L'adieu - Guillaume Apollinaire
L'adieu
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Guillaume Apollinaire
L'adieu
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Guillaume Apollinaire
Les mains d'Elsa
Les mains d'Elsa
Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi te mains que je sois sauvé
Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes main à moi
Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Ce qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tresailli
Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots
Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu
Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.
Louis Aragon (Le Fou d'Elsa)
Elsa
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse,
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse.
Ô forte et douce comme un vin,
Pareille au soleil des fenêtres,
Tu me rends la caresse d'être,
Tu me rends la soif et la faim
de vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin.
C'est miracle que d'être ensemble,
Que la lumière sur ta joue,
Qu'autour de toi le vent se joue,
Toujours si je te vois, je tremble,
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble.
M'habituer m'habituer,
Si je ne le puis qu'on me blâme,
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué,
Ah crevez les yeux de l'âme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la première fois ta bouche,
Pour la première fois ta voix,
D'une aile à la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche,
C'est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche.
Prends ce fruit lourd et palpitant,
Jettes-en la moitié véreuse,
Tu peux mordre la part heureuse,
Trente ans perdus et puis trente ans,
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la rends.
Ma vie en vérité commence
Le jour où je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'a montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre
A la Noël entre tes doigts.
Je suis né vraiment de ta lèvre,
Ma vie est à partir de toi.
Louis Aragon (musique de Léo Ferré : les passages en italique ont été retirés pour la chanson).
Les séparés
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas !
Marguerite Desbordes-Valmore
Jean Genet (1910-1986) a fréquenté très tôt la
délinquance et la prison. En famille d'adoption, il fugue plusieurs
fois et connaît la colonie pénitentiaire. A 18 ans, il s'engage dans la
légion étrangère.
C'est en prison, à la maison d'arrêt de Fresnes en particulier, qu'il écrit ses premiers poèmes.
Il fréquente Cocteau et Sartre, qui reconnaissent en lui un génie de son temps.
Rebelle permanent, il s'engage, dans la dernière partie de son existence, pour la défense des opprimés (Black Panthers, Palestine).
Jean Genet est aussi l'auteur de romans et de pièces de théâtre (la plus connue : "Les
Paravents").
Ciel barbelé entre deux libertés. Photo et montage: lieucommun
Le condamné à mort (extrait)
Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.
Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
Jean Genet 1910-1986 ("Le condamné à mort")
Lumière
Ce n'est pas vrai que tout amour décline,
Ce n'est pas vrai qu'il nous donne au malheur,
Ce n'est pas vrai qu'il nous mène au regret,
Quand nous voyons à deux la rue vers l'avenir.
Ce n'est pas vrai que tout amour dérive,
Quand les forces qui montent ont besoin de nos forces.
Ce n'est pas vrai que tout amour pourrit,
Quand nous mettons à deux notre force à l'attaque.
Ce n'est pas vrai que tout amour s'éffrite,
Quand le plus grand combat va donner la victoire.
Ce n'est pas vrai du tout,
Ce qu'on dit de l'amour,
Quand la même colère a pris les deux qui s'aiment,
Quand ils font de leurs jours avec les jours de tous
Un amour et sa joie.
Eugène Guillevic (1907-1997)
Je t'aime
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Paul Eluard (" Le Phénix ")
Ce qui dure
Le présent se fait vide et triste,
Ô mon amie, autour de nous;
Combien peu de passé subsiste!
Et ceux qui restent changent tous.
Nous ne voyons plus sans envie
Les yeux de vingt ans resplendir,
Et combien sont déjà sans vie
Des yeux qui nous ont vus grandir!
Que de jeunesse emporte l'heure,
Qui n'en rapporte jamais rien!
Pourtant quelque chose demeure:
Je t'aime avec mon coeur ancien,
Mon vrai coeur, celui qui s'attache
Et souffre depuis qu'il est né,
Mon coeur d'enfant, le coeur sans tache
Que ma mère m'avait donné;
Ce coeur où plus rien ne pénètre,
D'où plus rien désormais ne sort;
Je t'aime avec ce que mon être
A de plus fort contre la mort;
Et, s'il peut braver la mort même,
Si le meilleur de l'homme est tel
Que rien n'en périsse, je t'aime
Avec ce que j'ai d'immortel.
René-François Sully Prudhomme ("Les vaines tendresses")
Ballade du dernier amour
Mes souvenirs sont si nombreux
Que ma raison n'y peut suffire.
Pourtant je ne vis que par eux,
Eux seuls me font pleurer et rire.
Le présent est sanglant et noir ;
Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre ?
Calme frais des tombeaux, le soir !...
Je me suis trop hâté de vivre.
Amours heureux ou malheureux,
Lourds regrets, satiété pire,
Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus,
Aux regards qu'on ne peut pas dire,
Cheveux noyant le démêloir
Couleur d'or, d'ébène ou de cuivre,
J'ai voulu tout voir, tout avoir.
je me suis trop hâté de vivre.
je suis las. Plus d'amour. je veux
Vivre seul, pour moi seul décrire
Jusqu'à l'odeur de tes cheveux,
Jusqu'à l'éclair de ton sourire,
Dire ton royal nonchaloir,
T'évoquer entière en un livre
Pur et vrai comme ton miroir.
je me suis trop hâté de vivre.
envoi
Ma chanson, vapeur d'encensoir,
Chère envolée, ira te suivre.
En tes bras j'espérais pouvoir
Attendre l'heure qui délivre ;
Tu m'as pris mon tour. Au revoir.
je me suis trop hâté de vivre.
Charles Cros 1842-1888 ("Le coffret de santal")
Un secret
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.
À l'austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle
"Quelle est donc cette femme ?" et ne comprendra pas.
Félix Arvers (1806-1850 Mes heures perdues)
Pâle et blonde
Pâle et blonde, très pâle et très blonde, ô mon cœur,
C’est ainsi que tu l’aimes,
Lorsque sur toi l’ennui comme un condor vainqueur
Étend ses ailes blêmes,
Lorsque tu sens en toi monter le goût amer
Des voluptés passées,
Lorsque tu voudrais bien boire toute la mer
Pour noyer les pensées,
Lorsqu’un désir te prend, frénétique et moqueur,
De t’en aller du monde,
Pâle et blonde, très pâle et très blonde, ô mon cœur,
Tu l’aimes pâle et blonde,
Pâle et blonde comme est la fille d’un vieillard,
Née au mois de décembre.
Aussi pâle qu’un clair de lune en un brouillard,
Aussi blonde que l’ambre,
Pâle et blonde, et laissant autour d’elle neiger,
Plus blancs que de la laine,
Ses cheveux d’argent fin, clair, mousseux et léger,
Que dissipe une haleine.
Pâle et blonde, très pâle et très blonde, elle est là,
Qui sanglote à ta porte.
Laisse-la donc entrer chez toi, va, laisse-la,
Laisse, qu’elle t’emporte !
C’est elle, la bonne ale. Allons, tends-lui ton cou,
Ouvre ta bouche entière,
Et mets la bière en toi ! Tu mets du même coup
Ton ennui dans la bière.
Jean Richepin ("Les caresses")