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1 novembre 2009

Bacri, Baudelaire - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Roland Bacri -

livre_Bacri_Le_Petit_Po_te

Roland Bacri est un humoriste, écrivain et poète né en Algérie, à Bab-el-Oued, en 1926. Arrivé en France en 1956, il entre au Canard Enchaîné. Il publie ses poèmes dans l'hebdomadaire satirique sous son nom ou sous deux pseudonymes : Le Petit Poète et Roro de Bab-el-Oued. Des textes, fables ou historiettes où s'exprime l'amour du pays natal, l'amour de la vie et de ses plaisirs, la parodie d'auteurs, mais souvent la critique et la moquerie sociales et politiques.
Les jeux de mots sont sa gymnastique quotidienne (et la gymnastique hebdomadaire des lecteurs du Canard).
Quelques titres d'ouvrages : Le Petit Poète (La Canardothèque, 1957 et Éditions Syros 1998 en édition réduite - photo), Et alors ! Et oilà ! (Edmond Nalis, 1968 et Balland 1972), Poèmes colère du temps (Denoël, 1970), La légende des siestes (Balland, 1973), L'obsédé textuel (Julliard, 1974).

 

  •  

    On trouvera dans cette même catégorie, des fables d'un autre auteur abonné au Canard : Gabriel Macé, sous le pseudonyme de Jean de la Futaille.

 

 

 

"Les hauts cris s'envolent,
les Bacri restent..."
Roland Bacri (devise familiale selon l'auteur)disque_Bacri

 

Une charmante poésie pour rêver avec les mots. Ce texte avec d'autres de l'auteur, a été mis en musique par Jean Claudric et chanté par Denise Benoît dans un disque auquel Raymond Devos a participé (éditions Fontana, 1960).

 

Le petit somnambule

 

Sa chemise de nuit
Flottant dans l'air du soir
Le petit somnambule
Déambule
Bras tendus devant lui
Dans le noir.

Il a laissé son lit,
Son drap tiède et ourlé,
sa femme en bigoudis
Pour mêler
Un songe à cette nuit
De l'été.

Le petit somnambule
Bavarde avec la nuit.
Les astres noctambules
Vont sans bruit
Et toutes les pendules
Font minuit.

Le monde naufragé
Dans un fond de décor
Est là, en bas, figé,
Qui dort
D'un sommeil allongé
Comme un mort.

N'est-il pas mieux luné
Mon poète un peu fou,
Rêveur du toit qui penche,
Ombre blanche
Qui près des cheminées
Dort debout ?

Il danse un pas léger
Sur un rayon de lune...
On entend tout là-haut
Les bravos
Des étoiles rangées
Une à une

Dans un ciel d'opéra.
Et la nuit tout entière
Le petit somnambule,
Funambule,
Fait de beaux entrechats
De gouttière.

 

Le Petit Poète (Roland Bacri - recueil Le Petit Poète - La Canardothèque, 1957)
Ce texte n'a hélas pas été repris dans le recueil paru aux Éditions Syros en 1998.



- Charles Baudelaire -

Charles Baudelaire  (1821-1867) peut-il être qualifié de poète maudit ? Certainement, lui  à qui Les Fleurs du Mal ont valu un procès pour outrage à la morale publique et à la morale religieuse. Aujourd'hui, Les Fleurs du Mal sont le recueil de poésies qui se vend et s'est le plus vendu en France.

"Tel petit chagrin, telle petite jouissance de l'enfant, démesurément grossis par une exquise sensibilité, deviennent plus tard dans l'homme adulte, même à son insu, le principe d'une oeuvre d'art (...). La sensibilité de chacun, c'est son génie … Le génie, c'est l'enfance retrouvée à volonté … Le génie n'est que l'enfance nettement formulée."

Charles Baudelaire ("lettres inédites aux siens" éd Grasset, Les Cahiers rouges, 2010 - contient quatre-vingt lettres écrites par Baudelaire entre sa onzième et sa vingtième année à son demi-frère aîné, Claude-Alphonse, à sa mère, Caroline, et à son beau-père, le militaire Aupick. )

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Étant enfant, je voulais être tantôt pape, mais pape militaire, tantôt comédien.
Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations.
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Tout enfant, j'ai senti dans mon coeur deux sentiments contradictoires : l'horreur de la vie et l'extase de la vie. C'est bien le fait d'un paresseux nerveux..

Charles Baudelaire ("Mon coeur mis à nu : journal intime" 1887)

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de courts passages choisis pour le thème de l'enfance, de ce long poème, "le voyage", où on retrouvera quelques expressions qui ont abordé notre univers actuel (" Étonnants voyageurs !..." "Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !" "Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !") :

Le voyage

à Maxime Du Camp

I

Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers

...

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

...

III

Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

Dites, qu'avez-vous vu ?

IV

" Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !"

...

V

Et puis, et puis encore ?

VI

" Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

...

VII

Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit

...

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Charles Baudelaire ("Les Fleurs du mal" publié en 1857, ce recueil rassemble des poèmes écrits depuis 1840)

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Sur le thème de l'enfance, ce poème en prose, numéroté XV dans le recueil "Le Spleen de Paris", une scène sans doute imaginée, comme une allégorie de la misère :


Le joujou du pauvre

Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables!

Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.

Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie.

Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté.

A côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait:

De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un oeil impartial découvrirait la beauté, si, comme l'œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

A travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.

Charles Baudelaire ("Le Spleen de Paris" 1869)
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Une scène cruelle, sans concession, mais plutôt familière :

Le désespoir de la vieille

La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux.
Et elle s’approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables.
Mais l’enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements.
Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : — « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l’âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! ».

Charles Baudelaire ("Petits poèmes en prose", "Les Paradis artificiels", 1869)



 

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