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lieu commun
2 janvier 2009

LANGUE ESPAGNOLE (Europe) - Espagne

Paysages d'Europe

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Espagne

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José Agustín Goytisolo (1928-1999) est un écrivain, traducteur et poète de Catalogne, de langue castillane (espagnol) et catalane.
Poète humaniste, engagé, nombre de ses textes sont chantés par Paco Ibáñez, (l'album  2004 s'intitule Paco Ibáñez canta a José Agustín Goytisolo). Source : Wikipedia.

"Triste es el territorio de la ausencia".

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José Agustín Goytisolo rend ici hommage au poète Antonio Machado (voir ci-dessous) :

Homenage en Collioure

Aquí, junto a la línea
divisoria, este día
veintidós de febrero,
yo no he venido para
llorar sobre tu muerte,
sino que alzo mi vaso
y brindo por tu claro
camino, y por que siga
tu palabra encendida,
como una estrella, sobre
nosotros ¿nos recuerdas? [...] 

José Agustín Goytisolo

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Hommage à Collioure
 
Ici, près de la ligne
frontière, ce vingt-deux février,
je ne suis pas venu 
pleurer sur ta mort,
mais lever mon verre
et célébrer* ton clair
chemin, que ta parole
continue à briller,
comme une étoile, sur
nous ; te souviens-tu de nous ? [...]
 

(adaptation en français : lieucommun) - * brindar, littéralement "trinquer", a été traduit par "célébrer"
José Agustín Goytisolo


Antonio Machado (1875-1939) est un poète espagnol de la Génération de 98, mouvement "Moderniste" initié par le poète espagnol Rubén Darío. C'est d'ailleurs après sa rencontre avec Rubén Darío et d'autres poètes comme Verlaine et Paul Fort, que Machado publie son premier livre de poésies en 1903 : Soledades (Solitudes).
Il soutient par ses écrits la jeune République Espagnole de 1936, mais La Guerre civile d'Espagne se termine en 1939 par la victoire des Nationalistes et la dictature du Général Franco. Contraint de s'exiler en France, comme des milliers de ses compatriotes, c'est à Collioure (Pyrénées-Orientales), qu'il meurt, à "trois pas" de la frontière. Là se trouve sa tombe. (voir ci-dessus, "l'hommage" de Goytisolo).

Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Et le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours
.

Louis Aragon (extrait de "Les poètes") - Texte mis en musique et chanté par Jean Ferrat

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La plaza

La plaza tiene una torre,
la torre tiene un balcón,
el balcón tiene una dama
la dama tiene una flor.

Antonio Machado

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La place

La place a une tour,
la tour a un balcon,
le balcon a une dame,
la dame a une fleur.

 (adaptation en français : lieucommun)

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La primavera

La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.
Ha despertado la rama
el almendro ha florecido.
En el campo se escuchaba
el gri del grillo.
La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.

Antonio Machado

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Le printemps 

Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.
Il a réveillé les branches
l'amandier a fleuri.
Dans les champs on écoutait
le gri-gri du grillon.
Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.

 (adaptation en français : lieucommun)

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D'autres poèmes de l'auteur : 

Tout passe et tout demeure

Tout passe et tout demeure
mais nous, nous devons passer
passer en traçant des chemins
des chemins sur la mer.

Voyageur, c'est la trace de tes pas
qui est le chemin, et rien d'autre ;
voyageur, il n'y a pas de chemin,
tu fais le chemin en marchant.

...

C'est en marchant que tu fais le chemin
et si tu regardes en arrière
tu vois le sentier
que jamais tu ne fouleras à nouveau.

Voyageur ! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

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Todo pasa y todo queda (court extrait)

Todo pasa y todo queda,

pero lo nuestro es pasar,

pasar haciendo caminos,

caminos sobre el mar.
...


Caminante son tus huellas

el camino y nada más ;

caminante, no hay camino

se hace camino al andar.


Al andar se hace camino

y al volver la vista atrás

se ve la senda que nunca

se ha de volver a pisar.


Caminante no hay camino

sino estelas en la * mar ...

(adaptation en français : lieucommun)

Antonio Machado ("Proverbios y Cantares" - XIV) - * "mar" peut être masculin ou féminin en espagnol, certaines versions de ce texte peuvent être différentes.

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Un autre passage du même long poème :

Yo amo los mundos sutiles*

Nunca perseguí la gloria
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción ;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y gentiles
como pompas de jabón.
Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul, temblar
súbitamente y quebrarse.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

* sutiles : subtils, délicats, fragiles ...

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J'aime les mondes fragiles* (titre proposé)

Je n'ai jamais recherché la gloire
Ni voulu laisser ma chanson
dans la mémoire des hommes ;
Mais j'aime les mondes fragiles,
légers et gracieux
Comme bulles de savon.

J'aime les voir se colorer
de soleil et de pourpre, voler
sous le ciel bleu, trembler
tout-à-coup, et éclater.

(adaptation en français : lieucommun) - * sutiles : subtils, délicats, fragiles ...

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Le soleil est une boule de feu

Le soleil est une boule de feu,
La lune est un disque violet.

Une blanche palombe se pose
Au sommet du cyprès centenaire.

Les parterres de myrtes semblent
fanés et couverts de poussière
.

Le jardin et le calme de l'après-midi ! ...
L'eau chante à la fontaine de marbre.

(adaptation en français : lieucommun)

Antonio Machado

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El sol es un globo de fuego

El sol es un globo de fuego,
la luna es un disco morado.

Una blanca paloma se posa
en el alto ciprés centenario.

Los cuadros de mirtos parecen
de marchito velludo empolvado.

¡El jardín y la tarde tranquila!...
Suena el agua en la fuente de mármol.

Antonio Machado


José Ángel Valente est né en 1929. Il a vécu en Grande-Bretagne et en Suisse. Il a reçu le Prix National de Poésie, en 1993.
"Il appartient par son âge à ce qu'il est convenu d'appeler la génération de l'après-guerre civile – la troisième, pour être précis ; autrement dit cette génération de poètes qui publient leurs premiers livres dans les année 50 au moment où naissent les "novisimos", les "tout nouveaux”, qui arrivent à maturité aujourd'hui. C'est dire sa position charnière dans le panorama de la poésie espagnole de ce siècle." Jacques Ancet, Le nouveau dictionnaires des auteurs, Robert Laffont, 1994.
"José Ángel Valente, un des grands poètes du siècle, mystique, mystique de l'immanence, héritier de la tradition espagnole, nous conduit en ces chemins de l'indicible, il nous rapproche du vide, du rien (...), il ouvre ces chambres d'une interminable clarté voilée." (Gaspard Hons, Espace de Libertés, N°205, novembre 1992) - source : la site des éditions Corti, où sont publiés une partie de ses ouvrages : http://www.jose-corti.fr

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Le sud (titre proposé)

LE SUD comme une longue,
une lente démolition.
Le naufrage solaire des corniches
sous l’ombre pourrissante du jasmin.
Rigueur obscure de la lumière.
L’air s’écroule du haut de l’air
qui dissout enfin la pierre en poussière.
Ombre de qui, demandes-tu,
dans les ruelles humides de sel.
Il n’y a personne.
La nuit garde d’aveugles
ruines éteintes, les moisissures
d’un éclat noyé de lune.

             La nuit.

Le sud.

José Ángel Valente (extrait de l'anthologie bilingue "Fragmentos rotos, Fragments brisés", traduction de Jacques Ancet, publications de L’Ambassade d’Espagne en France - Andrès Sánchez Robayna, 2007) 

------- 

EL SUR como una larga,
lenta demolición.
El naufragio solar de las cornisas
bajo la putrefacta sombra del jazmín.
Rigor oscuro de la luz.
Se desmorona el aire desde el aire
que disuelve la piedra en polvo al fin.
Sombra de quién, preguntas,
en las callejas húmedas de sal.
No hay nadie.
La noche guarda ciegas,
apagadas ruinas, mohos
de sumergida luz lunar.

                La noche.

El sur.

José Ángel Valente ("Fragmentos rotos, Fragments brisés", traduction de Jacques Ancet, Ambassade d’Espagne en France - Andrès Sánchez Robayna, 2007) - Recueil original : "Al dios del lugar" *(1989) - *Au dieu du lieu" (mais le recueil a été publié en français sous le titre "Au dieu sans nom", édirions Corti, 1992)

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Canard d’hiver
Pour Antonio

Par-dessus l’eau gelée
le canardeau glissait.
Par-dessus l’eau très dure,
canardeau de lagune.
Dessus le froid de l’eau
sifflait le canardeau.
Sifflant et sifflant il glissait,
et au lieu de pleurer, sifflait.

traduction respectée à deux virgules près (les deux dernières ne sont pas dans la traduction originale) .

José Ángel Valente ("Fragmentos rotos, Fragments brisés") - Recueil original : "Breve son" *(1968) - *Chanson brève

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Pato de invierno
Para Antonio
 
Por encima del agua helada
el patito se resbalaba.
Por encima del agua dura,
el patito de la laguna.
Por encima del agua fría,
el patito silba que silba.
Silba que silba se resbalaba
y en vez de llorar silbaba.

José Ángel Valente ("Fragmentos rotos, Fragments brisés") - Recueil original : "Breve son" *(1968) - *Chanson brève


Federico García Lorca (1898-1936) est un poète et auteur de pièces de théâtre espagnol. Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí.
Il est mort fusillé au début de la Guerre civile par les troupes rebelles du général Franco.

Le Romancero Gitano (1928) est son recueil de poèmes le plus connu.

"Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses".

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Verde que te quiero verde. Vert, que je t’aime vert.

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Paisaje 

La tarde equivocada
se vistÍo de frio.

Detrás de los cristales,
turbios, todos los niños,
ven convertirse en pájaros
un árbol amarillo.

La tarde está tendida
a lo largo del rÍo,
y un rubor de manzana
tiembla en los tejadillos.

Federico García Lorca

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traduction d'André Belamich

Paysage

Par mégarde le soir
S'est habillé de froid.

Derrière les carreaux
Brouillés, tous les enfants
Voient un bel arbre jaune
Se changer en oiseaux.

Le soir s'est allongé
Le long de la rivière.
Et sur les toits frissonne
Une rougeur de pomme.

 

Federico Garcia Lorca ("Poésies", 1921-1927 - traduction André Belamich)

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Traduction du titre seulement pour la musique de la langueOrange et citron

Naranja y limón (1) 

Naranja y limón
¡Ay de la niña
del mal amor!
Limón y naranja
¡Ay de la niña
de la niña blanca!
Limón
(Cómo brillaba el sol).
Naranja
(En las chinas del agua).

Federico García Lorca

Traduction du titre seulement pour la musique de la langueOrange et citron

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Agua, ¿dónde vas ?

Agua, ¿dónde vas ?
Riendo voy por el río
a las orillas del mar.

Mar, ¿a dónde vas ?
Río arriba voy buscando
fuente donde descansar.

Chopo, y tú ¿qué harás ?
No quiero decirte nada
yo… ¡temblar!

¿Qué deseo, qué no deseo,
por el río, por el mar ?
¡Cuatro pájaros sin rumbo
en el alto chopo están!

Federico García Lorca

-------

Eau, où vas-tu ?

Eau, où vas-tu ?
Je vais riant par la rivière
jusqu'aux rivages de la mer.

Mer, où vas-tu ?
Par la rivière je cherche
une fontaine où me reposer.

Peuplier, et toi, qu'est-ce que tu fais ?
Je ne veux rien te dire
moi ... je tremble !

Ce que j'espère, ce que je ne voudrais pas,
par la rivière, par la mer ?
Quatre oiseaux perdus
Sont sur le haut peuplier !

Federico García Lorca

 (libre adaptation en français : lieucommun)

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Août

Contrastes de pêche et de sucre,
et le soleil dans l'après-midi
comme le noyau dans un fruit.
L'épi de maïs garde intact
son rire jaune et dur.
Août.
Les enfants mangent
le pain brun et la délicieuse lune.

Federico García Lorca

 (libre adaptation en français : lieucommun)

------- 

Agosto

Contraponientes de melocotón y azucar,
y el sol dentro de la tarde,
come el hueso en una fruta.
La panocha guarda intacta
su risa amarilla y dura.
Agosto.

Los niños comen

pan moreno y rica luna.

Federico García Lorca

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 Paysage

 

Le champ d’oliviers
s’ouvre et se ferme
comme un éventail.

