Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
lieu commun
29 avril 2007

Europe - Espagne - José Agustín Goytisolo

José Agustín Goytisolo (1928-1999) était un écrivain, traducteur et poète  de Catalogne, de langue castillane (espagnol) et catalane.
Poète humaniste, engagé, nombre de ses textes sont chantés par Paco Ibáñez, (l'album  2004 s'intitule Paco Ibáñez canta a José Agustín Goytisolo). Source : Wikipedia

Érase una vez

Érase una vez
un lobito bueno
al que maltrataban
todos los corderos.

Y había también
un príncipe malo,
una bruja hermosa
y un pirata honrado.

Todas estas cosas
había una vez
cuando yo soñaba
un mundo al revés.

José Agustín Goytisolo

Il était une fois

Il était une fois
un petit loup gentil
qui était maltraité
par tous les moutons.

Et il y avait aussi
un mauvais prince,
une jolie sorcière
et un pirate honnête.

Il était une fois
toutes ces choses-là
quand je rêvais
d’un monde à l’envers.

José Agustín Goytisolo 


Publicité
29 avril 2007

Europe - Espagne - Antonio Machado

Antonio Machado (1875-1939) est un poète espagnol de la Génération de 98, mouvement "Moderniste" initié par le poète espagnol Rubén Darío. C'est d'ailleurs après sa rencontre avec Rubén Darío et d'autres poètes comme Verlaine et Paul Fort, que Machado publie son premier livre de poésies en 1903 : Soledades (Solitudes).
Il soutient par ses écrits la jeune République Espagnole de 1936, mais La Guerre civile d'Espagne se termine en 1939 par la victoire des Nationalistes et la dictature du Général Franco. Contraint de s'exiler en France, comme des milliers de ses compatriotes, c'est à Collioure (Pyrénées-Orientales), qu'il meurt, à "trois pas" de la frontière. Là se trouve sa tombe.

Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Et le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours
.

Louis Aragon (extrait de "Les poètes") - Texte mis en musique et chanté par Jean Ferrat


Petits poèmes d'Antonio Machado  qu'on retrouvera dans les comptines et chansons en espagnol (page 1) :

La plaza

La plaza tiene una torre,
la torre tiene un balcón,
el balcón tiene una dama
la dama tiene una flor.

Antonio Machado

La place (adaptation en français : lieucommun)

La place a une tour,
la tour a un balcon,
le balcon a une dame,
la dame a une fleur.


La primavera

La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.
Ha despertado la rama
el almendro ha florecido.
En el campo se escuchaba
el gri del grillo.
La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.

Antonio Machado

Le printemps (adaptation en français : lieucommun)

Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.
Il a réveillé les branches
l'amandier a fleuri.
Dans les champs on écoutait
le gri-gri du grillon.
Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.


 Autres poèmes d'Antonio Machado :

Tout passe et tout demeure

Tout passe et tout demeure
mais nous, nous devons passer
passer en traçant des chemins
des chemins sur la mer.

Voyageur, c'est la trace de tes pas
qui est le chemin, et rien d'autre ;
voyageur, il n'y a pas de chemin,
tu fais le chemin en marchant.

...

C'est en marchant que tu fais le chemin
et si tu regardes en arrière
tu vois le sentier
que jamais tu ne fouleras à nouveau.

Voyageur ! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous

Todo pasa y todo queda (court extrait)

Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre el mar.
...
Caminante son tus huellas
el camino y nada más;
caminante, no hay camino
se hace camino al andar.

Al andar se hace camino
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.

Caminante no hay camino
sino estelas en la mar...

Antonio Machado ("Proverbios y Cantares" - XIV)


Un autre passage du même long poème :

J'aime les mondes fragiles* (titre proposé : subtils, délicats, fragiles ... )

Je n'ai jamais recherché la gloire
Ni voulu laisser ma chanson
dans la mémoire des hommes ;
Mais j'aime les mondes fragiles,
légers et gracieux
Comme bulles de savon.

J'aime les voir se colorer
de soleil et de pourpre, voler
sous le ciel bleu, trembler
tout-à-coup, et puis éclater.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

* sutiles : subtils, délicats, fragiles ...
Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous :

Yo amo los mundos sutiles

Nunca perseguí la gloria
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y gentiles
como pompas de jabón.

Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul, temblar
súbitamente y quebrarse

Antonio Machado ("Proverbios y Cantares" - XIV)


Le soleil est une boule de feu

Le soleil est une boule de feu,
La lune est un disque violet.

Une blanche palombe se pose
Au sommet du cyprès centenaire.

Les parterres de myrtes semblent
fanés et couverts de poussière

Le jardin et le calme de l'après-midi ! ...
L'eau chante à la fontaine de marbre.

Antonio Machado

Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous

El sol es un globo de fuego

El sol es un globo de fuego,
la luna es un disco morado.

Una blanca paloma se posa
en el alto ciprés centenario.

Los cuadros de mirtos parecen
de marchito velludo empolvado.

¡El jardín y la tarde tranquila!...
Suena el agua en la fuente de mármol.

Antonio Machado


29 avril 2007

France - Bretagne

Anjela Duval (1905-1981) n'a pas un nom à consonance celte, certes, mais ...
"Anjela Duval est cette femme qui pendant le jour cultive la terre de sa petite ferme, Traoñ an Dour, et qui le soir sort ses cahiers et écrit des poèmes, devenus parmi les plus aimés de la langue bretonne. Le breton est sa langue de tous les jours, et elle a appris la langue littéraire, qu'elle enrichit de ses mots, de sa sensibilité. Ses poèmes révèlent son amour lucide de la nature, sa rage contre le déclin organisé du breton, ses angoisses, son humour..."
source : http://www.breizh.net/anjela/barzhonegou.php ou on trouvera ses poèmes en breton et certains traduits en français.

Voici deux poèmes dans les deux langues, traduits par Paol Keineg (adresse ci-dessus) :

Lagad an Heol

— Heol ! Perak out ken diwezhat o tiblouz ?
Ha perak eo ken ruz da lagad ?
Ha bet ac’h eus en noz-mañ ur gwall-hunvre, en deus graet dit leñvañ dre da hun ?
— Na hun na hunvre na fall na mat.
Beilhet am eus an noz-pad…
Tra ma kouske ar c’hornôg dibled war ludu louet e lore me ’m eus graet tro an Douar.
Ha gwelet am eus tud o vervel gant an naon.
Gwelet ’m eus tud o vervel gant ar riv.
Gwelet tud o vervel gant an dic’hoanag.
Gwelet am eus tud o lazhañ tud, breudeur o ’n em dagañ.
Gwelet ’m eus pobloù mac’het.
Gwelet ur penntiern meur o kouezhañ dindan boled ur foll.
Gwelet forzh tud o leñvañ :
Ha chomet on bepred digas…
Gwelet ’m eus, avat, tud o c’hoarzhin goap ouzh ar re zo er boan, ouzh ar re zo en dienez
Ouzh ar re zo dindan ar yev.
Ha neuze am eus ranket leñvañ,
Ma ’z eo ruz c’hoazh va lagad.
— Heol ! Sec’h bremañ da zaeroù !
Mor-Breizh, emberr, a vo dous
D’az lagad ruz hag entanet…

Anjela Duval (Ur beure goañv 1964)

traduction : L’œil du Soleil

— Soleil ! Pourquoi te lèves-tu si tard ?
Et pourquoi as-tu l’œil si rouge ?
As-tu fait cette nuit un cauchemar, qui t’a fait pleurer dans ton
sommeil ?
— Ni sommeil ni rêve ni bon ni mauvais.
J’ai veillé toute la nuit…
Tandis que l’occident frivole dormait sur les cendres grises de ses lauriers j’ai fait le tour de la Terre.
Et j’ai vu des gens mourir de faim.
J’ai vu des gens mourir de froid.
J’ai vu des gens mourir de désespoir.
J’ai vu des gens s’entre-tuer, des frères s’étrangler.
J’ai vu des peuples opprimés.
J’ai vu un grand dirigeant tomber sous la balle d’un dément.
J’en ai vu beaucoup qui pleuraient :

Et j’ai continué, indifférent…

J’en ai vu cependant qui se moquaient des gens dans la peine, des gens dans la misère
Des gens sous le joug.

C’est alors que j’ai pleuré,
C’est pourquoi mon œil est rouge.

