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15 mai 2009

Théophile GAUTIER, Rosemonde GÉRARD, Marie GEVERS, Marc-Adolphe GUÉGAN - Yvan GOLL - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Théophile Gautier, écrivain, poète et critique d'art reconnu était contemporain de Gérard de Nerval, avec qui il se lia d'amitié.
Plus peut-être que ses poèmes, on connaît ses romans classiques pour la jeunesse, régulièrement réédités et parfois adaptés au cinéma : Le Capitaine Fracasse, Le Roman de la momie.

(titre proposé, ce passage est extrait du long poème "Intérieurs")

Décembre

Un brouillard épais noie
L'horizon où tournoie
Un nuage blafard,
Et le soleil s'efface,
Pâle comme la face
D'une vieille sans fard.
La haute cheminée,
Sombre et chaperonnée
D'un tourbillon fumeux,
Comme un mât de navire,
De sa pointe déchire
Le bord du ciel brumeux.
Sur un ton monotone
La bise hurle et tonne
Dans le corridor noir :
C'est l'hiver, c'est décembre,
Il faut garder la chambre
Du matin jusqu'au soir.
Les fleurs de la gelée
Sur la vitre étoilée
Courent en rameaux blancs,
Et mon chat qui grelotte,
Se ramasse en pelote
Près des tisons croulants.

Théophile Gautier (recueil "Intérieurs" dans "Premières Poésies, Albertus, La Comédie de la Mort, Les Intérieurs et les paysages" , 1845)

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Traversant les Landes pour son voyage en Espagne, le paysage lui inspire ce poème :

Le pin des Landes

On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes
D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ce qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or !

Théophile Gautier ("España", 1840)

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Un sentier fleuri au printemps - Pour la classe, la partie en italique est souvent exclue de ce texte :

Le sentier

Il est un sentier creux dans la vallée étroite,
Qui ne sait trop s’il marche à gauche ou bien à droite.
C’est plaisir d’y passer, lorsque Mai sur ses bords,
Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors ;
L’aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes,
Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes.
La pâle violette, en son réduit obscur,
Timide, essaie au jour son doux regard d’azur,
Et le gai bouton d’or, lumineuse parcelle,
Pique le gazon vert de sa jaune étincelle.
Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots,
Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos ;
Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles,
À rendre riche en miel tout un peuple d’abeilles.
Sous la haie embaumée un mince filet d’eau
Jase et fait frissonner le verdoyant rideau
Du cresson. Ce sentier, tel qu’il est, moi je l’aime
Plus que tous les sentiers où se trouvent de même
Une source, une haie et des fleurs ; car c’est lui,
Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui,
À la brèche du mur, rendez-vous solitaire
Où l’amour s’embellit des charmes du mystère,
Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs,
Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.
 

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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Paysage gothique, Notre-Dame-de-Paris au soleil couchant :

Soleil couchant

En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l’horizon de flamme,
Tel qu’un oiseau géant qui va prendre l’essor,
D’un bout du ciel à l’autre ouvrait ses ailes d’or,
Et c’était des clartés à baisser la paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s’élèvent pareils aux sapins des forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps raides* et longs, aux figures étranges,
D’un fond clair ressortaient en noir ; l’Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,
Se dessinait au pied de l’église, dont l’ombre
S’allongeait à l’entour mystérieuse et sombre.
Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D’une maison du quai ; l’air était doux ; les eaux
Se plaignaient contre l’arche à doux bruit, et la vague
De la vieille cité berçait l’image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands pas.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845) - *dans le texte original : "roides"

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Un "classique" du printemps :

Premier sourire du printemps

Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des
* collerettes
Et cisèle des
* boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

Théophile Gautier ("Émaux et camées", 1852) -  "Il repasse des collerettes * / Et cisèle des boutons d'or*". Il existe différentes versions, avec "des" et "les". Après vérification c'est celle-ci qu'on doit retenir et respecter.

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Promenade nocturne

La rosée arrondie en perles
Scintille aux pointes du gazon ;
Les chardonnerets et les merles
Chantent à l’envi leur chanson ;

Les fleurs de leurs paillettes blanches
Brodent le bord vert du chemin ;
Un vent léger courbe les branches
Du chèvrefeuille et du jasmin ;

Et la lune, vaisseau d’agate,
Sur les vagues des rochers bleus
S’avance comme la frégate
Au dos de l’Océan houleux.

