trouver en arrivant aux points-virgules des espaces pour souffler un peu :

Les pins

Les pins chantent, arbre par arbre, et tous ensemble ;
C'est toute une forêt qui sanglote et qui tremble,
Tragique, car le vent, ici, vient de la mer ;
Sa douceur est terrible et garde un goût amer
Et d'endormir nos soirs il se souvient encore
D'être né du sursaut d'une farouche aurore
Dans l'écume qui bave et la houle et l'embrun ;
Et, sous les hauts pins roux qui chantent, un à un,
Ou qui grondent en unissant de cime à cime
Le refrain éternel de leur flot unanime,
Le bonheur qui s'endort et qui ferme les yeux
Croit entendre, en un rêve encore soucieux,
La rancune ancienne et la rauque colère,
Couple hargneux qui hurle et se guette et se flaire,
Passer dans sa mémoire et mordre son sommeil ;
Et la joie, au sommet des grands arbres vermeils
Que le soir fait de pourpre et que l'heure ensanglante,
Ressemble à la colombe hamonieuse et lente
Et dont le chant roucoule et se perd et s'éteint
Dans la rouge rumeur que murmurent les pins.

 

Henri de Régnier ("Les Jeux rustiques et divins", 1897)

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Le bois de pins (titre proposé pour différencier du précédent)

J'aime ce bois de pins dont vous avez chanté
La verdure marine,
Qui sent bon la chaleur, le soleil et l'été,
L'écorce et la résine.
La coquille en craquant s'y mêle sous les pas
À la pomme écailleuse.
Entre les troncs on voit la mer border, là-bas,
La plage sablonneuse.
 

Henri de Régnier

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*Ce poème est titré Soir d'automne, quand il est donné en classe, mais son titre original est simplement Soir. La troisième strophe, jugée trop sombre et plus difficile, est en général laissée dans l'ombre... du soir :

Soir d'automne *

Il est doux, ô mes yeux, lorsque le vent d'automne
Cesse de s'acharner à l'arbre dont frissonne
Le spectre dépouillé qui craque et tremble encor,
De voir, dans l'air muet, où son vol se balance,
Tomber en tournoyant à travers le silence,
Une dernière feuille d'or.

Quand au jour éclatant qui se voile succède
Le crépuscule lent, humide, mol et tiède,
Qui fait perler la mousse au dos des bancs velus,
Il est doux, au jardin mystérieux, d'entendre
Résonner dans le soir le rire obscur et tendre
Des visages qu'on ne voit plus.

Il est doux, ô mon cœur, lorsque la route est noire,
D'écouter longuement au fond de sa mémoire
Le pas du Souvenir aux échos de la nuit.
Si le divin flambeau est mort en sa main sombre,
Et s'il n'est pas l'Amour, peut-être en est-ce l'ombre,
Au moins, qu'il ramène avec lui ! ...

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910)

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Un autre classique des écoles :

La lune jaune

Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride
Foulions la terre rouge et le chaume blessant,
Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides
Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,

Savions-nous, quand l’amour brûlait sa haute flamme
En nos cœurs déchirés d’un tourment sans espoir,
Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes
Que sa cendre serait si douce à notre soir,

Et que cet âpre jour qui s’achève et qu’embaume
Une odeur d’eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s’arrondit entre les peupliers ?
 

 

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902) 

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Le lieu de cette "Promenade", dans le même recueil, n'est pas difficile à situer :

Promenade

Sur l'eau verte, bleue ou grise,
Des canaux et du canal,
Nous avons couru Venise
De Saint-Marc à l'Arsenal.

Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente à son gré
J'ai vu tourner ta Fortune,
O Dogana di Mare !

Souffle de l'Adriatique,
Brise molle ou sirocco,
Tant pis, si son doigt m'indique
La Cà d'Or ou San Rocco !

La gondole nous balance
Sous le felze, et, de sa main,
Le fer coupe le silence
Qui dormait dans l'air marin.

Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons ;
Tes détours et tes dédales,
Venise, nous les savons !

