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15 mai 2009

Louis PIZE, Gisèle PRASSINOS, Raymond QUENEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Louis Pize (1892-1976), écrivain documentaire et poète, a décrit les paysages et les hommes de son Ardèche natale, le Vivarais, les Cévennes. Il fut l'ami de Francis Jammes et de Patrice de la Tour du Pin. Son recueil "Les Muses champêtres" nous fournit ce paysage désolé en hiver :

Montagne

À travers les grandes prairies,
Le vent caché dans le brouillard
Pourchasse les feuilles flétries
Du sycomore et du fayard.

Toutes les cimes familières
Ont disparu du ciel trop bas,
Et, pour éclairer les bruyères,
Le soleil ne se lève pas.

Seuls habitants du plateau morne,
Un pauvre chien, quelques brebis …
Le pâtre, assis sur une borne,
Souffle dans ses doigts engourdis.

Louis Pize ("Les Muses champêtres", 1925)



Gisèle Prassinos, née en 1920, est écrivaine, poète et artiste peintre, tout ça au féminin très singulier, marqué de surréalisme.

Dans tes yeux il y a la mer

Dans tes yeux il y a la mer.

Sur la mer il y a la tempête.

Dans la tempête : une barque.

Dans la barque : une petite fille.

Dans la petite fille il y a ton enfant

et je vais me noyer maman

si tu ne cesses de gronder.

Gisèle Prassinos

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La neige

Il paraît que le ciel et la terre
vont se marier.
Avant l’aube le fiancé
sur sa fille
a jeté son voile de mousse
lentement et sans bruit
pour ne pas l’éveiller.

Elle sommeille encore il est tôt
mais déjà exaltés
impatients d’aller à la noce
les arbres ont mis leur gants
par milliers
et les maisons leurs chapeaux blancs.

Gisèle Prassinos ("Le ciel et la terre se marient" - Éditions ouvrières, 1979)



Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.

Soyez polis (2e partie du poème)

I

[...] (1ère partie du poème, non retranscrite ici)

II

Il faut aussi (1) être très poli avec la terre (2)
Et avec le soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier

Pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
À toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter... les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé ...
Le soleil est amoureux de la terre

La terre est amoureuse du soleil
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le soleil aime la terre
La terre aime le soleil
C'est comme ça

Le reste ne nous regarde pas
La terre aime le soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :

"Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit."

  • (1) "aussi" fait référence à la première partie du poème. Ce mot peut et est parfois supprimé quand on ne propose que cette partie II - (2) Prévert écrit terre, soleil, lune sans majuscule (généralement ils en prennent une quand ils désignent nos objets célestes particuliers)

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied

Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt
Un ciel tout à fait vert
Et des nuages en osier
Une église dans une malle
La malle dans un grenier
Le grenier dans une cave
Sur la tour d'un château
Le château à cheval
A cheval sur un jet d'eau
Le jet d'eau dans un sac
A côté d'une rose
La rose d'un fraisier
Planté dans une armoire
Ouverte sur un champ de blé
Un champ de blé couché
Dans les plis d'un miroir
Sous les ailes d'un tonneau
Le tonneau dans un verre
Dans un verre à Bordeaux
Bordeaux sur une falaise
Où rêve un vieux corbeau
Dans le tiroir d'une chaise
D'une chaise en papier
En beau papier de pierre
Soigneusement taillé
Par un tailleur de verre
Dans un petit gravier
Tout au fond d'une mare
Sous les plumes d'un mouton
Nageant dans un lavoir
À la lueur d'un lampion
Éclairant une mine
Une mine de crayons
Derrière une colline
Gardée par un dindon
Un gros dindon assis
Sur la tête d'un jambon
Un jambon de faïence
Et puis de porcelaine
Qui fait le tour de France
À pied sur une baleine
Au milieu de la lune
Dans un quartier perdu
Perdu dans une carafe
Une carafe d'eau rougie
D'eau rougie à la flamme
À la flamme d'une bougie
Sous la queue d'une horloge
Tendue de velours rouge
Dans la cour d'une école
Au milieu d'un désert
Où de grandes girafes
Et des enfants trouvés
Chantent chantent sans cesse
À tue-tête à cloche-pied
Histoire de s'amuser
Les mots sans queue ni tête
Qui dansent dans leur tête
Sans jamais s'arrêter

Et on recommence
Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt ...
................................................

etc, etc, etc.