Jamais la nuit de plus d’étoiles
N’a semé son manteau d’azur,
Ni, du doigt entr’ouvrant ses voiles,
Mieux fait voir Dieu dans le ciel pur.

Prends mon bras, ô ma bien-aimée,
Et nous irons, à deux, jouir
De la solitude embaumée,
Et, couchés sur la mousse, ouïr

Ce que tout bas, dans la ravine
Où brillent ses moites réseaux,
En babillant, l’eau qui chemine
Conte à l’oreille des roseaux.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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On propose des passages de ce texte, titrés différemment suivant le choix qui en est fait : Les marronniers, La fleur du printemps (La violette) ... :

La fleur qui fait le printemps (passages)

Les marronniers de la terrasse
Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean,
La villa d'où la vue embrasse
Tant de monts bleus coiffés d'argent.

La feuille, hier encor pliée
Dans son étroit corset d'hiver,
Met sur la branche déliée
Les premières touches de vert.

[...]

La véronique s'aventure
Près des boutons d'or dans les prés,
Les caresses de la nature
Hâtent les germes rassurés.

[...]

Grands marronniers de la terrasse,
Si fiers de vos splendeurs d'été,
Montrez-vous à moi dans la grâce
Qui précède votre beauté.

Je connais vos riches livrées,
Quand octobre, ouvrant son essor,
Vous met des tuniques pourprées,
Vous pose des couronnes d'or.

je vous ai vus, blanches ramées,
Pareils aux dessins que le froid
Aux vitres d'argent étamées
Trace, la nuit, avec son doigt.

Je sais tous vos aspects superbes,
Arbres géants, vieux marronniers,
Mais j'ignore vos fraîches gerbes
Et vos arômes printaniers.

Adieu, je pars lassé d'attendre ;
Gardez vos bouquets éclatants !
Une autre fleur suave et tendre,
Seule à mes yeux fait le printemps.

Que mai remporte sa corbeille !
Il me suffit de cette fleur ;
Toujours pour l'âme et pour l'abeille
Elle a du miel pur dans le coeur.

Par le ciel d'azur ou de brume
Par la chaude ou froide saison,
Elle sourit, charme et parfume,
Violette de la maison !

Théophile Gautier ("Émaux et camées", 1852)

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Paysage

Pas une feuille qui bouge,
Pas un seul oiseau chantant ;
Au bord de l’horizon rouge
Un éclair intermittent ;

D’un côté, rares broussailles,
Sillons à demi noyés,
Pans grisâtres de murailles,
Saules noueux et ployés ;

De l’autre, un champ que termine
Un large fossé plein d’eau,
Une vieille qui chemine
Avec un pesant fardeau,

Et puis la route qui plonge
Dans le flanc des coteaux bleus,
Et comme un ruban s’allonge
En minces plis onduleux.
 

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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Un paysage de fin d'automne, où se mêlent tristesse et nostalgie :

Pensées d’automne

L’automne va finir : au milieu du ciel terne,
Dans un cercle blafard et livide que cerne
Un nuage plombé, le soleil dort ; du fond
Des étangs remplis d’eau monte un brouillard qui fond
Collines, champs, hameaux dans une même teinte ;
Sur les carreaux la pluie en larges gouttes tinte ;
La froide bise siffle ; un sourd frémissement
Sort du sein des forêts ; les oiseaux tristement,
Mêlant leurs cris plaintifs aux cris des bêtes fauves,
Sautent de branche en branche à travers les bois chauves,
Et semblent aux beaux jours envolés dire adieu.
Le pauvre paysan se recommande à Dieu,
Craignant un hiver rude ; et moi, dans les vallées
Quand je vois le gazon sous les blanches gelées
Disparaître et mourir, je reviens à pas lents
M’asseoir, le cœur navré, près des tisons brûlants,
Et là je me souviens du soleil de septembre
Qui donnait à la grappe un jaune reflet d’ambre,
Des pommiers du chemin pliant sous leur fardeau,
Et du trèfle fleuri, pittoresque rideau
S’étendant à longs plis sur la plaine rayée,
Et de la route étroite en son milieu frayée,
Et surtout des bleuets et des coquelicots,
Point de pourpre et d’azur dans l’or des blés égaux.

