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15 mai 2009

Marc ALYN, Paul ARÈNE Théodore de BANVILLE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Marc Alyn est né en 1937. Il est romancier (Le Déplacement, 1964) et poète (une vingtaine de recueils, dont Le Temps des autres, prix Max Jacob 1957 ; Les Alphabets de Feu, Grand Prix de Poésie de l'Académie Française, 1994).
Il est aussi critique d'art, essayiste (Le Piéton de Venise, "roman contemporain", prix Henri-de-Régnier 2005 de l'Académie française) et auteur d'un "opéra-verbe" (Le Grand Labyrinthe, 1971).

"Je crois en l'homme simplement
pour sa résistance à la nuit ..."

 
(Marc Alyn)
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Un printemps tout neuf

Un arbre sourit de toutes ses fleurs.
Des ramiers s'en vont, à deux, vers le fleuve.
Le coucou vivant au bois donne l'heure :
Voici le printemps dans sa robe neuve !

Quel joli printemps aux yeux de pervenche,
Aux lèvres de rose, aux doigts de lilas !
La vie sur l'hiver a pris sa revanche
Et danse en chantant un alléluia.

Marc Alyn

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Bulletin de santé (extrait)

[...]
Ma tour d’ivoire c’est la rue
où se pressent des inconnus
guidés chacun par leur misère
chacun la sienne pas de jaloux !

Je ne suis pas un alchimiste
Je ne transforme rien en rien
simplement je suis mon chemin
semant des graines dans les ruines

Toutes ces pierres sous mes pas
me sont précieuses et nécessaires
je suis riche de cette terre
qu’un jour de pluie on me donna

Je n'ai pas besoin des nuages
pour alimenter ma chanson !
Mon cœur est plein de ciel
mon regard de chants d'oiseaux

Je crois en l'homme simplement
pour sa résistance à la nuit
...

Marc Alyn ("Liberté de voir" - éditions Terre de Feu - et dans 'Poèmes à dire" choisis par Daniel Gélin - Seghers, 1974)



Paul Arène, ou Paul-Auguste Arène, (1843-1896) est un poète de langue provençale et française, contemporain et proche d'Alphonse Daudet (il aurait participé à l'écriture des Lettres de mon moulin) et de François Coppée (poète présent sur le blog dans la catégorie "Hiver"). Il préside le Félibrige de Paris en 1879 (mouvement littéraire créé par Frédéric Mistral en 1854 pour favoriser et organiser la sauvegarde et la promotion de la langue d’oc).

Si le poème qui suit célèbre la fin de l'automne et l'hiver à Chaville, en région parisienne, c'est la Provence de Sisteron qu'il décrit préférentiellement dans ses nouvelles, poèmes et romans.

Le texte présenté ici, et celui qui suit, sont tirés de l'édition originale du livre, édition posthume de ses Œuvres complètes :

Paysage

L'automne à Chaville est superbe ;
Le bois par place est resté vert ;
Ailleurs, tournant au vent d'hiver
Les feuilles s'abattent sur l'herbe ;
Mais les grands chênes fiers encor,
Gardent leur parure tenace,
Et, sentant que le froid menace
S'habillent de cinabre et d'or.
Qu'importe si le ciel est sombre,
Quand on a la claire forêt,
Son feuillage ardent qui paraît
Plus radieux au sein de l'ombre
Nous garde en ses rameaux vermeils,
Dans ses feuilles d'or pur baignées,
Et de longs rayons imprégnées,
Le souvenir des vieux soleils.

Deux pages plus loin dans ce même recueil, un autre poème est une déclinaison de celui-ci, sous un autre titre et sans doute dans les mêmes lieux. Paul Arène nous donne ainsi le choix :

Chronique d'automne (début du texte)

Il fait bleu ! le temps est superbe ;
 
Pour se promener en rêvant.
 
Averse pourpre dans le vent,
 
Les feuilles s'abattent sur l'herbe ;
 
Mais les grands chênes fiers encor,
 
Gardent leur parure tenace,
 
Et, sentant que le froid menace
 
S'habillent de cinabre et d'or.
 

 
Qu'importe si le ciel est sombre,
 
Quand on a les bois familiers ?
 
Le couvert rouillé des halliers,
 
Plus radieux au sein de l'ombre,
 
Garde avec des tons de velours,
 
Dans ses branches d'or pur baignées,
 
Et de longs rayons imprégnées,
Un vague reflet des beaux jours.

Or, j'allais, songeant à ces choses,
Loin de la grand'ville et cherchant,
Sur quelque pente, au coin d'un champ,
Fatigué des apothéoses,
L'apothéose du couchant.

[...]

* "Le souvenir des vieux hivers" : cette variante qu'on peut rencontrer, n'est pas semble-t-il de la main de Paul Arène.

Paul Arène, écrit en 1883 -  ("Poésies de Paul Arène", chapitre "Tableaux parisiens et paysages", préface d'Armand Silvestre, éditions Lemerre, 1900 et "Œuvres Complètes", aux Éditions Culture Provençale et Méridionale)



Théodore de Banville (1823-1891) est un poète parnassien.

À la Forêt de Fontainebleau (passage)

[...]

N'est-ce pas, n'est-ce pas que vous étiez vivant,
Noir feuillage, immobile et triste sous le vent,
Comme une mer qu'un dieu rend docile à ses chaînes ?
Et vous, colosses fiers, arbres noueux, grands chênes,
Rien n'agitait vos fronts, par le temps centuplés !
Pourtant vos bras tordus et vos muscles gonflés,
Ces poses de lutteurs affamés de carnage
Que vous conserviez, même à cette heure où tout nage
Dans la vive lumière et l'atmosphère en feu,
Laissaient voir qu'autrefois, sous ce ciel vaste et bleu,
Vous aviez dû combattre, ô géants centenaires !
Au milieu des Titans vaincus par les tonnerres.

Et vous, rochers sans fin, suspendus et croulants,
Sur qui l'oiseau sautille, et qui, depuis mille ans,
Gardez, sans être las, vos effroyables poses,
La mousse et le lichen et les bruyères roses
Ont beau vivre sur vous comme un jardin en fleur,
Ne devine-t-on pas dans quelle âpre douleur
Un volcan souterrain, contre le jour qu'il brave,
Jadis vous a vomis avec un flot de lave !

[...]

 

Théodore de Banville (recueil "Le sang de la coupe", publié dans "Le Sang de la coupe. Trente-six Ballades joyeuses. Le Baiser", éditions Lemerre, 1890)

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L'Hiver

Au bois de Boulogne, l'Hiver,
La terre a son manteau de neige.
Mille Iris, qui tendent leur piège,
Y passent comme un vif éclair.

Toutes, sous le ciel gris et clair,
Nous chantent le même solfège ;
Au bois de Boulogne, l'Hiver,
La terre a son manteau de neige.

Toutes les blancheurs de la chair
Y passent, radieux cortège ;
Les Antiopes de Corrège
S'habillent de martre et de vair
Au bois de Boulogne, l'Hiver.

Théodore de Banville (recueil "Les Cariatides", éditions Lemerre, 1877)



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15 mai 2009

Charles BAUDELAIRE, Pierre BÉARN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

La poésie de Charles Baudelaire (1821-1867) s'écarte du modèle classique respecté jusqu'ici. La forme des "Fleurs du mal" n'est pas totalement nouvelle, mais c'est sur le fond qu'il libère la poésie des barrières éthiques et morales de son temps, n'hésitant pas à inviter la laideur et le vice dans les rimes de ce recueil, ce qui lui vaudra quelques ennuis pour "offense à la morale religieuse" et "outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs". Une amende et surtout l'obligation de retirer les textes les plus dérangeants. Ce jugement ne sera "cassé" qu'un siècle plus tard, en 1949... On citera un deuxième ouvrage remarquable par sa liberté d'écriture : "Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris ", qui ne sera hélas publié qu'à titre posthume.

On ne trouvera évidemment dans le choix de textes pour la classe qui suit, que les poèmes les plus "raisonnables", approchant le thème du paysage.

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou bien ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !

Charles Baudelaire ("Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris " publication posthume en 1869)

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L'Homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, Ô frères implacables !

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillants à travers leurs larmes.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’il viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe calme et volupté.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un c
œur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un c
œur qu'on afflige,
Un c
œur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un c
œur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! 

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Le coucher du soleil romantique

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
Comme une explosion nous lançant son bonjour !
- Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve !

Je me souviens ! J'ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son oeil comme un cœur qui palpite...
- Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon !

Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;
L'irrésistible Nuit établit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Le soleil

Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le c
œur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)

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Paysage

Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.

Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon c
œur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du Mal" - 1857)



Pierre Béarn (1902-2004), poète et romancier français, a traversé le XXe siècle entier. Il est connu des écoliers pour ses recueils de fables.

Homme, / qui que tu sois / tu n’emporteras rien / avec toi. Pierre Béarn

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Usine de campagne

 

Usine ourlant de laideur grise un champ de blé
si honteuse dans sa logique
de dresser là ses murs de briques
qu’on la prendrait pour un grand vaisseau naufragé.

Sa cheminée trop haute et qui semble vétuste
distille une fumée d’hiver
que le vent aussitôt conquiert
pour tracer dans le ciel un fin chemin d’arbustes.

Le lierre et les orties cernent les alentours
et la mousse attendrit ses tuiles
en leur donnant un air fertile
de jachère attendant l’époque des labours.

Mais dans l’été qui dort son haleine est trop forte
pour les papillons audacieux
et les blés ont pris l’air soucieux
des arbres quand ils voient tomber leurs feuilles mortes.

Pierre Béarn ("Couleurs d'usine" - éditions Seghers, 1951)



15 mai 2009

Luc BÉRIMONT, Michel BESNIER - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Luc Bérimont (1915 -1983), poète et romancier, de son vrai nom André Leclercq, était un poète engagé. Dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale, dans ses écrits poétiques, et dans la défense et la promotion de la poésie et de la chanson nouvelles, à l'image du poète-éditeur Pierre Seghers, qu'il a côtoyé.
Il a animé des émissions de radio pour faire connaître chanteurs et poètes (La Fine Fleur).
Des textes de Luc Bérimont ont été chantés par Léo Ferré, Marc Ogeret ("Madame à minuit, croyez-vous qu'on rêve ?...") ou Jacques* Bertin (rectification du 21 mai 2012, voir en commentaires).

Sa poésie est intense et passionnée ("Un feu vivant", à découvrir peut-être d'abord pour entrer dans son univers). Il a écrit des recueils de poésies pour les enfants, en particulier les Comptines pour les enfants d'ici et les canards sauvages (Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1974).

Ses œuvres complètes sont en cours de publication au éditions du cherche-midi (seul le tome 1 est paru), mais elles existent déjà en trois volumes sous ce titre : Coffret Luc Bérimont, Poésies complètes (Presses de l'Université d'Angers, 2009). On peut  retrouver de magnifiques textes de Luc Bérimont, et un intéressant éclairage sur l'auteur ici : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/berimont/berimont.html

La nuit d’aube (passages - début et fin du poème)

Une rose a percé la pierre de la neige
Une rose a percé la pierre de l’hiver
Galopez dans le ciel, chevaux blancs des cortèges
Une rose a percé la pierre de la neige.

[...]

Il suffit d’un baiser qui réchauffe la neige
Et notre rose à nous brûle déjà ta main.

Luc Bérimont ("C'était hier et c'est demain", Seghers, 2004)

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Comme des eaux qui se dénouent ...

Comme des eaux qui se dénouent
Sous la neige, parmi les boues
Dans l'éclosion terrible et tendre
D'un bourgeon voulu par le feu
Comme un lac sur des herbes bleues
Comme le flanc frileux des biches
Comme l'envol noir sur les friches
Des oiseaux mouillés du printemps

Mon sang t'environne et t'attend.

Luc Bérimont ("Un feu vivant", Flammarion, 1968)

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je t'attends aux grilles des routes

je t'attends aux grilles des routes
aux croisées du vent du sommeil
je crie ton nom au fond des soutes
des marécages sans oiseaux
du fond de ce désert de fonte
où je pose un à un mes pas
j'attends la source de tes bras
de tes cheveux de ton haleine

j'attends la source de tes bras
de tes cheveux de ton haleine
tu es terrible tu m'enchaînes
tu me dévastes tu me fais

je t'attends comme la forêt
inextricable enchevêtrée
tissée de renards et de geais
mais que le matin fait chanter.

Luc Bérimont ("Un feu vivant", Flammarion, 1968)



Michel Besnier (né en 1945) , enseignant, romancier et poète, écrit pour la jeunesse.

Mes résidences
 
Je n’habite pas du côté de l’océan
mais du côté de la goutte d’eau
 
Je n’habite pas du côté de la forêt
mais du côté du brin d’herbe
 
Je n’habite pas du côté de l’ouragan
mais du côté du courant d’air
 
Je n’habite pas du côté de l’aigle
mais du côté du pingouin
 
Dites-moi où vous habitez
si vous habitez mon quartier
 
Je viendrai un de ces jours
vous dire un petit bonjour

Michel Besnier ("Le Verlan des oiseaux et autres jeux de plumes" illustré par Henri Galeron, éditions Motus, Collection Pommes Pirates Papillons, 1995)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



15 mai 2009

Yves BONNEFOY, Alain BOSQUET, Alain BOUDET, Nicolas BOUVIER - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Yves Bonnefoy est né en 1923. Poète qui a côtoyé un temps les Surréalistes, il est connu des lycéens de terminale L pour "Les Planches courbes", recueil publié en 2001 (extraits ci-dessous). Yves Bonnefoy a réalisé des ouvrages en collaboration avec des artistes. C'est aussi un auteur de réflexions et de critiques de littérature et d'arts plastiques, et un traducteur (de Shakespeare entre-autres auteurs). Son dernier recueil en date, "Raturer outre", est paru en 2010.

"Partout en nous rien que l'humble mensonge
Des mots qui offrent plus que ce qui est dit
Ou disent autre chose que ce qui est dit"...

(passage du texte "Dans le leurre des mots", recueil "Les Planches courbes")

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On retrouve des passages du texte "Que ce monde demeure", sur le site du Printemps des Poètes, à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com
Même s'il peut être proposé en partie pour le thème du Printemps des Poètes 2011, ce magnifique poème dépasse la simple évocation du paysage.
Le paysage lui-même est ici témoin et acteur de la permanence de l'être, pour la nécessaire continuité entre présence et absence.

"Oh, que tant d'évidence
Ne cesse pas" ...

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Que ce monde demeure

I

Je redresse une branche
Qui s'est rompue. Les feuilles
Sont lourdes d'eau et d'ombre
Comme ce ciel, d'encore

Avant le jour. Ô terre,
Signes désaccordés, chemins épars,
Mais beauté, absolue beauté,
Beauté de fleuve,

Que ce monde demeure,
Malgré la mort !
Serrée contre la branche
L'olive grise.

II

Que ce monde demeure,
Que la feuille parfaite
Ourle à jamais dans l'arbre
L'imminence du fruit !

Que les huppes, le ciel
S'ouvrant, à l'aube,
S'envolent à jamais, de dessous le toit
De la grange vide,

Puis se posent, là-bas
Dans la légende,
Et tout est immobile
Une heure encore.

III

Que ce monde demeure !
Que l'absence, le mot
Ne soient qu'un, à jamais,
Dans la chose simple.

L'un à l'autre ce qu'est
La couleur à l'ombre,
L'or du fruit mûr à l'or
De la feuille sèche.

Et ne se dissociant
Qu'avec la mort
Comme brillance et eau quittent la main
Où fond la neige.

IV

Oh, que tant d'évidence
Ne cesse pas
Comme s'éteint le ciel
Dans la flaque sèche,

Que ce monde demeure
Tel que ce soir,
Que d'autres que nous prennent
Au fruit sans fin,

Que ce monde demeure,
Qu'entre, à jamais,
La poussière brillante du soir d'été
Dans la salle vide,

Et ruisselle à jamais
Sur le chemin
L'eau d'une heure de pluie
Dans la lumière.

V

Que ce monde demeure,
Que les mots ne soient pas
Un jour ces ossements
Gris, qu'auront becquetés,

Criant, se disputant,
Se dispersant,
Les oiseaux, notre nuit
Dans la lumière.

Que ce monde demeure
Comme cesse le temps
Quand on lave la plaie
De l'enfant qui pleure.

Et lorsque l'on revient
Dans la chambre sombre
On voit qu'il dort en paix,
Nuit, mais lumière.

VI

Bois, disait celle qui
S'était penchée,
Quand il pleurait, confiant,
Après sa chute.

Bois, et qu'ouvre ta main
Ma robe rouge,
Que consente ta bouche
À sa bonne fièvre.

De ton mal presque plus
Rien ne te brûle,
Bois de cette eau, qui est
L'esprit qui rêve.