 

Sur l’olivier,
un ciel écroulé
et une pluie obscure
d’étoiles froides.

 

Au bord de la rivière
tremblent jonc et pénombre.
L’air gris se froisse.
Les oliviers sont lourds de cris :

 

une troupe
d’oiseaux captifs,
qui remuent leurs très longues
queues dans l’obscurité.

Federico García Lorca (Poème de la séguidille gitane dans "Poèmes du Cante Jondo" - Gallimard 1966)
(Traduction proposée par Lieucommun)

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Paisaje

El campo de olivos
se abre y se cierra
como un abanico.

Sobre el olivar

hay un cielo hundido

y una lluvia oscura
de luceros fríos.

Tiembla junco y penumbra

a la orilla del río.
Se riza el aire gris.

Los olivos


están cargados
de gritos.

Una bandada
de pájaros cautivos,
que mueven sus larguísimas
colas en lo sombrío.

 

Federico García Lorca (Poema de la seguidilla gitana en "Poemas del Cante Jondo"  1966)

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 Papillon du ciel

 

Papillon du ciel
comme tu es beau,
papillon du ciel
couleur or et vert.
Lumière des lampes,
papillon du ciel,
reste là, reste là !
Tu ne t'arrêtes pas,
Tu ne veux pas t'arrêter.

 

Papillon du ciel
couleur or et vert.
Lumière des lampes,
papillon du ciel,
reste là, reste là !
reste là !
Papillon, tu es là ?

Federico García Lorca
(Traduction et adaptation proposées par Lieucommun)

------- 

 Mariposa

Mariposa del aire,
qué hermosa eres,
mariposa del aire
dorada y verde.
Luz del candil,
mariposa del aire,
¡quédate ahí, ahí, ahí!
No te quieres parar,
pararte no quieres.

Mariposa del aire
dorada y verde.
Luz de candil,
mariposa del aire,
¡quédate ahí, ahí, ahí !
¡Quédate ahí!
Mariposa, ¿estás ahí?

Federico García Lorca (Extrait de la pièce de théâtre "la savetière prodigieuse"  ["La zapatera prodigiosa"] )

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 La guitare

 

Commencent les lamentations
de la guitare.
les coupes de l'aube se brisent.
Commencent les lamentations
de la guitare.
Il est inutile
de la faire taire.
Il est impossible
de la faire taire.
C'est une plainte monotone,
comme la plainte de l'eau,
comme la plainte du vent
sur la neige.
Il est impossible
de la faire taire.
Elle pleure sur des choses
lointaines.
Sable du Sud brûlant
qui veut des camélias blancs.
Elle pleure la flèche sans but,
le soir sans lendemain,
et le premier oiseau mort
sur la branche.
Oh guitare !
Coeur blessé à mort
par cinq épées.

Federico García Lorca

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La guitarra

Empieza el llanto
de la guitarra.
Se rompen las copas
de la madrugada.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Es inútil callarla.
Es imposible
callarla.
Llora monótona
como llora el agua,
como llora el viento
sobre la nevada
Es imposible
callarla,
Llora por cosas
lejanas.
Arena del Sur caliente
que pide camelias blancas.
Llora flecha sin blanco,
la tarde sin mañana,
y el primer pájaro muerto
sobre la rama
¡ Oh guitarra !
Corazón malherido
por cinco espadas.

Federico García Lorca  (Poema del cante jondo - 1921).
Traduction proposée par Lieucommun

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 Romance somnambule (deux premières strophes)

 

Vert, que je t’aime vert.
Le vent vert. Les vertes branches.
Le bateau sur la mer
et le cheval dans la montagne.
Avec l’ombre à la ceinture,
elle rêve à son balcon
verte chair, cheveux verts,
les yeux d’argent glacé.
Vert que je t’aime vert.
Sous la lune gitane
les choses la regardent
et elle, elle ne peut pas les regarder.

 

Vert que je t’aime vert.
De grandes étoiles de givre,
viennent avec le poisson d’ombre
qui ouvre le chemin de l’aube.
Le figuier frotte son vent
avec la lime de ses branches,
et la colline, chat sauvage
hérisse ses dures agaves .
Mais qui viendra ? Et d’où … ?
Elle est toujours à son balcon
verte chair, chevelure verte,
rêvant de la mer amère.

Federico García Lorca
(Traduction proposée par Lieucommun)

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Romance sonámbulo

Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Con la sombra en la cintura
ella sueña en su baranda,
verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Verde que te quiero verde.
Bajo la luna gitana,
las cosas la están mirando
y ella no puede mirarlas.

Verde que te quiero verde.
Grandes estrellas de escarcha
vienen con el pez de sombra
que abre el camino del alba.
La higuera frota su viento
con la lija de sus ramas,
y el monte, gato garduño,
eriza sus pitas agrias.
¿Pero quién vendra? ¿Y por dónde...?
Ella sigue en su baranda,
Verde came, pelo verde,
soñando en la mar amarga.

 

Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)



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2 janvier 2009

Poètes de LANGUE ITALIENNE - Italie - Cesare Pavese

Paysages d'Europe

Italie

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Cesare Pavese (1908-1950), est un romancier et poète italien, auteur en particulier du roman "Le bel été", en 1940. Le fil ténu qui le liait à la vie était fait d'amour et de désamour : "La mort viendra et elle aura tes yeux" est son dernier recueil poétique, par lequel il exprime le choix de sa mort. Cet ouvrage est paru en 1951, un an après sa disparition.
Autres recueils : "Le métier de poète" (1934) ; "Travailler fatigue" (1936) ; "Le métier de vivre" (de 1930 à 1940).

"Ici sur la hauteur, la colline n’est plus cultivée.
Il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.
Le travail ne sert à rien ici ..."

[...]

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Le parti pris du blog de rester dans le thème du paysage retire de ce texte, avec les passages supprimés, l'essentiel de l'interrogation sur le sens de l'existence, qu'exprime Pavese à travers le personnage de "l'homme seul", terriblement seul dans la Nature. Il faudra se reporter au texte intégral, dans l'édition en Poésie/Gallimard qui réunit deux recueils majeurs de l'auteur.


L'étoile du matin *

La mer est encore sombre, les étoiles vacillent
quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine
s’élève de la rive, où la mer a son lit,
et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant
où rien ne peut arriver.

[...]

L’eau murmure tranquille, nocturne.
L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages
et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera
elle aussi comme le feu, flamboyante.
[...]

Lasse dans le ciel, pend
une étoile verdâtre que l’aube a surprise.
Elle voit la mer sombre et la tache du feu
et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;
elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs
où est un lit de neige.

[...]

Cesare Pavese, 1935-36 ("Travailler fatigue", sixième section : Paternité - éditions Solaria, Florence, 1936 - réédité en Poésie/Gallimard : "Travailler fatigue", suivi de "La mort viendra et elle aura tes yeux", traduction de Gilles de Van, 1979)
 

--------------

Lo steddazzu *

L’uomo solo si leva che il mare è ancor buio
e le stelle vacillano. Un tepore di fiato
sale su dalla riva, dov’è il letto del mare,
e addolcisce il respiro.

[...]

Notturno è il sommerso sciacquio.
L’uomo solo ha già acceso un gran fuoco di rami
e lo guarda arrossare il terreno. Anche il mare
tra non molto sarà come il fuoco, avvampante.

[...]

Pende stanca nel cielo
una stella verdognola, sorpresa dall’alba.
Vede il mare ancor buio la macchia di fuoco
a cui l’uomo, per fare qualcosa, si scalda;
vede, e cade dal sonno tra le fosche montagne
dov’è un letto di neve.

[...]

Cesare Pavese ("Lavorare stanca"- "Travailler fatigue")

* L'auteur a écrit ce poème, “Lo steddazzu” pendant l'hiver 1935, en Calabre. En dialecte calabrais, “steddazzu”, ou "stiddazzu" signifie “grosse étoile”, et désigne en général la planète Vénus, et la forte luminosité que lui donne le Soleil, prise pour la première étoile du matin.


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2 janvier 2009

Poètes de LANGUE PORTUGAISE - Portugal - Fernando Pessoa

Paysages d'Europe

Portugal

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Fernando Pessoa (1888-1935), est le poète et écrivain portugais le plus connu et le plus traduit.

Belen_panorama_textes_Pessoa

Autour du tombeau de Fernando Pessoa, au cloître du mosteiro des Jeronimos (Santa-Maria de Jerónimos), dans le quartier de Belém (Lisbonne) - textes gravés de Fernando Pessoa et de ses hétéronymes : Álvaro de Campos, Ricardo Reis, Alberto Caeiro - clic pour agrandir

Ci-dessous le texte (dont seule la première partie est gravée), qu'on peut voir sur la photo, signé Alberto Caeiro. Chaque hétéronyme de Pessoa a sa propre personnalité :

 (passage)

Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre
Pour voir les champs et la rivière.
Il n’est pas suffisant de ne pas être aveugle
Pour voir les arbres et les fleurs.
Il faut n’avoir aucune philosophie.
Quand il y a philosophie, il n’y a pas d’arbres : il y a des idées sans plus.
Il n’y a que chacun de nous, à la manière d’une cave.
Il n’y a qu’une fenêtre fermée, avec le monde entier au-dehors ;
Ainsi qu’un rêve de ce qui pourrait être vu si la fenêtre s’ouvrait,
et qui n’est jamais ce qui est vu lorsque s’ouvre la fenêtre.

[...]

-----
 
Não basta abrir a janela
para ver os campos e o rio.
Não é o bastante não ser cego
para ver as árvores e as flores.
É preciso também não ter filosofia nenhuma.
Com filosofia não há árvores: há idéias apenas.
Há só cada um de nós, como uma cave.
Há só uma janela fechada, e o mundo lá fora;
E um sonho do que se poderia ver se a janela se abrisse,
Que nunca é o que se vê quando se abre a janela.

[...]

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Emprunté à l'indispensable site de poésie Poézibao (http://poezibao.typepad.com/), ce poème, que Fernando Pessoa a écrit originalement en anglais : 

Notre vie-sommeil (passage)

[...]
Là-bas, la blanche voile sombre, offerte
À quelque brise immatérielle,
Saura conduire notre vie-sommeil
Jusqu'aux lieux où les eaux se mêlent

Aux rives bordées d'arbres noirs,
Où les forêts inconnues s'accordent
Aux élans du lac vers plus d'être,
Afin de rendre le rêve complet.

Là-bas nous saurons bien nous cacher, disparaître,
Engloutis dans le vide liséré de la lune,
Ressentant que cela qui fait notre substance
En d'autres temps était musique.

Fernando Pessao ("Le violon enchanté" - Écrits anglais, Christian Bourgois, 1992)

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"De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers" ...
Fernando Pessao

De mon village

Dans les villes la vie est plus petite
Qu'ici dans ma maison sur la crête de cette colline.
Dans les villes les grandes maisons ferment la vue à clé...
De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...
C'es pourquoi mon village est aussi grand qu'un autre pays quelconque ...

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Da minha aldeia

Nas cidades a vida é mais pequena
Que aqui na minha casa no cimo deste outeiro.
Na cidade as grandes casas fecham a vista à chave...
Da minha aldeia vejo quanto da terra se pode ver no Universo ...
Por isso a minha  aldeia é tao grande como outra terra qualquer ...

Fernando Pessoa, 1911-1914 - sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro ("Le gardien de troupeaux" - "O Guardador de rebanhos", initialement publié en 1925 dans la revue Athena  puis en 1931 dans "Presença")

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Comme des nuages dans le ciel

Comme des nuages dans le ciel
je  sens mes rêves passer.
Aucun d'eux ne m'appartient
Et je les ai pourtant rêvés.

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Como nuvens pelo céu

Como nuvens pelo céu
Passam os sonhos por mim.
Nenhum dos sonhos é meu
Embora eu os sonhe assim.

Fernando Pessoa, 1932 ("Poesias Inéditas (1930-1935)" - Ediçoes Atica, 1942)


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2 janvier 2009

LANGUES d'EUROPE de l'EST - Roumanie, Russie

Paysages d'Europe

Europe de l'Est - Roumanie - Poètes roumains et Tsiganes

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De Jenuz Duka, poète tsigane d'aujourd'hui, ces poèmes chantés, en rromani (deux "r"), la langue des Rroms (Roms). Les Roms sont autrement appelés les Tsiganes, qu'il ne faut pas confondre avec les Roumains, même si  c'est sur le territoire de la Roumanie qu'ils sont les plus nombreux : Roumains et Roms ont des origines, des langues et des cultures différentes.

