Anne HÉBERT, Franz HELLENS, Émile HENRIOT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français
Anne Hébert (1916-2000) est une poète francophone du Québec.
La
neige
La
neige nous met en rêve
sur de vastes plaines,
sans traces ni
couleur
Veille mon coeur,
la neige nous met en selle
sur
des coursiers d'écume
Sonne l'enfance couronnée,
la neige nous
sacre en haute-mer,
plein songe,
toutes voiles dehors
La
neige nous met en magie,
blancheur étale,
plumes gonflées
où
perce l'oeil rouge de cet oiseau.
Mon coeur,
trait de feu sous
des palmes de gel
file le sang qui s'émerveille.
Anne Hébert
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La
nuit
Le silence de la nuit
M'entoure
Comme de grands courants sous-marins
Je repose au fond de l'eau muette et glauque
J'entends mon cœur
Qui s' illumine et s'éteint
Comme un phare
Rythme sourd
Code secret
Je ne déchiffre aucun mystère
A chaque éclat de lumière
Je ferme les yeux
Pour la continuité de la nuit
La perpétuité du silence
Où je sombre.
Anne Hébert
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Leçon de ténèbres
S'endormir debout
Comme un arbre
Dans la nuit
Sans cils ni paupières
Les yeux grands ouverts
S'emplir de nuit
À ras bord
Le cœur noir de la nuit
Ruisselle sur mon cœur
Change mon sang
En encre de Chine
La nuit fluide coule dans mes veines
Je m'enracine en forêt noire
Chevilles liées
Âme dissoute dans la nuit
Immobile
Attendre que les temps soient révolus
Dans l'espoir d'une petite étoile
À l'horizon couleur de suie.
Anne Hébert
Franz Hellens (1916-2000), de son vrai nom Frédéric Van Ermengem,
est un romancier, poète, critique d'art et essayiste belge d'origine
flamande et d'expression française. Il a fait connaître Henri Michaux.
Manège d'hiver (titre proposé)
La terre ce matin s'enroule
Dans ses beaux draps de neige.
Allons nous mettre en boule
Et roule, roule mon manège,
Tourne, tourne entre terre et ciel
Jusqu'au prochain dégel.
Franz Hellens ("Florilège poétique de Franz Hellens", de Pierre Menanteau, illustré par Michel Ciry, éditions L'Amitié par le Livre, 1963 - initialement publié sous le titre général Réalités fantastiques, dans la revue Le Disque vert, dont il est le fondateur, éditions Jacques Antoine, 1923)
Émile Henriot (1889-1961), romancier, poète, essayiste et journaliste (au quotidien "Le Temps", puis "Le Monde") a publié un très grand nombre d'ouvrages jusqu'à sa mort.
Peintre aquarelliste authentique également, l'auteur peint ici dans le recueil "Aquarelles" deux paysages, et dans un autre recueil, bien plus tard, un poème qui a perdu un peu de sa facture classique, porte le titre d'aquarelle.
Ce premier texte est un tableau inspiré du village de Frouville, dans le Vexin du Val d'Oise, à côté de Nesles-la-Vallée, où a vécu le poète et dont une avenue porte le nom.
Le village
Le village est au fond de la vallée. En haut
De la route qui tourne au penchant du coteau
On l'aperçoit qui rêve au milieu des prairies,
Et regarde courir dans ses rives fleuries
La rivière d'argent qu'enjambe le vieux pont.
Voici la ferme, un puits, l'église … Des pigeons
Traversent brusquement le ciel et, de leurs ailes,
Jettent sur les toits d'or l'ombre volante et frêle.
Silence. Calme. Quiétude. - On n'entend rien
Que des branches, où passe un souffle aérien.
Émile Henriot ("Aquarelles", Émile-Paul frères, 1922)
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Paysages
J'aime les frais matins peuplés de tourterelles,
Les ciels purs et lavés comme des aquarelles,
L'azur, tout ce qui chante et tout ce qui sourit,
L'humble lilas qui s'ouvre et doucement fleurit,
L'oiseau comme un désir posé de branche en branche,
Et, dans un jardin clair, avec sa robe blanche,
Une rose au corsage ainsi qu'un cœur de feu,
Légère, et douce à voir, quelque enfant à l'œil bleu
Qui rêve, et longuement presse contre sa bouche
Une autre rose rouge et dont l'odeur la touche.
Émile Henriot ("Aquarelles", Émile-Paul frères, 1922)
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Aquarelle
Je voudrais peindre ce paysage
en trempant dans l'eau du canal
ce peuplier sans feuille encore
qui a l'air vraiment d'un pinceau.
Sur l'écran du ciel comme une soie grise,
j'inscrirais d'une touche de laque violette très mouillée
le mouvement de cette colline à fin d'horizon,
puis, couleur de rouille et de fumée,
ces bois à demi dissous dans la brume,
et je réserverais pour la plume et l'encre de Chine,
ce bel arbre aux branches tordues
et enchevêtrées au premier plan.
Ce ne sera pas facile à rendre cet emmêlement
et cette ramification délicate,
et toutes ces brindilles capricieuses.
Il faudrait savoir dessiner.
Mais, ce sera ma récompense,
je garde pour le dernier moment,
d'un seul large coup de pinceau,
cette belle coulée d'émeraude pure
qui représentera le pré ;
et tout à la fin, signature,
pour faire chanter tout le reste,
une petite tache de vermillon
aussitôt écrasée du pouce,
pour figurer le toit d'une maison dans l'éloignement
à travers ce tendre et mélancolique paysage
noyé d'eau sous un ciel d'hiver.
Émile Henriot ("Les jours raccourcissent", 1954)