VII

Terre, qui vint à nous
Les yeux fermés
Comme pour demander
Qu'une main la guide.

Elle dirait : nos voix
Qui se prennent au rien
L'une de l'autre soient
Notre suffisance.

Nos corps tentent le gué
D'un temps plus large,
Nos mains ne sachent rien
De l'autre rive.

L'enfant naisse du rien
Du haut du fleuve
Et passe, dans le rien,
De barque en barque.

VIII

Et encore : l'été
N'aura qu'une heure
Mais la nôtre soit vaste
Comme le fleuve.

Car c'est dans le désir
Et non le temps
Qu'a puissance l'oubli
Et que mort travaille,

Et vois, mon sein est nu
Dans la lumière
Dont les peintures sombres, indéchiffrées,
Passent rapides
.

Yves Bonnefoy ("La pluie d'été", 1999 - et première section du recueil "Les Planches courbes", Mercure de France, 2001 ; réédité en Poésie/Gallimard, 2003)

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Un autre texte du même recueil, emprunté également au site du Printemps des Poètes, à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

Rouler plus vite

Pourquoi regardaient-ils l'horizon ? Pourquoi gardaient-ils les yeux constamment fixés sur ce
point, là-bas ? Peut-être simplement parce qu'ils roulaient droit vers lui depuis bien longtemps sur
cette route nocturne, dont chaque côté n'était qu'une étendue caillouteuse, parfois bosselée de
collines basses, avec seulement de rares buissons sous le grand ciel, sans étoiles. Au loin, très loin,
deux lignes indéfinies de montagnes. Quelque chose comme deux bras qui, largement ouverts
autour d'eux, les appelaient à l'avant, là où semblait se jeter la route. Mais cela faisait tant d'heures
maintenant que ce seuil se dérobait, s'effaçait, rejetant loin de l'asphalte nue les pentes imaginées,
espérées ! Tant d'heures ! Alors que depuis si longtemps déjà la nuit aurait dû finir.
Ils regardaient l'horizon, le ras du ciel, ils se taisaient, ils ne pouvaient plus détacher leur pensée
de ce point où la route perçait la masse noire, indécise.

Yves Bonnefoy ("Les Planches courbes", éditions Mercure de France, 2001 - réédité dans "Les Planches courbes", section "Jeter des pierres", Poésie/Gallimard, 2003)

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La maison natale (première strophe du poème)

I
Je m’éveillai, c’était la maison natale,
L’écume s’abattait sur le rocher,
Pas un oiseau, le vent seul à ouvrir et fermer la vague,
L’odeur de l’horizon de toutes parts,
Cendre, comme si les collines cachaient un feu
Qui ailleurs consumait un univers.
Je passai dans la véranda, la table était mise,
L’eau frappait les pieds de la table, le buffet.
Il fallait qu’elle entrât pourtant, la sans-visage
Que je savais qui secouait la porte
Du couloir, du côté de l’escalier sombre, mais en vain,
Si haute était déjà l’eau dans la salle.
Je tournais la poignée, qui résistait,
J’entendais presque les rumeurs de l’autre rive,
Ces rires des enfants dans l’herbe haute,
Ces jeux des autres, à jamais les autres, dans leur joie.

[...]
 

Yves Bonnefoy ("Les Planches courbes", éditions Mercure de France, 2001 - réédité dans "Les Planches courbes", section "La maison natale", Poésie/Gallimard, 2003)

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Le soir

Rayures bleues et noires.
Un labour qui dévie vers le bas du ciel.
Le lit, vaste et brisé comme le fleuve en crue.
- Vois, c'est deja le soir,
Et le feu parle auprès de nous dans l'éternité de la sauge.
 

Yves Bonnefoy ("Pierre écrite", éditions Mercure de France, 1965)

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Autour de la neige, Yves Bonnefoy a construit un recueil, intitulé "Début et fin de la neige", en 1991 :

La seule rose 

I

Il neige, c'est revenir dans une ville
Où, et je le découvre en avançant
Au hasard dans des rues qui toutes sont vides,
J'aurais vécu heureux une autre enfance.
Sous les flocons j'aperçois des façades
Qui ont beauté plus que rien de ce monde.
Seuls parmi nous Alberti puis San Gallo
A San Biagio, dans la salle la plus intense
Qu'ait bâtie le désir, ont approché
De cette perfection, de cette absence.

Et je regarde donc, avidement,
Ces masses que la neige me dérobe.
Je recherche surtout, dans la blancheur
Errante, ces frontons que je vois qui montent
A un plus haut niveau de l'apparence.
Ils déchirent la brume, c'est comme si
D'une main délivrée de la pesanteur
L'architecte d'ici avait fait vivre
D'un seul grand trait floral
La forme que voulait de siècle en siècle
La douleur d'être né dans la matière.

II

Et là-haut je ne sais si c'est la vie
Encore, ou la joie seule, qui se détache
Sur ce ciel qui n'est plus de notre monde.
Ô bâtisseurs
Non tant d'un lieu que d'un regain de l'espérance,
Qu'y a-t-il au secret de ces parois
Qui devant moi s'écartent ? Ce que je vois
Le long des murs, ce sont des niches vides,
Des pleins et des délies, d'où s'évapore
Par la grâce des nombres
Le poids de la naissance dans l'exil,
Mais de la neige s'y est mise et s'y entasse,
Je m'approche de l'une d'elles, la plus basse,
Je fais tomber un peu de sa lumière,
Et soudain c'est le pré de mes dix ans,
Les abeilles bourdonnent,
Ce que j'ai dans mes mains, ces fleurs, ces ombres,
Est-ce presque du miel, est-ce de la neige?

III

J'avance alors, jusque sous l'arche d'une porte.
Les flocons tourbillonnent, effaçant
La limite entre le dehors et cette salle
Où des lampes sont allumées : mais elles-mêmes
Une sorte de neige, qui hésite
Entre le haut, le bas, dans cette nuit.
C'est comme si j'étais sur un second seuil.

Et au-delà ce même bruit d'abeilles
Dans le bruit de la neige. Ce que disaient
Les abeilles sans nombre de l'été,
Semble le refléter l'infini des lampes.

Et je voudrais
Courir, comme du temps de l'abeille, cherchant
Du pied la balle souple, car peut-être
Je dors, et rêve, et vais par les chemins d'enfance.

IV

Mais ce que je regarde, c'est de la neige
Durcie, qui s'est glissée sur le dallage
Et s'accumule aux bases des colonnes
A gauche, à droite, et loin devant dans la pénombre.
Absurdement je n'ai d'yeux que pour l'arc
Que cette boue dessine sur la pierre.
J'attache ma pensée à ce qui n'a
Pas de nom, pas de sens. Ô mes amis,
Alberti, Brunelleschi, San Gallo,
Palladio qui fais signe de l'autre rive,
Je ne vous trahis pas, cependant, j'avance,
La forme la plus pure reste celle
Qu'a pénétrée la brume qui s'efface,
La neige piétinée est la seule rose.

Yves Bonnefoy ("Début et fin de la neige", éditions Mercure de France, 1991 - réédité sous le titre "Ce qui fut sans lumière, suivi de Début et fin de la neige", Poésie/Gallimard, 1995)

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La charrue 

Cinq heures. La neige encore. J’entends des voix
À l’avant du monde.
 
Une charrue
Comme une lune au troisième quartier
Brille, mais la recouvre
La nuit d’un pli de la neige.
 
Et cet enfant
A toute la maison pour lui, désormais. Il va
D’une fenêtre à l’autre. Il presse
Ses doigts contre la vitre. Il voit
Des gouttes se former là où il cesse
D’en pousser la buée vers le ciel qui tombe.

Yves Bonnefoy ("Début et fin de la neige", éditions Mercure de France, 1991 - réédité sous le titre "Ce qui fut sans lumière, suivi de Début et fin de la neige", Poésie/Gallimard, 1995)

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Les flambeaux 

Neige
Qui as cessé de donner, qui n’es plus
Celle qui vient mais celle qui attend
En silence, ayant apporté mais sans qu’encore
On ait pris, et pourtant, toute la nuit,
Nous avons aperçu, dans l’embuement
Des vitres parfois même ruisselantes,
Ton étincellement sur la grande table.