Le toit de notre maison (chanson)

Le toit de notre maison,
C’est le grand ciel tout nu.
Notre maison est solide.
Personne ne peut la renverser.

Les fondations de notre maison
C’est un coin de terre sans rien.
Notre maison est solide
Personne ne peut la ruiner.

Les murs de notre maison
C’est le froid et ce sont les vents.
Notre maison est solide
Personne ne peut l’atteindre.

A notre maison, il y a une fenêtre
A la fenêtre, tes yeux.
Notre maison est solide
C’est le cœur tsigane.

Jenuz Duka (sur une musique d' Astrit Qerimi)

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Texte original :

Amare kheresqo ćhatlo / Le toit de notre maison

Amare kheresqo ćhatlo
si o baro devel o nango.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti peravel les.

Amare kheresqo temèli
si o nango than e phuvǎqo.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti thabarel les.

Amare kheresqe barranga
si o śil ta e balvala.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti xarravel les.

Amare kheresθe jekh penʒèra
k-i penʒèra tire jakha.
Amaro kher si zoralo
Ov si o rromano ilo.

Jenuz Duka


Europe de l'est - poètes de Russie

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Alexandre Pouchkine (Alexandre Sergueïevitch Pouchkine - en russe :  Александр Сергеевич Пушкин) est né à Moscou en 1799. Il est mort en 1837.
C'est un des plus importants écrivains russe, romancier (La Dame de pique, nouvelle - 1833 ...), dramaturge  et poète (Eugène Onéguine - roman en vers, 1823 à 1831 ; Les Tsiganes - 1824 ...)
Sous le règne d'Alexandre Ier, il est exilé dans le Caucase ("Le Prisonnier du Caucase" - poésies, en 1821), puis le tsar Nicolas Ier, qui lui succède, le prend sous sa protection.
Il est tué au cours d'un duel. Mikhaïl Lermontov (voir plus haut) a écrit "La Mort du poète" en hommage à Pouchkine (ce poème et d'autres textes dans la catégorie PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde).

Soir d'hiver

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête,
Ou gémit comme un enfant,
Et soufflant soudain pénètre
Dans le vieux chaume avec bruit,
Elle frappe à la fenêtre,
Voyageur pris par la nuit.

La chaumière est triste et sombre,
Chère vieille, qu'as-tu donc
A rester dans la pénombre,
Sans plus dire ta chanson ?
C'est la bise qui résonne
Et, hurlant, t'abasourdit ?
Ou la ronde monotone
Du fuseau qui t'assoupit ?

Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !
Chante comme l'hirondelle,
Doucement vivait au loin ;
Chante-moi comme la belle
Puisait l'eau chaque matin.

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête
Ou gémit comme un enfant.
Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !

Alexandre Pouchkine ("Poésie" - Alexandre Pouchkine - traduction de Claude Frioux - Librairie du Globe, 1999) 
Il existe d'autres traductions de ce poème.

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Texte original du poème en russe :

ЗИМНИЙ ВЕЧЕР (Soir d'hiver)

Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя,
То по кровле обвешалой
Вдруг соломой зашумит,
То, как путник запоздалый,
К нам в окошко постучит.
Наша ветхая лачужка
И печальна и темна.
Что же ты, моя старушка,
Приумолкла у окна ?
Или бури завыванием
Ты мой друг утомлена,
Или дремлешь под жужанием
Своего веретена ?
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.
Спой мне песню, как синица
Тихо за морем жила ;
Спой мне песню, как девица
За водой поутру шла.
Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя.
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.

Пушкин


Mikhaïl Lermontov (1814-1841) est un poète russe, de la Russie des tsars, bien avant la Révolution et l'URSS.
Il a publié un seul recueil de poèmes, en 1840. 

Le voilier

Ce voilier tout blanc, solitaire,

Qui dans le brouillard bleu s'enfuit
Qu' a-t-il besoin d'une autre terre?
Qu'abandonna-t-il après lui?

Son mât sur l'onde vagabonde
S'incline et grince dans le vent
Hélas! point de bonheur au monde
Ni derrière lui ni devant

Pour le porter la mer est belle
Le soleil brille au firmament...
Mais lui réclame, le rebelle,
L'orage, cet apaisement.

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ПАРУС (Le voilier)

Белеет парус одинокий
В тумане моря голубом!..
Что ищет он в стране далекой?
Что кинул он в краю родном?..

Играют волны - ветер свищет,
И мачта гнется и скрипит...
Увы, - он счастия не ищет
И не от счастия бежит!

Под ним струя светлей лазури,
Над ним луч солнца золотой...
А он, мятежный, просит бури,
Как будто в бурях есть покой!

Mikhaïl Yourievitch Lermontov, 1832


Sacha Tchiorny ou Alexandre Noir (pseudonymes du poète Alexandre Glikberg) est né en Russie en 1880. Emigré en France en 1917 après la Révolution russe, il y est mort en 1932. Il a écrit de nombreux poèmes pour les enfants.

La fête de la forêt

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Le mât, l'espar (1),
Pour tenir les agrès ;
Le pont, la coque
Et l' abri du sextant
Pour naviguer
Par mer calme ou gros temps.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
L'aile qui nous soulève au ciel d'un trait ;
Le banc, la table
Où nous nous asseyons,
La feuille blanche
Et même le crayon.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Une maison
Pour renards et furets,
Pour l'écureuil,
Sa femme
Et ses petits,
Pour le pivert
Et ses pizzicati (2).

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
De l'eau
De l'ombre
Et des feuillages frais ;
Le houx l' hiver,
Au printemps les chatons ...
C' est tout cela
Qu' aujourd' hui
Nous plantons.

(1) l'espar est une longue pièce de bois utilisée pour "tenir les agrès" du bateau.
(2)
pizzicati (pluriel de pizzicato) : musique produite par les pincements des cordes du violon, à quoi on compare ici le bruit que font les coups de bec du pivert sur l'écorce de l'arbre. (notes du blog Lieucommun)
Sacha Tchiorny (dans "Poèmes de Russie", choisis, traduits et présentés par Jean-Luc Moreau - Éditions ouvrières, 1985)


Autre poète russe du XXe siècle : Guenrikh Sapguir

Les mots de couleur

L’herbe a des mots tout verts
qui chuchotent dans l’air.

Le vent a des mots bleus
qui sont parfois houleux.

Le soleil à l’aurore
a des mots rouge et or.

Et les mots se répondent
en repeignant le monde.

Guenrikh Sapguir (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000).


2 janvier 2009

LANGUES d'EUROPE de l'EST et ORIENTALE - Turquie, Albanie, Kurdistan

Paysages d'Europe

Europe de l'Est et Orientale - Turquie

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Nâzim Hikmet (1901-1963) est le poète turc le plus traduit. Emprisonné  17 ans pour ses prises de position politiques, il s'est exilé de Turquie. Le Prix International de la Paix lui a été décerné en 1955.

"Vivre comme un arbre, seul et libre,
Vivre en frères comme les arbres d'une forêt,
Ce rêve est le nôtre !"

[…]

Yasamak bir agaç gibi, tek ve hür,
Ve bir orman gibi kardesesine,
Bu hasret bizim !

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" Le plus beau des océans
Est celui que l’on n’a pas encore traversé".

[…]

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La partie en vert de ce poème était et reste encore assez souvent absente des anthologies destinées aux écoles :

J'ai un arbre en moi

J'ai un arbre en moi
Dont j'ai rapporté le plan du soleil
Poissons de feu ses feuilles se balancent
Ses fruits tels des oiseaux gazouillent
Les voyageurs depuis longtemps sont
Descendus de leur fusée
Sur l'étoile qui est en moi
Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves
Ni ordres, ni vantardises, ni prières.
J'ai une route blanche en moi
Y passent les fourmis avec les grains de blé
Les camions pleins de cris de fête
Mais cette route est interdite aux corbillards.

Le temps reste immobile en moi,
Comme une odorante rose rouge,
Que l'on soit vendredi et demain samedi
Que soit passé beaucoup de moi, qu'il en reste peu ou prou
Je m'en fous !

Nâzim Hikmet


Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul, sujet du poème ci-dessous, paysage urbain si on veut bien l'accepter dans le thème.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J'écoute Istanbul

J'écoute Istanbul les yeux fermés
Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches
Mahmout Pacha est tout grouillant de monde ;
les cours sont pleines de pigeons,
Des bruits de marteaux montent des docks,
dans le vent du printemps flottent
des odeurs de sueur ;
J'écoute Istanbul, les yeux fermés…

Orhan Veli (ce passage en français est emprunté à : "Tour de terre en poésie" - Jean-Marie Henry - Rue du Monde éditeur, 1998)

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Texte intégral du poème en turc :

İstanbul'u dinliyorum

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Önce hafiften bir rüzgar esiyor ;
Yavaş yavaş sallanıyor
Yapraklar, ağaçlarda ;
Uzaklarda, çok uzaklarda ,
Sucuların hiç durmayan çıngırakları ;
İstanbul'u dinliyorum gözlerim kapalı.

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Kuşlar geçiyor, derken ;
Yükseklerden, sürü sürü, çığlık çığlık.
Ağlar çekiliyor dalyanlarda ;
Bir kadının suya değiyor ayakları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Serin serin Kapalı Çarşı ;
Cıvıl cıvıl Mahmutpaşa ;
Güvercin dolu avlular.
Çekiç sesleri geliyor doklardan,
Güzelim bahar rüzgarında, ter kokuları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Başında eski alemlerin sarhoşluğu ,
Loş kayıkhaneleriyle bir yalı ;
Dinmiş lodosların uğultusu içinde.
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir yosma geçiyor kaldırımdan ;
Küfürler, şarkılar, türküler, laf atmalar.
Bir şey düşüyor elinden yere ;
Bir gül olmalı ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir kuş çırpınıyor eteklerinde ;
Alnın sıcak mı değil mi, biliyorum ;
Dudakların ıslak mı değil mi, biliyorum ;
Beyaz bir ay doğuyor fıstıkların arkasından
Kalbinin vuruşundan anlıyorum ;
İstanbul'u dinliyorum.

Orhan Veli
(Le passage qui a été traduit en français est mis en couleur)


Europe de l'Est et Orientale - Albanie

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Ismaïl Kadaré, né en 1936, est un grand écrivain ("Le Général de l'armée morte") et poète albanais.
Il a obtenu l’asile politique en France en 1990.

"Les nuages nagent comme des enveloppes géantes,
comme des lettres que s'enverraient les saisons."

Ismaïl Kadaré ("Poème d'automne")
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Paysage (Peisazh)
   
Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Elles errent parmi les labours
durcis par le gel,
foulant la glace qui craque sous leurs pas.
Au-dessus d'elles,
menaçants, les corbeaux tournoient.
Leurs croassements semblent indiquer
qu'il y a quelque chose de détraqué dans le Code de l'espèce.
   
Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Quelques corneilles foulant le gel des labours.
De pauvres croassements égarés.
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Texte original en albanais, la langue officielle du pays :

Peisazh (Paysage)

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur

Sillen në fushën e ngrirë
Shkelin mbi ngricë gjithkund.
Korbat mbi kokat e tyre
Enden kërcënueshëm.
Krokama
E tyre tregon se në kodin
E lashtë diçka nuk punon.

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur:

Korba mbi fushën e ngrirë.
Krokama të shkreta plot hutim.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) version française établie par Claude Durand et l’auteur
avec la collaboration de Mira Mexi, Edmond Tupja et Jusuf Vrioni

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Le Vol en V des oies sauvages

Elles ont tracé la seule et unique
lettre qu'elles savent écrire,
V magnifique
dans le ciel de leur exil.

Elles laissent quelque chose après elles,
elles emportent quelque chose
par-delà les nuages;

pour cette beauté essentielle,
grâces vous soient rendues, oies sauvages.
Car il a suffi d’une seule et unique lettre
dans le ciel démesurément gris
pour que, mieux qu’une bibliothèque,
vous donniez corps à notre nostalgie.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) traduction de Claude Durand

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La plaine est sombre

La plaine est sombre, elle se dilue dans la nuit.
Noirs, les arbres dressent à l’affût leurs silhouettes de bandits.

Un éclair lacère les ténèbres dans le lointain.
Il pleut à verse. Je suis seul au bord du chemin.