— Soleil ! sèche tout de suite tes larmes !
La mer de Bretagne adoucira bientôt
Ton œil rouge et enflammé …

Anjela Duval (Un matin d’hiver 1964)


Balafenn ha Gwenanenn

— Ma vez hinon
Eme ar valafenn hedro
Ma vez hinon
Emberr me ’z ay da vale bro
— Ha me, eme ar wenanenn
D’ar valafenn skañvbenn
Me ’gaso va labour en-dro
            Ma vez hinon

Anjela Duval (Miz Mezheven 1967)

traduction : Papillon et Abeille

— S’il fait beau
Dit le papillon volage
S’il fait beau
Je battrai bientôt la campagne.
— Et moi, dit l’abeille
Au papillon écervelé
Je me mettrai au travail
         S’il fait beau.

Anjela Duval (Juin 1967)


Jean-Pierre Calloc'h, Yann-Ber Kalloc'h en breton, est un barde. Il publie ses poèmes sous le pseudonyme de Pen men (Tête de pierre) puis de Bleimor (loup de mer). source : http://calloch.jp.free.fr/Pages/fspoete.htm


La tristesse du Celte

...
Je suis arrivé à l'âge où l'on aime à vivre,
A courir dans les champs, à s'amuser, à chanter,
A l'âge où l'on ne songe ni à tombe ni à pierre,
Ni à fleuve de la vie qui va si vite...
Au milieu de mon plaisir pourtant je suis inquiet :
Dieu mit la tristesse dans le coeur du Breton.
...

traduction : Tristedigeh er Helt
...
Dégouéhet on én oed é vourrér é véùein,
E rédeg ér parkeu, é hoari, é kanein,
En oed ha ne chonja nag é bé nag é mén,
Nag é stér er vuhé ken fonnuz é tremén...
E kreiz me 'flijadur, neoah, ankinet on;
Doué 'lakas en dristé é kalon er Breton.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1904


Pédenn evid Breih
...
Noz du er baianeh, ur baianeh méhuz,
E léd ar er bed koh hé mantell blaoahuz :
Eid hé ambroug én hent téoél,
Jézuz, chomet ged Breih-Izél !
...

Prière pour la Bretagne

...
La sombre nuit du paganisme, d'un paganisme honteux,
Etend sur le vieil univers son effroyable manteau :
Pour la guider dans cette route sombre,
Jésus, restez avec la Bretagne.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1909


Me halon zo é Breih-Izél

Me halon zo é Breih-Izél
Ne vern 'men 'ma er horv-man,
Me horv skuih énnoñ peb ezél.
Tro 'n dé, tro 'n noz é harman :
Me halon zo é Breih-Izél
Me halon n'é ket aman.
...
Mon coeur est en Basse -Bretagne

Mon coeur est en Basse-Bretagne
N'importe où est ce corps-ci
Mon corps dont chaque membre est lassé.
Tout le jour, toute la nuit je crie :
Mon coeur est en Basse-Bretagne
Mon coeur n' est pas ici.
...

Jean Pierre Calloc'h, à Paris, 1913


Kartér-noz ér hléieu
...
" Me zo er Gédour braz én é saù ar er hleu.
Goud e hran petra on ha me oér petra hran :
Iné Kornog, hé douar, hé merhed hag hé bleu,
Oll kened er bed é, en noz-man, e viran.
...

Quart de nuit aux tranchées
...
Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée,
Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais :
L'âme de l' Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C'est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1916


Le poème qui suit, Me zo ganet e-kreiz ar mor a été mis en musique  par Jef Le Penven et est devenu une chanson traditionnelle bretonne :

Me zo ganet é kreiz er mor (trois premières strophes)

Me zo ganet é kreiz er mor
Tèr lèu ér méz;
Un tiig gwenn duhont em-es,
Er benal 'gresk etal en nor
Hag el lann e hol en anvez.
Me zo ganet é kreiz er mor,
E bro Arvor

Me zad e oé, èl é dadeu,
Ur matelod;
Béùet en-des kuh ha diglod
- Er peur ne gan dén é glodeu -
Bamdé-bamnoz ar er mor blod.
Me zad e oé, el e dadeu,
Stleijour-rouédeu.

