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15 mai 2009

Andrée SODENKAMP, Philippe SOUPAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Andrée Sodenkamp (1906-2004), pour l'état-civil Maud-Andrée Sodenkamp, est une poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp ("C'est au feu que je pardonne", André de Rache, Bruxelles, 1976)

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La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp ("Poèmes choisis", Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, Bruxelles, 1998)

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Terre (passage)

Sur mon pays, jadis, la forêt allait, dit-on, de son pas d'arbres, nonchalamment. Aujourd'hui il ne reste ici qu'une terre en gésine de blé, aussi triste qu'une bête domestique.
Je rêve parfois à cette forêt ancienne, qui viendrait pendant la nuit, prendre ma maison dans sa cage verte et je me réveille entre ses oiseaux suspendus
.
O triste terre, veuve d'arbre, te souviens-tu de ta robe d'épouse, de tes yeux d'ombre ... du passage léger d'un faon sur ton argile attentive ?
[...]

 

Andrée Sodenkamp ("Sainte terre", Librairie des Lettres, 1954)



Philippe Soupault (1897-1990) est un poète et romancier surréaliste . Il a appartenu au mouvement Dada (voir André Breton). Il est l'auteur avec André Breton du premier grand texte surréaliste : Les Champs magnétiques, et comme lui, il s'est éloigné du Mouvement surréaliste qu'il avait contribué à fonder.

Pleine Lune

J’ai ouvert ma fenêtre
et la lune m’a souri
J’ai fermé ma fenêtre
et j’ai entendu un cri
J’ai ouvert ma fenêtre
pour voir tomber la pluie
Et comme c’était dimanche
je me suis rendormi

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)



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15 mai 2009

Jules SUPERVIELLE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jules Supervielle, poète franco-uruguayen de langue française, est né en 1884 à Montevideo, et il est mort à Paris en 1960.
Il a partagé son existence entre deux pays, deux continents, d'où lui vient peut-être cette approche du monde.

..."L'étoile dit : je tremble au bout d'un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d'exister."

Je caresse la mappemonde

Je caresse la mappemonde
Jusqu'à ce que sous mes longs doigts
Naissent des montagnes, des bois,
Et je me mouille en eau profonde
Des fleuves, et je fonce avec eux
Dans l'océan vertigineux
Débordant de partout mes yeux
Dans la fougue d'un autre monde.

Jules Supervielle (poème et citation empruntés à "Poèmes pour les jeunes du temps présent" - Jacques Charpentreau - Les Editions Ouvrières - 1974)

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Le passage de ce poème pourrait être avantageusement titré "Oiseau des Îles" :

Le petit bois

J’étais un petit bois de France
Avec douze rouges furets,
Mais je n’ai jamais eu de chance
Ah ! que m’est-il donc arrivé ?

Je crains fort de n’être plus rien
Qu’un souvenir, une peinture
Ou le restant d’une aventure,
Un parfum, je ne sais pas bien.

Ne suis-je plus qu’en la mémoire
De quelque folle ou bien d’enfants,
Ils vous diraient mieux mon histoire
Que je ne fais en ce moment.

Mais où sont-ils donc sur la terre
Pour que vous les interrogiez,
Eux qui savent que je dis vrai
Et jamais je ne désespère.

Mon Dieu comme c’est difficile
D’être un petit bois disparu
Quand on avait tant de racines. (1)
Comment faire pour n’être plus ?

Jules Supervielle (""1939-1945", Collection Blanche, éditions Gallimard, 1945 et "Le lac endormi et autres poèmes" de  Jules Supervielle,  illustré par Charlotte Labaronne, Gallimard jeunesse / Enfance en poésie) -  (1) En l'absence de ponctuation à la fin de ce vers, nous avons placé un point. C'est évidemment discutable !

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Elle lève les yeux

Elle lève les yeux et la brise s'arrête,
Elle baisse les yeux, la campagne s'étend,
Elle tourne la tête une rose se prend
Au piège et la voilà qui tourne aussi la tête
Et jusqu'à l'horizon plus rien n'est comme avant
.

Jules Supervielle ("Naissances" dans "Naissances, suivi de En songeant à un art poétique", La Pléiade - Gallimard, 1951)

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Le passage de ce poème pourrait être avantageusement titré "Oiseau des Îles" :

Une étoile tire de l'arc (passage, fin du texte)

[...]

Oiseau des Îles outreciel
Avec tes nuageuses plumes
Qui sais dans ton coeur archipel
Si nous serons et si nous fûmes,

Toi qui mouillas un jour tes pieds
Où le bleu des nuits a sa source,
Et prends le soleil dans ton bec,
Quand tu le trouves sur ta course,

La terre lourde se souvient,
Oiseau, d'un monde aérien,

Où la fatigue est si légère
Que l'abeille et le rossignol
Ne se reposent qu'en plein vol
Et sur des fleurs imaginaires.

Une étoile tire de l'arc
Perçant l'infini de ses flèches
Puis soulève son étendard
Qu'une éternelle flamme lèche,

Un chêne croyant à l'été
Quand il n'est que l'âme d'un chêne
Offre son écorce ancienne
Au vent nu de l'éternité
.

Jules Supervielle ("Gravitations", Poésie/Gallimard, 1994)



15 mai 2009

Hamid TIBOUCHI, Henri THOMAS, Paul-Jean TOULET - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Hamid Tibouchi, poète de langue française, est né en 1951 en Algérie. Il vit en France depuis 1981.

La rouille (titre proposé)

La rouille gagne le paysage
le vent petit à petit y a déposé
        les germes il y a longtemps
depuis, la rouille a fait son
        chemin
C'est incroyable, hier surtout il a rouillé
        toute la nuit
et le paysage a complètement
        changé de visage
bientôt les maisons, rouillées,
        s'écrouleront
les arbres aussi et les hommes
        les tombes les pierres et tout
bientôt il n'y aura plus de
        paysage

Hamid Tibouchi ("Il manque l’amour", Éditions de l’Orycte, Sour-el-Ghozlane, 1977)



Henri Thomas, (1912-1993) publie ses premiers poèmes en janvier 1938 dans le premier numéro de la revue littéraire Mesures. C'est un poète, romancier, qui a également traduit des textes de l(allemand (entre-autres l'écrivain Ernst Jünger).  En 1970, il obtient le prix Valéry Larbaud pour l'ensemble de son œuvre. Il fonde en 1978 la revue de poésie Obsidiane.