Noirs, les arbres guettent. On dirait des bandits
Décidés à te garder prisonnière de la nuit.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997)


Europe de l'Est et Orientale - Kurdistan

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Le Kurdistan n'est pas (pas encore ?) une nation. C'est une région à cheval sur plusieurs pays : la Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie. Lieu de conflits, revendiquée et revendiquant son indépendance, d'où de nombreux kurdes se sont exilés.

Kamuran Aali Bedir Khan (émir) est un poète kurde contemporain, défenseur de l'identité politique, économique et culturelle du Kurdistan.

Ris

Ris !
Douceur du printemps, parfum des vergers,
Ris !
Que les fleurs s'épanouissent,
Que les astres brillent
Ris !
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infinie de ce monde,
Que les souffrances s'éloignent
Que les tristesses s'évanouissent
Et que ce monde devienne
Un bouquet de roses
Ris ! ... Ris !  ... Ris ...!
Le jour et la nuit,
Dans la passion des minuits.
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infini de ce monde

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)

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 L'agneau et sa maman

Je suis né dans la vallée ;
Dans un tout petit chalet,
C'était plutôt une cabane ...
Me réveillaient la voix des faons,
La douce musique du torrent,
Les bruissements des feuilles naissantes,
Le gazouillement de mille oiseaux,
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane ! ...

Le grand soleil
Dormait encore ...
Tout étourdi,
Il faisait nuit
Quand je quittais
Mon petit lit.
Malgré mon âge,
J'étais « la garde »
De nos brebis ...
L'agneau pleurait en bégayant
Cherchant sans cesse sa chère maman ...

Le doux soleil se réveillant
Nous arrosait de poudre dorée ...
Je comprenais nos villageois

Qui l'aimaient tant, qui l'adoraient
Dans l'eau limpide de la fontaine
Je voyais son chaud visage,
Où venaient pour s'abreuver
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane

Viens ! toi aussi pour te plonger
Dans ce silence majestueux
En regardant les flots muets
De mon ruisseau
Qui coule, qui coule
Sans dire un mot !
Comme il est bon le petit agneau,
La chère maman!
Il fait si doux dans ma cabane ! ...

Dans la joie de la lumière
Tout est chanson et couleur,
Tout est amour et douceur,
Tout est frisson et chaleur,
Tout est bonheur, enchantement
Comme il fait bon dans ma cabane

Le sentier qui monte en haut,
Il est long comme mes soupirs,
Il est long comme mes chansons,
Il est long comme la distance
Entre l'agneau et sa maman...
Comme il fait triste dans ma cabane ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)

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La caravane

La caravane passe
Entourée d'une cadence,
D'un silence,
D'un rythme sans écho.
Cherchant des sources des coteaux
Comme sur les mers, sans routes, les bateaux.
Sur la page blanche du désert
Où la lumière fond comme le plomb sur la flamme,
Les gazelles regardent de leurs yeux de femme.
La caravane passe
Liant les pays et les races,
Laissant sous leurs pas
Des mesures égales.
Le soleil est blanc, un morceau de cristal
Escortée par des ombres vives et berçantes,
Pensant à la nuit aux fraîcheurs caressantes
La vie a le rythme du pas des chameaux.
Tel un ciel hivernal par ses astres, les hameaux.
Des visages maigres et des regards sombres,
Leurs nuits sont longues et leur fatigue brève,
Cultivant la lumière et récoltant l'ombre.
Ils consolent leur espoir sur l'oreiller du rêve.

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)

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Un paysage de silence, qui parle pourtant au cœur :

Le silence ... (extrait)

Silence ... silence ...
Sur les cimes, dans les vallées,
Sur la neige immaculée,
Dans les parcs, dans les plaines ...
Le monde retient son haleine.

Les ruisseaux ne murmurent plus
Comme dans les caves,
Comme dans les vignes
C'est le silence, c'est le silence

Le ciel se tait ...
Le vent se tait
Comme si c'était un jour d'été ...
C'est le silence, c'est le silence
Mais ceci n'est
Qu'une apparence! ...
Interroge-le !
Est-il muet ?
Ecoute-le bien
Entends-le bien

Il te dira combien je t'aime

Sous ma poitrine mon coeur se tait
De nostalgie et d'espérance ...
Dans le bonheur, dans la souffrance
Le mot sublime est le silence,
C'est le silence, c'est le silence,
C'est l'ivresse de l'espérance ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


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2 janvier 2009

Poètes d'AFRIQUE du Nord - Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte

Paysages des poètes d'Afrique

Afrique du Nord - Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte

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Algérie

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Mohammed Dib (1920-2003) est un grand romancier et poète algérien de langue française. C'est aussi un journaliste engagé.
Mohammed Dib a reçu entre-autres, le prix de l'Académie de poésie en 1971, le prix de l'Association des Écrivains de langue française en 1978, le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française en 1994, attribué pour la première fois à un écrivain maghrébin. Il a obtenu en 1998 le Prix Mallarmé pour son recueil de poèmes L'enfant-jazz.
Il quitte l'Algérie (expulsion) dans les années 60, et s'installe en France  (source : Wikipedia)

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Le passage en italique n'est pas toujours proposé :

Je marche sur la montagne (extrait - titre proposé)

Mais je chanterai à peine

Pour que ne se mêle guère

La peine à votre sommeil ;

Paix à vous, mères, épouses,

Le tyran buveur de sang

Dans vos vans sera poussière.
Je marche sur la montagne
Où le printemps qui arrive
Met des herbes odorantes,
Vous toutes qui m'écoutez,
Quand l'aube s'attendrira
Je viendrai laver vos seuils
Et je couvrirai de chants
Les ululements du temps.

Mohammed Dib ("Ombre gardienne", Gallimard, 1960 - Sindbad, 1981 - La Différence, 2003)

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Printemps

Il flotte sur les quais une haleine d'abîmes,
L'air sent la violette entre de lourds poisons,
Des odeurs de goudron, de varech, de poisson ;
Le printemps envahit les chantiers maritimes.

Ce jour de pluie oblique a doucement poncé
Les gréements noirs et gris qui festonnent le port;
Eaux, docks et ciel unis par un subtil accord
Inscrivent dans l'espace une sourde pensée.

En cale sèche on voit des épaves ouvertes;
En elles l'âme vit peut-être... Oiseau têtu,
Oiseau perdu, de l'aube au soir reviendras-tu
Rêver rie haute mer, d'embruns et d'îles vertes ?

Je rôde aussi, le coeur vide et comme aux abois,
Un navire qui part hurle au loin sous la brume ;
Je tourne dans la ville où les usines fument,
Je cherche obstinément à me rappeler, quoi ?

Mohammed Dib ("Ombre gardienne", Gallimard, 1960 - Sindbad, 1981 - La Différence, 2003)

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Heure folle

L'heure folle erre. Noire,
Vous la reconnaîtrez
À trop de haine noire,
Trop de cris, trop de vent.

Nés d'antiques calcaires
Et des feux de la mer,
Ses ramiers pour la mort
Resplendissent, étranges.

Vous la reconnaîtrez
C'est l'heure de deuil, l'heure
De sang roux sur les vignes,
La folle de lumière.

Mohammed Dib ("Ombre gardienne", Gallimard, 1960 - Sindbad, 1981 - La Différence, 2003)


Anna Greki (1931-1966) est née à Batna, dans les Aurès, mais c'est "Alger la Blanche" dont elle dessine ici, dans les nuances de bleu, le paysage poétique :
    

Alger (titre proposé)

J'habite une ville si candide
Qu'on l'appelle Alger la Blanche
Ses maisons chaulées sont suspendues
En cascade en pain de sucre
En coquilles d'oeufs brisés
En lait de lumière solaire
En éblouissante lessive passée au bleu
En plein milieu
De tout le bleu
D'une pomme bleue
Je tourne sur moi-même
Et je bats ce sucre bleu du ciel
Et je bats cette neige bleue du ciel
Bâtis sur des îles battues qui furent mille
Ville audacieuse Ville démarrée
Ville au large rapide à l'aventure
On l'appelle El Djezaïr
Comme un navire
De la compagnie Charles le Borgne.

Anna Greki ("Algérie, Capitale Alger" - éditions S.N.E.D. Tunis, 1963)


Bachir Hadj Ali, homme politique, essayiste, journaliste et poète, est né dans la Casbah d'Alger. Combattant pour la libération de son pays, il connaît la clandestinité, et subit après la déclaration d'Indépendance, la torture et la prison, pour son engagement politique (au Parti communiste, et dans l'Organisation de la Résistance Populaire). Il est, avec Jean Sénac et d'autres écrivains,  l'un des fondateurs de l'Union des Écrivains d'Algérie.

Ce paysage rêvé est celui des espoirs du prisonnier :

Rêves en désordre

Je rêve d'îlots rieurs et de criques ombragées

Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleus sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies
Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes
Je rêve de derricks couleur de premier mai
Je rêve de dentelles langoureuses sur les pistes brûlées
Je rêve d'usines fuselées et de mains adroites
Je rêve de bibliothèques cosmiques au clair de lune
Je rêve de réfectoires fresques méditerranéennes
Je rêve de tuiles rouge au sommet du Chélia
Je rêve de rideaux froncés aux vitres de mes tribus
Je rêve d'un commutateur ivoire par pièce
Je rêve d'une pièce claire par enfant
Je rêve d'une table transparente par famille
Je rêve d'une nappe fleurie par table
Je rêve de pouvoirs d'achat élégants
Je rêve de fiancées délivrées des transactions secrètes
Je rêve de couples harmonieusement accordés
Je rêve d'hommes équilibrés en présence de la femme
Je rêve de femmes à l'aise en présence de l'homme
Je rêve de danses rythmiques sur les stades
Et de paysannes chaussées de cuir spectatrices
Je rêve de tournois géométriques inter-lycées
Je rêve de joutes oratoires entre les crêtes et les vallées
Je rêve de concerts l'été dans des jardins suspendus
Je rêve de marchés persans modernisés
Pour chacun selon ses besoins
Je rêve de mon peuple valeureux cultivé bon
Je rêve de mon pays sans tortures sans prisons
Je scrute de mes yeux myopes mes rêves dans ma prison.

Bachir Hadj Ali ("Que ma joie demeure ! " - éditions Oswald, 1970 et l'Harmattan, 1981)

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Terre je t'écoute
   
Je t'écoute tisser des clairs-obscurs sur mes nuits.
Je t'écoute veiller le soleil agoniser à l'Est
Je t'écoute sécher le sel sur le front des mers
Je t'écoute réveiller des pommes innocentes
Je t'écoute greffer la jeunesse du citronnier

Je t'écoute respirer entre les doigts et l'orange
Je t'écoute battements de cils rouge-gorge des bois
Je t'écoute verser la rosée sur la plante médicinale
Je t'écoute pluie sur la mer collier de la baie
Je t'écoute nuage rire ailes colorées
Je t'écoute marche secrète des hommes droits
Je t'écoute clairière de la recherche libre
Je t'écoute vivre au rythme de mes aspirations
Je t'écoute chanter le chant de l'an deux mille
.

Bachir Hadj Ali ("Que ma joie demeure ! " - éditions Oswald, 1970 et l'Harmattan, 1981)


Soumya Benkelma (pseudonyme de Soumya Bemmalek), est une poétesse algérienne dont les premiers poèmes ont été publiés en juillet-août 1976 dans la revue "Europe" (n° 567-568, spécial Littérature algérienne). Elle était, précise la revue, étudiante à cette époque ...

Partir

Partir et rien que partir
Partir et pour toujours
Ne plus revenir
Ne plus attendre
Voir du bleu et du blanc
Du rouge et du merveilleux
Aller à la rencontre du néant
Sans le savoir sans le vouloir
M'y enfoncer tout entière
Les yeux fermés
Me voir me sentir
Mourir mourir
Sentir d'instant en instant
Se détacher de tout moi
Tout ce que j'ai mal aimé
Tout ce que j'ai haï
Me voir morte sous une tombe blanche
Sous la terre ma terre rouge sang
Là-haut sur une montagne
Entourée d'ombre et de silence
De lumière folle et de chants
Là-haut sur une montagne
Une montagne près du soleil.