Me mamm eùé e laboura
- Ha gwenn hé blèu -;
Geti, en hwéz ar on taleu,
Disket em-es bihannig tra,
Médein ha tennein avaleu.
Me mamm eùè e laboura
D'hounid bara...

...

Jean Pierre Calloc'h (extrait de "Prière dans les ténèbres", dans le recueil "A genoux", Paris 1914)

Je suis né au milieu de la mer

Je suis né au milieu de la mer
Trois lieues au large;
J'ai une petite maison blanche là-bas,
Le genêt croît près de la porte,
Et la lande couvre les alentours.
Je suis né au milieu de la mer,
Au pays d' Armor.

Mon père était comme ses pères
Un matelot.
Il a vécu obscur et sans gloire,
- Le pauvre, personne ne chante ses gloires -
Tous les jours, toutes les nuits sur la mer souple
Mon père était comme ses pères,
Traîneur de filets.

Ma mère aussi travaille,
- Malgré ses cheveux blancs -;
Avec elle, la sueur à nos fronts,
J'ai appris, tout petit,
A moissonner et à arracher les pommes de terre;
Ma mère aussi travaille
Pour gagner du pain ...

...

Jean Pierre Calloc'h ("Ar en deulin", Paris 1914)


Xavier Grall (1930-1981) est un journaliste et poète breton d'expression française, mais avec quelle force il revendique son identité ! Sa poésie est toute entière de roc, de lande et d'océan, et d'humanité. Voici quelques éloges de sa Bretagne.   

"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance."


Les vieux de chez moi

Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frêles brigantines

Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande
Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie Galante
Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières

Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs
des voiliers brisés dans les goémons rageurs
et luisent leurs regards comme des louis !

Les vieux de chez moi n'attendent rien de la vie
ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie
La mort peut les prendre, noire comme pinasse

Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l'hortensia
Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria
"Adieu les belles, c'est le branle-bas"

Et les femmes des marins fermeront leurs volets

Xavier Grall ("La Sône des pluies et des tombes", 1976)


Allez dire à la ville

Terre dure de dunes et de pluies
c'est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c'est ici, c'est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c'est ici que je m'invente
j'ai l'âge des légendes
j'ai deux mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes
0 rebelles, mes frères
dans les mares les méduses assassinent les algues
on ne s'invente jamais qu'au fond des querelles

Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville qu'à Raguénuès et Kersidan
la mer conteste la rive
que les chardons accrochent la chair des enfants
que l'auroch bleu des marées
défonce le front des brandes

Allez dire à la ville
que c'est ici que je perdure
roulé aux temps anciens
des misaines et des haubans
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas

Poètes et forbans ont même masure
les chaumes sont pleins de trésors et de rats
on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle avec leur âme sans l'être avec la loi
les amis des grands vents
et les oiseaux perdus
Allez dire la ville
que je ne reviendrai pas

Terre dure de dunes et de pluies
pierres levées sur l'épiphanie des maïs
chemins tordus comme des croix
Cornouaille
tous les chemins vont à la mer
entre les songes des tamaris
les paradis gisent au large
Aven
Eden
ria des passereaux
on met le cap sur la lampe des auberges
les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc
O pays du sel et du lait
Allez dire à la ville
Que c'en est fini
je ne reviendrai pas
Le Verbe s'est fait voile et varech
bruyère et chapelle
rivage des Gaëls
en toi, je demeure.

Allez dire à la ville
Je ne reviendrai pas.

Xavier Grall ("Les vents m'ont dit" - éditions Calligrammes, Quimper)


Viens avec moi

Viens avec moi
je te dirai le cri des sternes
et le psaume des pierres levées
(...)
Viens avec moi
je te dirai les dieux fraternels
dans les chapelles bleues
Viens
nous inventerons un pays mystique
violentes seront les femmes comme des solstices
il y aura des nids chantants dans les poutres
les nefs seront pleines d'hirondelles.

Xavier Grall ("Les vents m'ont dit" - éditions Calligrammes, Quimper)


Pierre-Jakez Helias, Per-Jakez Helias en breton (1914-1995) est un romancier et poète de langue française et bretonne (il traduit lui-même ses textes), célèbre auteur du "Cheval d'Orgueil".