Théophile Gautier ("Premières poésies", 1830 et 1845)

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À quelques kilomètres de Burgos, au nord de l'Espagne, la Chartreuse de Miraflorès est un des plus beaux bâtiments gothiques du pays. Ce palais, mausolée, monastère suivant les époques, date du XVe siècle. On y aperçoit "... dans le bleu de la plaine / L'église où dort Le Cid".

Dans la Cathédrale Santa María de Burgos, reposent effectivement le chevalier Rodrigo Díaz de Vivar, surnommé "El Cid* Campeador", et son épouse doña Jimena Diaz de Oviedo, que nous appellerons simplement Chimène. * "Cid" vient de "sidi", qui signifie seigneur en langue arabe. 

En allant à la Chartreuse de Miraflorès

Oui, c'est une montée âpre, longue et poudreuse,
Un revers décharné, vrai site de Chartreuse.
Les pierres du chemin, qui croulent sous les pieds,
Trompent à chaque instant les pas mal appuyés.
Pas un brin d'herbe vert, pas une teinte fraîche ;
On ne voit que des murs bâtis en pierre sèche,
Des groupes contrefaits d'oliviers rabougris,
Au feuillage malsain couleur de vert-de-gris,
Des pentes au soleil que nulle fleur n'égaie,
Des roches de granit et des ravins de craie,
Et l'on se sent le coeur de tristesse serré...
Mais, quand on est en haut, coup d'oeil inespéré !
L'on aperçoit là-bas, dans le bleu de la plaine,
L'église où dort le Cid près de doña Chimène !

Cartuja de Miraflores, 1841

Théophile Gautier ("España", 1845)



Rosemonde Gérard (1871-1953), épouse d'Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est la mère du grand biologiste et écrivain Jean Rostand. Elle a écrit des pièces de théâtre et des poèmes, dont le recueil "Les pipeaux". Les deux premiers ci-dessous sont connus de beaucoup d'écoliers :

L'année

Janvier nous prive de feuillage ;
Février fait glisser nos pas ;
Mars a des cheveux de nuage,
Avril, des cheveux de lilas ;

Mai permet les robes champêtres ;
Juin ressuscite les rosiers ;
Juillet met l'échelle aux fenêtres,
Août, l'échelle aux cerisiers.

Septembre, qui divague un peu,
Pour danser sur du raisin bleu
S'amuse à retarder l'aurore ;

Octobre a peur ; Novembre a froid ;
Décembre éteint les fleurs ; et moi,
L'année entière je t'adore !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Paysage

Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce qu’on voit sur l’autre rive.
Les arbres, de verdure vive,
Semblent faits avec des copeaux.

Côte à côte vont les tombeaux …
Un mouton veut qu’un mouton suive …
Un cimetière et des troupeaux,
C’est ce que l’on voit sur l’autre rive.

Ah ! cher village de repos,
Qu’elle est loin, la locomotive;
Seul, jusqu’à toi, le fleuve arrive;
Et tu dors, entre une lessive,
Un cimetière et des troupeaux !

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)

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Le recueil "Les Muses françaises" est le dernier véritable recueil poétique de Rosemonde Gérard. C'est une anthologie poétique qui rassemble des textes de 39 auteures, hommage à la poésie féminine des origines à la première moitié du XXe siècle. Rosemonde Gérard y a dédié un poème à chacune d'elles, celui qui suit illustre sa propre poésie :

Le jardin vivant

Quand je n’étais encore au monde qu’une enfant
Qui vivait au jardin et croyait au feuillage,
J’allais souvent revoir, dans un jardin vivant,
Tous ces perroquets bleus qui font tant de tapage.

Je suivais, sur le bord d’un ruisseau palpitant,
Le canard mandarin, cet arc-en-ciel qui nage ;
Et, lorsque je tendais du pain à l’éléphant,
Je lui tendais mon cœur encor bien davantage.

Le singe était partout ; l’ours était dans un coin ;
Sur un petit rocher méditait le pingouin ;
Le monde était absent du rêve qui m’effleure.