Soumya Benkelma, 1974


Lounès Matoub , en kabyle : Lwennas Meɛṭub (1956-1998), plus fréquemment appelé Matoub Lounès, est un chanteur et poète kabyle , notamment connu pour son engagement dans la revendication identitaire berbère. a été assassiné* le 25 juin 1998 sur la route de Ath Douala. Officiellement, cet assassinat est atribué au GIA (qui l'a revendiqué) mais sa famille et toute la kabylie accuse le pouvoir algérien de l'avoir fait supprimer. (source : Wikipedia)

Matoub Lounès se lit et surtout s'écoute, ici par exemple, avec Avrid ireglen (La route entravée) en concert au Zénith de Paris en 1995, chanson sous-titrée en français : http://fr.youtube.com

Un autre texte de chanson :

D idurar ay d lâamriw s / Les montagnes sont ma vie (extrait)

Xellsegh adrar s yidammen-iw : a d-yeqqim later-iw
Xas gullen ard a t-sefden

Wid yetganin di lmut-iw, yessamsen isem-iw
Kul tizi a yi-d-mlilen

Atas i ggigh si lheqq-iw armi i qqwlegh seg yilexxaxen
Wwtegh, dligh ghef nnif-iw ufigh wigad i t-yesxewden
Xas yegga lgehd ighallen-iw
Mazal ssut-iw ad yebbaâzeq... as-d-slen !

(...)
A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw !

traduction :

Les montagnes sont ma vie

Du tribut de mon sang j'ai irrigué les monts
mon empreinte s'imprime à jamais,
quand ils ont en juré l'anéantissement ;

Qui s'impatiente de me voir mort,
et qui calomnie mon nom,
À chaque col devra m'affronter,

J'ai laissé mon bien à l'abandon,
Je l'ai trouvé gisant dans l'immondice,
J'ai porté le regard sur mon honneur,
J'ai vu des bourreaux. Bien que la force ait fui mes membres,
Ma voix demeure, qui retentira,
Ils l'entendront !
(...)

Ma vie ! ma vie !
Les montagnes sont ma vie !

Matoub Lounès (1989)


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Maroc

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Tahar Ben Jelloun est né à Fès, au Maroc, en 1944. Écrivain et poète, il est l'auteur de deux recueils de poésie, dont Les Amandiers sont morts de leurs blessures, et de romans : La Nuit sacrée a obtenu le Prix Goncourt 1987.

Les textes qui suivent sont tous extraits du recueil "Les Amandiers sont morts de leurs blessures" édité en 1976 par la Librairie François Maspero, dans PCM (Petite Collection Maspero).

Ils ne portent pas de titre, ne sont pas consécutifs dans le recueil, mais l'ordre de présentation est respecté.

Tous les matins
le soleil entre chez Si Lmokhtar
pille la mémoire du miroir
monte sur l'échelle
et s'en va en riant

Tahar Ben Jelloun (dans "Asilah, saison d'écume")

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Un verre de thé sur la natte
le vent ramène le nuage bleu
égaré dans le bois
les vieux parlent du passé
les jeunes parlent peu
fument et rient
le ciel s'éloigne des sables

Tahar Ben Jelloun (dans "Asilah, saison d'écume")

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Le silence d'une étoile
échangé contre un peu d'eau

Tahar Ben Jelloun (dans "Asilah, saison d'écume")

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L'épicerie de Si Abdessalam
Du vinaigre doux dans une bouteille en plastique National
des portions de savon La Main
un sac de farine Drissi
des allumettes Le Lion
une barbe grise toujours naissante
une main ouverte
le regard tendre
amical
fraternel comme le soleil
et une balance qui sépare le temps


Tahar Ben Jelloun (dans "Asilah, saison d'écume") - les noms des marques sont mis en italique pour le blog (pas par l'auteur).

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C'est la fin de la journée
le poisson est rentré
la barque est repartie
les petits soleils s'éloignent
un grand verre de thé
pour réchauffer les mains et le front
la parole nue
on regarde la mer
et l'on parle de l'avenir
on joue aux cartes
on fume quelque pensée
les chats tirent l'azur
on ne regarde plus la mer
on regarde la télévision

Tahar Ben Jelloun (dans "Asilah, saison d'écume")

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Étranger

Étranger
prends le temps d'aimer l'arbre
accoude-toi à terre
un cavalier t'apportera de l'eau, du pain,
et des olives amères
c'est le goût de la terre et des semences de la mémoire
c'est l'écorce du pays
et la fin de la légende
ces hommes qui passent n'ont pas de terre
et ces femmes usées
attendent leur part d'eau.
Étranger,
laisse la main dans la terre pourpre
ici
il n'est de solitude que dans la pierre.

 Tahar Ben Jelloun, ("À l'insu du souvenir" - François Maspero éditeur, 1980).


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Tunisie

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Tahar Bekri est né en 1951 en Tunisie. C'est un écrivain-poète qui écrit en français et dans sa langue maternelle : l'arabe. Il vit en France depuis 1976.

C’était le temps des jarres (extrait)

C’était le temps des jarres remplies de dattes
Dans les cabanes aux toits de palme
La lampe à pétrole notre trésor
Les citronniers parfumaient nos demeures
Guêpes et abeilles pour la meilleure aigreur
Dans les treilles se confondaient raisins et étoiles

La nuit tombait céleste comme une figue noire

Tahar Bekri ("La Brûlante Rumeur de la mer" dans "Poésie du Maghreb" - éd Al Manar, Paris, 2004)

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Retour à Nouakchott* (extrait)

Je te retrouve dans le souffle du vent
Exsangue brûlé par le sable sans relâche
Tant de dunes impatientes le long de ma route
Surgissent des limbes de l’inconsolé mirage

Les caravanes portées par la distance d’antan
Immobiles et langoureuses l’ombre aussi rare
Que l’acacia sec et endurci sous le soleil de plomb
Mon chant comme prière implorant le firmament

J’ai de toi désert la soif affranchie des frontières
Le rêve qui s’enlise ensablé habillé de lumière
Tout l’océan aimant chargé de lourdes pirogues
Butin d’arc-en-ciel pour des frères noirs et blancs

Où as-tu égaré fleuve ton limon pour nourrir la terre ?

*Nouakchott est la capitale de la Mauritanie.

Tahar Bekri (dans "Confluences poétiques" - Mercure de France, 2006)

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Un poème difficile, dont on ne garde souvent que la première strophe :

 L'exil (passages)

I

S’envolent
les colombes
à l’ombre de la lumière
la pierre
lourde de ses usures
sera colonne d’or ou poussière

Dans les royaumes de feu, la cendre

[...]

III

Sur les lèvres
du soleil
ivre d’étés purs j’emporte
ta voix au matin des présages
le soir comme un rose en transe
je remonte le cours du fleuve sec

Dans les arènes du souvenir, l’insomnie

[...]

V

Nouée
dans l’éclat
des ciels avares parole d’outre-mémoire
cette pluie pétrifiée au creux de ma voix
il me faudra toutes ces hirondelles
et la crinière du rêve pour l’enfanter

Dans les bras du laboureur, les oiseaux

[...]

XI

Parfois
je demande
à la voie lactée sa nuit claire
ses étoiles épurent mes soucis
sur la voûte céleste
les traces guident mes pensées

Entre deux pôles, l’échappée nacrée

XII

J’entends
au loin
évadées de vos déserts
des braises comme des cymbales
rouler sur des cordes de sang
assourdies par la discorde et le vent

Tapie dans la brûlure, ma rage

Tahar Bekri ("les chapelets d'attache" L'Harmattan, 1994) adaptation en français de Barbara Beck.


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Égypte ancienne et moderne

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Les textes sont présentés en traduction française uniquement, pour des raisons techniques.
On peut s'initier à l'écriture de l'ancienne Égypte, les hiéroglyphes, à cette adresse :
http://artchives.samsara-fr.com/hieroglyph.htm
Ce site peut permettre également de proposer aux élèves une activité graphique : "traduire" le prénom (et tout autre mot) en hiéroglyphes, selon une correspondance alphabétique. 

D'autre part, il est possible de télécharger des polices de caractères hiéroglyphes pour Mac et PC à cette adresse :
http://www.egypt.edu/etaussi/informatique/meroitique/meroitique01.htm

Des textes d'Égypte ancienne :
Le premier, qu'on peut approximativement dater de 2200 avant notre ère, est une glorification de la crue du Nil (Hâpy). Avant la construction du grand barrage d'Assouan, et d'autres aménagements, la crue d'été apportait le limon et l'eau nécessaires aux cultures sur les rives du fleuve.
Kemet ("la terre noire") était le nom donné à l'Égypte antique.

Ce texte est présenté ici dans une version réduite et réorganisée :

L'Hymne à la crue du Nil  (extrait) 

Salut à toi, Crue
Maîtresse des poissons.
Tu conduis les oiseaux migrateurs vers le Sud.
Tu fais naître les herbes pour le bétail.
Tu es dans le monde souterrain
et le ciel et la terre reposent sur toi.
Tu pénètres les collines.
Tu emplis la Haute et la Basse-Égypte.
Tu établis la vérité dans le coeur des hommes.
Tu veilles à ce que les oiseaux reviennent de leur pays.
Sois verte, alors tu viendras !
Sois verte, alors tu viendras !
Crue, sois verte, alors tu viendras !

D'après le texte retranscrit par Dirk Van der Plas ("L'hymne à la crue du Nil" dans la Revue Le Monde de la Bible n° 138 - Paris, 2001).

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Le texte suivant est attribué, sans certitude, au pharaon Akhénaton, époux de Néfertiti (14e siècle avant notre ère), encore appelé Amenhotep IV ou Aménophis IV. Pour l'anecdote, c'est le pharaon Toutankhamon, son fils, qui lui a succédé.

Akhenaton signifie qui est utile à Aton (Aton étant une des représentations du dieu Soleil).

Ce texte, est gravé sur la tombe d’Aÿ (personnage de la Cour et pharaon par la suite).

Hymne à Aton ou Hymne au Soleil  (passages) 

Tu apparais resplendissant à l'horizon du ciel,
Disque vivant qui as inauguré la vie !
Sitôt tu es levé à l'horizon oriental,
Que tu emplis chaque contrée de ta perfection.
Tu es beau, grand, brillant, élevé au-dessus de tout l'univers.
Tes rayons entourent les pays jusqu'à l'extrémité de tout ce que tu as créé.
[...]
Si éloigné sois-tu, tes rayons touchent la terre.
Tu es devant nos yeux mais ta marche demeure inconnue.

 

Lorsque tu te couches à l'horizon occidental,
L'univers est plongé dans les ténèbres et comme mort.
Les hommes dorment dans leurs demeures, la tête enveloppée,
Et aucun d'eux ne peut voir son frère.
[...]
Tous les lions sont sortis de leurs antres,
Et tous les reptiles mordent.
Ce sont les ténèbres d'un four et le monde gît dans le silence,
C'est que leur créateur repose dans son horizon.

 

Mais à l'aube, dès que tu es levé à l'horizon,
Tu chasses les ténèbres et tu dardes tes rayons.
Alors le Double-Pays est en fête,
L'humanité est éveillée et debout sur ses pieds;
C'est toi qui les as fait lever !
[...]

Tu a mis chaque homme à sa place et tu as pourvu à son nécessaire.
Chacun possède de quoi manger et le temps de sa vie est compté.
Les langues sont variées dans leurs expressions ;
Leurs caractères comme leurs couleurs sont distincts,
Puisque tu as distingué les étrangers.
Tu crées le Nil dans le monde inférieur
Et tu le fais venir à ta volonté pour faire vivre les Egyptiens,
[...]
Disque du jour au prodigieux pouvoir !
Tout pays étranger, si loin soit-il, tu le fais vivre aussi:
Tu as placé un Nil dans le ciel qui descend pour eux;
Il forme les courants d'eau sur les montagnes comme la mer très verte,
Pour arroser leurs champs et leurs territoires.
Qu'ils sont efficients tes desseins, Seigneur de l'éternité !
Un Nil dans le ciel, c'est le don que tu as fait aux étrangers
Et à toute bête des montagnes qui marche sur ses pattes,
Tout comme le Nil qui vient du monde inférieur pour le Pays-Aimé.
[...]

Akhenaton

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Un parmi d'autres textes dédiés au Soleil, Aton, et dont sans doute Akhenaton s'est inspiré :

Les saisons

Tu fis les saisons pour créer toutes les œuvres,
L’hiver pour les rafraîchir, et l’été pour la chaleur.
Tu as fait le ciel lointain pour t’y lever,
Pour observer tout que tu as fait,
Tout seul, étincelant sous ta forme d’Aton animé,
Depuis l’aube rayonnant, puis t’éloignant et revenant.