Hiver

Il est un torrent de neige
À l’intérieur de la ville,
Quelquefois un homme espère,
Dans la blancheur paraît une île,
Ainsi s’éclaire la Terre.

Sous l’arche recomposée
De sa vie, le torrent passe,
Lui, il se jette à la nage,
Il se brise au frais pilier
Dans le flot qui se partage,

La ville reste éclairée
D’un vestige de blancheur.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)

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Novembre

Le soleil pâle
T'a quitté
Mais les nuages
T'ont bercé
Pauvre village
Isolé
Tes arbres, tes
Maisons noires,
L'étoile basse
D'une lampe
Et la veillée
Et l'attente.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)

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Message du bonhomme de neige 

Le bonhomme de neige avant de fondre dit
à l'heure où la barque pose
son flanc sur le sable tiède,
à l'heure des beaux toits d'or,
tambourins de la lumière,
à l'heure des souvenirs,
des voyages terminés,
soudain, j'accusai le jour
et querellai la lumière ;
or mon châtiment fut prompt :
où suis-je, où suis-je, criai-je,
ô douleur en chaque membre,
ô blancheur insupportable,
cependant qu'autour de moi ce village, mon exil,
naissait dans le cirque blanc,
cependant que tous mes cris devenaient corbeaux
méchants,
et moi bonhomme de neige.

Henri Thomas ("Nul désordre", Gallimard, 1950)



Paul-Jean Toulet (1867-1920), écrivain, auteur d'articles littéraires et de pièces de théâtre est surtout connu pour ses poésies, avec le recueil "Les Contrerimes" (textes dispersés rasssemblés et publiés après sa mort, en 1921), dans lequel il réhabilite une forme poétique déjà expérimentée.

La "contrerime" est un poème court alternant des vers de métrique différente (en principe des octosyllabes et des hexasyllabes), aux rimes consécutives et alternées. Tiré de ce recueil, son poème le plus connu ci-dessous, n'obéit pourtant pas strictement à la règle :

En Arles * (titre proposé) (1)

                                   en Arles (2)

Dans Arle
(1) , où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
 Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
 Ton cœur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
         Au bord des tombes.

Paul-Jean Toulet ("Les Contrerimes", Éditions du Divan, 1921 ; régulièrement réédité en Poésie/Gallimard, depuis 1979) - (1) ce texte est le premier (il porte la lettre a) d'une suite de poèmes sous le titre général Romances sans musique, au chapitre Chansons du recueil - (2) c'est le texte original...  en Arles, est une indication de lieu, placée par l'auteur sous le titre. Il devient "Dans Arle" à l'attaque du premier vers du poème. On le propose parfois orthographié dans ce premier vers "Dans Arles" - avec "s", et même "En Arles", dans les éditions modernes.

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L'été (passages, titre proposé)

[...] Souvent, l’été, par la fenêtre d’en haut tournée au midi, de grand matin je regardais. D’abord, adossées à l’horizon, les lointaines Pyrénées, d’un bleu tendre - immédiatement contre, le parc de Pau, cachant les plans intermédiaires de sa colline aux sombres feuillages - puis dans le bas, jusqu’à la prairie d’en face, du brouillard - et enfin, notre jardin, éveillé par le soleil levant, plein de bourdonnement et de parfums, avec ses poiriers symétriques, ses allées de gazon, et sous moi une tonnelle de glycine aux fortes odeurs. Du côté gauche, la caserne envoyait parfois un chant de clairon. 

J’ai vu de beaux paysages depuis, de bien plus beaux paysages (s’il y a des degrés à la beauté toute subjective de la terre). Combien me sont demeurés aussi intenses, combien ont éveillé dans mon cœur cette ivresse presque dangereuse ou entraient pour causes ce parfum de glycine mêlé à la brise des Pyrénées, ces chants de clairon qui enflent la sensation de vivre, et le vague et la beauté dont les brouillards revêtent la terre ?

Mais tout ce charme s'évente à l'écriture, et mes paroles n'ont pas su faire revivre ces sensations d'enfance évanouies, fondues, comme la neige qui blanchissait alors les montagnes.
[...]
Le printemps à Bilhère pendant mon enfance, je me le rappelle singulièrement effervescent et plantureux. Il y avait surtout auprès de la fontaine des Marnières tout plein de bêtes bourdonnantes; beaucoup de fleurs et de papillons dans les prairies ; l'herbe était grasse, l'ombre épaisse : tout cela n'existe-t-il donc pas maintenant et ailleurs ?

Paul-Jean Toulet ("Journal et Voyages", Éditions du Divan, 1934 (posthume) - réédité dans ses Œuvres complètes, chez Robert Laffont, Bouquins, 1986)

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"les Contrerimes" (passages choisis dans le recueil, numérotation originale)


"Extrait des Contrerimes", premier chapitre (qui comporte 70 strophes-poèmes) 

[...]

40

L’immortelle, et l’œillet de mer
    Qui pousse dans le sable,
La pervenche trop périssable,
    Ou ce fenouil amer

Qui craquait sous la dent des chèvres,
    Ne vous en souvient-il,
Ni de la brise au sel subtil
    Qui nous brûlait aux lèvres ?

[...]

43

Ainsi, ce chemin de nuage,
    Vous ne le prendrez point,
D’où j’ai vu me sourire au loin
    Votre brillant mirage ?

Le soir d’or sur les étangs bleus
    D’une étrange savane,
Où pleut la fleur de frangipane,
    N’éblouira vos yeux ;

Ni les feux de la luciole
    Dans cette épaisse nuit
Que tout à coup perce l’ennui
    D’un tigre qui miaule.

[...]

49
...

J’aime mieux le subtil schéma,
    Sur l’hiver d’un ciel morne,
De ton aérien bicorne,
    Noble Foujiyama,

Et tes cèdres noirs, et la source
    Du temple délaissé,
Qui pleurait comme un cœur blessé,
    Qui pleurait sans ressource.

[...]