Neige, notre chemin,
Immaculé encore, pour aller prendre
Sous les branches courbées et comme attentives
Ces flambeaux, ce qui est, qui ont paru
Un à un, et brûlé, mais semblent s’éteindre
Comme aux yeux du désir quand il accède
Aux biens dont il rêvait (car c’est souvent
Quand tout se dénouerait peut-être, que s’efface
En nous de salle en salle le reflet
Du ciel, dans les miroirs), ô neige, touche
Encore ces flambeaux, renflamme-les
Dans le froid de cette aube; et qu’à l’exemple
De tes flocons qui déjà les assaillent
De leur insouciance, feu plus clair,
Et malgré tant de fièvre dans la parole
Et tant de nostalgie dans le souvenir,
Nos mots ne cherchent plus les autres mots mais les
    avoisinent,
Passent auprès d’eux, simplement,
Et si l’un en a frôlé un, et s’ils s’unissent,
Ce ne sera qu’encore ta lumière,
Notre brièveté qui se dissémine,
L’écriture qui se dissipe, sa tâche faite.

(Et tel flocon s’attarde, on le suit des yeux,
On aimerait le regarder toujours,
Tel autre s’est posé sur la main offerte.

Et tel plus lent et comme égaré s’éloigne
Et tournoie, puis revient. Et n’est-ce dire
Qu’un mot, un autre mot encore, à inventer,
Rédimerait * le monde ? Mais on ne sait
Si on entend ce mot ou si on le rêve).

Yves Bonnefoy ("Début et fin de la neige", éditions Mercure de France, 1991 - réédité sous le titre "Ce qui fut sans lumière, suivi de Début et fin de la neige", Poésie/Gallimard, 1995) - *rédimer = sauver

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Une voix *

Écoute-moi revivre dans ces forêts
Sous les frondaisons de mémoire
Où je passe verte,
Sourire calciné d'anciennes plantes sur la terre,
Race charbonneuse du jour.

Ecoute-moi revivre, je te conduis
Au jardin de présence,
L'abandonné au soir et que les ombres couvrent,
L'habitable pour toi dans le nouvel amour.

Hier règnant désert, j'étais feuille sauvage
Et libre de mourir,
Mais le temps mûrissait, plainte noire des combes,
La blessure de l'eau, dans les pierres du jour. 

Yves Bonnefoy ("Hier régnant désert", éditions Mercure de France, 1958) - *d'autres textes, dans d'autres recueils de l'auteur, portent ce titre

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La tâche d’espérance

C’est l’aube. Et cette lampe a-t-elle donc fini
Ainsi sa tâche d’espérance, main posée
Dans le miroir embué sur la fièvre
De celui qui veillait, ne sachant pas mourir ?

Mais il est vrai qu’il ne l’a pas éteinte,
Elle brûle pour lui, malgré le ciel.
Des mouettes crient leur âme à tes vitres givrées,
Ô dormeur des matins, barque d’un autre fleuve
. 

Yves Bonnefoy ("Ce qui fut sans lumière", éditions Mercure de France, 1958 - réédité sous le titre "Ce qui fut sans lumière, suivi de Début et fin de la neige", Poésie/Gallimard, 1995) 

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Voici un des textes de "La vie errante" (Mercure de France, 1993, recueil de poèmes en prose, "long récit en rêve" (Anne Gourio), dans lequel le vocabulaire se refuse au paysage, pour ne pas le trahir. Toujours cette préoccupation du "leurre, parler", le "leurre des mots" :

De grands blocs rouges

Il se demandait comment il pourrait dire ces grands blocs rouges, cette eau grise, argentée, qui glissait entre eux en silence, ce lichen sombre à diverses hauteurs du chaos des pierres. Il se demandait quels mots pourraient entrer comme son regard le faisait en cet instant même dans les anfractuosités du roc, ou prendre part à l´emmêlement des buissons sous les branches basses, devant ce bord de falaise qui dévalait sous ses pas parmi encore des ronces et des affleurements de safre taché de rouille. Pourquoi n´y a-t-il pas un vocable pour désigner par rien que quelques syllabes ces feuilles mortes et ces poussières qui tournent dans un remous de la brise ? Un autre pour dénommer à lui seul de façon spécifique autant que précise l´instant où un moucheron se détache de la masse de tous les autres, au-dessus des prunes pourries dans l´herbe, puis y revient, boucle vécue sans conscience, signe privé de sens autant que fait privé d´être, mais un absolu tout de même, à lui seul aussi vaste que tout l´abîme du ciel ? Et ces nuages, dans leur position de juste à présent, couleurs et formes ? Et ces coulées de sable dans l´herbe auprès du ruisseau ? Et ce petit mouvement de la tête brusque du merle qui s´est posé sans raison, qui va s´envoler sans raison ? Comment se fait-il qu´auprès de si peu des apects du monde le langage ait consenti à venir, non pour peiner à la connaissance mais pour trouver repos dans l´évidence rêveuse, posant sa tête aux yeux clos contre l´épaule des choses ? Quelle perte, nommer ! Quel leurre, parler ! Et quelle tâche lui est laissée, à lui qui s´interroge ainsi devant la terre qu´il aime et qu´il voudrait dire, quelle tâche sans fin pour simplement ne faire qu´un avec elle ! Quelle tâche que l´on conçoit dès l´enfance, et que l´on vit de rêver possible, et que l´on meurt de ne pouvoir accomplir ?

Yves Bonnefoy ("La Vie Errante", éditions Mercure de France, 1993 - réédité sous le titre "La Vie errante suivi de Remarques sur Le dessin", Poésie/Gallimard, 1997)

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Yves Bonnefoy, dans "le Nuage rouge" consacre huit articles aux rapports de la poésie avec l’art, notamment autour du tableau de Mondrian portant ce même titre, "le Nuage rouge", peint en 1907 :

"cette nuée éclaire tout" (Y. B.)

Bonnefoy_le_nuage_rouge

Le nuage rouge (extraits)

Deux étendues, l’une bleue azur l’autre verte, séparées par une ligne où se nouent un autre bleu et du noir, qu’une trace de blanc irise : mais vers le haut, centre qui va, matière soudain lumière, la masse rouge orangée du grand nuage. De cette œuvre que Mondrian a peinte en 1908 ou 1909, au seuil de sa première maturité, on peut dire qu’elle ne cherche guère à représenter ou même évoquer les choses du monde, on peut remarquer aussi que le pinceau y est souvent perceptible, ici écrasé par la pâte, là zigzaguant librement, trace de bleu qui traverse de l’ocre beige, et d’autres concluront qu’il n’y a rien d’autre au total sur ce bout de toile que cinq ou six taches brossées vite, déjà la peinture abstraite.

[...]

On verra que cela fait une image plane — une bannière à deux bandes, frappée d’une tache rouge — mais qu’aux confins du vert et du bleu, dans l’étroitesse d’un peu de blanc et de noir qui vibrent à l’infini, c’est la profondeur comme telle qui du coup se signifie à rencontre, s’indique non abolie. Dimension autre, cet horizon. Non la troisième de l’espace perspective, mais l’hétérogène à jamais qui dresse la présence contre l’image, la faille qui revendique ce que nulle écriture ne saurait jamais accepter, à savoir qu’il y a un ailleurs, là-bas, et donc un ici, en retour, c’est à dire au total un lieu, ce qui ne peut valoir que pour une vie, dans une durée, et oblige à l’expérience de l’être.

[...]

Yves Bonnefoy ("Le Nuage rouge", Mercure de France, 1977 - réédité en Folio/Gallimard, 1999)



Alain Bosquet est le nom d'auteur d'Anatole Bisk (1919-1998). C'est un écrivain français d'origine russe, auteur de théâtre, de nouvelles, de romans, de récits, et de poésies très adaptées aux enfants d'élémentaire, et aux grands enfants que nous sommes restés, parfois.