Je respirais un chant. Je comprenais un cri.
Et puis, je rapportais quelque lilas fleuri…
Et je n’ai pas beaucoup changé depuis cette heure !

Rosemonde Gérard ("Les Muses françaises", éditions Charpentier, 1943)

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Le recueil "Les Muses françaises" est le dernier véritable recueil poétique de Rosemonde Gérard. C'est une anthologie poétique qui rassemble des textes de 39 auteures, hommage à la poésie féminine des origines à la première moitié du XXe siècle. Rosemonde Gérard y a dédié un poème à chacune d'elles, celui qui suit illustre sa propre poésie :

Les peupliers

Les grands peupliers longent le ruisseau
Et vont, d’un air grave,
Reverdis à neuf par le renouveau
Qui fait l’air suave.

Un par un, faisant un tremblant rideau
Au torrent qui bave,
Les grands peupliers longent le ruisseau,
Et vont, d’un air grave.

Fiers de tout ce qui se passe là-haut,
Et qu’eux seuls ils savent,
Hochant sur le ciel leur léger plumeau,
Avec des airs graves,

Les grands peupliers longent le ruisseau.

Rosemonde Gérard ("Les pipeaux" éditions Lemerre, 1889 - Fasquelle éditeur, 1923)



Marie Gevers  (1883-1975) est une romancière et poète belge.

Octobre (première moitié du poème)

Les nuages sont des quenouilles,
les doigts du vent, légers et vifs,
Y filent la pluie, où se mouillent
Nos chênes, nos hêtres, nos ifs.

La pluie est une grande trame
Se tendant du ciel au sol,
Et navettes, couleur de flamme,
Les feuilles y lancent leur vol.

[...]

Marie Gevers ("Les arbres et le vent" - éditions Robert Sand, Bruxelles, 1923)

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Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie

Il pleut des résilles d’argent :
Vois, la tintante joie
De l’étang aux roseaux penchants,
Où le jardin se noie.

La saveur d’air des champignons,
Cueillis dans les prairies,
Dans le brouillard du matin fond
En savoureuse pluie.

Sur le toit écoute couler
Les gouttes et bruire
De tuile en tuile les colliers
De perles de leur rire.

Respire le parfum moisi
Et tiède de la terre
Où des bulles glissent ainsi
Que des ronds de lumière.

Ouvre les paumes de tes mains
Pour recueillir l’ondée,
En t’imaginant que tu tiens
Les cheveux des nuées.

Et tâche d’être alors à la fois,
Dans le frais paysage,
L’étang, les champignons, le toit,
La terre et les nuages.
 

Marie Gevers ("Missembourg" - Buschmann, 1917)

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Les poèmes du recueil "Antoinette" sont dédiés à sa fille :

Repas du matin

Dans ce lait où fleurit le printemps des prairies,
Et le sucre où l'hiver des betteraves brille,
dans le pain qui concentre les moissons d'été,
Et dans la confiture où la maturité
De l'automne à ta bouche joyeuse est donnée,

Trouve la saveur des journées
Et la joie diverse des mois
Qui nous amènent trois par trois
Les saisons dont la belle ronde
Sans cesse tourne autour du monde.
 

Marie Gevers ("Antoinette" - Buschmann éditeur, 1925)



Marc-Adolphe Guégan (1891-1959), poète et journaliste, ami de Gérard de Nerval, est né sur l'île d'Yeu, où il y a toujours sa maison. Il met en vers la paysage maritime de son île natale dans plusieurs recueils.

Ici, on appréciera l'humour de ces instantanés pris en tercets, que l'auteur, par rigueur et modestie n'appelle pas des haïkus. Les trois premiers sont empruntés au site : http://www.100pour100haiku.fr/ (lien à copier-coller)

Poèmes courts (sans titres)

Il vit une déesse

En ce nuage.
Elle, un dieu de l'Olympe.

Marc-Adolphe Guégan ("Trois petits tours et puis s'en vont", éditions Messein, 1924)

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Girafe. Grand escargot
Qui a perdu sa coquille
Et la cherche à l'horizon.

Marc-Adolphe Guégan ("L'Arche de Noé")

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Le train suit le rail.
Il passe.
Le rail suit le train.