Ar men du (passage - titre du recueil )

Ho kared rin abaoe dec'h
Abaoe kenta deiz ar bed
Warc'hoaz ken stard em eus ho karet
Ma kollan alan hirio c'hoaz

Aze dalc'het, tu all ho karan
E lechiou n'ouzon netra outo
En ollved hag a chom da groui
Hag e pep tuiou a neblec'h

Hep ano deoc'h ho kared ris
Ho noz a lugernas em deiz
Re-bar d'un ehon ar men du
Ha neuze dres on deut er bed-mañ

traduction : La pierre noire

Je vous aimerai depuis hier,
Depuis le premier jour du monde.
Demain, je vous ai tant aimée
Que j'en perds le souffle aujourd'hui.

Là tenu, je vous aime ailleurs,
Dans des lieux inconnus de nous,
Dans l'univers encore à faire
Et les partout de nulle part.

Sans nom de vous, je vous aimai.
Votre nuit brilla dans mon jour
Comme une immense pierre noire
Et c'est alors que je suis né.

Pierre-Jakez Helias ("Ar men du / La pierre noire" - éditions Hallier, 1976 et P. J. Oswald, collection L'Exemplaire, 1976)


Victor Segalen (1878-1919) est d'abord un poète breton de langue française, médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Ses attaches sont partout : grand voyageur et découvreur, c'est en Chine (mais en français) que paraît d'abor Stèles, en 1912, dans une édition très restreinte et non commerciale. Le texte qui suit en est tiré.

Conseils au bon voyageur

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la : plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.
Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la, vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.

Victor Segalen (Stèles(*) - Presses du Pei-t’ang, Pékin, 1912 et éditions Crès, Paris, 1922)
(*)Les "stèles" sont des monuments chinois de forme rectangulaire et portant des inscriptions. L'édition de Pékin du recueil de Segalen s'en inspire : format et illustrations bien définis (image). Elle comprend 81 exemplaires hors commerce sur papier de Corée et environ 200 exemplaires sur vélin parcheminé. Elle est en 1914 augmentée de 16 nouveaux poèmes.
Stèles est paru en 1999 en collection Poésie / Gallimard, et on trouve exceptionnellement ici l'intégralité de l'ouvrage original : steles.net



29 avril 2007

Europe - France - Poètes de Provence et de Languedoc

La langue d'Oc, observeront les lecteurs attentifs, est différente à l'oral et à l'écrit selon les régions (et même à l'intérieur d'une même région). Témoin ces textes, de Provence et de Languedoc.

Frédéric Mistral (1830-1914) est un écrivain et poète provençal, prix Nobel de littérature en 1904.Il fonde en 1854 avec d'autres poètes provençaux, le Félibrige, pour défendre les cultures régionales traditionnelles et la langue occitane.

"Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut"
Frédéric Mistral

Voici une petite fable :

Lou gripo-roussignòutexte_Mistral_le_rossignol_orig

Au mes de mai, sus uno busco.
Lou roussignòu, plegant lis iue,
S'èro endourmi dedins la niue ;
Mai lou rejit d'uno lambrusco
Dins sa vediho l'arrapè
E lou vaqui pres pèr li ped.
... (suite du texte en cliquant sur l'image ci-contre >)

Frédéric Mistral ("Lis òulivado")

Le grippe-rossignoltexte_Mistral_le_rossignol

Au mois de mai, sur une branche,
Le rossignol, clignant des yeux,
S'était endormi dans la nuit ;
Mais le jet d'une vigne folle
Le saisit dans sa vrille,
Et le voilà pris par les pieds.
... (suite de la traduction en cliquant sur l'image ci-contre >)

Frédéric Mistral ("Les Olivades") en français par l'auteur.


Sextius Michel 1827-1906) est né à Sénas (Provence). Il "monté à Paris", avec ses premiers poèmes. Il sera président des félibres (voir ci-dessus Frédéric Mistral) de Paris et maire du XVe arrondissement, de 1871 à sa mort.
Il est le fondateur d'une des premières Caisses des écoles de Paris, pour financer les cantines scolaires, d'une colonie de vacances, ainsi que d'une mutualité scolaire (en 1900).

