Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lieu commun
1 novembre 2009

Guillevic - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Guillevic -

Eugène  Guillevic dit Guillevic tout court* (1907-1997) a traversé le XXe siècle et ses courants littéraires de sa poésie rocailleuse et si humaine. Il observe le surréalisme (André Breton, Paul Éluard) sans y appartenir ... Lire la suite de cette présentation dans la catégorie qui lui est consacrée, colonne de gauche du blog.
(*) Guillevic ne souhaitait pas qu'on mentionne son prénom.

Recette

Prenez un toit de vieilles tuiles
un peu avant midi.

Placez tout à côté
un tilleul déjà grand
remué par le vent.

Mettez au-dessus d'eux
un ciel de bleu, lavé
par des nuages blancs.

Laissez-les faire.
Regardez-les.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)

logo_cr_ation_po_tique Une recette amusante et poétique

Imiter une recette de fabrication (cuisine, bricolage) pour créer un paysage est déjà une drôle d'idée.
On pourra, sans tomber dans la soupe de sorcière, imaginer une liste d'ingrédients et d'ustensiles, de produits et d'outils, existants ou inventés, inhabituels en tous cas, pour un résultat poétique. Un peu en marge de ce travail, voir la "Complainte du progrès", de Boris Vian, pour rester dans la cuisine.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Image

Sous les herbes,
ça se cajole,
ça s’ébouriffe et se tripote,
ça s’étripe et se désélytre,
ça s’entregrouille et s’entrefouille,
ça s’écrabouille et se barbouille,
ça se chatouille et se dépouille,
ça se mouille et se déverrouille,
ça se dérouille et se farfouille,
ça s’épouille et se tripatouille.
Et du calme le pré
Est la classique image.

Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)

logo_cr_ation_po_tique Inventer des mots

Comme Guillevic, on peut farfouiller, dérouiller, écrabouiller la matière des mots, comme une terre glaise, pour en inventer de nouveaux.
Ici, et dans le texte d'Henri Michaux plus loin, ce sont les verbes qui sont concernés.
Voir aussi les tripatouillages de Boby Lapointe
et de Boris Vian.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le glyptodon

Je rencontre un glyptodon
Qui traînait son ventre à terre.
Je lui dis : mais qu’as-tu donc ?
Il répond : le quaternaire.

Oui, vois-tu, je sens qu’il vient,
Que c’est la fin du tertiaire
Et donc aussi notre fin,
C’est dans tous les dictionnaires.

Il n’y aura plus d’égards
Pour nos grandes carapaces,
Puisqu’il y aura les chars :
Ça fait plus mal quand ça passe.

C’est pourquoi je suis atteint.
Savoir la fin de son règne
N’est jamais bon pour le teint,
Qu’on soit dieu ou musaraigne.

Guillevic ("Poèmes en chansons" - publication phonogram Philips Livre-disque 33 tours, 1976 ; texte mis en musique et chanté par Max Rongier)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ma girafe et moi

Moi, ça m’est bien égal,
Ce qu’ils font.

J’ai un cheval dans ma poche
Et d’ailleurs c’est une girafe.

Alors, quand c’est à moi
Qu’on veut s’en prendre, hop là !

On est loin,
Ma girafe et moi.

Et eux
N’y comprennent rien.

Guillevic ("Autres" - 1980)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Fabliette du mauvais bœuf

Le mauvais bœuf
Ne voulait pas
Etre vendu, mais vendre.
A la ville voisine
Il emmena
Un beau jour son patron.

Il fut déçu.
Le ramena.

Guillevic ("Autres" - 1980)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Textes extraits du recueil "Euclidiennes", certains abordables en fin de cycle 3, d'autres sans doute  à réserver pour le collège ou le lycée :

Triangles
(la numérotation des poèmes n'est qu'un rangement proposé par le blog)

1. Isocèle

J'ai réussi à mettre
Un peu d'ordre en moi-même.
J'ai tendance à me plaire.

- - - - - - - - -

2. Équilatéral

Je suis allé trop loin
Avec mon souci d'ordre,

Rien ne peut plus venir.

- - - - - - - - - -

3. Rectangle

J'ai fermé l'angle droit
Qui souffrait d'être ouvert
En grand sur l'aventure.

Je suis une demeure
Où rêver est de droit.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Diagonale

Pour aller où je dois aller,
J'ai le droit de priorité,
J'ai le droit de propriété.

Car il faut que deux angles
À travers la surface
Aient communication.

Donc je m'installe et sans égard
Pour des desseins moins nécessaires.

- - - - - - - - - -

Droite

Au moins pour toi,
Pas de problème.

Tu crois t'engendrer de toi-même
À chaque endroit qui est de toi,

Au risque d'oublier
Que tu as dû passer
Probablement au même endroit.

Ne sachant même pas
Que tu fais deux parties
De ce que tu traverses,

Tu vas sans rien apprendre
Et sans jamais donner.

- - - - - - - - - -

Carré

Chacun de tes côtés
S'admire dans les autres.