Marc-Adolphe Guégan ("Les quilles et la boule")

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Voici d'autres tercets, publiés dans le recueil "Trois petits tours et puis s'en vont" :

Le marronnier écarquille
 
Chaque main
 
Et il compte sur les doigts.

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Hirondelle : Ciseaux
 
Coupant le drap de l'air
 
En échantillons bleus.

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Hiver. L'arbre se retourne.
 
Au ciel ses racines
 
Et dans le sol son feuillage.

Marc-Adolphe Guégan ("Trois petits tours et puis s'en vont", éditions Messein, 1924)

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Pas vraiment dans le thème du paysage, même maritime, voici un texte ironique, en attendant mieux :

Leurs derniers jours

Donc ils n'ont tant passé de nuits sous la Grande Ourse,
Dans leurs cirés poisseux, couleur de jaune d'œuf,
De ce vieux continent jusqu'au continent neuf
Ils n'ont tant navigué - vidant par tout leur beurre.

Ils n'ont tant consommé des conserve de b
œuf,
Et bu de l'eau dont la mer même était la source,
Ils n'ont tant excité leur navire à la course,
Ils n'ont tant profané n'importe où leur corps veuf

Que pour échouer là comme un enfant qui boude,
Et dire le genou replié sous le coude
Les terres de soleil, tandis qu'il peut et pleut ...

Ou pour fixer d'un
œil que le flot rendit bleu,
Sur le frêle chantier de bois blanc qui l'égaye,
Un trois-mâts enfantin captif d'une bouteille.

Marc-Adolphe Guégan ("Mystique des tempêtes", éditions Messein, 1927)



Yvan Goll (1891-1950), ou Ivan Goll, ou encore, mais plus rarement, Yvan Lazang, sont les pseudonymes du romancier et poète Isaac Lang. Il a vécu en France, en Allemagne et en Suisse, puis aux États-Unis. Outre ses textes et recueils de poèmes, il est le traducteur d'auteurs allemands, anglais et américains.
Claire Goll (1890-1977), romancière et poète, et son mari Yvan Goll ont produit une œuvre parfois commune, toujours en connivence, même si les "Poèmes de jalousie" traduisent quelques tensions. Claire a traduit de l'allemand en français des textes d'Yvan.

Des poèmes d'Yvan et de Claire Goll se trouvent sur un blog qui leur est dédié, sans compter les liens qu'on y trouvera pour d'autres découvertes (poèmes, articles, textes divers) : http://yvanclairegoll.canalblog.com/ (le lien est indirect, il faut copier-coller cette adresse dans votre navigateur).

Sur leur tombe commune, au Père-Lachaise, on peut lire :

Je n'aurai pas duré plus que l'écume
Aux lèvres de la vague sur le sable
Né sous aucune étoile un soir sans lune
Mon nom ne fut qu'un sanglot périssable

(extrait de "La Chanson de Jean Sans Terre", recueil de poèmes d'Yvan Goll, 1936)

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On propose parfois le passage en plus foncé du poème qui suit (recueil "La chanson de Jean sans Terre"), sous le titre "Renouveau", comme dans l'anthologie de Claude Got citée en référence.

Jean sans Terre devant le Printemps et la mort - Renouveau (*)

Jean sans Terre : embrasse
De tes bras serrés
Les saisons qui passent
Passent sans arrêt

Car la vie remonte
De toute les morts
Car le doute a honte
Et la nuit a tort

Quand l'ardente aurore
Immuablement
Ranime et redore
Tout commencement


Entre l'herbe sèche (*)
Du moindre talus
S'élance la flèche
Du premier crocus

Curieuse petite
A l'œil étonné
La pieuse hépatite
Prie au bord des prés

Ecoute les cloches
Du muguet pascal
En tends sous la roche
L'orgue du cristal

L'assemblée des aulnes
Devant le ruisseau
Répète les psaumes
Du règne nouveau

Pour ses fiançailles
Le champ reverdi
Frappe les médailles
D'or du pissenlit

Les plus pauvres saules
Et les plus bossus
Portent sur l'épaule
L'oiseau revenu

Oh toi qui termines
Bientôt ton destin
Chargé d'albumine
Mordu de chagrin

Toi qui sens ta corne
Lentement durcir
Le cheveu qui t'orne
Déjà s'alanguir

Qui entends la nacre
De ta dent sauter
Que nul simulacre
Ne pourra sauver

Toi qui dans la moelle
Pourrie de tes os
Sais que ton étoile
Te voue au chaos

Est-ce toi qui chantes
Le long du chemin
Où les communiantes
S'en vont le matin ?