Ci-dessous, dans le même recueil, le passage 107 (il y en a 109) du chapitre "Coples" * - * couplets


107 (parfois titré "Dimanche")

C’est Dimanche aujourd’hui. L’air est couleur du miel.
Le rire d’un enfant perce la cour aride :
On dirait un glaïeul élancé vers le ciel.
Un orgue au loin se tait. L’heure est plate et sans ride.

Paul-Jean Toulet ("Les Contrerimes", Éditions du Divan, 1921)



15 mai 2009

Paul VALÉRY, Charles VAN LERBERGUE - Angèle VANNIER - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Valéry (1871-1945), est né et repose à Sète, comme Georges Brassens, dans le cimetière marin que l'un et l'autre ont mis en vers :

Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi, l'humble troubadour, sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne,
Et qu'au moins, si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien,
Et n'en déplaise aux autochtones.
Georges Brassens ("Supplique pour être enterré sur la plage de Sète")


Et le cimetière marin de Sète est le sujet d'un long poème, difficile, dont on ne trouvera ici qu'un court extrait .
la première strophe et la dernière sont les plus connues, et restent dans le thème du paysage :

Le cimetière marin (extrait)
 
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.
[...]
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

Paul Valéry ("Charmes", 1922)



Charles Van Lerberghe (1861-1907) est un poète et romancier belge de langue française. Le recueil le plus remarquable peut-être : La chanson d'Ève, 1904

Image 

Belle faucheuse, la nuit passe
Dans les champs du ciel, lentement.
Elle va, distraite et songeuse.
La lune est sa faucille d'argent,
Sa moisson blonde sont les étoiles.
Mais la faucheuse marche dans l'ombre ;
Seule, là-haut, sa claire faucille
Se voit qui court, éclate et brille,
Dans les champs,
Et de longs épis d'or tombent
Sur le terre, de temps en temps.

Charles Van Lerberghe ("Entrevisions, suivi de Poèmes posthumes" - éditions Crès et Cie, 1923)



Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



15 mai 2009

Émile VERHAEREN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Émile Verhaeren (1855-1916), poète belge flamand, est (très) présent sur le blog ICI. Si la page est déplacée (aléas du blog), c'est dans la catégorie Des POÈTES et de la POÉSIE. sa poésie lyrique est tour née vers la nature, et la défense des plaines de son pays, défigurées par "les villes tentaculaires" (voir ci-dessous le poème "la plaine" en fin de présentation).

Comme pour les autres textes qui suivent celui-ci, les passages en italique ne sont en principe pas proposés aux élèves d'élémentaire, mais comme toujours, à vous de voir...

Le chant de l'eau

L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa.

Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.

[...]

Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l'automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.
 

Émile Verhaeren ("Les blés mouvants", 1912) 

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Le port

Toute la mer va vers la ville !

Son port est surmonté d'un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.

Son port est pluvieux et suie à travers brumes,
Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d'amarres.

Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tournant dans l'air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !

Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous les nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s'invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d'or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l'heure où l'ombre emplit les soirs océaniques.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l'univers !

Dites ! les docks bondés jusques au faite
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d'éternité : marbres et bois,
Que l'on achète,
Et que l'on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu'il a fallu pour ces conquêtes.

Toute la mer va vers la ville !
La mer pesante, ardente et libre,
Qui tient la terre en équilibre;
La mer que domine la loi des multitudes,
La mer où les courants tracent les certitudes ;
La mer et ses vagues coalisées,
Comme un désir multiple et fou,
Qui renversent les rocs depuis mille ans debout
Et retombent et s'effacent, égalisées;
La mer dont chaque lame ébauche une tendresse
Ou voile une fureur ; la mer plane ou sauvage ;
La mer qui inquiète et angoisse et oppresse
De l'ivresse de son image.

Toute la mer va vers la ville !

Son port est parsemé et scintillant de feux
Et sillonné de rails fuyants et lumineux.

Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnent
D'un bruit souterrain d'eau qui s'enfle et ronfle en elles.

Son port est lourd d'odeurs de naphte et de carbone
Qui s'épandent, au long des quais, par des ruelles.
Son port est fabuleux de déesses sculptées
A l'avant des vaisseaux dont les mâts d'or s'exaltent.

Son port est solennel de tempêtes domptées
Et des havres d'airain, de grès et de basalte.
 

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895) - * "le bruit de l'eau" ou "s'en aller l'eau"  ? (cette variante, trouvée dans une anthologie, est en cours de vérification).

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À la gloire du vent

- Toi qui t'en vas là-bas,
Par toutes les routes de la terre,
Homme tenace et solitaire,
Vers où vas-tu, toi qui t'en vas ?

- J'aime le vent, l'air et l'espace ;
Et je m'en vais sans savoir où,
Avec mon coeur fervent et fou,
Dans l'air qui luit et dans le vent qui passe.

- Le vent est clair dans le soleil,
Le vent est frais sur les maisons,
Le vent incline, avec ses bras vermeils,
De l'un à l'autre bout des horizons,
Les fleurs rouges et les fauves moissons.

- Le Sud, l'Ouest, l'Est, le Nord,
Avec leurs paumes d'or,
Avec leurs poings de glace,
Se rejettent le vent qui passe.

- Voici qu'il vient des mers de Naple et de Messine
Dont le geste des dieux illuminait les flots ;
Il a creusé les vieux déserts où se dessinent
Les blancs festons de sable autour des verts îlots.
Son souffle est fatigué, son haleine timide,
L'herbe se courbe à peine aux pentes du fossé ;
Il a touché pourtant le front des pyramides
Et le grand sphinx l'a vu passer.

- La saison change, et lentement le vent s'exhume
Vêtu de pluie immense et de loques de brume.

- Voici qu'il vient vers nous des horizons blafards,
Angleterre, Jersey, Bretagne, Ecosse, Irlande,
Où novembre suspend les torpides guirlandes
De ses astres noyés, en de pâles brouillards ;
Il est parti, le vent sans joie et sans lumière :
Comme un aveugle, il erre au loin sur l'océan
Et, dès qu'il touche un cap ou qu'il heurte une pierre,
L'abîme érige un cri géant.

- Printemps, quand tu parais sur les plaines désertes,
Le vent froidit et gerce encor ta beauté verte.