Texte issu des Pyramides de Saqqarah dans le delta du Nil (Basse-Egypte), daté de la VIe dynastie (vers 2200 av notre ère)

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Le poème qui suit est d'un auteur contemporain :

Egypte_Assouan_1

Au petit matin à Assouan (en nov 2007) - phot Lieucommun


Abderrahman (ou Abderrahmane) Al-Abnoudi, poète égyptien, est né en 1938. Il a publié son premier recueil de poèmes en 1963 : Mawwal al-bohaïra (Le Chant du lac).

Le recueil "La mort de l'épouvantail", dont est extrait le poème ci-dessous a été traduit par Jean-Claude Rolland, linguiste, formateur en didactique des langues, auteur et traducteur (de textes d'auteurs de langue arabe et de langue espagnole). Nous lui présentons nos excuses pour cet oubli, maintenant réparé.

Voici une scène de rue, pour humaniser le paysage :

Le verre de thé

 

Rue de Shubra dans un café je me suis attablé
Le garçon m’a apporté un verre de thé
Absolument sans comparaison avec le verre de thé de la maison

J’ai vu passer un homme au crâne complètement rasé
Une fille avec un plat de fèves très léger
Et une femme toute de noir habillée
J’ai vu passer une voiture neuve
Où des visages apparaissaient complètement muets
Un jeune homme parlait à une fille sur le trottoir
À voix basse complètement, complètement terrorisée

Sur le trottoir d’en face l’étal d’un fruitier parfaitement bien rangé
Était complètement complètement noyé
Dans la lumière de ses néons un homme est passé
Qui n’était pas descendu de son vélo depuis des années
Et qui était très fatigué
Il est passé la tête baissée sans du tout pédaler

Le garçon a pris deux piastres de pourboire
Il m’a longuement regardé
Et a paru très très étonné

Abderrahman Al-Abnoudi ("La mort de l'épouvantail" - Éd CTFE - 1985)


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2 janvier 2009

Poètes d'AFRIQUE Noire - Sénégal, Mali, Burkina Faso ...

Paysages des poètes d'Afrique

Afrique Noire

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Sénégal

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Léopold Sédar Senghor (1906-2001), a été le premier président du Sénégal, de 1960 à 1980. Voir également cet auteur dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ EN POÉSIE

Nuit de Sine (extrait)

Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure.
Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute brise nocturne
À peine. Pas même la chanson de nourrice.
Qu'il nous berce, le silence rythmé.
Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons
Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus.

Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale
Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes
Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère
Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés.

C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe
S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait.
Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ?
Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et douces.

(...) 

Léopold Sédar Senghor ("Chants d'ombre" - Éditions du Seuil, 1945)

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David Diop (1927-1960) est un poète Wolof* sénégalais né en France de parents africains. Il a vécu en France et au Sénégal. Sa poésie (un seul recueil), est très engagée contre le colonialisme.Un autre texte est ici : PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde)
* Les Wolof sont une ethnie d'Afrique de l'Ouest. Le wolof est la langue la plus parlée au Sénégal. Son écriture utilise aujourd'hui l'alphabet latin

Celui qui a tout perdu
 
Le soleil brillait dans ma case
Et mes femmes étaient belles et souples
Comme les palmiers sous la brise des soirs.
Mes enfants glissaient sur le grand fleuve
Aux profondeurs de mort
Et mes pirogues luttaient avec les crocodiles
La lune, maternelle, accompagnait nos danses
Le rythme frénétique et lourd du tam-tam,
Tam-tam de la joie, tam-tam de l'insouciance
Au milieu des feux de liberté.
 
Puis un jour, le Silence ...
Les rayons du soleil semblèrent s'éteindre
Dans ma case vide de sens.
Mes femmes écrasèrent leurs bouches rougies
Sur les lèvres minces et dures des conquérants aux yeux d'acier
Et mes enfants quittèrent leur nudité paisible
Pour l'uniforme de fer et de sang.
Votre voix s'est éteinte aussi.
Les fers de l'esclavage ont déchiré mon coeur,
Tams-tams de mes nuits, tam-tams de mes pères.  

David Diop ("Coups de pilon" - Présence Africaine, 1956)

Afrique (extrait)

Afrique mon Afrique
Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales
Afrique que chante ma grand-mère
Au bord de son fleuve lointain
Je ne t'ai jamais connue
Mais mon regard est plein de ton sang
Ton beau sang noir à travers les champs répandu
Le sang de ta sueur
La sueur de ton travail
Le travail de I' esclavage
L'esclavage de tes enfants
Afrique dis-moi Afrique
Est-ce donc toi ce dos qui se courbe
Et se couche sous le poids de l'humilité
Ce dos tremblant à zébrures rouges
Qui dit oui au fouet sur les routes de midi
Alors gravement une voix me répondit
Fils impétueux cet arbre robuste et jeune
Cet arbre là-bas
Splendidement seul au milieu des fleurs
blanches et fanées
C'est I'Afrique ton Afrique qui repousse
Qui repousse patiemment obstinément
Et dont les fruits ont peu à peu
L' amère saveur de la liberté.

David Diop ("Coups de pilon" - Présence Africaine, 1956)

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Malick Fall (1920-1978) écrivain et diplomate sénégalais, est né à Saint-Louis du Sénégal.

Crépuscule

Mes villages ont peur de l’ombre
Mais l’ombre les prévient
Avant de les habiller de nuit

Une mère avive le tison pâle
Un enfant ramène les chèvres
Un père bénit le soir hésitant
Et l’ombre mord un pan du village
Si doucement que la peur s’estompe

Bonne nuit villages d’Afrique
.  

Malick Fall ("Reliefs" - Présence Africaine, 1964)

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Sidi Ahmed Cheik Aliou Ndao, né en 1933, est un romancier sénégalais Wolof*, auteur de deux romans en wolof : Buur Tillen (1967) et Mbaam Dictateur (Présence Africaine, 1997) ; et d'autres en français.
Il est également auteur de nouvelles, de pièces de théâtre (l'Exil d'Albouri , 1967 ; L'Ile de Bahila, 1975) et de poèmes (Kairée, 1964 ; Mogariennes, 1970).
* Les Wolof sont une ethnie d'Afrique de l'Ouest. Le wolof est la langue la plus parlée au Sénégal. Son écriture utilise aujourd'hui l'alphabet latin.

Midi (extrait)

Voici que l’air s’immobilise
Pas une aile d’oiseau
La cigale a délaissé l’archet de son violon
Aucune cadence du pilon de Kumba
Ô femme pas une graine de mil
Concassé sur ton van
Midi tu me fais peur
Tu as éparpillé tes braises
La femme assise à l’ombre
Tresse les cheveux de ses compagnes
Femme à l’affût d’un imprudent
Midi tu me fais peur
Voici que l’air s’immobilise
Comme du lait caillé au fond
D’une calebasse

Cheik Aliou Ndao

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Texte en wolof :

Njolloor

Jaww ji ne tekk
Ni mbaanig ci layten
Du picc muy fër-fëri
Mbaa petax muy pët-pëti
Riiti salliir du ñu tanqal
Kumba kandaŋul di fi lay sanqal
Njolloor maa la ragal
Wesaare nga say xal
Jabaru jinne gappariku
Ci keppaar di létt moroomam
Mbaa di xaar ku laar
Jaww ji ne tekk ni mbaanig ci layten

Cheik Aliou Ndao


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Mali (ethnie Peul)

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Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) est un écrivain ("Amkoullel, l'enfant Peul"), poète et ethnologue Peul né au Mali (et mort en Côte d'Ivoire). Les Peuls sont une ethnie d'Afrique Occidentale, nomades  éleveurs de bétail.
Amadou Hampâthé Bâ est attaché à tradition orale des Peuls, moyen de transmission de la culture et de l'Histoire, par les contes initiatiques, légendes, poésies ...

"Je suis un diplômé de la grande université de la Parole enseignée à l’ombre des baobabs"...
"En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle"...

Il a publié des poésies et des contes, et ses mémoires sont édités après sa disparition : Amkoullel l’enfant peul (mémoires I, 1991) et Oui mon commandant ! (mémoires II, 1994) ; livre_tour_de_terre

Lôtori (extrait)

Levez-vous ! les poules du villages ont crié ;
les ânes ont brait à s’en lasser ;
les oiseaux se sont éveillés ; les hyènes ont filé ;
le caméléon est entré dans la rosée et voici le calao qui cherche à s’envoler
Lôtori ! Lôtori, conduisez les troupeaux à la mare de Béla !

Amadou Hampâté Bâ

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Et voici le début de ce poème dans son texte original en langue peul :

Lootori  

Ummee ! cofe ngenndi woyii ;
dakiiji kiikii fa comii ;
pooli pinii pobbi dogii ; doonyo naatii saawandere [...]

Amadou Hampâté Bâ ("L'éclat de la grande étoile "; Bain rituel" - Classiques africains - éditions Belin)

Le texte en français est consultable sur le Web. Le passage traduit ci-dessus est emprunté à l'ouvrage "Tour de Terre en poésie", de Jean-Marie Henry et Mireille Vautier (éditions Rue du Monde - 1998)


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Burkina Faso

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Armand Balima est un auteur contemporain Burkinabé ("le pays des hommes intègres"), anciennement Haute-Volta, ce pays où le Sahel, au nord, marque la zone désertique saharienne :

Sahara

Sahara
Mamelles de sable
Qui portent les caresses
Des caravanes
Sahara
Mamelles de sable
Qui enveloppent
La tiédeur des nuits
                                Bleues

Armand  Balima ("Voiles marines", Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1979



2 janvier 2009

Poètes d'AMÉRIQUE du NORD- Indiens

Paysages des poètes d'Amérique

Amérique du Nord - Indiens 

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Les Iroquois, tribu indienne d'Amérique du Nord, qu'on appelle aussi Cinq-Nations (à l'origine) compteront en tout six nations amérindiennes de langues iroquoises vivant historiquement dans le nord de l'État de New York, aux États-Unis d'Amérique.

Chant Iroquois

Nous rendons grâces à notre mère la terre, qui nous soutient.
Nous rendons grâces aux rivières et aux ruisseaux qui nous donnent l'eau.
Nous rendons grâces à toutes les plantes qui nous donnent les remèdes contre nos maladies.
Nous rendons grâces au maïs et à ses soeurs les fèves et les courges, qui nous donnent la vie.
Nous rendons grâces aux haies et aux arbres qui nous donnent leurs fruits.
Nous rendons grâces au vent qui remue l'air et chasse les maladies.
Nous rendons grâces à la lune et aux étoiles qui nous ont donné leur clarté après le départ du Soleil.
Nous rendons grâces à notre grand-père Hé-no, pour avoir protégé ses petits-enfants des sorcières et des reptiles, et nous avoir donné sa pluie.
Nous rendons grâces au Soleil qui a regardé la terre d'un oeil bienfaisant.
Enfin, nous rendons grâces au Grand Esprit en qui s'incarne toute bonté et qui mène toutes choses pour le bien de ses enfants.

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Plenty Coups (1848-1932) était le chef de la tribu des Crows, tribu amérindienne qui vivait historiquement dans la vallée du fleuve Yellowstone, et qui ont été déplacés par le gouvernement des États-Unis d’Amérique dans une réserve au sud du Montana. "Plenty Coups" signifie "beaucoup de coups, ou de victoires", surnom gagné contre les ennemis traditionnels des Crows, les Cheyennes, les Lakotas ou les Blackfeet.

Message d'adieu

Passent encore quelques soleils, et on ne nous verra plus ici.
Notre poussière et nos ossements se mèleront à ces prairies.
Je vois comme dans une vision, mourrir la lueur de nos feux du conseil, leurs cendres devenues froides et blanches.
Je ne vois plus s'élever les spirales de fumée au-dessus de nos tentes.
Je n'entends plus le chant des femmes préparant le repas.
Les entilopes ont fui ; les terres des bisons sont vides.
On n'entend plus que la plaite des coyottes.
La "médecine" de l'homme blanc est plus forte que la nôtre ;
le cheval de fer s'élance sur les pistes du bison.
Il nous parle à travers son "esprit qui murmure"(le telephone).
Nous sommes comme des oiseaux à l'aile brisée.
Mon coeur est froid au-dedans de moi.
Mes yeux se troublent ! Je suis vieux.