Un enfant m’a dit

Un enfant m’a dit :
"La pierre est une grenouille endormie."
Un autre enfant m’a dit :
"Le ciel, c’est de la soie fragile."
Un troisième enfant m’a dit :
"L’océan, quand on lui fait peur, il crie."
Je ne dis rien, je souris.
Le rêve de l’enfant, c’est une loi.
Et puis, je sais que la pierre,
Vraiment, est une grenouille,
Mais au lieu de dormir
Elle me regarde.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)

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Arbre

Tu es plus souple que le zèbre
Tu sautes mieux que l'équateur.
Sous ton écorce les vertèbres
font un concert d'oiseaux moqueurs.
J'avertirai tous les poètes :
il ne faut pas toucher aux fruits
c'est là que dorment les comètes,
et l'océan s'y reconstruit.
Tu es léger comme un tropique.
Tu es plus sage qu'un poisson.
Dans chaque feuille une réplique
est réservée pour ma chanson.
Dès qu'on t'adresse la parole,
autour de toi s'élève un mur.
Tu bats des branches, tu t'envoles
c'est toi qui puniras l'azur.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)

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J'écrirai

J’écrirai ce poème,
     pour qu'il me donne
     un fleuve doux
     comme les ailes du toucan

J’écrirai ce poème
     pour qu'il t'offre une aurore
     quand Il fait nuit
     entre ta gorge et ton aisselle

J'écrirai ce poème
     pour que dix mille marronniers
     prolongent leurs vacances
     pour que sur chaque toit
     vienne s'asseoir une comète

J'écrirai ce poème
     pour que le doute ce vieux loup
     parte en exil
     pour que tous les objets reprennent
     leurs leçons de musique

J'écrirai ce poème
     pour aimer comme on aime par surprise
     pour respecter comme on respecte en oubliant
     pour être digne
     de l'inconnu de l'impalpable

J'écrirai ce poème
     mammifère ou de bois
     il ne me coûte rien

il m'est si cher
Il vaut plus que ma vie.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)

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Mer

La mer écrit un poisson bleu,
efface un poisson gris.

La mer écrit un croiseur qui prend feu,
efface un croiseur mal écrit.

Poète plus que les poètes,
musicienne plus que les musiciennes,
elle est mon interprète,
la mer ancienne,
la mer future,
porteuse de pétales,
porteuse de fourrure.

Elle s’installe
au fond de moi.

La mer écrit un soleil vert,
efface un soleil mauve.

La mer écrit un soleil entrouvert
sur mille requins qui se sauvent.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)



Alain Boudet est né en 1950. Il exerce le métier de documentaliste et a publié une vingtaine de recueils de poésie, des textes de chansons pour des auteurs compositeurs-interprètes, etc (voir son site).

Pas de titre pour ce texte :

Elle souffle sur la lune
et fait tomber le ciel
dans la buée du soir.

Et quand la lune éclate
on voit soudain filer le rire des étoiles.

Alain Boudet ("Poèmes pour sourigoler" - Blanc Silex, 1999)

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On trouvera ce texte avec beaucoup d'autre, sur le thème du paysage, dans la poéthèque du site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com

 

Sans titre

L'éclair joint le feu à la source

et nous sommes pareils à l'éclair
La pierre abrite la lumière
et nous ressemblons à la pierre
Chaque reflet nous investit
nous sommes perméables aux cris
dissous dans l'ombre
En écoutant nos pas
nous apprenons le monde
Le chemin même est transparent
Nous peuplons chaque instant
de ce qui nous habite
et nous prêtons nos voix
aux mots du paysage.

Alain Boudet ("Les mots du paysage", éditions Donner à Voir, 1997)



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Alexandre Voisard, Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, et Nicolas Bouvier ci-dessous.

Nicolas Bouvier (1929-1998) est un poète suisse de langue française, contemporain et ami d'Alexandre Voisard (voir la section de cet auteur dans cette même catégorie). Reporter photographe, il rapporte de ses voyages des images, des chroniques et des poèmes. Le livre "Chronique japonaise" est l'ouvrage qui le fait vraiment connaître (Éditions Payot et Rivages, en 2001).
Son unique recueil de poésies est paru en 1982 : "Le Dehors et le dedans " (Éditions Zoé). La réédition posthume, en 1998, inclut d'autres textes, dont son ultime poème : "Morte saison" (ci-dessous).

"Toutes les manières de voir le monde sont bonnes, pourvu qu’on en revienne."
("L'usage du monde", avec des dessins de Thierry Vernet - Payot, 1963, réédition 2001)

livre_Bouvier

"Le Dehors et le dedans", Points/Gallimard, 2007, à se procurer d'urgence (6 €)

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Les Indes galantes

Nombril du continent
Poumon léger du monde et poussière douce au pied

Cette route a beaucoup pour elle
dans tous les axes de la boussole
c'est l'espace et l'éternité
savanes couleur de cuir
vautours en rond dans le ciel cannelle
villages verts autour d'une flaque
dieux érectiles couverts de minium
et de papier d'argent
cités croulantes, tarabiscotées
et regards qui croisent le tien
jusqu'à l'écœurement

Tu te pousses à petite allure
un mois passe comme rien
tu consultes la carte
pour voir où t'a mené la dérive du voyage
deltas vert pâle comme des paumes ouvertes
plissements bruns des hauts plateaux
les petits cigares noués d'un fil rouge
ne coûtent que cinq anna 
(1) la botte
où irons-nous demain ?

A la gare de Bezwada (2)
tu as dormi sur un banc
tu sentais dans tes reins le poids de la journée
des quatre coins de la nuit les locomotives
arrivaient
en meuglant comme des navires
paraphe de nacre sur les eucalyptus

La lune montante était si pleine
et la vie devenue si fine
qu'il n'était ce soir-là
plus d'autre perfection que dans la mort

Solarpur, Inde centrale
Genève, 1978

Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978, qui l'ont réédité en 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)
(1) anna reste au singulier : l'anna, subdivision de la roupie, est une monnaie de l'Inde - (2) majuscule : Bezwada (ou Vijayavada) est une ville de l'Inde

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Les feuilles des noyers
 
Les feuilles des noyers sont brillantes de pluie
La brume monte du sol
Au fond du pré
deux vieilles cueillent de la dent-de-lion
Une fois cassées en deux
elles ne se relèveront plus
avant d’avoir rempli leurs cabas
Je vois leurs culs noirs
se déplacer comme des bestiaux essouflés
indécis
et parfois le bref éclair
au ras du sol
du petit couteau de cuisine
Je fixe cette image
dans ma tête
en attente
Je suis dans un temps
où les choses ont cessé d’être
proches
intelligibles
compatissantes

 
  Genève, 1958

Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978 et 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)

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Novembre
   
Les grenades ouvertes qui saignent
sous une mince et pure couche de neige
le bleu des mosquées sous la neige
les camions rouillés sous la neige
les pintades blanches plus blanches encore
les longs murs roux

les voix perdues
qui cheminent à tâtons sous la neige
toute la ville, jusqu'à l'énorme citadelle
s'envole dans le ciel moucheté


  Tabriz, 1953

Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978 et 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)

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Printemps kurde (deuxième strophe)
   
[...]

Je me souviens
Le fleuve était en crue
Le ciel gorgé de pluie s'étirait comme une bête
sur d'interminables friches noires
L'outarde, la cigogne
et tout ce que j'ai aimé ensuite
y nichaient déjà en secret

 [...]
 

    Mahabad - Genève, 1981

Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978 et 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)

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Nicolas Bouvier a écrit son ultime texte, daté du 25 octobre 1997, dans l'hôpital de Genève où il attendait la mort, signifiant avec ce poème d'adieu, l'abandon de soi-même :

  Morte saison
 
  D'un seul coup
  le temps-éclair d'un mauvais songe
  Tu as vidé les étriers
  La vie a pris ta monture
  et s'éloigne de toi
  dans un galop de cendre
  La laine des mots aimés
  est partie en flocons
  vers le ciel qui pâlit
  Blanc réduit à rien
  blanc ouvert jusqu'à l'os
  Amidon d'hôpital tout ouaté
  de menaces
  Tête foudroyée qui bourdonne
  sans rime ni raison
  De lourdes clés ont fermé derrière nous
  les serrures sonores de novembre
  L'alcool murmure en secret
  dans ses jarres tressées d'osier frais
  Désormais c'est dans un autre ailleurs
  qui ne dit pas son nom
  dans d'autres souffles et d'autres plaines
  qu'il te faudra
  plus léger que boule de chardon
  disparaître en silence
  en retrouvant le vent des routes
 
  Genève, 25 octobre 1997

Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978 et 1998, absent de l'édition 1978, ce texte sera ajouté dans la réédition en 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)



15 mai 2009

Robert BESSE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Robert Besse est un poète contemporain des plus discrets. Deux recueils connus : "Poèmes pour un oiseau" et "Noce sous la mer".

Les enseignants et les élèves connaissent de lui ce petit tableau, palette de couleurs :

L’arc-en-ciel

De sa cage de nuages et de pluie
Un bel oiseau s’est évadé
pour se poser sur les doigts du soleil

Bleu indigo violet
Vert jaune orangé rouge

Plus un enfant ne bouge
Le bel oiseau a déployé
Ses plumes sur le ciel

Robert Besse ("Poèmes pour un oiseau", éditions Trace)

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Du recueil "Noce sous la mer", ce court poème, pas dans le thème du paysage, mais si juste...