Où va sa préférence ?
Vers celui qui le touche
Ou vers celui d'en face ?

Mais j'oubliais les angles
Où le dehors s'irrite

Au point de t'enlever
Les doutes qui renaissent.

- - - - - - - - - -

Cercle

Tu es un frère
On peut s'entendre.

Fais-moi pareil,
Enferme-moi.

Réchauffons-nous,
Vivons ensemble
Et méditons.

- - - - - - - - - -

Angle aigu

A défaut d'être cercle
On pourrait se faire angle,

Et sinon vivre au calme,
Attaquer l'entourage,

Se reposer ensuite
En rêvant de fermer

L'autre côté toujours
Ouvert sur l'étranger.

- - - - - - - - - -

Parallèles

On va, l’espace est grand,
On se côtoie,
On veut parler.
Mais ce qu’on se raconte
L’autre le sait déjà,
Car depuis l’origine
Effacée, oubliée,
C’est la même aventure.
En rêve on se rencontre,
On s’aime, on se complète.
On ne va plus loin
Que dans l’autre et dans soi.

- - - - - - - - - -

Perpendiculaire

Facile est de dire
Que je tombe à pic.
Mais c'est aussi sur moi
Que l'autre tombe à pic.

Guillevic ("Euclidiennes"  1967 - Gallimard)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Autres textes tirés de "Euclidiennes", les premiers en "3D" , sans lunettes spéciales ;-)  :

Cylindre

Si l'on quittait la sphère
Pour s'en aller ailleurs,
C'est à travers toi que l'on passerait.

J'imagine à peu près
Ce que ça pourrait être :

J'ai connu ta longueur
Dans tant de mauvais rêves.

- - - - - - - - - -

Pyramide

Il me semble que j'imite
Et pourtant je cherche qui.

J'ai vu le sable et le vent
Essayer de faire un corps.

J'ai vu l'eau se soulever
Mais le plan est fait pour elle.

J'ai vu durer les rochers
Plus informes que le ciel.

Moi j'ai la stabilité,
J'ai la force dans ma base,

La patience dans mes faces
Et l'esprit dans mon sommet.

J'ai de coupantes arêtes,
Je suis on ne peut plus nette.

Et puis qui n'imite pas,
Qui n'est pas un peu pareil

A tout cela qu'il n'est pas,
Qui ne lui ressemble pas ?

Nous, figures, nous n'avons
Après tout qu'un vrai mérite,

C'est de simplifier le monde
D'être un rêve qu'il se donne.

- - - - - - - - - -

Cône

Hésitants que nous sommes
A voir si notre vie

Épouse ou non ta forme
Au long de la durée.

Mais dans quel sens alors ?
Pour toujours s’élargir ?

Pour toujours se fermer ?

Tu nous inquiètes,
Tu es remords.

Point

Je ne suis que le fruit peut-être
De deux lignes qui se rencontrent.

Je n'ai rien.

On dit partir du point,
Y arriver.

Je n'en sais rien.

Mais qui
M'effacera ?

Guillevic ("Euclidiennes"  1967 - Gallimard)

logo_cr_ation_po_tique Poésie géométrique

Proposer en exemple un des objets géométriques connus des élèves, triangle, carré, droite, angle, que Guillevic a curieusement mis en scène dans ses poèmes, en les faisant s'exprimer à la première personne. Les élèves seront invités à en choisir un autre (dont on n'aura pas présenté l'interprétation de Guillevic, pour ne pas orienter la production).
Ils en rechercheront la définition et les propriétés mathématiques et construiront un très court "portrait" ou une petite saynète. Plusieurs objets peuvent interférer.
Le cercle, avec ses "accessoires", rayon, diamètre, arc, ... convient particulièrement. Ne pas oublier les objets en 3 D : cube, cylindre, pyramide, sphère.
Autres possiblités : étendre le procédé aux chiffres, aux opérations mathématiques.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Autres textes de Guillevic pour la classe

On trouvera d'autres textes plus difficiles de cet auteur mis en ligne sur le blog lieucommun à l'occasion du Printemps des Poètes 2008, à cette adresse cliquable : http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_des_poetes_2008___guillevic/index.html

Imaginons

Le temps que met l’eau à couler de ta main
Le temps que met le coq à crier le soleil
Le temps que l’araignée dévore un peu la mouche
Le temps que la rafale arrache quelques tenteslivre_Guillevic_terre_bonheur
Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps pour nos regards de se dire d’amour
Imaginons ce qu’on fera de tout ce temps.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)

- - - - - - - - - -

Imagine

Imagine un oiseau,
Merle ou geai ou mésange,

Qui tiendrait dans son bec
Et ce serait pour toi,

Tendrait vers toi
Myrtille ou mûre

Ou quelque chose.