Plenty Coups, en 1909

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Éléonore Sioui est une écrivaine contemporaine du Québec, d'origine Amérindienne huronne-wendate, à qui on a imposé la langue française. Elle veut "donner la parole à celles qui se sont tues", et pratique la langue française à sa manière, nous rendant sa culture accessible.

La mer

Je ramasse tout près d'elle
Toutes sortes d'herbes
Et j'en fais des bouquets
Pour offrir à ceux
Qui peut-être
Viendront m'aimer.

Éléonore Sioui ("Andatha") Andatha signifie : 'Là où tout converge"

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Obedjiwan

Obedjiwan
La ouate
De tes neiges
Sans fin
Renferme
Les glaçons
Aigus
Argentés
Des sanglots
Perdus.

Éléonore Sioui

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Gilles Hénault (1920-1996) est (selon Paul-Marie Lapointe dans son ouvrage "Poètes québécois"), un "québécois rouge, abénaki, maya, nègre de Birmingham".

Paysages dans lesquels se fond l'histoire du peuple Peau-Rouge :

Je te salue

Peaux-rouges
Peuplades disparues dans la conflagration de l’eau de feu et des tuberculoses
Traquées par la pâleur de la mort et des Visages-Pâles
Emportant vos rêves de mânes et de manitou
Vos rêves éclatés aux feux des arquebuses
Vous nous avez légué vos espoirs totémiques
Et notre ciel a maintenant la couleur des fumées de vos calumets de paix.

Nous sommes sans limites
Et l’abondance est notre mère.
Pays ceinturé d’acier
Aux grands yeux de lacs
A la bruissante barbe résineuse
Je te salue et je salue ton rire de chutes.
Pays casqué de glaces polaires
Auréolé d'aurores boréales
Et tendant aux générations futures
L'étincelante gerbe de tes feux d'uranium.
Nous lançons contre ceux qui te pillent et t'épuisent
Contre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus
et de neige
Les imprécations foudroyantes
Qui naissent aux gorges des orages.

J'entends déjà le chant de ceux qui chantent :
Je te salue la vie pleine de grâces
le semeur est avec toi
tu es bénie par toutes les femmes
et l'enfant fou de sa trouvaille
te tient dans sa main
comme le caillou multicolore de la réalité.

Belle vie, mère de nos yeux
vêtue de pluie et de beau temps
que ton règne arrive
sur les routes et sur les champs
Belle vie
Vive l'amour et le printemps.

Gilles Hénault ("Signaux pour les voyants, poèmes, 1941-1962" - éditions de l'Hexagone, 1972)

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Miroir transparent

L’amour est plus simple qu’on le dit
Le jour est plus clair qu’on le croit
La vie est plus forte que la mer
La poésie coule dans la plaine
où s’abreuvent les peuples.

L’absence est un glacier
L’hiver de l’amour nous fait un cœur très sec
Mais que viennent deux ou trois flèches de soleil
Un seul printemps debout sur la montagne de neige
Et refleurira la simplicité des temps sur les tempes
Des doigts entrelacés au-dessus des ruisseaux du cœur.

Gilles Hénault ("Signaux pour les voyants, poèmes, 1941-1962" - éditions de l'Hexagone, 1972)


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2 janvier 2009

Poètes d'AMÉRIQUE du NORD - États-Unis

Paysages des poètes d'Amérique

Amérique du Nord - États-Unis 

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Emily Dickinson (1830-1886) est une des plus importantes poètes des États-Unis d'Amérique.

"Je donnerais tous les poètes pour Emily Dickinson".
Cioran

Je reviens du Ciel

Je reviens du Ciel.
C'est un village ;
Pour lampe, un rubis ;
Du coton pour lattes.

Calme - plus qu'un champ
Au fort de la rosée ;
Plus beau qu'une image
Inventée par l'homme.
Les gens, tels des phalènes,
Etaient faits de dentelle ;
De gaze étaient leurs devoirs,
Et leur nom, de duvet.
Contente - ou presque,
Je pourrais être
En compagnie
Si singulière.

- - - - -

I went to Heaven

I went to Heaven –
‘Twas a small Town –
Lit – with a Ruby –
Lathed – with Down –

Stiller – than the fields
At the full Dew –
Beautiful – as Pictures –
No Man drew.
People – like the Moth –
Of Mechlin – frames –
Duties – of Gossamer.
And Eider – names –
Almost – contented
I – could be –
‘Mong such unique
Society –

Emily Dickinson

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 Walt Whitman (1819-1892) est un poète des Etats-Unis d'Amérique. Leaves of Grass ("Feuilles d'herbe"), qu'il a publié à compte d'auteur, avant que d'autres éditeurs ne l'acceptent, est son recueil de poèmes le plus représentatif.

"Qui dégrade autrui me dégrade ;
Et rien ne se dit ou se fait qui ne retourne enfin à moi."

"Whoever degrades another degrades me ;
And whatever is done or said returns at last to me."

(Feuilles d'herbes - Leaves of Grass)

Salut au Monde !

Et voici les marins du monde,
Les uns au milieu des tempêtes, d'autres dans la nuit avec le quart en veille,
D'autres en train de dériver sans merci, d'autres atteints de maladies contagieuses.
Voici les navires à voile et à vapeur du monde, les uns uns groupés dans les ports, d'autres en cours de traversée.
D'autres doublent le cap des tempêtes, d'autres le Cap Vert, d'autres les caps Gardafui, Bon ou Bojador
D'autres la pointe de Dondrah,
D'autres le cap Horn, d'autres voguent sur le golfe du Mexique ou le long de Cuba ou Haïti, d'autres sur la baie d'Hudson ou la baie de Baffin,
D'autres franchissent le Pas de Calais, d'autres entrent dans le Wash, d'autres dans le golfe de Solway, d'autres font le tour du cap Clear, d'autres du cap Land's End.
D'autres traversent le Zuyderzée ou l'Escaut,
D'autres touchent et quittent Gibraltar et aux Dardanelles,
D'autres se fraient rigoureusement leur route à travers les banquises du nord.
D'autres descendent l'Obi ou la Léna,
D'autres le Niger ou le Congo, d'autres l'Indus, le Brahmapoutre et le Mékong.
D'autres attendent sous pression prêts à partir dans les ports d'Australie.
Attendent à Liverpool, Glasgow, Dublin, Marseille, Lisbonne, Naples, Hambourg, Brême, Bordeaux, La Haye, Copenhague,
Attendent à Valparaiso, Rio de Janeiro, Panama.

Walt Whitman ("Feuilles d'herbes")

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Wallace Stevens (1879-1955) a publié son premier livre, Harmonium, en 1923. Prix Pulitzer en 1955.

Bonhomme de neige

Il faut posséder un esprit d’hiver
Pour regarder le gel et les branches
Des pins sous leur croûte de neige ;

Avoir eu froid pendant longtemps
Pour contempler les genévriers hérissés de glace,
Les épicéas, bruts dans l’éclat lointain

Du soleil de janvier ; et ne pas imaginer
De détresse aucune dans le bruit du vent,
Le bruit d’une poignée de feuilles,

Qui est le bruit de l’étendue
Emplie du même vent
Soufflant dans le même lieu nu

Pour qui écoute, écoute dans la neige,
Et, n’étant rien lui-même, ne contemple
Rien qui ne soit là et le rien qui est.

(traduction de Claire Malroux)

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texte original :

The snow Man

One must have a mind of winter
To regard the frost and the boughs
Of the pine-trees crusted with snow;

And have been cold a long time
To behold the junipers shagged with ice,
The spruces rough in the distant glitter

Of the January sun; and not to think
Of any misery in the sound of the wind,
In the sound of a few leaves,

Which is the sound of the land
Full of the same wind
That is blowing in the same bare place

For the listener, who listens in the snow,
And, nothing himself, beholds
Nothing that is not there and the nothing that is.

Wallace Stevens, ("Harmonium" - Éditions Corti, 2002)



2 janvier 2009

Poètes d'AMÉRIQUE CENTRALE - Cuba, Guatemala ...

Paysages d'Amérique Centrale

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Cuba

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Alberto Edel Morales est né en 1961 à Cuba.

livre_po_sie_cubaineEn regardant les autos passer (extrait)

Dans les petites villes du centre de Cuba
les rues habituellement bruyantes et douces,
deviennent vides aux mois d'hiver.
J'ai vécu cette pesante quiétude.
...
Dans les petites villes du centre de Cuba
tout est absence et attente aux mois d'hiver.
J'ai vécu cette pesante quiétude.

Alberto Edel Morales ("Poésie Cubaine 1980 - 2000" numéro 24 de la revue Bacchanales - 2001 - Maison de la Poésie Rhône-Alpes)

traduction :

Viendo los autos pasar

En las pequeñas ciudades del centro de Cuba
las calles, habitualmente bulliciosas y dulces,
se quedan vacías en los meses de invierno.
Yo he vivido esa pesada quietud.

En las pequeñas ciudades del centro de Cuba
todo es ausencia y espera en lo meses de invierno.
Yo he vivido esa pesada quietud.

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Nicolas Guillén (1902-1989) est sans doute le plus connu des poètes cubains.
Sa poésie parle du métissage, du respect de l’autre, du refus de l’injustice, contre l’impérialisme et la colonisation.

Un son para niños antillos      

Por el Mar de las Antillas
anda un barco de papel
anda y anda el barco barco,
Sin timonel.

De la Habana a Portobelo,
de Jamaica a Trinidad,
anda y anda al barco barco,
Sin capitan.

Una negra va en la popa
va en la proa un español :
Anda y anda el barco barco,
con ellos dos.

Pasan islas, islas, islas,
muchas islas, siempre mas ;
anda y anda el barco barco,
sin descansar.

Un cañon de chocolate
contra el barco disparo,
y un cañon de azucar, zucar,
le contesto.

¡Ay, mi barco marinero,
con su casco de papel !
¡Ay, mi barco negro y blanco
sin timonel !

Alla va la negra negra
junto junto al español ;
anda y anda al barco barco
con ellos dos.

Nicolas Guillén ("El son entero")

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Traduction de Claude Couffon :

Une chanson pour les enfants antillais

Voguant sur la Mer des Antilles
avance un bateau de papier
le bateau avance, avance,
sans timonier.

De La Havane à Portobel,
de Jamaïque à Trinité,
le bateau avance, avance,
sans capitaine.

Une négresse est à la poupe
à la proue est un espagnol :
le bateau avance, avance,
avec eux.

Passent des îles et des îles,
des îles et puis d’autres îles ;
le bateau avance, avance,
sans repos.

Un canon tout en chocolat
a tiré contre le bateau,
qui de son canon tout en sucre,
a répondu.

Ah ! mon bateau filant sur l’eau
avec sa coque de papier !
Ah ! mon bateau tout noir et blanc,
sans timonier !

Sur le bateau va la négresse
et l’espagnol
le bateau avance, avance
avec eux.

Nicolas Guillén ("Poésie Cubaine du XXème siècle" - Patiño, 1998)

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Un largo lagarto verde (extrait) - titre proposé

Por el Mar de las Antillas
(que también Caribe llaman)
batida por olas duras
y ornada de espumas blandas,
bajo el sol que la persigue
y el viento que la rechaza,
cantando a lágrima viva
navega Cuba en su mapa :
un largo lagarto verde,
con ojos de piedra y agua.

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Un long lézard vert

Dans la mer des Antilles
(Qu'on nomme aussi Caraïbe)
fouettée de violentes vagues
et ornée de blanche écume,
sous le soleil qui la persécute
et le vent qui la repousse,
chantant à chaudes larmes
Cuba navigue sur sa carte :
long crocodile vert
aux yeux d'eau et de pierre.

Nicolas Guillén ("Un largo lagarto verde" - 1958) traduction Lieucommun


Paysages d'Amérique Centrale

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Guatemala

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Le territoire des Mayas occupe essentiellement le sud du Mexique et le nord du Guatemala et du Belize. La langue la plus parlée par les mayas est le quiché (maya quiché) et l'espagnol, mais il existe d'autres langues suivant les régions.
Les Mayas d'aujourd'hui sont agriculteurs et artisans, mais nombre d'entre-eux ont quitté leur territoire d'origine pour les grandes villes du Guatemala et du Mexique.
Deux adresses pour ceux qui voudraient en savoir davantage : l'historique et la civilisation Maya sur Wikipedia ; et le site ami JSE2 pour des techniques textiles et des actions solidaires (On trouvera facilement de très nombreux autres sites).
 