Jacques Prévert (dans "Le Cheval de Trois", recueil poétique en trois parties (textes de Jacques prévert, André Virel et André Verdet), Éditions France-Empire, 1946  -  "Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied", Édition posthume, Gallimard, 1985 - réédité en Gallimard/Jeunesse, 2001 , suivi de "Le dromadaire mécontent")

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Le paysage changeur

De deux choses lune
l'autre c'est le soleil
les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
leur soleil c'est la soif la poussière la sueur le goudron
et s'ils travaillent en plein soleil le travail leur cache le soleil
leur soleil c'est l'insolation
et le clair de lune pour les travailleurs de nuit
c'est la bronchite la pharmacie les emmerdements les ennuis
et quand le travailleur s'endort il est bercé par l'insomnie
et quand son réveil le réveille
il trouve chaque jour devant son lit
la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui
alors il se lève
alors il se lave
et puis il sort à moitié éveillé à moitié endormi
il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie
et il prend l'autobus
le service ouvrier
et l'autobus le chauffeur le receveur
et tous les travailleurs à moitiés réveillés à moitié endormis
traversent le paysage figé entre le petit jour et la nuit
le paysage de briques de fenêtres à courants d'air de corridor
le paysage éclipse
le paysage prison
le paysage sans air sans lumière sans rires ni saisons
le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au coeur de l'hiver
le paysage éteint
le paysage sans rien
le paysage exploité affamé dévoré escamoté
le paysage charbon
le paysage poussière
le paysage cambouis
le paysage mâchefer
le paysage châtré gommé effacé relégué et rejeté dans l'ombre
dans la grande ombre
l'ombre du capital
l'ombre du profit
Sur ce paysage parfois un astre luit
un seul
le faux soleil
le soleil blême
le soleil couché
le soleil chien du capital
le vieux soleil de cuivre
le vieux soleil clairon
le vieux soleil ciboire
le vieux soleil fistule
le dégoûtant soleil du roi soleil
le soleil d'Austerlitz
le soleil de Verdun
le soleil fétiche
le soleil tricolore et incolore
l'astre des désastres
l'astre de la vacherie
l'astre de la tuerie
l'astre de la connerie
le soleil mort.

Et le paysage à moitié construit à moitié démoli
à moitié réveillé à moitié endormi
s'effondre dans la guerre le malheur et l'oubli
et puis il recommence une fois la guerre finie
il se rebâtit lui-même dans l'ombre
et le capital sourit
mais un jour le vrai soleil viendra
un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
et les travailleurs sortiront
ils verront alors le soleil
le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
et ils se compteront
et ils se comprendront
et ils verront leur nombre
et ils regarderont l'ombre
et ils riront
et ils s'avanceront
une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l'enterreront dans la terre sous le paysage de misère
et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
ils le brûleront
ils le raseront
et ils en fabriqueront un autre en chantant
un paysage tout nouveau tout beau
un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil
et même ILS CHANGERONT L'HIVER EN PRINTEMPS*.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949) - * capitales d'imprimerie dans le texte original 

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Immense et rouge

Immense et rouge
Au-dessus du Grand Palais
Le soleil d'hiver apparaît
Et disparaît
Comme lui mon cœur va disparaître
Et mon sang va s'en aller
S'en aller à ta recherche
Mon amour
Ma beauté
Et te trouver
Là où tu es.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Un vent fou ...

Un vent fou venant de la mer
             hurle chante et siffle et rit
Un grand chien rouge
et fou lui aussi
léchant les murs court derrière lui
Le bleu du ciel est déporté
 par le vent noir de l'incendie
La Côte d'Azur est sur le gril
La Colombe sent le roussi
Langues de feu du Saint-Esprit

Le vent est noir le feu aussi
 et les deux larrons en foire
sont plus forts que Ruggieri

Des touristes avec leurs déesses
prennent place
 pour voir le bouquet
Des pommes de pin incandescentes
en passant leur frôlent les fesses

Tous de rire et d'être contents
Le spectacle vaut le dérangement
Et avec ça par-dessus le marché
 aucune perte humaine
pour le moment
 à déplorer

Tout seul un olivier
jette désespérément
 vers le ciel calciné
deux bras carbonisés
comme un nègre lynché.

