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15 mai 2009

Blaise CENDRARS - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, Alexandre Voisard, et Blaise Cendrars ci-dessous.

Blaise Cendrars (1887-1961), écrivain, reporter, essayiste et poète suisse d'expression française, prend la nationalité française en 1915. "Il fut le poète de la Fête et de l'Aventure" (JP Rosnay). Ses ouvrages romanesques se trouvent facilement en collection de poche : L'or, Moravagine, et ses oeuvres poétiques complètes ont été rassemblées en 2006 dans la collection Poésie/Gallimard

"Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie"

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"Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami [...]
Quand tu aimes il faut partir
[...]"

Voici un très court passage du très long poème "Prose du Transsibérien", ce train mythique dans lequel Blaise Cendras traverse des paysages réels et oniriques.

On en propose en général aux élèves d'élémentaire la première partie, celle qui n'est pas en italique :

Prose du Transsibérien (extraits)

[...]

Viens au Mexique
Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et le pinceau d'un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C'est le pays des oiseaux
L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre
Le toucan, l'oiseau moqueur
Et le colibri niche au coeur des lys noirs
Viens !

[...]

Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D'autres se perdent en route

[...]

Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal
On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions
Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l'hymne au Tzar
Si j'étais peintre, je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage
Car je crois bien que nous étions tous un peu fous
Et qu'un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage
Comme nous approchions de la Mongolie
Qui ronflait comme un incendie
Le train avait ralenti son allure
Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues
Les accents fous et les sanglots
d'une éternelle liturgie

[...]

Blaise Cendrars ("La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France", Éditions des Hommes Nouveaux, 1913 - illustrations de Sonia Delaunay)

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Dans "Kodak", Blaise Cendras pratique le découpage et le collage de passages entiers du roman feuilleton de Gustave Lerouge : "Le mystérieux docteur Cornélius"

Mississipi (extraits)

À cet endroit le fleuve est presque aussi large qu'un lac
Il roule des eaux jaunâtres et boueuses entre deux berges marécageuses
Plantes aquatiques que continuent les acréages des cotonniers
Ça et là apparaissent les villes et les villages tapis au fond de quelque petite baie avec leurs usines avec leurs hautes cheminées noires avec leurs longues estacades qui s'avancent leurs longues estacades sur pilotis qui s'avancent bien avant dans l'eau

Chaleur accablante

[...]

On aperçoit beaucoup de crocodiles
Les jeunes alertes et frétillants
Les gros le dos recouvert d'une mousse verdâtre se laissent aller à la dérive
La végétation luxuriante annonce l'approche de la zone tropicale
Bambous géants palmiers tulipiers lauriers cèdres
Le fleuve lui-même a doublé de largeur
Il est tout parsemé d'îlots flottants d'où l'approche du bateau fait s'élever des nuées d'oiseaux aquatiques
Steam-boats voiliers chalands embarcations de toutes sortes et d'immenses trains de bois
Une vapeur jaune monte des eaux surchauffées du fleuve

C'est par centaines maintenant que les crocos s'ébattent autour de nous
On entend le claquement sec de leurs mâchoires et l'on distingue très bien leur petit œil féroce
Les passagers s'amusent à leur tirer dessus avec des carabines de précision
[...]

Blaise Cendrars ("Kodak - Documentaire", Stock, 1924) 

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Les poèmes du recueil "Feuille de route" ont été écrits par Blaise Cendrars en 1924, en partie à bord du navire "Le Formose", au cours de son voyage vers le Brésil, et dans ce pays, où il a passé plus de six mois à parcourir et à s'imprégner des couleurs des paysages.

Paysage

La terre est rouge
Le ciel est bleu
La végétation est d'un vert foncé
Ce paysage est cruel dur triste malgré la variété infinie des formes végétatives
Malgré la grâce penchée des palmiers et les bouquets éclatants des grands arbres en fleurs fleurs* de carême

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * texte original

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Îles

Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétations
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Est-ce que l'humour peut faire passer le second poème sans en retirer deux mots ? à vous de voir, mais ce serait dommage :

Coucher de soleil

Nous sommes en vue des côtes
Le coucher de soleil a été extraordinaire
Dans le flamboiement du soir
D’énormes nuages perpendiculaires et d’une hauteur folle
Chimères griffons et une grande victoire ailée sont restées toute la nuit au-dessus de l’horizon
Au petit jour tout le troupeau se trouvait réuni jaune et rose au-dessus de Bahia* en damier

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro (voir plus bas le texte "Bahia")

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Couchers de soleil

Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
À poil
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * au singulier (c'est l'orthographe correcte) - texte original respecté

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À tribord

Une frégate est suspendue en l'air
C'est un oiseau d'une souveraine élégance aux ailes à incidence variable et profilées comme un planeur
Deux gros dos squameux émergent de l'eau bourbeuse et replongent dans la vesce
Des régimes de bananes flottent à vau-l'eau
Depuis que nous sommes là trois nouveaux cargos ont surgi derrière nous silencieux et las
La chaleur les écrase

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Bahia*

Lagunes églises palmiers maisons cubiques
Grandes barques avec deux voiles rectangulaires renversées qui
ressemblent aux jambes immenses d’un pantalon que le vent gonfle
Petites barquettes à aileron de requin qui bondissent
entre les lames de fond
Grands nuages perpendiculaires renflés colorés comme des poteries
Jaunes et bleues

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro

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Bleus

La mer est comme un ciel bleu bleu bleu
Par au-dessus le ciel est comme le Lac Léman
Bleu-tendre

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Deux poèmes écrits au Brésil, dans le train (c'est le titre du second texte) qui le mène de Santos à Sao-Paulo :

Trouées

Échappées sur la mer
Chutes d’eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisance
Je n’écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent les nouvelles que j’ai apportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l’autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là et me regarde et m’inquiète et m’attire comme le masque d’une momie
Je regarde
Pas l’ombre d’un œil

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Dans le train

La nature est d'un vert beaucoup plus foncé que chez nous
Cuivrée
Fermée
La forêt a un visage d'Indien
Tandis que le jaune et le blanc dominent dans nos prés
Ici c'est le bleu céleste qui colore les campos fleuris

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)



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