 Pour se familiariser avec la langue maya (et l'espagnol), on trouvera des textes et quelques éléments lexicaux ici, et même des cours de maya, avec le son ! : http://www.lexilogos.com/maya_langue_dictionnaire.htm
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Le Rabinal Achi (l’Homme de Rabinal) est une oeuvre poétique et théâtrale dramatique expliquant le mode de vie et les coutumes mayas. C'est une danse rituelle du village de Rabinal, au Guatemala, toujours célébrée le jour de la Saint-Paul, le 25 janvier, dans ce village.
Le texte original en avait été découvert puis publié en 1862 par Charles Étienne Brasseur de Bourbourg. C'est à partir d’un autre manuscrit en langue quichéachi (Miguel Pérez, 1913) qu'a été établie l'édition actuelle.
Voici donc  un passage du Rabinal Achi, avec l'aimable autorisation d'Alain Breton, qui en a dirigé la traduction et l'édition (Rabinal Achi, Un drame dynastique maya du XVe siècle).

On trouvera ici un passage plus long de ce texte : Printemps des Poètes 2008 - Rabinal Achi

Rabinal Achi     l’Homme de Rabinal (extrait)

ajkaroq ba la kaj    « Ô, ciel
ajkaroq ba la ulew       ô, terre !
we qatz waral in kamel    Si vraiment ici je meurs
                       in sachel                            je disparais,
waral chi uxmut kaj    ici, au nombril du ciel
          chi uxmut ulew          au nombril de la terre,
are k’u x chinwachilibej la kuk    alors, que je ressemble à cet écureuil
                                       la tz’ikin                                        à cet oiseau
la xkam chi uq’ab che’    qui mourut sur la branche
             chi uxum che’                      sur le rameau de l’arbre
chirech utzukuxik la recha’    dont est tirée sa nourriture
                             la uk’uxun                         sa subsistance,
waral chi uxmut kaj    ici, au nombril du ciel
          chi uxmut ulew          au nombril de la terre ! »

ix ba ri kot    « Ô, vous, les Guerriers Aigles
ix ba ri balam       ô, vous, les Guerriers Jaguars,
kixpeta ba la    venez !
chibana ba ri ichak    Faites votre travail
chibana ba ri ipatan    accomplissez votre charge,
chibana ba la ri iwe’    faites donc agir vos crocs
                      ri iwixkaq                          et vos serres,
ma k’u qatz jumer wachil kiniwismarisaj    afin qu’en un instant vous me fassiez devenir plumage
rumal xa xinoyew wi    puisque je fus seulement valeureux
chi nupetik chi nujuyubal    en venant de mes montagnes
                   chi nutaq’ajal                    de mes vallées !
keje kaj    Que le ciel
       ulew chik’oji’ iwuk’        et la terre demeurent avec vous,
ix kot        vous, les Guerriers Aigles,
ix balam    vous, les Guerriers Jaguars ! »

D’après : Alain Breton (éd.) : Rabinal Achi. Un drame dynastique maya du quinzième siècle - Nanterre, Société des américanistes & Société d’ethnologie, 1994, pp. 315-319.

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Humberto Ak’abal, né en 1952, est un poète Maya du Guatemala. Les Mayas représentent plus de la moitié de la population de ce pays, mais c'est un peuple qui lutte pour son existence et sa culture (300 000 indiens mayas ont été tués dans les années 80). On trouvera ici sur le blog, d'autres petits poèmes de cet auteur.

" La justice ne parle pas la langue des indiens,
la justice ne descend pas chez les pauvres,
la justice ne porte pas de caites,
la justice ne marche pas pieds nus
sur les chemins de terre..."

Les caites sont les sandales des indiens mayas

La justicia no habla en lengua de indios,
la justicia no desciende a los pobres,
la justicia no usa caites,
la justicia no camina descalza
por caminos de tierra ...

Le poème qui suit est paru dans le journal "La Jornada" (La Journée) sous le titre La memoria del árbol (La mémoire de l'arbre), présenté par Eduardo Galeano. Ak'abal l'a écrit en maya quiché et traduit en espagnol. Nous vous en proposons la traduction en français.

B'alam

K'o taq mul in b'alam,
kinxak'in pa taq siwan,
kinch'opin puwi' taq ri tanatik
kinb'inib'ej, kinq'axaj juyub'.

Kinwil ri unimal ri kaj,
ri uchowil, jela' che ri ja',
ri uk'ux ri ulew.

Kintzijon ruk' ri q'ij,
kinetz'an ruk' ri ik',
kinb'oq' ch'umil
kinnak' chuwij.

Kinsilob'aj ri nuje',
kinq'oyi' cho ri le'anik
kinkosik', kinwesaj ri waq'.

Humberto Ak’abal

-----------

en espagnol :

Jaguar

Otras veces soy jaguar,
corro por barrancos,
salto sobre peñascos,
trepo montañas.

Miro más allá del cielo,
más allá del agua,
más allá de la tierra.

Platico con el sol,
juego con la luna,
arranco estrellas
y las pego a mi cuerpo.

Mientras muevo la cola,
me echo sobre el pasto
con la lengua de fuera

Humberto Ak’abal (dans le quotidien "La Jornada" du 17 février 1999)

------------

Traduction en français proposée par Lieucommun :

Jaguar
 
 Parfois, je suis jaguar,
je cours par les ravins,
je saute par-dessus les rochers,
j'escalade les montagnes.

Je regarde au-delà du ciel,
au-delà de l'eau,
au-delà de la terre.

Je parle avec le soleil,
je joue avec la lune,
J'arrache des étoiles
et je les fixe sur mon corps.

En remuant la queue,
je me précipite dans l'herbe,
la langue dehors.

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Autres textes en espagnol (avec traduction) :

Las luciérnagas

Las luciérnagas
son estrellas
que bajaron del cielo

y las estrellas
son luciérnagas
que no pudieron bajar.

Apagan y encienden sus ocotíos
para que les duren
toda la noche.

Humberto Ak’abal

----------- 

Traduction proposée par Lieucommun :

Les lucioles

Les lucioles
sont des étoiles
descendues du ciel

et les étoiles
sont des vers luisants
qui n'ont pas pu descendre.

Ils éteignent et allument leur petits braseros
pour avoir de la lumière
toute la nuit.

Humberto Ak’abal

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Allá

Allá
de donde yo soy

es el único lugar
donde uno
puede agarrarse de la noche
como de una baranda

para no caer
en la oscuridad.

Humberto Ak’abal

------- 

Traduction proposée par Lieucommun :

Là-bas

Là-bas
où moi je suis né,

c'est le seul lieu

où l'on peut s'appuyer sur la nuit
comme sur une balustrade

pour ne pas tomber

dans l'obscurité.

Humberto Ak’abal

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Árbol

Libro verde
árbol poeta
¡cuánta poesía en tus hojas!
Quienquiera
que se pose en tus ramas
se vuelve cantor.

 

Humberto Ak’abal

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Traduction proposée par Lieucommun :

Arbre

Livre vert
arbre poète
que de poésie dans tes feuilles !
Quiconque
se pose sur tes branches
devient chanteur.

Humberto Ak’abal

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Miguel Angel Asturias (1899-1974), prix Nobel de littérature, est un romancier ("El señor Presidente" - "Monsieur le Président"), nouvelliste ("Hombres de maíz" - "Les hommes de maïs"), poète et diplomate guatémaltèque.
Deux recueils de poèmes parmi les plus connus : Rayito de estrellas (Petit rayon de lumière d'étoile, 1925) et Clarivigilia primaveral (Claire veillée de printemps, 1965).

Poème traduit de l'espagnol par lieucommun :

Les indiens descendent de Mixco

Les Indiens viennent
de Mixco
chargés de bleu-nuit
et la ville les accueille
avec ses rues effarouchées
par un bouquet de lumières
qui s'éteignent comme des étoiles
au lever du jour.

Leurs mains qui rament
comme deux rames dans le vent
font un bruit de cœurs battants,
et leurs pieds laissent
des empreintes, comme de petites plantes,
dans la poussière du chemin.

Les étoiles qui apparaissent
à Mixco, restent à Mixco,
car les Indiens les capturent
et ils en font des paniers qu'ils garnissent
de poules et de grappes de fleurs blanches
d'izote* doré.

La vie indienne est une vie
plus discrète que la notre.
Quand ils descendent de Mixco,
on n'entend que le bruit de leur souffle

qui siffle entre leurs lèvres
comme une vipère de soie.

Miguel Angel Asturias

* L'izote, fleur nationale du Salvador, pousse dans toute l'Amérique Centrale. Cette belle plante, que les botanistes appellent Yucca elephantipes possède des fleurs blanches comestibles (mais aussi très décoratives), et de longues feuilles rigides et pointues, avec lesquelles on fabrique du tissu.

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Los indios bajan de Mixco

Los indios bajan de Mixco
cargados de azul oscuro
y la ciudad les recibe
con las calles asustadas
por un manojo de luces
que, como estrellas, se apagan
al venir la madrugada.

Un ruido de corazones
dejan sus manos que reman
como dos remos al viento;
y de sus pies van quedando
como plantillas las huellas
en el polvo del camino.

Las estrellas que se asoman
a Mixco, en Mixco se quedan,
porque los indios las cogen
para canastos que llenan
con gallinas y floronas
blancas de izote* dorado.

Es mas callada la vida
de los indios que la nuestra,
y cuando bajan de Mixco
solo se escucha el jadeo
que a veces silba en sus labios
como serpiente de seda.
 

Miguel Angel Asturias

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Méditation devant le lac Titicaca
(dernière partie du poème)

[...]

La vie du haut plateau au cœur du paysage
m'escorte en mon voyage, aujourd'hui même, aujourd'hui même,
oh ! dites le à mes amis,
aux spectres de mes étudiants, à mes enfants,
aux femmes de ma chair,
et à l'eau du sol que je porte
contre la plante de mes pieds cicatrisée,
depuis que je me suis arraché à ma terre,
moi qui ne pourrais plus m'attacher nulle part
sans courir le péril d'être changé en arbre !
Oui, je cours le péril d'être changé en arbre. Pour cela
je m'en vais demain, aujourd'hui, en cet instant
qui peut être fatal à l'homme qui vivant,
revêt une peau de feuillage.

Tranchez net mes racines avec les fers les plus profonds,
avec les haches les plus dures, tranchez mes branches
avec l'acier de votre chant,
que mes racines cessent ici de s'accroître,
mes racines que guide leur subconscience végétale,
parce que mon corps a été humus :
sa peau brûlée muée en écorce,
sa salive en sève exténuée, ses narines en suc,
ses cheveux en cheveux de nopal,
maintenant chevelure de cacique,
et tout l'engrenage des dents
en rire d'épis de maïs que protègent les thyms,
le timide ravin, la fronde belliqueuse du cactus !
Tranchez net mes racines, mes branches et leur ombre !
 

Miguel Angel Asturias (Traduction de Claude Couffon)

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Méditación frente al lago Titicaca (última parte del poema)

[...]

La vida de la puna en el paisaje
va de viaje conmigo, hoy mismo, hoy mismo,
comunicadlo a mis amigos,
a los espectros de mis estudiantes y mis niños,
a las mujeres de mi carne
y a la humedad del suelo que llevo
en la planta de los pies cicatrizada,
después que me arrancara de mi tierra
al costo de no estar nunca en un sitio,
por el peligro de volverme árbol.
Corro el peligro de volverme árbol y por eso me voy,
mañana mismo, hoy mismo, en este instante
que puede ser fatal para el que vive con la piel de la hoja siendo humano.

¡Cortad, cortadme las raíces con los filos más hondos,
con las hachas más duras, y cortadme las ramas
con los filos del canto,
para que no se multipliquen mis raíces aquí,
mis raíces de subconsciencia vegetal,
porque mi ser ha sido humus:
tiene la piel quemada de corteza,
la saliva de jugo de fatiga,
las narices de zumo,
el pelo de pelo de nopal,
ya cabellera de cacique,
y todo el engranaje de los dientes
de risa de mazorca conseguida a favor de los tomillos,
la tímida hondonada y la honda de pita pendenciera!
¡Cortadme las raíces, las ramas y la sombra! 

Miguel Angel Asturias (Traduction de Claude Couffon - anthologie "Visages de l'Amérique latine", textes réunis par Poeta Tristan)


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