Je t'offre un soleil
Je t'offre un soleil
dans mes mains nues
quelques touches de brume
un dé de pluie
et la ligne bleue des collines
sans guirlande
sans papier cadeau
je t'offre un monde
avec mon coeur
Luce Guilbaud (La petite fille aux yeux bleus - 1998)
Stances à Marquise - Pierre Corneille
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront;
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes;
Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y, belle Marquise.
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise,
Quand il est fait comme moi.
Pierre Corneille 1606-1684 ("Recueil de Sercy")
* Les strophes en italique sont souvent "oubliées".
Voici le quatrain que Tristan Bernard a ajouté au texte de Corneille.
On le retrouve à la suite des trois premières strophes dans la chanson "Marquise", musique de Georges Brassens :
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant ! (bis pour la chanson)
L'heure exquise - Paul Verlaine
La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée ...
Ô bien-aimée.
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure ...
Rêvons, c'est l'heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise ...
C'est l'heure exquise.
Paul Verlaine 1844-1896 ("La bonne chanson")
Si on me dit que tu es partie
Si on me dit que tu es partie
Ou que tu ne viendras pas,
Je ne vais pas le croire : je vais
T'attendre et t'attendre.
Si on te dit que je m'en suis allé,
Ou que je ne reviendrai pas,
Ne le crois pas :
Attends-moi
Toujours.
Roberto Fernandez Retamar, né à Cuba en 1930 ("Historia antigua" - 1964)
Flaque de ciel (c'est comme ça que je l'ai vue) - Photo : lieucommun
Il pleut
à Éliane
Il pleut — c’est merveilleux. Je t’aime.
Nous resterons à la maison :
Rien ne nous plaît plus que nous-mêmes
Par ce temps d’arrière-saison.
Il pleut. Les taxis vont et viennent.
On voit rouler les autobus
Et les remorqueurs sur la Seine
Font un bruit... qu’on ne s’entend plus !
C’est merveilleux : il pleut. J’écoute
La pluie dont le crépitement
Heurte la vitre goutte à goutte...
Et tu me souris tendrement.
Je t’aime. Oh ! ce bruit d’eau qui pleure,
Qui sanglote comme un adieu.
Tu vas me quitter tout à l’heure :
On dirait qu’il pleut dans tes yeux.
Francis Carco 1886-1958
Paris at night
Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras.
Jacques Prévert ("Paroles")
Idilio (Idylle)
Tú querías que yo te dijera
el secreto de la primavera.
Y yo soy para el secreto
lo mismo que es el abeto.
Árbol cuyos mil deditos
señalan mil caminitos.
Nunca te diré, amor mío,
por qué corre lento el río.
Pero pondré en mi voz estancada
el cielo ceniza de tu mirada.
¡Dame vueltas, morenita!
Ten cuidado con mis hojitas.
Dame más vueltas alrededor,
jugando a la noria del amor.
¡Ay! No puedo decirte, aunque quisiera,
el secreto de la primavera.
Federico García Lorca (1898-1936) petite biographie à venir
traduction approximative :
Idylle
Tu voulais que je te dise
le secret du printemps.
Moi je suis pour le secret
tout comme le sapin.
Arbre dont les mille petits doigts
indiquent mille petits chemins.
Je ne te dirai jamais, mon amour,
pourquoi le ruisseau coule lentement.
Mais je placerai dans ma voix stagnante
le ciel cendré de ton regard.
Tourne autour de moi, petite brune !
Fais attention à mes petites feuilles.
Tourne encore autour de moi,
en jouant à la noria de l'amour.
Ay ! Je ne pourrais te dire, même si je voulais,
le secret du printemps.
Federico García Lorca
Jacques Salomé est né en 1935 à Toulouse.
Il est plus connu comme psychosociologue, conférencier, formateur et écrivain ("Parle-moi, j'ai des choses à te dire", "Si je m'écoutais, je m'entendrais") que comme poète.
Avec des mots
Avec des mots trouvés
je t’ai inventé
avec des mots inventés
je t’ai éloigné
avec des mots éloignés
je t’ai approché
avec des mots approchés
je t’ai aimé
avec des mots aimés
je t’ai caressé
avec des mots caressés
je t’ai retrouvé
Et puis un jour
sans un mot
je t’ai perdu
à jamais Photo Lieucommun
Jacques Salomé
Le jour où je vous vis pour la première fois (titre proposé)
Le jour où je vous vis pour la première fois,
Vous aviez un air triste et gai : dans votre voix
Pleuraient des rossignols captifs, sifflaient des merles ;
Votre bouche rieuse, où fleurissaient des perles,
Gardait à ses deux coins d’imperceptibles plis ;
Vos grands yeux bleus semblaient des calices remplis
Par l’orage, et séchant les larmes de la pluie
À la brise d’avril qui chante et les essuie ;
Et des ombres passaient sur votre front vermeil,
Comme un noir papillon dans un rais de soleil.
Jean Richepin ("Les caresses")