Le lézard

Le seul bruit de ma voix
délivre le lézard

qui s'était pris les pattes
dans la chaleur.

Robert Besse ("Noce sous la mer", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1976)



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15 mai 2009

Jacques BREL - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jacques Brel (1929-1978), poète, auteur-compositeur et chanteur belge, cinéaste et acteur, a chanté comme personne son "plat pays", et les îles Marquises, où il choisit de finir ses jours.

Le plat pays

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l'est écoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien

Avec des cathédrales pour uniques montagnes
Et de noirs clochers comme mâts de cocagne
Où des diables en pierre décrochent les nuages
Avec le fil des jours pour unique voyage
Et des chemins de pluie pour unique bonsoir
Avec le vent d'ouest écoutez-le vouloir
Le plat pays qui est le mien

Avec un ciel si bas qu'un canal s'est perdu
Avec un ciel si bas qu'il fait l'humilité
Avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu
Avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner
Avec le vent du nord qui vient s'écarteler
Avec le vent du nord écoutez-le craquer
Le plat pays qui est le mien

Avec de l'Italie qui descendrait l'Escaut
Avec Frida la Blonde quand elle devient Margot
Quand les fils de novembre nous reviennent en mai
Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet
Quand le vent est au rire, quand le vent est au blé
Quand le vent est au sud, écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien.

Jacques Brel (éditions Musicales Barclay, 1962)

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Les Marquises

Ils parlent de la mort
comme tu parles d'un fruit
ils regardent la mer
comme tu regardes un puits
les femmes sont lascives
au soleil redouté
et s'il n'y a pas d'hiver
cela n'est pas l'été
la pluie est traversière
elle bat de grain en grain
quelques vieux chevaux blancs
qui fredonnent Gauguin*
et par manque de brise
le temps s'immobilise
aux Marquises

Du soir montent des feux
et des pointes de silence
qui vont s'élargissant
et la lune s'avance
et la mer se déchire
infiniment brisée
par des rochers qui prirent
des prénoms affolés
et puis plus loin des chiens
des chants de repentance
des quelques pas de deux
et quelques pas de danse
et la nuit est soumise
et l'alizé se brise
aux Marquises

Le rire est dans le coeur
le mot dans le regard
le coeur est voyageur
l'avenir est un hasard
et passent des cocotiers
qui écrivent des chants d'amour
que les soeurs** d'alentour
ignorent d'ignorer
les pirogues s'en vont
les pirogues s'en viennent
et mes souvenirs deviennent
ce que les vieux en font
veux tu que je dise
gémir n'est pas de mise
aux Marquises

** les soeurs : les religieuses
Jacques Brel (éditions Musicales Barclay, 1977) - * Paul Gauguin est enterré aux Marquises, comme Jacques Brel :
"Vous regardez ensemble / Se lever le soleil / Au-dessus des lagunes / Où galopent des chevaux blancs" (extrait de la lettre-poème de Barbara à Jacques Brel, après la disparition du chanteur)  


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15 mai 2009

Michel BUTOR, Hélène CADOU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Une page du Printemps des poètes 2011 est consacrée sur ce blog à Michel Butor et à trois autres auteurs mis à l'honneur cette année. Voyez le lien ci-dessous pour les rejoindre :

PRINT POÈTES 11 : Butor Depestre Velter White



Hélène Cadou est née en 1922. Son mari, le poète René Guy Cadou, avait écrit, comme une prémonition : "Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre". À partir de 1943, Hélène Cadou, poète comme lui, l'accompagne pour ce court séjour. C'est pour elle qu'il écrit "Hélène ou le règne végétal", publié en février 1951. Il meurt de maladie en mars de la même année, à l'âge de 31 ans. Hélène Cadou a écrit et continue à écrire de nombreux recueils de poésie ("Le Prince des Lisières" - Rougerie, 2007), et à faire vivre la poésie et la mémoire de Guy Cadou. voir les catégories PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES et  PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE. Voir les textes de Guy Cadou pour Hélène

Plus d’avenir

Et le dos au mur
que sauveras tu ?

Un seul arbre
pour le regard
avec des volées d’oiseaux.

Un nuage aussi
pour croire au soleil
et son reflet contre la vitre

la mer encore
pour le voyage
j’entends son souffle à mes pieds

le monde enfin
avec des femmes et ses hommes
toute la vie contre sa joue

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Le Temps réconcilié

1.

Entre deux toits
Le bleu
Comme un appel de colombe

La lucarne

Seul regard
Pour toute une vie

Qui rêve de sa vacance

2.

C'était une demeure
D'ici et maintenant

Bousculée par le ciel
Et les erreurs
Du vent

Qui emportait
Nos rêves
Avec fruits et moissons

Qui emportait
Nos rêves
Avec fruits et moissons

C'était une demeure
Du ciel sans frontières

Les murs étaient d'ici
Le ciel était chez lui

Nous y vivions le jour
Connaissions le mot fin

Le temps réconcilié
A sa perte éternelle.

Hélène Cadou ("De la poussière et de la grâce" - éditions Rougerie, 2000) - source de l'extrait présenté ci-dessus : http://www.printempsdespoetes.com/

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L’arbre

Il me suffit d’un arbre
Pour approuver le vent

Il me suffit d’une herbe

D’un souvenir
Pour que le ciel s’éclaire

De ton regard
Pour donner sens au monde.

Hélène Cadou ("Retour à l'été" - Maison de Poésie, éditions Serpenoise - Presses Universitaires de Nancy, 1993)

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Encore un dimanche à rêver ...

Encore
Un dimanche à rêver
Sur les collines

Encore
Au jardin
L'ombre du frêne

Et la longue lecture
Des riches heures
De l'été

Quand le monde à notre porte
Nous verse en milliers d'éclats

Sa beauté.

Hélène Cadou ("Si nous allions vers les plages" - éditions Rougerie, 2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Il faut laver ce que tu dis ...

Il faut laver
Ce que tu dis

les galets blancs
Les planètes

Il faudrait laver
Le ciel et la pluie

Pour que l'amour
rutile sous l'averse

Il faut laver ton regard
Laver le jour à grande eau

Laver ton coeur
De tes larmes

Si tu veux lire enfin
Le monde en clair
dans la fenêtre.

Hélène Cadou ("La mémoire de l'eau" - éditions Rougerie, 1993)



15 mai 2009

Francis CARCO ; Maurice CARÊME ; André CASTAGNOU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Francis Carco (1886-1958) est un romancier, auteur de Jésus la Caille, L'Homme traqué... et le poète de Premiers vers, La Bohème et mon cœur, Chansons aigre-douces... Il fréquente les milieux artistiques parisiens, où il rencontre les poètes Guillaume Apollinaire et Max Jacob.

La fenêtre

La fenêtre est ouverte et le jardin s'endort,
Longuement, avec des bruits d'eau et des murmures
D'invisibles oiseaux blottis dans les ramures
Que le soir a tiédies de sa caresse d'or.

La fenêtre est ouverte. Et monte le silence
Du c
œur des fleurs, du cœur de l'ombre jusqu'à nous
Qui, pensifs, l'écoutons venir à pas très doux
Du fond de notre obscure et grave conscience.

La fenêtre est ouverte...et le jardin n'est plus
Qu'une chose confuse et doucement lointaine
Où l'on entend parfois, aux rumeurs des fontaines,
Bouger les ailes des oiseaux qui se sont tus.

Francis Carco ("Premiers vers", Éditions Albin Michel, 1904-1910)

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Chanson

Des saules et des peupliers
Bordent la rive.
Entends, contre les vieux piliers
Du pont, l'eau vive !

Elle chante comme une voix
Jase et s'amuse,
Et puis s'écrase sur le bois
Frais de l'écluse.

Le moulin tourne. Il fait si bon,
Quand tout vous laisse,
S'abandonner, doux vagabond,
Dans l'herbe épaisse !

Francis Carco ("La Bohème et mon cœur", Éditions Albin Michel, 1912)

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On ne gardera pour les classes élémentaires que la première strophe de ce poème d'amour. Le texte intégral est ici : http://www.per-bast.com/poemes-coup-de-coeur/46-poemes-cdc/956-printemps-franciscarco-.html

Printemps

Je te donne ce coin fleuri,
Ces arbres légers, cette brume
Et Paris, au loin qui s’allume
Sous ces nuages blancs et gris.   
[...
]

Francis Carco ("La Bohème et mon cœur", Éditions Albin Michel, 1912)



Maurice Carême, instituteur et poète belge (1899-1978) est présent dans chaque cahier de poésie des élèves de France et de Navarre (et de Belgique bien sûr), et ses textes se baladent un peu partout sur le blog. Explorez les catégories !