- Voici qu'il vient des longs pays où luit Moscou,
Où le Kremlin et ses dômes en or qui bouge
Mirent et rejettent au ciel les soleils rouges ;
Le vent se cabre ardent, rugueux, terrible et fou,
Mord la steppe, bondit d'Ukraine en Allemagne,
Roule sur la bruyère avec un bruit d'airain
Et fait pleurer les légendes, sous les montagnes,
De grotte en grotte, au long du Rhin.

- Le vent, le vent pendant les nuits d'hiver lucides
Pâlit les cieux et les lointains comme un acide.

- Voici qu'il vient du Pôle où de hauts glaciers blancs
Alignent leurs palais de gel et de silence ;
Apre, tranquille et continu dans ses élans,
Il aiguise les rocs comme un faisceau de lances ;
Son vol gagne les Sunds et les Ourals déserts,
S'attarde aux fiords des Suèdes et des Norvèges
Et secoue, à travers l'immensité des mers,
Toutes les plumes de la neige.

- D'où que vienne le vent,
Il rapporte de ses voyages,
A travers l'infini des champs et des villages,
On ne sait quoi de sain, de clair et de fervent.
Avec ses lèvres d'or frôlant le sol des plaines,
Il a baisé la joie et la douleur humaines
Partout ;
Les beaux orgueils, les vieux espoirs, les désirs fous,
Tout ce qui met dans l'âme une attente immortelle,
Il l'attisa de ses quatre ailes ;
Il porte en lui comme un grand coeur sacré
Qui bat, tressaille, exulte ou pleure
Et qu'il disperse, au gré des saisons et des heures,
Vers les bonheurs brandis ou les deuils ignorés.

- Si j'aime, admire et chante avec folie
Le vent,
Et si j'en bois le vin fluide et vivant
Jusqu'à la lie,
C'est qu'il grandit mon être entier et c'est qu'avant
De s'infiltrer, par mes poumons et par mes pores,
Jusques au sang dont vit mon corps,
Avec sa force rude ou sa douceur profonde,
Immensément il a étreint le monde.
 

Émile Verhaeren (La multiple splendeur, 1906)

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Voici un des nombreux plaidoyers de Verhaeren pour la nature. De ce long poème tiré du recueil "les villes tentaculaires", on pourra proposer tout ou partie des passages qui ne sont pas en italique, ou le poème entier suivant le niveau de la classe et le projet (étude, récitation, commentaire...), en considérant que ce texte est "exploitable" de préférence au collège ou au lycée.

La plaine

La plaine est morne, avec ses clos, avec ses granges
Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
La plaine est morne et morte - et la ville la mange.

Formidables et criminels,
Les bras des machines diaboliques,
Fauchant les blés évangéliques,
Ont effrayé le vieux semeur mélancolique
Dont le geste semblait d'accord avec le ciel.

L'orde fumée et ses haillons de suie
Ont traversé le vent et l'ont sali :
Un soleil pauvre et avili
S'est comme usé en de la pluie.


Et maintenant, où s'étageaient les maisons claires
Et les vergers et les arbres parsemés d'or,
On aperçoit, à l'infini, du sud au nord,
La noire immensité des usines rectangulaires.

Telle une bête énorme et taciturne
Qui bourdonne derrière un mur,
Le ronflement s'entend, rythmique et dur,
Des chaudières et des meules nocturnes ;

Le sol vibre, comme s'il fermentait,
Le travail bout comme un forfait,
L'égout charrie une fange velue
Vers la rivière qu'il pollue ;
Un supplice d'arbres écorchés vifs
Se tord, bras convulsifs,
En façade, sur le bois proche ;

L'ortie épuise au coeur les sablons et les oches,
Et des fumiers, toujours plus hauts, de résidus
- Ciments huileux, plâtras pourris, moellons fendus -
Au long de vieux fossés et de berges obscures
Lèvent, le soir, des monuments de pourriture.

Sous les hangars tonnants et lourds,
Les nuits, les jours,
Sans air ni sans sommeil,
Des gens peinent loin du soleil :
Morceaux de vie en l'énorme engrenage,
Morceaux de chair fixée, ingénieusement,
Pièce par pièce, étage par étage,
De l'un à l'autre bout du vaste tournoiement.
Leurs yeux sont devenus les yeux de la machine ;
Leur corps entier : front, col, torse, épaules, échine,
Se plie aux jeux réglés du fer et de l'acier ;
Leurs mains et leurs dix doigts courent sur des claviers
Où cent fuseaux de fil tournent et se dévident ;
Et mains promptes et doigts rapides
S'usent si fort,
Dans leur effort

Sur la matière carnassière,
Qu'ils y laissent, à tout moment,
Des empreintes de rage et des gouttes de sang.

Dites ! L'ancien labeur pacifique, dans l'Août
Des seigles mûrs et des avoines rousses,
Avec les bras au clair, le front debout,
Quand l'or des blés ondule et se retrousse
Vers l'horizon torride où le silence bout.

Dites ! Le repos tiède et les midis élus,
Tressant de l'ombre pour les siestes,
Sous les branches, dont les vents prestes
Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus.
Dites, la plaine entière ainsi qu'un jardin gras,
Toute folle d'oiseaux éparpillés dans la lumière,
Qui la chantent, avec leurs voix plénières,
Si près du ciel qu'on ne les entend pas.

Mais aujourd'hui, la plaine ? - Elle est finie ;
La plaine est morne et ne se défend plus :
Le flux des ruines et leur reflux
L'ont submergée, avec monotonie.


On ne rencontre, au loin, qu'enclos rapiécés
Et chemins noirs de houille et de scories
Et squelettes de métairies
Et trains coupant soudain les villages en deux.

Les Madones ont tu leurs voix d'oracle
Au coin du bois, parmi les arbres ;

Et les vieux saints et leurs socles de marbre
Ont chu dans les fontaines à miracles.

Et tout est là, comme des cercueils vides,
- Seuils et murs lézardés et toitures fendues -
Et tout se plaint ainsi que les âmes perdues
Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide.


Hélas ! La plaine, hélas! Elle est finie!
Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus.
La plaine, hélas ! Elle a toussé son agonie
Dans les derniers hoquets d'un angélus.

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895)



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15 mai 2009

Paul VERLAINE, Anne VERNON, Gabriel VICAIRE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. On pourra consulter ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Dans l'interminable ennui de la plaine
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
.

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
 
Ô bien-aimée.
 