Jacques Prévert ("Arbres" poèmes - gravures de Ribemont-Dessaignes - Gallimard, 1977)

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Le ruisseau

Beaucoup d’eau a passé sous les ponts
et puis aussi énormément de sang
Mais aux pieds de l’amour
coule un grand ruisseau blanc
Et dans les jardins de la lune
où tous les jours c’est ta fête
ce ruisseau chante en dormant
Et cette lune c’est ma tête
où tourne un grand soleil bleu
Et ce soleil c’est tes yeux.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963) 

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La plage des sables blancs

Oubliettes des châteaux de sable
Meurtrières fenêtres de l'oubli
Tout est toujours pareil
Et cependant tout a changé
Tu étais nue dans le soleil
Tu étais nue tu te baignais
Les galets roulent avec la mer
Et toujours j'entendrai
Leur doux refrain de pierres heureuses
Leur gai refrain de pierres mouillées
Déchirant refrain des vacances
Perdu dans les vagues du souvenir
Déchirants souvenirs de l'enfance
Brûlée vive par le désir
Merveilleux souvenir de l'enfance
Éblouie par le plaisir.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Exilé des vacances ...

Exilé des vacances
dans sa zone perdue
il découvre la mer
que jamais il n'a vue
La caravane vers l'ouest
la caravane vers l'est et vers la Croix du Sud

et vers l'Étoile du Nord
ont laissé là pour lui
de vieux wagons couverts de rêves et de poussière

Voyageur clandestin enfantin ébloui
il a poussé la porte du Palais des Mirages
et dans les décombres familiers de son paysage d'ombres inhospitalières
il poursuit en souriant son prodigieux voyage
et traverse en chantant un grand désert ardent

Algues du terrain vague
caressez-le doucement.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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Les palmes et les branches ...

Les palmes et les branches
les tiges et les feuillages
tout ça c'est les hélices de la terre
qui la font naviguer dans les mers du ciel
Au milieu un grand arbre
n'arrête pas de tourner
Et le bateau La Terre
roule par tous les temps
et pendant son voyage
on voit dans son sillage
des tas de poissons volants
qui nagent dans l'air liquide
et y volent en même temps

Et la lune c'est le phare
pour les traversées de nuit
et le soleil c'est le grand sémaphore avec
ses trois cent soixante-cinq signaux pour
tous les jours multicolores.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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La couleur locale

Comme il est beau ce petit paysage
Ces deux rochers ces quelques arbres
et puis l'eau et puis le rivage
comme il est beau
Très peu de bruit un peu de vent
et beaucoup d'eau
C'est un petit paysage de Bretagne
il peut tenir dans le creux de la main
quand on le regarde de loin
Mais si on s'avance
on ne voit plus rien
on se cogne sur un rocher
ou sur un arbre
on se fait mal c'est malheureux
Il y a des choses qu'on peut toucher de près
d'autres qu'il vaut mieux regarder d'assez loin
mais c'est bien joli tout de même
Et puis avec ça
le rouge des roses rouges et le bleu des bluets
le jaune des soucis le gris des petits gris
toute cette humide et tendre petite sorcellerie
et le rire éclatant de l'oiseau paradis
et ces chinois si gais si tristes et si gentils…
Bien sûr
c'est un paysage de Bretagne
un paysage sans roses roses
sans roses rouges
un paysage gris sans petit gris
un paysage sans chinois sans oiseau paradis
Mais il me plaît ce paysage-là
et je peux bien lui faire cadeau de tout cela
Cela n'a pas d'importance n'est-ce pas
et puis peut être que ça lui plaît
à ce paysage-là
La plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu'elle a
La plus belle fille du monde
je la place aussi dans ce paysage-là
et elle s'y trouve bien
elle l'aime bien
Alors il lui fait de l'ombre
et puis du soleil
dans la mesure de ses moyens
et elle reste là
et moi aussi je reste là
près de cette fille-là
A côté de nous il y a un chien avec un chat
et puis un cheval
et puis un ours brun avec un tambourin
et plusieurs animaux très simples dont j'ai oublié le nom
Il y a aussi la fête
des guirlandes des lumières des lampions
et l'ours brun tape sur son tambourin
et tout le monde dans une danse
tout le monde chante une chanson.

Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" , aux Éditions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", Gallimard, 1949)

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Tournesol *

Tous les jours de la semaine
En hiver en automne
Dans le ciel de Paris
Les cheminées d'usines ne fument que du gris

Mais le printemps qui s'amène, une fleur sur l'oreille
Au bras une jolie fille
Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille
Elle n'a pas de grand nom pas de nom de famille
Et danse aux coins des rues
À Belleville à Séville

Tournesol Tournesol Tournesol
Valse des coins de rues
Et les beaux jours sont venus
La belle vie avec eux

Le génie de la Bastille fume une gitane bleue
Dans le ciel amoureux
Dans le ciel de Séville dans le ciel de Belleville
Et même de n'importe où

Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille

Jacques Prévert ("Spectacle", Gallimard, 1949) - * texte et disposition des strophes conformes à l'original - Une chanson a adapté ce poème pour les paroles en répétant certains passages. Elle a été chantée par Yves Montand sur une musique de Joseph Kosma. 

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Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Nuages

Je suis allée chercher mon tricot de laine et chevreau
m’a suivie
le gris
il se méfie pas comme le grand
il est encore trop petit

Elle était toute petite aussi
mais quelque chose en elle parlait déjà vieux comme le
monde
Déjà
elle savait des choses atroces
par exemple
qu’il faut se méfier
et elle regardait le chevreau et le chevreau la regardait
et elle avait envie de pleurer
Il est comme moi
dit-elle
un peu triste et un peu gai
Et puis elle eut un grand sourire
et la pluie se mit à tomber.

Jacques Prévert ("La pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)

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sans titre

Le vrai jardinier
se découvre
devant la pensée
sauvage.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)

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sans titre

La pluie
ne tombe pas du ciel
l'oiseau
comme nous
est un animal terrestre.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)



Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Voir plus de détails et de textes ainsi que des idées de création poétique ici : Raymond Queneau et l'OULIPO - lieucommun

Paysage de Queneau, soumis à "L'Instant fatal" :  le ciel, la mer et "les pins têtus", que "sabre" un soleil  surréaliste :

Pins, pins et sapins

Le ciel la mer saline et les rochers pleins d'eau
Le coeur de l'anémone auprès des pins têtus
La marche auprès du ciel la marche auprès de l'eau
Et la course assoiffée auprès des pins têtus ;

herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s'est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s'égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus

le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l'eau

tandis qu'une bestiole à l'ombre d'un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu'un regard disperse une route inutile

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - Gallimard, 1948 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Port

Le mur qui s’allonge
Et le toit qui plonge
Les bois tout pourris
Ne sont plus ici.

La grue très oblique
Les porcs les barriques
Bien que disparus
Sont rien moins que vus.

Ce bateau sans grâce
Près du ciel s’efface
Laissant le jour gris
S’enfuir avec lui.

Raymond Queneau ("Les Ziaux", Gallimard 1943 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Le poème qui suit est, parmi d'autres textes d'autres auteurs, proposé par le site du Printemps des Poètes à l'adresse: http://www.printempsdespoetes.com (copier-coller le lien)

Vesper

Le berger pique une étoile
il dit c'est celle-là
c'est celle-là qui étincelle
et qui scintille exprès pour moi
ce n'est pas telle ou telle autre
dans le grand champ picoré
quelle poule gigantesque
a pu trouer le noir papier
non ce n'est pas celle rouge
ce n'est pas la verte non plus
ce n'est pas celle qui bouge
une seule lui a plu
le berger sait que cette étoile
le mène à travers la vie
et le recouvre de son voile
lorsqu'il s'endort dans la nuit
d'ailleurs c'est une planète
mais sur la question le berger
n'a pas d'idée aussi nette
qu'en aurait un cosmonaute.

Raymond Queneau ("Battre la campagne", Gallimard 1968 - réédité en Poésie/Gallimard, avec deux autres recueils dans un même ouvrage : "Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots ", 1981)



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