Dans son ouvrage "Le jour s'en va toujours trop tôt - Sur les pas de Maurice Carême" (éditions Racine, 2007), Jeannine Burny, qui fut sa muse et sa secrétaire (elle est aujourd'hui présidente de l'association "Les Amis de Maurice Carême"), raconte les sources d'inspiration du poète.

"[...] Maurice aimait faire de longues randonnées dans la campagne. [...] Nous étions venus par les hauts plateaux dominant la ville basses de Montmédy. Malgré notre carte d'état-major, nous n'avions pas trouvé le sentier descendant sur Avioth. Le chemin s'était arrêté net devant nous, coupé par des fourrés épineux. En contrebas, nous apercevions la route qui filat vers l'église. Le sentier avait bel et bien disparu, envahi par la végétation. [...] Nous nous frayâmes un chemin et nous passâmes malgré quelques égratignures. Au sortir d'Avioth nous connaissions l"itinéraire. Il passait par Breux et rejoignait Margny [...] "

Entre Margny et Breux

Le silence est si transparent
Qu’il suffit d’un vague moustique
Pour le rayer profondément
De son diamant mélodique.
Les troupeaux se sont confondus
Avec les ombres des taillis.
Le ruisseau aussi s’est perdu.
Où sont passées les hirondelles ?
La forêt a fermé ses ailes.
Les peupliers sont bleus de nuit.

Maurice Carême ("Entre Margny et Breux", 1958)

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Les première poésies de Maurice Carême sont éditées en 1925 dans le recueil "63 illustrations pour un jeu de l'oie" :

Le ciel

Derrière le long treillis
Tramé par les branches nues
Des arbres de l'avenue,
Le ciel semble un pré bleui
Où paît, agneau nonchalant

Ébouriffé par le vent,
Un petit nuage blanc.

Maurice Carême ("63 illustrations pour un jeu de l'oie", éditions de la "Revue Sincère", Bruxelles, 1925)

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L'automne

L'automne au coin du bois,
Joue de l'harmonica.
Quelle joie chez les feuilles !
Elles valsent au bras
Du vent qui les emporte.
On dit qu'elles sont mortes,
Mais personne n'y croit.
L 'automne au coin du bois,
Joue de l'harmonica.

Maurice Carême ("La lanterne magique", Éditions Ouvrières, 1947)

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Le nuage

Un nuage, parmi les autres,
Reforme sans cesse un visage.
Il promène sur les villages
Un regard dont il ne sait rien,
Et s'il sourit au paysage,
Ce sourire n'est pas le sien.

Mais l'homme qui le voit sourire
Et qui sourit à son passage,
En sut-il jamais davantage ?

Maurice Carême

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La grille est toute blanche

La grille est toute blanche
Et le perron tout rose.
Un vent clair y balance
Un rosier plein de roses.

Et les pigeons sont blancs
Sur les ardoises bleues,
Un peu moins bleues pourtant
Que le bleu doux des cieux.

Le chèvrefeuille est jaune
Qui monte autour de l'aune,
Jaune aussi, le vieux faune,

Mais près de l'arrosoir
Vert, vert à n'y pas croire,
Le chat, lui, est tout noir.

Maurice Carême

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Le brouillard 

Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.

Plus de fleur au jardin,
Plus d’arbre dans l’allée ;
La serre du voisin
Semble s’être envolée.

Et je ne sais vraiment
Où peut s’être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier.

Maurice Carême

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Automne en ville

Les quelques arbres de la ville,
Avec un ensemble émouvant,
Font pleuvoir leurs feuilles tranquilles
Sur les enfants.

Et l’on dirait que dans les rues
Et dans les cours où l’ombre dort,
Une main inconnue
Fait doucement pleuvoir de l’or.

Les tramways vont, les autos filent,
Les gens se pressent sans rien voir,
Un avion fait sur la ville
Une ombre de grand oiseau noir.

Un large soleil de nickel
Brille, glacé, aux devantures.
Plus un ange ne s’aventure
Sur les hauts trapèzes du ciel.

Et polie ainsi qu’un ivoire
Derrière un petit rideau blanc,
Une vieille sourit de voir
S’affairer sans fin les passants.

Maurice Carême

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L'homme et l'enfant

Ce n’est qu’un homme et un petit enfant
Dans une allée d’automne,
Un homme et un enfant s’en allant, souriant,
Sous une pluie de feuilles jaunes.

Ils ne se disent rien. L’enfant regarde
L’homme qui lui sourit.
Et ils s’en vont, main dans la main, sous les grands arbres
Vers un toit qui reluit.

Sur les arbres montrant obstinément leurs nids,
Le ciel se dore comme un fruit.
Ce n’est qu’un homme et un petit enfant,

Et l’on dirait que, tout joyeux, l’automne
Marche devant eux en semant
Du soleil et des feuilles jaunes.

Maurice Carême

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Il a neigé

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que le chaton croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que les choses
Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
À cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

Maurice Carême

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Le sentier se perdait

Le sentier là-bas se perdait
Dans une odeur de serpolet
Où, beuglant sans fin, de grands boeufs
Devenaient vaporeux.
Juste à la pointe du clocher,
L'étoile du berger
Paraissait se poser
Comme une flamme
Sur un haut chandelier.
Et là-bas, de la cheminée
De la maison, une fumée
S'élevait et puis s'inclinait
Pareille à une main
Qui ne cessait de m'appeler
Par dessus les jardins.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - emprunté à la documentation du Printemps des Poètes 2011 : http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ753_selection_jeunesse.pdf

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Quelques textes sur le paysage maritime :

Que la mer est belle !

Dieu ! qu’aujourd’hui la mer est belle !
Le dirai-je jamais assez.
Belle, mais belle à le crier
Pour qu’on l’entende jusqu’au ciel.

Imaginez-vous un vert jade,
Puis à l’horizon, un vert sombre
Qui la souligne ainsi qu’une ombre
Comme un tableau l’est par son cadre.

Devant, une longue estacade
De pierre dont le gris de perle
Souligne encor la splendeur verte.

Oh ! je sais bien que je divague,
Que je dirais n’importe quoi
À voir la mer comme elle est là.

Maurice Carême ("Sac au dos", à paraitre)

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Je sais ...

Je sais, mer du Nord, tu es là
Si grande, si nue devant moi.

Pour enlever ta robe d’aube,
Le ciel entier ne suffit pas.

Et pourtant, mer, je te prendrai,
Tu te traîneras à mes pieds.

D’un mot plus fascinant qu’un charme,
Je réveillerai tes vacarmes.

Je te donnerai la couleur,
La courbe heureuse de mon cœur.

Et tu te coucheras sans voir
Que tu tiens toute dans mes yeux

Avec mon étoile du soir
Piquée au bord de tes cheveux.

Maurice Carême ("Mer du Nord", éditions Fernand Nathan, Paris, 1971)

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La mer

Juste au milieu du jour,
La mer est toute ronde
Comme une belle montre
Que le soleil remonte.

Mais, le soir, elle est plate
À vous déconcerter *,
Et le soleil fâché
En devient écarlate.

La nuit, c’est encore pis.
On n’en voit qu’une aiguille
Lorsque la lune brille
Sur son verre terni.

N’empêche qu’elle chante,
De jour comme de nuit,
Qu’elle est bien moins méchante
Qu’on ne me l’avait dit

Et qu’au grand vent du nord,
Elle berce les heures
Comme des barques d’or
Dans la main du Seigneur.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - * c'est bien "déconcerter", attention, on trouve sur le Net d'autres versions erronées

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Sur la plage

Les mouettes se sont dissoutes
Dans l'air indiciblement pâle.
Le sable est si blanc qu'on en doute.
Les dunes ont perdu leur hâle.
Seuls d'étonnants feux roses
Passent là-bas très haut dans l'air
En éclosant comme des roses
Dont le rosier serait la mer.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - emprunté à la documentation du Printemps des Poètes 2011 : http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ753_selection_jeunesse.pdf

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Gare isolée

On allume les lampes.
Un dernier pinson chante.
La gare est émouvante
En ce soir de septembre.

Elle reste seule
À l’écart des maisons,
Si seule à regarder
L’étoile du berger
Qui pleure à l’horizon
Entre deux vieux tilleuls.