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
 
Rêvons, c'est l'heure.
 
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
 
C'est l'heure exquise
.

Paul Verlaine ("La bonne chanson", 1872)

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Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si beau, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
 
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
 
-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine ("Sagesse", 1880)

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Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.

Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêve,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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 Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres
.

Paul Verlaine ("Fêtes galantes", 1869)

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L'heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leur spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,
Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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Promenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars, entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)



Anne Vernon, poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars, paysages intimes :

 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Gabriel Vicaire (1848-1900), poète du plaisir de vivre, a passé son enfance dans la Bresse. Il se souvient ici d'un matin de neige dans cette région de l'est de la France :

Matin de neige

Quand j'ouvris ma fenêtre, oh ! quel enchantement !
De la neige partout avec un soleil rose !
Une indicible paix était en toute chose ;
On eût cru voir rêver la Belle au bois dormant.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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Paysage

Il est charmant ce paysage,
Peu compliqué, mais que veux-tu ?
Ce n'est qu'une mer de feuillage,
Où, timide, à peine surnage
Un tout petit clocher pointu.
Au premier plan, toujours tranquille,
La Saône reluit au matin.
Par instants, de l'herbe immobile
Un bœuf se détache et profile
Ses cornes sur le ciel lointain.
Et moi, distrait à la fenêtre,
Je regarde et n'ose parler.
À quoi je pense ? A rien peut-être.
Je regarde les vaches paître
Et la rivière s'écouler
.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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La Mer

(passages)

I

Entre les durs rochers qui bordent le ravin
J’ai vu monter au ciel l’éblouissante aurore ;
La face de la mer était d’un bleu divin.

D’une brume idéale enveloppée encore,
La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant,
Au soleil matinal dont le feu la colore.

[…]

II

[…]

Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin
Glisse nonchalamment la flotille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées.
Elles vont. Leur gaité s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fer ;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

[…]

III

[…]

IV

Ô mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de la tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.

[…]


Gabriel Vicaire ("Au pays des ajoncs", Librairie H. Leclerc, 1901 - publication postume)

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Clairs de lune

(première partie)

I

Ô perle du monde,
Délices des cieux !
Lune aux jolis yeux,
Lune rose et blonde,

Belle au cœur changeant,
Dame de mon rêve,
Dont le vent soulève
Les tresses d’argent,

Par delà les saules
A demi dans l’eau,
Derrière un bouleau
J’ai vu tes épaules,

Dans un halo d’or,
Ta forme hautaine
Apparaît lointaine,
Indécise encor.

Et puis elle passe,
Lente, sur les prés.
Tes cheveux cendrés
Parfument l’espace.

En sa douce fleur,
Ta gorge ressemble
A l’oiseau qui tremble
Devant l’oiseleur.

Où ton doigt se pose,
Frêle papillon,
S’envole un rayon,
S’entr’ouvre une rose.

Ta beauté soudain
Resplendit sans voiles.
Des claires étoiles
Pâlit le jardin.

L’étang qui s’allume
Berce ton corps blanc,
Ton corps nonchalant,
Tout fleuri d’écume.

Est-ce le grand four
Ou la jeune aurore
Qui charme et colore
Les blés d’alentour ?

Ô nuit toute blanche,
Nuit d’enchantements !
De purs diamants
Sont à chaque branche !


Gabriel Vicaire ("L'Heure enchantée" - 1884 ; éditions A Lemerre, 1890)



15 mai 2009

Gilles VIGNEAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gilles Vigneault est né en 1928. C'est un poète et un chanteur (auteur-compositeur-interprète). Voir ici sur le blog un autre texte : J'ai pour toi un lac. On lira aussi le texte de la chanson : "Les gens de mon pays", ici : PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde).
Certains termes ou expressions sont particulières au français du Québec, on les reconnaîtra au passage.

Mon pays

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m'en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers

Gilles Vigneault (paroles et musique, 1964) - chanson écrite, paroles et musique, pour le film "La Neige a fondu sur la Manicouagan" (1965).



15 mai 2009

Charles VILDRAC - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Charles Vildrac (1882-1971), a écrit des pièces de théâtre, des contes pour enfants (avec des personnages que de nombreuses générations d'élèves ont forcément rencontré dans les manuels de lecture scolaire, du CE1 au CM2 : Bridinette, 1935 ; Poucette, 1936 ; Amadou le Bouquillon, 1951). C'est également un poète (son premier ouvrage est "Livre d’amour", 1910. Il a présidé le jury du Prix Jeunesse et un prix de poésie porte son nom.

On aimerait que cette "petite maison" ne soit pas seulement le souvenir nostalgique d'une époque révolue :

La petite maison

Sur le versant de la montagne,
À mi-hauteur, on aperçoit
Une petite maison toute seule.
D'ici, elle semble accrochée
À un pan de muraille nue,
Et le soir, on voit sa lumière
Agoniser sous le poids de la nuit.

- Ah ! comment peut-on vivre là ?
T'exclames-tu en frissonnant.
Moi, je ne connais pas l'endroit
Mais je sais bien que la montagne
N'a pas, pour qui gravit ses pentes,
Ce visage fermé qu'on voit de loin.

Moi, je sais bien qu'elle est vêtue
De fenouil, de myrte et de menthe,
De romarin, de lavande et de thym ;
Et que sa cime se recule
À mesure qu'on va vers elle
Et que son flanc parfois se creuse
Offrant un sûr et calme asile.

Je sais qu'il y a un mûrier,
Des amandiers, des pins, des chênes,
Un tapis d'herbe et deux chevrettes
Derrière la petite maison.

Et devant elle, une terrasse
Avec son banc et sa table de pierre
Où des gens, après leur travail,
Dans l'air doré du crépuscule,
Boivent frais le vin de leur vigne.

Charles Vildrac ("Le livre d’amour", Nouvelle Revue Française, 1910 - réédité chez Seghers en partenariat avec les Éditions le Temps des Cerises, 1979)



15 mai 2009

Paul VINCENSINI, Renée VIVIEN, Alexandre VOISARD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Vincensini, qui se disait archiviste du vent, est né en 1930. Il a disparu en 1985, mais vous le trouverez encore à cette adresse .