L'eau luit ; le marbre s'ébrèche;
Les rames se font écho
Quand on passe à l'ombre fraîche
Du Palais Rezzonico.

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902)

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En forêt

On quitte le grand'route et l'on prend le sentier
Où flotte un bon parfum d'arôme forestier.
 
Dans le gazon taché du rose des bruyères,
Surgissent, ça et là, des ajoncs et des pierres.
 
Un tout petit ruisseau que verdit le cresson
Frôle l'herbe, en glissant, d'un rapide frisson.
 
Nul horizon. Le long de cette sente étroite,
Une futaie à gauche, un haut taillis à droite.
 
Rien ne trouble la paix et le repos du lieu ;
Au-dessus, un ruban très mince de ciel bleu
 
Que traverse parfois, dérangé dans son gîte,
Un oiseau voletant, qui siffle dans sa fuite.
 
Puis, c'est, plus loin, une clairière à l'abandon,
Où noircissent encor des places à charbon ;
 
Des hêtres chevelus se dressent, en un groupe,
Des arbres épargnés à la dernière coupe.
 
De grands troncs débités s'étagent en monceau.
C'est tout auprés que prend sa source le ruisseau.

qui longe le sentier et traverse la route ;
Il sort d'un bassin rond qui filtre goutte à goutte.

Où tremble, reflété comme dans un miroir,
L'œil vacillant et clair de l'étoile du soir.

Henri de Régnier ("Apaisement", 1886" - réédition dans "Premiers poèmes" - Apaisement - Mercure de France, 1899)



Pierre Reverdy (1889-1960) n'est pas à ranger dans les poètes surréalistes. Était-il, pour avoir fréquenté Picasso, un "poète cubiste", comme on l'a dit ? Il a en tous cas inspiré des peintres, Henri Matisse et donc Pablo Picasso, et des écrivains et poètes tels que Louis Aragon, André Breton et Paul Éluard.

Les Œuvres complètes de Pierre Reverdy sont maintenant disponibles, le deuxième tome est paru (Flammarion, Collection Mille & une pages, 2010)

Calme intérieur

Tout est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
À travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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De la pierre à l’eau

Le ciel est trop bas
 Pour qu’on puisse rire
 La mer se retire
 Et le jour s’en va
Les lumières poussent au ras du sol
Au bord de l’eau crépitent les étoiles
l’odeur des arbres morts
les cris pris dans les voiles
Et le bras vigoureux qui dresse le décor
Les hommes
Les vaisseaux
Les feux du sémaphore
Sur le sable mouvant et les pas de la nuit
Dans le même rayon l’eau qui se décolore
Et le visage rond qui monte
 ou l’oeil qui rit
Ce coin où les signaux sont plus loin que le monde
Où le feu qui se pose est plus vite englouti
Quand le soleil éclate et que l’air devient rose
Ce coin sous les rochers humides
 Et à midi

Pierre Reverdy ("Main d'oeuvre - 1913-1949", Les œuvres libres, 1949)

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Horizon

Mon doigt saigne
Je t'écris
Avec

[...]

Au détour du chemin
Les arbres saignent
Le soleil assassin
Ensanglante les pins
Et ceux qui passent dans la prairie humide

[...]

Ma main rouge est un mot
Un appel bref où palpite un sanglot

Du sang versé sur le papier buvard
L'encre ne coûte rien

Je marche sur des taches qui sont des mares
Entre les ruisseaux noirs qui vont plus loin
Au bout du monde où l'on m'attend
C'est la fontaine ou les gouttes de sang qui coulent
    de mon cœur que l'on entend
Un clairon dans l'azur sonne la générale.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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Heure

Un œil se ferme à l’horizon
                     L’autre se lève
Combien de temps faut-il pour parcourir la nuit
Le bruit et la lumière
Étoiles et grelots
            Quelqu’un sur la montagne a jeté son manteau
                     Et derrière
                                       L’eau
            Le soleil éteint qui tombe
Et le chant plus gai d’un oiseau
            Le tour du monde
                              Tout se dresse autour du rideau
                       Les voix qui montent vont plus haut
                       ou les marches plus basses
                              Celui qui redescend
                              Marche la tête basse
L’ombre s’allonge
                              Le ciel s’éclaire
On écoute les bruits tomber tout près du mur
                                     Contre la terre