Parfois un voyageur
S’arrête sur le quai,
Mais si las, si distrait,

Qu’il ne voit ni les lampes,
Ni le pinson qui chante,
Ni l’étoile qui pleure
En ce soir de septembre.

Et la banlieue le cueille,
Morne comme le vent
Qui disperse les feuilles
Sur la gare émouvante.

Maurice Carême  

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Étranges fleurs

L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Maurice Carême

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Le temps des vacances

C’est le temps béni des vacances.
Le vent fait des noeuds d’hirondelles.
Le jour est rond comme une amande.
Tout le village sent le miel.
Le soleil a pendu sa lampe
Juste au-dessus des vaches blanches
Etonnées de n’avoir plus d’ombre,
Mais les prairies qui, près du bois,
Tremblent doucement sous leurs poids
N’ont jamais été si profondes.

Maurice Carême

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L'écureuil

Un écureuil sur la bruyère
Se lave avec de la lumière
Une feuille morte descend
Doucement portée par le vent
Le vent attend pour la poser
Légèrement sur la bruyère
Que l'écureuil soit remonté
Sur le chêne de la clairière
Où il aime se balancer
Comme une feuille de lumière.

Maurice Carême



André Castagnou (1889-1942).

Le fleuve

Avec midi,
Solitaire, tu resplendis ;
le silence à tes bords gagne jusqu'aux oiseaux. 
J'ai surpris ton frémissement
quand la lune vient se baigner à tes roseaux.       
Mais dans le matin tournoyant
peut-être encore es-tu plus beau !

Parmi les chênes,
les pins
Et les dunes mouvantes,
jamais il ne s'achève, ton destin :
la source chante
là-haut, dans la montagne,
sans fin.
 

André Castagnou ("Les Quatre Saisons", Éditions Spolète, 1923)


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15 mai 2009

Blaise CENDRARS - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, Alexandre Voisard, et Blaise Cendrars ci-dessous.

Blaise Cendrars (1887-1961), écrivain, reporter, essayiste et poète suisse d'expression française, prend la nationalité française en 1915. "Il fut le poète de la Fête et de l'Aventure" (JP Rosnay). Ses ouvrages romanesques se trouvent facilement en collection de poche : L'or, Moravagine, et ses oeuvres poétiques complètes ont été rassemblées en 2006 dans la collection Poésie/Gallimard

"Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie"

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"Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami [...]
Quand tu aimes il faut partir
[...]"

Voici un très court passage du très long poème "Prose du Transsibérien", ce train mythique dans lequel Blaise Cendras traverse des paysages réels et oniriques.

On en propose en général aux élèves d'élémentaire la première partie, celle qui n'est pas en italique :

Prose du Transsibérien (extraits)

[...]

Viens au Mexique
Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et le pinceau d'un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C'est le pays des oiseaux
L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre
Le toucan, l'oiseau moqueur
Et le colibri niche au coeur des lys noirs
Viens !

[...]

Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D'autres se perdent en route

[...]

Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal
On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions
Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l'hymne au Tzar
Si j'étais peintre, je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage
Car je crois bien que nous étions tous un peu fous
Et qu'un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage
Comme nous approchions de la Mongolie
Qui ronflait comme un incendie
Le train avait ralenti son allure
Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues
Les accents fous et les sanglots
d'une éternelle liturgie

[...]

Blaise Cendrars ("La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France", Éditions des Hommes Nouveaux, 1913 - illustrations de Sonia Delaunay)

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Dans "Kodak", Blaise Cendras pratique le découpage et le collage de passages entiers du roman feuilleton de Gustave Lerouge : "Le mystérieux docteur Cornélius"

Mississipi (extraits)

À cet endroit le fleuve est presque aussi large qu'un lac
Il roule des eaux jaunâtres et boueuses entre deux berges marécageuses
Plantes aquatiques que continuent les acréages des cotonniers
Ça et là apparaissent les villes et les villages tapis au fond de quelque petite baie avec leurs usines avec leurs hautes cheminées noires avec leurs longues estacades qui s'avancent leurs longues estacades sur pilotis qui s'avancent bien avant dans l'eau

Chaleur accablante

[...]

On aperçoit beaucoup de crocodiles
Les jeunes alertes et frétillants
Les gros le dos recouvert d'une mousse verdâtre se laissent aller à la dérive
La végétation luxuriante annonce l'approche de la zone tropicale
Bambous géants palmiers tulipiers lauriers cèdres
Le fleuve lui-même a doublé de largeur
Il est tout parsemé d'îlots flottants d'où l'approche du bateau fait s'élever des nuées d'oiseaux aquatiques
Steam-boats voiliers chalands embarcations de toutes sortes et d'immenses trains de bois
Une vapeur jaune monte des eaux surchauffées du fleuve

C'est par centaines maintenant que les crocos s'ébattent autour de nous
On entend le claquement sec de leurs mâchoires et l'on distingue très bien leur petit œil féroce
Les passagers s'amusent à leur tirer dessus avec des carabines de précision
[...]

Blaise Cendrars ("Kodak - Documentaire", Stock, 1924) 

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Les poèmes du recueil "Feuille de route" ont été écrits par Blaise Cendrars en 1924, en partie à bord du navire "Le Formose", au cours de son voyage vers le Brésil, et dans ce pays, où il a passé plus de six mois à parcourir et à s'imprégner des couleurs des paysages.

Paysage

La terre est rouge
Le ciel est bleu
La végétation est d'un vert foncé
Ce paysage est cruel dur triste malgré la variété infinie des formes végétatives
Malgré la grâce penchée des palmiers et les bouquets éclatants des grands arbres en fleurs fleurs* de carême

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * texte original

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Îles

Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétations
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Est-ce que l'humour peut faire passer le second poème sans en retirer deux mots ? à vous de voir, mais ce serait dommage :

Coucher de soleil

Nous sommes en vue des côtes
Le coucher de soleil a été extraordinaire
Dans le flamboiement du soir
D’énormes nuages perpendiculaires et d’une hauteur folle
Chimères griffons et une grande victoire ailée sont restées toute la nuit au-dessus de l’horizon
Au petit jour tout le troupeau se trouvait réuni jaune et rose au-dessus de Bahia* en damier

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro (voir plus bas le texte "Bahia")

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Couchers de soleil

Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
À poil
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * au singulier (c'est l'orthographe correcte) - texte original respecté

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À tribord

Une frégate est suspendue en l'air
C'est un oiseau d'une souveraine élégance aux ailes à incidence variable et profilées comme un planeur
Deux gros dos squameux émergent de l'eau bourbeuse et replongent dans la vesce
Des régimes de bananes flottent à vau-l'eau
Depuis que nous sommes là trois nouveaux cargos ont surgi derrière nous silencieux et las
La chaleur les écrase

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Bahia*

Lagunes églises palmiers maisons cubiques
Grandes barques avec deux voiles rectangulaires renversées qui
ressemblent aux jambes immenses d’un pantalon que le vent gonfle
Petites barquettes à aileron de requin qui bondissent
entre les lames de fond
Grands nuages perpendiculaires renflés colorés comme des poteries
Jaunes et bleues

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro

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Bleus

La mer est comme un ciel bleu bleu bleu
Par au-dessus le ciel est comme le Lac Léman
Bleu-tendre

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Deux poèmes écrits au Brésil, dans le train (c'est le titre du second texte) qui le mène de Santos à Sao-Paulo :

Trouées

Échappées sur la mer
Chutes d’eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisance
Je n’écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent les nouvelles que j’ai apportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l’autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là et me regarde et m’inquiète et m’attire comme le masque d’une momie
Je regarde
Pas l’ombre d’un œil

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Dans le train

La nature est d'un vert beaucoup plus foncé que chez nous
Cuivrée
Fermée
La forêt a un visage d'Indien
Tandis que le jaune et le blanc dominent dans nos prés
Ici c'est le bleu céleste qui colore les campos fleuris

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)



15 mai 2009

Gilbert CESBRON - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gilbert Cesbron (1913-1979), écrivain chrétien (il est ainsi défini) est l'auteur de nombreux romans socialement engagés. On peut citer "Notre prison est un royaume", 1948 ; Chiens perdus sans collier", 1954), de pièces de théâtre, d'essais et de poésies (recueil "Merci l'oiseau").

Les nuages blancs

Les nuages blancs
qui dorment la nuit
dans les bras du vent
se laissent porter
comme des enfants
et rêvent qu’ils font
et font en rêvant
le tour de la terre.

Gilbert Cesbron ("Merci l’oiseau", éditions Robert Laffont, 1976)



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