Guillevic (extrait de "Avec" - éditions Gallimard, 1966)

- - - - - - - - - -

Suppose

Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche.
Suppose
Que ce soit le rocher
Qui frappe à notre porte
Et que je te demande
De le laisser entrer
Si c’est pour nous conter
Le temps d’avant le temps.
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler
A travers la pénombre.
Suppose
Que s’ouvrent sous nos yeux
Tous les toits de la ville
Et que je te demande
De choisir la maison
Où, le toit refermé,
Tu aimeras la nuit.
Suppose
Que la mer ait envie
De nous voir de plus près
Et que je te demande
D’aller lui répéter
Que nous ne pouvons pas
L’empêcher d’être seule.
Suppose
Que le soleil couchant
S’en aille satisfait
Et que je te demande
D’aller lui réclamer
Ce qu’il doit nous payer
Pour sa journée de gloire.

Guillevic (extrait du poème "Bergeries", dans le recueil "Autres"- 1980)

- - - - - - - - - -

J'ai vu le menuisier

J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.

Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.

Guillevic ("Terre à bonheur" - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)

- - - - - - - - - -

L'école publique

À Saint-Jean-Brévelay notre école publique
Était petite et très, très pauvre : des carreaux
Manquaient et pour finir c'est qu'il en manquait trop
Pour qu'on mette partout du carton par applique,

Car il faut voir bien clair lorsque le maître explique.
Alors le vent soufflait par tous ces soupiraux
Et nous avons eu froid souvent sous nos sarraus.
Par surcroît le plancher était épisodique,

Et l'on sait qu'avec l'eau du toit la terre fait
Des espèces de lacs boueux d'un bel effet.
Pourtant j'ai bien appris dans cette pauvre école :

Orthographe, calcul, histoire des Français,
Le Quatorze juillet, Valmy, la Carmagnole,
Le progrès, ses reculs, et, toujours, son succès.

Guillevic ("31 sonnets" - Gallimard, 1954)

- - - - - - - - - -

Quelques courts textes sur le chat, tirés du recueil de Guillevic dédié à "Patoune" : "Mammifères", 1981 (Cahier Arfuyen n°1, illustré d' "empreintes" du peintre turc Dino Abidine).

Le chat (titre proposé)

1.
Le chat ne sait rien
De ce qu'il y a
Dans les dictionnaires.

Sait quelque chose
De ce qui leur manque.

...

2.
Le chat regarde,
Ébloui par son regard.

...

3.

Échappé au naufrage cosmique,
Le chat
Fait sa toilette.

...

4.

Il est comme ça
Parce qu'il est
Un chat
Tout à fait chat.

Guillevic ("Mammifères" - Arfuyen, 1981)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Chanson

Pas par le plafond,
Pas par le plancher
Petit enfant sage,
Tu ne partiras.

Pas brisant les murs
Ou les traversant,
Pas par la croisée,
Tu ne partiras.

Par la porte close,
Par la porte ouverte,
Petit enfant sage,
Tu ne partiras.

Ni brûlant le ciel,
Ni tâtant la route,
Ni moquant la lande,
Tu ne partiras.

Ce n'est qu'en passant,
A travers les jours,
C'est à travers toi
Que tu partiras.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)

- - - - - - - - - -

Le papillon

Je suis le papillon,
Disait-il,
Ce n’est pas moi la fleur.

Moi, je m’ennuie,
Disait le papillon,
Quand je ne chante pas.

Oui, ma vie sera brève,
Disait le papillon,
Mais quelle vie !

Avec ces couleurs-là,
Disait le papillon,
Ça ne devrait jamais finir.

Guillevic ("Échos disait-il" - illustré par Hélène Vincent - Gallimard Jeunesse/enfance en poésie, 1991)

- - - - - - - - - -

Voici quelques babioles, extraites du recueil Babiolettes. Pour ceux qui trouveraient ce poème d'abord difficile (il l'est), voyez comment on peut l'exploiter  quand même en création poétique dans un CM1-CM2, ici.

Babioles (début)

1
Ce n'est pas que l'horloge
Ait peur qu'on la déloge,

Mais elle veut trotter
Hors de l'éternité

2
Ce n'est pas qu'un potiron
Soit poli comme il est rond,

Mais il ne sait pas lui-même
D'où vient son nom de baptême.

3
Ce n'est pas que le fraisier
Fasse dire qu'il y est,

Mais c'est qu'il montre les fruits
Que lui suggéra la nuit.

4
Ce n'est pas que le torrent
Ait peur de perdre son rang

Mais s'il est impétueux,
Ce n'est pas selon ses voeux.

5
Ce n'est pas que le nuage
Ne rêve pas de l'orage,

Mais il sait que sa violence
Cassera son existence.

6
Ce n'est pas que le temps
Compte à chacun son temps,

Mais c'est qu'il faut du temps
Pour peser tant de temps.

7
Ce n'est pas que le hibou
N'en connaisse pas un bout,

Mais il veut garder pour lui
Tout le restant de la nuit.

8
Ce n'est pas que l'éléphant
Répugne à des jeux d'enfant,

Mais c'est que pour en jouer
L'animal n'est pas doué.

...

Eugène Guillevic ("Babiolettes" - éditions Saint-Germain des Prés, 1980)



Publicité
Commentaires
Publicité