Toi qui t'agenouilles
Dans le trèfle blanc
Et du crâne fouilles
Le sol odorant ?

Oh ta grosse tête
Lourde : penche-la
Sur la violette
Qu'un bourdon viola

Car tu n'es pas autre
Que ces végétaux
Bagnard ou apôtre
Toi qui mourras tôt

Sache que ton âme
Toujours renaîtra
Dans le cerf qui brame
Dans le mimosa

La riche semence
De tes yeux taris
Croîtra d’abondance
Dans les myosotis

L’inquiète ancolie
Aura la couleur
De mélancolie
Qui teignait ton cœur

Lorsqu’un jour trois mètres
De terreau tassé
Couvriront ton être
Calme trépassé

Pauvre Jean sans Terre
Tu ne diras pas
Que tu es sans terre :
Tu l’embrasseras
.

Yvan Goll ("La chanson de Jean sans Terre", éditions Poésie et Cie, 1936) - (*) Début du poème "Renouveau" dans le recueil de Claude Got : "Pin Pon d'Or" (Colin-Bourreler, 1972)

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Faal

De notre balcon de Choesroes
Nous regardons la jeune lune
Chasser le soleil fatigué dans sa tanière

Les fleurs bleuissent et se fanent
Les poissons meurent
Nourris de nos pêchés

Je tiens ta main d'ivoire
Les irradiations de la lune
L'ont changée en une branche de corail
 

Yvan Goll ("Multiple Femme", Caractères 1956)

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Les poèmes VI et VII du recueil "Le char triomphant de l'antimoine", qui en compte XV, chacun avec son titre original :

VI

Le semeur d'hexagones

Le tambour du soleil sonne
A mon front de Lucifer
Chaque saison me couronne
Tantôt d'or tantôt de fer

Paysan de l'hexagone
Aux semailles de l'hiver
Neige miel ou belladone
Je cultive l'univers

L'étoile aux six yeux me toise
Des bas-fonds d'une turquoise
Où grésillent mes vieux os

L'eau qui brûle dans les rhombes
Du cristal traverse en trombe
Mes chairs par mille réseaux

VII

Transmutations

Quelle est la harpe d'azur
Vive aux abîmes du Hartz
A mettre un regard si pur
Aux yeux biseautés du quartz

La montagne frissonna
Aux pas des renards charmés
Dans les prismes des grenats
Saigne mon œil enfermé

Nourri des étés de chrome
Un feu couvé dans ma paume
Donne naissance à l'oiseau

Au soufre des passiflores
Mon sommeil se décolore
Et mon chant calme les eaux
 

Yvan Goll ("Le char triomphant de l'antimoine", éditions Hémisphères, 1949)

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On n'y résiste pas... S'il n'est pas dans le thème du paysage (oui, en "Lettera amorosa" c'était tout indiqué), ce beau texte, poème "d'Yvan à Claire", passage du recueil que Claire et Yvan Goll ont écrit l'un et l'autre : "Poèmes de Jalousie", est bien antérieur au classique "Ne me quitte pas", de Jacques Brel ...

d'Yvan à Claire

Reviens :
J'inventerai une cinquième saison pour nous seuls,
Où les huîtres auront des ailes,
Où les oiseaux chanteront du Stravinsky
Et les hespérides en or
Mûriront aux figuiers

Je changerai tous les calendriers,
Où manqueront les dates de tes anciens rendez-vous,
Et sur les cartes de l'Europe
J'effacerai les routes de tes fuites

Reviens :
Le monde renaîtra
Les boussoles auront un nouveau Nord
Ton coeur !
 

Yvan et Claire Goll ("Poèmes de Jalousie (avec Claire Goll)", éditions Jean Budry et Cie, 1926)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



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