"L'autre" - Georges-Emmanuel Clancier
Georges-Emmanuel Clancier, né en 1914, est un écrivain romancier, poète, critique littéraire, journaliste (presse écrite et radio).
Son grand roman en plusieurs tomes, Le pain noir (éditions Robert Laffont, à partir de 1956), qui raconte l'histoire de sa famille maternelle (on parlerait aujourd'hui d'une saga familiale), est son œuvre la plus connue. Il a été porté à l'écran pour la télévision.
On trouve Le pain noir en livre de poche (éditions J'ai Lu).
Le dernier recueil de poésies en date de Georges-Emmanuel Clancier est Terres de mémoire, paru en 2003, et dont un passage est proposé plus bas. Ci-dessous un des extraits de Peut-être une demeure (1972).
Je suis celui qui pourrait être ...
Je suis celui qui pourrait être.
Tu n'es que songe du monde captif.
Il se fait tard mais le jour est sauvé.
Elle, ma voix, mon chant, ma liberté,
Nous errons sous la forêt solaire,
Vous y viendrez amoureux de notre ombre.
Ils savent, ils croient savoir, ils parlent
D'elles qui nous furent douces et ne sont que silence.
Georges-Emmanuel Clancier ("Peut-être une demeure" précédé de "Écriture des jours" - Gallimard, 1972)
Quelques passage poétiques, en forme d'éloges de l'autre (sans titres) :
Vieux berger ...
Vieux berger (fait de ronces, de pierres, de broussailles),
vieil homme sans peur, sans espoir, moqueur silex de
liberté, riant sec, goguenard, à la barbe de la mort.
Georges-Emmanuel Clancier ("Peut-être une demeure" précédé de "Écriture des jours" - Gallimard, 1972)
Vieil homme du futur ...
Vieil homme du futur
Voix de la vie,
Bouche de lumière,
Sous l'étincelle campagnarde
De tes yeux, de tes mots,
Te voici,
Père apaisé
Des caves et des granges
Anciennes,
Et fils
de l'usine univers.
Georges-Emmanuel Clancier ("Peut-être une demeure" précédé de "Écriture des jours" - Gallimard, 1972)
Les ajoncs, la pierraille ...
Les ajoncs, la pierraille au sursis de l'hiver,
Haute ruine aux lambeaux de songe,
Tous les siècles de l'obscur dans le vent,
La vallée, le grand pays familier et désert.
Le couple né de ces granits, de ces racines,
Et moi qui porte au fond des mots, au fond du sang
Je ne sais quel appel, je ne sais quel écho
De ce passage de serfs et de guerriers,
De vagabonds, de paysans et de rois,
D'enfances tenaces et terrifiées,
L'effrayante ou miraculeuse saveur
D'une lézarde entre deux nuits.
Georges-Emmanuel Clancier ("Terres de mémoire"- éditions Robert Laffont, 1965 et "Terres de mémoire suivi de Vrai visage" - La Table Ronde, collection "la petite vermillon", 2003)
Escales
Flûte lointaine à travers les défilés,
Flûte et battements de mains heureuses,
Chant du souvenir et des espaces,
Chant du Pérou sur l'autre rive,
Là-bas sur l'autre rive des nuits :
Los Indios, los Indios ,tristesse
À perdre haleine aux plateaux de Cuzco,
Lamas et guenilles, enfance noire
Sous les blocs,sous les ruines Incas.
Je vous le dis, tapis au fond du songe
Il existe des pays tendres et féroces.
Flûte lointaine et battements de mains heureuses,
Flûte lointaine à travers tant de défilés.
Georges-Emmanuel Clancier (idem : "Terres de mémoire" - 1965 et 2003)
Le roi de l’île
Le roi de l’île
Est-ce un raisin
Est-ce un poisson
Est-ce un nuage ?
Le roi de l’île
Est-ce un caillou
Est-ce un marin
Est-ce un soleil ?
Le roi de l’île
Est-ce un pied nu
Est-ce un navire
Est-ce un silence ?
Le roi de l’île
Est-ce l’été
Est-ce le chant
Est-ce l’amour ?
Le roi de l’île
Serait-ce lui
Serait-ce toi
Serait-ce moi ?
Georges-Emmanuel Clancier ("Poèmes en chansons" - publication phonogram Philips Livre-disque 33 tours, 1976 ; texte mis en musique et chanté par Max Rongier)
Mes amis (passage, titre proposé)
Mes amis fragiles vous donnerai-je
Ces jours entre soleil et neige
Quand l’un s’en va l’autre demeure
Et les nuages sont nos demeures
Ô frères fragiles amis allés pleurant
À mon image notre destin errant.
Georges Emmanuel Clancier (Le Poème hanté, Gallimard, 1983)
Le guet
Sur le fin taillis des ramilles
À contre-jour du ciel d’hiver
Longtemps l’oiseau en silhouette
Noire surveillait l’horizon.
Te voyait-il à ta lucarne
Vieil homme incertain de lui-même
Entre lassitude et bonheur
D’un œil inquiet le contemplant ?
De l’oiseau corneille ou corbeau
Guetteur à la cime des branches,
Du rêveur perdu dans la neige
De l’âge et des pensées frileuse
Lequel des deux inventait l’autre
Lequel à la vie démentielle,
Somptueuse, éparse en l’univers,
Serait messager du futur ?
Georges Emmanuel Clancier