Pierre Reverdy ("Autres poèmes retrouvés" dans "Oeuvres complètes", Tome I, Flammarion, 2010)

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Son de cloche

Tout s'est éteint
Le vent passe en chantant
Et les arbres frissonnent
Les animaux sont morts
Il n'y a plus personne
Regarde
Les étoiles ont cessé de briller
La terre ne tourne plus
Une tête s'est inclinée
Les cheveux balayant la nuit
Le dernier clocher resté debout
Sonne minuit.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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 La neige tombe 

La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.

Pierre Reverdy ("Sources du vent" - 1929)

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Temps couvert

Je suis au milieu d’un nuage
de neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le poids de la terre
à peine soulevée

Pierre Reverdy ("Cravates de chanvre" - 1922)

 

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Deux poèmes graphiques et parallèles :

En face

                 Au bord du toit

Un nuage danse

Trois gouttes d'eau pendent à

La gouttière

Trois étoiles

Des diamants

Et vos yeux brillants qui regardent

Le soleil derrière la vitre

Midi
 

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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  Les ardoises du toit

Sur chaque ardoise

                              qui glissait du toit

                                            on

                                      avait écrit

                                                         un poème


La gouttière est bordée de diamants

                                              les oiseaux les boivent
   

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)



 

Jean Richepin  (1849-1926), romancier, auteur pour le théâtre et poète, est l'auteur de La Chanson des gueux (1876), son premier recueil de poèmes sur la misère de son époque, qui lui a valu un mois de prison. La Chanson des gueux est restée longtemps censurée.

"Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux." [...]

début de la "Ballade du Roi des Gueux", dans "La Chanson des gueux"

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On trouvera dans l'œuvre de Richepin, plus de lieux de misère, comme ce "chemin creux", que de paysages idylliques :

Le chemin creux

Le long d'un chemin creux que nul arbre n'égaie,
Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s'endort,
Et le haut du talus, couronné d'une haie,
Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or.

De la haie au chemin tombe une pente herbeuse
Que la taupe soulève en sommet inégaux,
Et que les grillons noirs à la chanson verbeuse
Font pétiller de leurs monotones échos.

Passe un insecte bleu vibrant dans la lumière,
Et le lézard s'éveille et file, étincelant,
Et près des flaques d'eau qui luisent dans l'ornière
La grenouille coasse un chant rauque en râlant.

Ce chemin est très loin du bourg et des grand'routes.
Comme il est mal commode, on ne s'y risque pas.
Et du matin au soir les heures passent toutes
Sans qu'on voie un visage ou qu'on entende un pas.

C'est là, le front couvert par une épine blanche,
Au murmure endormeur des champs silencieux,
Sous cette urne de paix dont la liqueur s'épanche
Comme un vin de soleil dans le saphir des cieux,

C'est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l'âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.

Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle
La nature se tait pour qu'il dorme longtemps.

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876, BNF 1881 - édition intégrale illustrée par Steinlen, parue en 1910 aux éditions Édouard Pelletan - réédition posthume aux Éditions De La Belle Étoile, 1933, et d'autres éditions plus récentes)

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La neige est belle
 
La neige est belle. Ô pâle, ô froide, ô calme vierge,
Salut ! Ton char de glace est traîné par des ours,
Et les cieux assombris tendent sur son parcours
Un dais de satin jaune et gris couleur de cierge.

Salut ! dans ton manteau doublé de blanche serge,
Dans ton jupon flottant de ouate et de velours
Qui s'étale à grands plis immaculés et lourds,
Le monde a disparu. Rien de vivant n'émerge.

Contours enveloppés, tapages assoupis,
Tout s'efface et se tait sous cet épais tapis.
Il neige, c'est la neige endormeuse, la neige

Silencieuse, c'est la neige dans la nuit.
Tombe, couvre la vie atroce et sacrilège,
Ô lis mystérieux qui t'effeuilles sans bruit !

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876)


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