"Quand je dis "archiviste du vent", je parle non de titre honirifique mais de fonction.
Il me faut préciser cependant qu'étant déjà - et de longue date - affecté à la Poussière, les multiples tâches que cela implique font que je ne suis mis à la disposition du vent qu'à titre de vacataire
 [...].  Je m'y suis formé à l'École des Mouches. [...] "

Paul Vincensini

Ses recueils sont pour la plupart aujourd'hui épuisés, mais la presque totalité de ses textes est rassemblée dans l'ouvrage qui reprend le titre de l'un de ses recueils : "Archiviste du vent", au cherche midi éditeur (première parution en 1986).

L'humour de Paul Vincensini est souvent noir, voire désespéré, et grinçant, mais toujours proche et imagé. Les quelques textes choisis ici nous semblent parmi les plus adaptés au thème et aux élèves. "Archiviste du vent" est à se procurer (autour de 10 € en librairie, et 160 pages de poèmes), pour dénicher d'autres textes selon vos projets et mesurer la diversité de l'humour de son auteur.

La plupart des poèmes qui suivent ne sont pas titrés. Les titres sont proposés par le blog :

Le champ de blé

Ne réveillez pas ce grand champ de blé né de mon souffle.

Paul Vincensini ("Le point mort" - Éditions Chambelland, 1969)

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On se reconnaîtra peut-être dans les paysages de Paul Vincensini, familiers et vivants :

Le vent

Le vent seul
Fait ce qu'il est
Ce qu'il veut
Le vent qui fait commerce à la criée
D'herbes noires
Et de pierres brûlées

Paul Vincensini ("Archiviste du vent" poème inédit - Le cherche midi éditeur, 1986)

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L'ombre est bleue (c'est le titre du recueil)

Ce chemin bleu dans l'ombre
Etait si beau
Que je t'ai gardée en souvenir de lui

Paul Vincensini ("L'ombre est bleue", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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Le chemin 

Attention Promeneurs Danger
Le chemin se tourne sur le côté
Et dort à poings fermés

Contre le flanc de la colline

Paul Vincensini ("Le chemin des oiseaux", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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L'arbre

Par la violence de son vertige
L'arbre a jailli du sol vaincu
Dans l'air où les oiseaux pleuraient

Une fleur au travail
Une abeille au galop
Un couteau dans son poitrail
Le sang du cheval blanc coule au trot

La chaleur arrondit la montagne
Mais glisse sur le tronc de l'arbre
Les feuilles et les tiges
Comme caillou dans la main

Une rivière suffit au rocher
Pour qu'il devienne enfant

La nuit le vent peuple l'arbre
De vieilles femmes aux dessous blancs
Mais à l'aurore ce sont déjà des fleurs
Qui se travaillent en fruits

Tout oiseau qui a touché à l'arbre
Doit mourir de son chant
Ses poussières et son chant
restent propriété de l'arbre

Paul Vincensini ("Des paniers pour les sourds" - Éditions Chambelland, 1969)

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Moisson

Dans un champ de blé
Avance une chevelure
Qui lui ressemble
Celle qui la porte
N'a d'yeux que pour les oiseaux
Qui fuient à son approche
Et moi
Je ne vois qu'elle

Paul Vincensini ("De bleu et d'ombre" - Éditions St-Germain-des-Prés)

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Petite nuit

Quand il fait nuit
La nuit se prend dans ses bras
Et dort sur son épaule
Comme un lilas

Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" - Collection "L'enfant la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)

Le vent

La nuit
Il y a des arbres
Où le vent s'arrête
Sans bruit, se déshabille
Et au matin les gens de la vallée
Disent avec un sourire
Cette nuit le vent s'est calmé

Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" - Collection "L'enfant la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)

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Plein ciel

L'oiseau seul
A tout le ciel
Pour s'étirer dans tous les sens

Paul Vincensini ("Quand même", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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Moi au printemps j'ai tout 

Moi j'ai tout en même temps
A ma petite fenêtre
Les genêts les oiseaux

 
Les coquelicots
 
Et la lune
 

Paul Vincensini ("Toujours et Jamais", Culture et pédagogie, Grignan, 1982)

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Hiver

Le vent d’hiver dérange tout
Les Poisseaux
Les Oisons
La rivière dans les arbres
Le froid fait peur à tout le monde
Mais au coeur de la pierre
Il fait chaud
Et on entend une musique

Paul Vincensini ("Pour un musée des amusettes" - L'École des Loisirs, 1976)



Renée Vivien (1877-1909), née de mère américaine et de père anglais, a écrit toute son oeuvre en français. C'est une poète parnassienne (théorie de l'art pour l'art excluant à priori tout lyrisme et sentimantalisme excessif). Théorie avec laquelle elle aura pris ses distances, en femme libre et amoureuse.

Ses paysages sensuels s'habillent de couleurs et adoptent les formes féminines des amoureuses, présentes ou évoquées dans chacun des poèmes de ses recueils  :

Roses du soir

Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses poussières roses...

Des roses sur la mer, des roses dans le soir.

Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...

Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !

Renée Vivien ("Évocations", 1903 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)

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Chanson

Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des jacinthes,
Des iris et des cyclamens.

Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L’effleurement blanc de tes doigts.

Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007) 

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Les Arbres

Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.

Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s'incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne.

Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,
S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.

Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)

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À la bien-aimée
 
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys,
Ma cassolette d’or et ma blanche colonne,
Mon parc et mon étang de roseaux et d’iris.

Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma palme
Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air,
Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme,
Et mes algues et mes paysages de mer.

Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,
Mon île fraîche et ma secourable oasis …
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys.

Renée Vivien ("À l’heure des mains jointes", éditions Alphonse Lemerre,1906)



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, et Alexandre Voisard ci-dessous.

Alexandre Voisard, poète et écrivain, est né en 1930 à Porrentruy, dans le Jura suisse. Il vit aujourd'hui dans le Jura français, juste de l'autre côté de la frontière. Il a obtenu le Prix de poésie Max Jacob en 1996 pour son recueil Le repentir du peintre (éditions Empreintes). L'un des derniers ouvrages en date est Fables des orées et des rues, (éditions Bernard Campiche, 2003).

Écrit sur un mur (titre du recueil, début et passages)

L’amour a les cheveux du monde, la voix de tous les jours, et les flèches du soleil. Il court quand il veut, si les saisons de miel s’arrêtent de tourner ou si la folie monte la garde aux carrefours. L’amour s’as- sied où il peut, sur les murs de la mélancolie ou sur les chevaux maigres de la pluie. L’amour ne voit pas ce qu’il fait, il caresse les rivières et bâtit son aurore à midi. L’amour s’endort sur les clous des étoiles. L’amour n’a pas de nom.

[...]

L’amour fera le tour de la terre sur un grand cheval en roses rouges, apprendra à connaître la flore de chaque pays et ouvrira les brèches dans les murailles du vent. Des petits oiseaux gris et curieux le suivront sur les océans avec de la douceur au coin de l’œil. L’amour descendra lentement hors des jour- nées d’avril et il fera le tour du monde sur une rose rouge.

[...]

Je n’ai pas chanté les rivières et les épines du monde pour qu’on croie à ma folie. J’ai souffert quelque fois de l’atrocité de mes mains pâles en face du soleil. J’ai crié souvent à cause de la solitude qui ne m’apportait pas le fruit tant attendu de l’amour et du temps. J’ai chanté pour qu’on me reconnaisse entre les millions d’amoureux. Ce que je chante et que je cherche, je le trouverai peut-être pendant la fête humide du sommeil.

Je marcherai longtemps sous les rues des étoiles, avec des pas serrés sur la croix de la nuit. Je ne pourrai pas croire à la multiplication des jours et les anges glacés de la solitude glisseront doucement contre les parois du vent. Mon regard naîtra comme une perle avec l’habitude de l’aube. Que de jours sans blessure à jeter encore à la mer !

Le printemps n’est pas ce jeu de hasard et d’amour où le soleil exerce ses ongles sur l’ardoise. Pourquoi faut-il tant de courage pour s’abaisser vers le rosier maigre des secrets? Le printemps n’entre pas dans la forêt des hommes, il marche très lentement entre les ruisseaux ouverts. Que se dresse enfin l’ombre, faisant crier l’écorce, qu’une main plonge au profond du printemps, où gît tant d’or timide et sans raison.

Que ferons-nous si le printemps s’arrête de tourner autour de nous et si l’oiseau du temps quitte soudain nos épaules ? Comme tout serait facile si les rideaux s’ouvraient sur une cage toute neuve au coin du paysage de verre. Un seul pas à marquer dans le sable délicat. Un seul pas, et ce n’est pas le pire de nos jeux d’enfants tristes.

[...]

Tous ils viennent s’accouder à cette fenêtre rose. Les paysages qu’on voit de là-haut n’ont aucune histoire et ne ressemblent à aucun paradis: on ne voit que les arbres du silence, debout et pantelants de solitude, à bout de souffle. Quelquefois aussi on voit les oiseaux de la mer qui cherchent les petites îles où mourir.

[...]

Plus qu’un seul oiseau à attendre dans la haie. Celui-là aura le plus beau chant et viendra se poser à côté de la dernière rose. Il aura traversé tous les déserts et connu toutes les sortes de sable. Il ne craindra pas les grèves déchirées où nos rêves prenaient contact avec l’océan et les parfums des îles. Tous les chèvrefeuilles le salueront et la pluie n’aura plus à se baisser pour rencontrer son front.
[...]

Alexandre Voisard ("Écrit sur un mur", Éditions du Provincial, Porrentruy - Suisse, 1954)

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La quasi totalité des extraits proposés ci-dessous, jusqu'à la fin du paragraphe consacré à Alexandre Voisard, ont été empruntés au site de son éditeur, qui a la générosité de les mettre en ligne. D'autres textes non reproduits sur ce blog sont visibles ici (copier-coller le lien dans un navigateur) :

http://www.campiche.ch/

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Le muguet perdu  (première partie)

Nous avions arpenté la forêt insoucieusement tout l'après-midi, sur des sentiers de framboisiers, quand à l'orée d'une clairière la présence odorante d'une touffe de muguet nous étreignit. Nous fîmes un petit bouquet de cette fleur si belle, que nous connaissions un peu pour l'avoir rencontrée une seule fois dans quelque jardin très châtié. Quelle surprise heureuse nous réservions à maman et quelle joie en nous aussitôt tandis que, vautrés parmi les aspérules et grisés de tant de parfums, nous dévorions notre part de brioche ! Plus tard, à l'instant de pousser la lourde porte d'entrée de la demeure familiale, l'un de nous s'écria : "On a oublié le bouquet..." Consternés, nous retournâmes sur nos pas jusqu'à la haie qui avait hébergé notre agape. Nous eûmes beau fouiller et refouiller le sous-bois en tous sens avec des yeux d'épervier, le muguet resta introuvable. S'était-il enfui ?

[...] 

Alexandre Voisard (recueil "Le Muguet perdu", inclus dans "Sauver sa trace", Éditions Bernard Campiche, 2000)

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Certaines des "Fables des orées et des rues", qui suivent, surprendront le lecteur par l'audace du propos, et au détour d'une phrase par la rencontre abrupte d'un terme choisi. Il faudra veiller à la présentation de ces petites histoires, mais d'évidence, elles ne sont pas destinées à un trop jeune public :

L'artiste à l'œuvre 

De bas en haut
celui qu'on nommait l'Artiste
a léché l'étendard de la survie
de long en large
il en a baisé tous les ourlets
dans le désarroi des oiseaux migrants
il s'en remet pour l'avenir
aux liturgies de la flore
aux jurisprudences de la faune
grâce auxquelles le papier ne tremblera
plus sous le crayon insurgé. 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Légende des ingénieurs

Ils effacent les montagnes
ils enfouissent les collines
ils exilent fleuves et ruisseaux
à chacun ils assignent son lit
ils n’entendent que d’une oreille
et ne parlent que leur jargon lourd
ils ne sont pas innombrables
et pourtant on ne les recense pas
comme les honnêtes trafiquants de foire
adressez-leur un compliment
ils vous tendent l’autre joue
ils ont refait le monde.
 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Le pasteur égaré

Tandis que son troupeau halète
aux abords de ruisseaux en déroute
le bon pasteur qui n’est saint qu’en légende
s’enivre à même le pin de parfums de résine
perd son chemin comme le firent les eaux
on ne s’étonne guère de voir dans les villes
errer toujours plus d’orphelins et de hères
toquer de la corne à la lucarne de nos livres
inondés de larmes anonymes.
 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Un goûter à l'orée

Nous voici réfugiés sous les sapins
piquant le lard avec la mie
pendant que nous pensons à toute autre chose
par exemple à ce qui se passe
en haut dans le bordel des nids
et que récompense la foudre
jusqu’en bas dans la débâcle des racines
tandis que nous frottons la graisse sur nos dents
non nous ne songeons à rien d’autre
n’imaginant même pas le prochain orage
se levant dans nos ventres surpris
. 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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La première partie des "Carnets & chroniques" d'Alexandre Voisard porte un joli titre : "Au rendez-vous des alluvions", brèves notes datées d'observation, de poésie et d'humour, qui se rapprochent des poèmes courts, tankas et haïkus. Le découpage est en principe celui des textes originaux. En voici un choix difficile (il n'y a dans ce livre rien à jeter), pour rester dans le thème : 

Au rendez-vous des alluvions (extraits choisis par le blog)

Première neige dans le voisinage, petite tache jaune
timide. Surprise : une renoncule, qui n’est tout de
même jamais précoce, égarée dans le temps, prenant
dans l’almanach champêtre la place de la pâquerette.
9/3/87

Neige sur les arbres en fleurs. Dans la giboulée, on
ne distingue plus les pétales blancs qui se confondent
avec la neige, tout étant emporté d’un seul
mouvement par le vent.
3/5/87

Passage de grives auxquelles la contrée convient.
Mauvis et litornes campent depuis près de deux
semaines. Éclairs blancs, éclats roux dans la grisaille
des brumes et des haies.
27/12/89

Les fautes d’accord du merle, sur le coup de trois
heures, font sursauter les feuilles du cerisier. Même
si la brise ne s’y mêle qu’à peine…
27/6/92

Le bai tout frais du chevreuil ranime dans mon oeil
une gamme oubliée.
28/6/92

Débusquée, arrachée à son humus, la chanterelle ne
chante plus. Oh mais comme ses lamelles d’or irradient
dans ma paume…
29/6/92

Le rouge du sureau, au-dessus de la mer des orties,
braille et fait tache.
30/6/92

L’épervier au fond de la forêt se fait ermite. Mangera-t-il ?

Je l’ai vu sombre et impassible.
1/7/92

Si le coudrier te gifle au passage, garde ton sangfroid,
n’insulte pas la forêt. Fais comme si le nuage
venait te souhaiter le bonjour.
6/7/92

Quoi qu’insinue l’ombre de l’épervier, l’alouette ne
choisit pas entre la terre et le ciel.
7/7/92

La transparence d’un chant d’oiseau à elle seule fait
la légèreté du ciel et la liberté de l’air.
11/7/92

Le soir s’ankylose jusqu’à s’empourprer de confusion :
c’est ainsi qu’il te raille.
17/7/92

Que de chemins perdus sous l’entêtement des
feuilles mortes. Que d’allées et venues niées par les
tassements !
31/7/92

Une bonne bise (ici on la dit bonne par antiphrase,
pour signifier son intensité) fait taire les rumeurs les
plus têtues, dans les fourrés comme dans les cimes.
5/8/92

Plus la mûre se fait belle, plus l’épine est méchante …
24/8/92

L’arbre en plein champ
qui si longtemps
nous dansa sur le ventre
n’est plus qu’une tache
dans la brume
tempi passati.
7/10/92

J’avais appris à parler au pré. Je parlais herbe comme
une langue vivante. Aujourd’hui c’est la bise qui me
répond, par vociférations et huées.
12/10/92

Plus son ombre s’amoindrit, plus le chêne me tance,
infiniment. Qu’y puis-je, ô roi de la forêt ?
15/10/92

Merle aux rameaux
prend des airs
merle et demi
fait des trous
dans les pommes.
16/10/92

La sirène de midi
jusqu’au fond des bois
au fond de toi
réveille des tumultes
rabroue les oiseaux plaintifs.
1/11/92

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Dans le tome IV des Poésies d'Alexandre Voisard, toujours aux Éditions Bernard Campiche, qui édite ainsi l'œuvre complète de l'auteur, on trouve le recueil "Le Déjeu", dont voici deux passages :

[...]

La longue nuit soupçonneuse
en a fini de dévorer
toute pensée hivernale
l’ancêtre n’ira plus aux bois
que pour peser les dernières ramilles
à l’aune de ce filet de mémoire
qui le tient encore d’aplomb
prêt à inaugurer chaque renouveau
d’un coup de langue leste
à l’arête du bourgeon échoué
en sa main
.

[...]

L’arbre que terrasse la tempête
ne dit ni hélas ni merci
il s’allonge sur son secret
à son mystère il donne congé
l’au-delà convient aux fuyards
tout est bien.

Alexandre Voisard ("Le Déjeu", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 

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Encore dans le tome IV des Poésies, le recueil "Louange à qui rêve debout" :

Solitaire au bout du rameau
tremble la tendre feuille
elle est à la fois
le commencement
et l’achèvement
et c’est pourquoi
elle ne se dérobera pas
à l’insulte et aux morsures
de qui se croit
immortel
.

[...]

Une fois le jour
accoudé à la colline
tu deviseras avec le merle
tu verras l’air
s’empourprer de mots rares.

[...]

Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.

[...]

Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.

Alexandre Voisard ("Louange à qui rêve debout", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 

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Et toujours dans ce tome IV des Poésies, des passages de "Papiers dans la fente du mur" :

(avant l’orage, après des vocalises)

À peine l’homme sauvage
a-t-il tourné la tête
que le vent d’occident
revient sur ses pas
insultant le sable et la paille
raillant les joyeux présages
d’une saison qui tourne à l’aigre
comme l’amanite sous ses masques.
 

[...]

L’ombre et la lumière
ne jouent pas l’une contre l’autre
fortune et infortune
il suffit d’un nuage prédateur
pour que s’allume
au noir du noyau de charbon
l’intuition astrale
d’une possible parole.

[...]

(Marcher à côté du chêne
n’accélère pas la course
du lierre sur l’écorce
mais la sandale s’use
de sabbat en sabbat
sous la verdure débordante.)

Alexandre Voisard ("Papiers dans la fente du mur", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 


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