Les hirondelles (légende)texte_hirondelles_orig

Les hirondelles ont fait leur nid
dans la toiture ensoleillée
d'un petit château. L'aube rit
aux piaulements de la nichée.

Vivait dans ce paradis
une charmante dame adorée
d'un galant jouvenceau du pays.
Oh ! Quels tendres embrassements !

Un jour, crime ou folie,
on la trouva morte dans son lit,
la jeune dame, hélas ! toute seule.

L'amant avait disparu.
Revient l'été avec le ciel bleu,
mais ne reviennent pas les hirondelles.

Sextius Michel ("Le long du Rhône et de la mer") ("Long dóu Rose e de la mar" - Flammarion et Roumanillo 1892)

... (lire la traduction du poème  "Li dindouleto" en cliquant sur l'image ci-contre >)


"Max Rouquette est né en 1908 à Argelliers, près de Montpellier, dans un paysage inoubliable et jamais oublié de bois de chênes verts sombres, de garrigues colorées, de vignes tendrement odorantes et de figuiers bibliques. Ce paysage est la clé de son écriture. Parce que c'est en ce lieu, et en ce lieu seulement, que s'est effectuée la fusion des mots et du monde.
Max Rouquette a écrit en occitan (...)
Tous les textes de Max Rouquette résonnent de cette origine féconde. Ils en tirent probablement leur sève unique, et cette faculté d'éblouissement, tissée de beautés et d'angoisses, qui nous les rend communicables et si précieux."
(Philippe Gardy)

Los mots

Los mots son des sòus traucats.
Per jogar als osselets
ne vòle cafir ma pauma.
E ne faire gisclar son cant perdut,
ambe d’ulhauç de lusor nòva.
An delembrat çò que disián,
son tornats vèrges dins l’espandi.
Lo sòu traucat es vengut nòu.
Ne vòle faire de solelhs
e de lunas emai d’estèlas
qu’entre eles s’entrelusiràn.

Entre dos sangluts de quitarra
s’estira un sègle de dolor.

Max Rouquette

Les mots

Les mots sont des sous troués.
Pour jouer aux osselets
je veux en remplir ma paume.
Et leur faire crier leur chant perdu
dans des éclairs de clarté neuve.
Ils ont oublié ce qu’ils disaient,
à nouveau vierges dans l’espace.
Le sou troué redevient neuf.
Je veux en faire des soleils
et des lunes et des étoiles,
qui s’illumineront entre elles.

Entre deux sanglots de guitare
s’étire un siècle de douleur.

Max Rouquette ("Lo maucor de l'unicorn") ("Le tourment de la licorne") - éditions Domens


Et du même auteur, cette jolie scène nocturne :

Lo sabaud

Perque sus uolhs s'enclausisson de luna
clara dins lo ceu escur
un sabaud de l'estiu, doçament nada
dins l'aiga plana, miralh pur.

Mai naut que la mai nauta branca
ela, que landa eternament
davala e dins l'aiga, un moment
dansa per el en rauba blanca.

Max Rouquette ("Los saumes de la nuoch" - éd Obsidiane -bilingue, 1984)

traduction de l'auteur :

Le crapaud

Parce que ses yeux s'enchantent de la lune
claire dans le ciel obscur
un crapaud de l'été doucement nage
dans l'eau plane, pur miroir.

Plus haut que la plus haute branche
elle, qui glisse éternellement,
descend, et dans l'eau un moment
danse pour lui en robe blanche.

Max Rouquette ("Les psaumes de la nuit" - éd Obsidiane -bilingue, 1984)


Alan Pelhon  (1946-1994) est né à Coaraze (Alpes-Maritimes), et c'est dans cette région qu"il a passé sa courte vie.

La jòia (titre proposé)

La jòia serà fuec
Cant dau gal
Parpalhon virolant d'aquí ailà
Lutz esclapant la nuech
Aiga fresca dau sorgent
Mar breçolada per li gabians
Solelh que s'escorre plan-plan
En la mieu boca
En una jòia que ren arresta

La joie

La joie sera feu
Chant du coq
Papillon pirouettant ça et là
Lumière brisant la nuit
Eau fraîche de la source
Mer bercée par les mouettes
Soleil qui ruisselle doucement
Dans ma bouche
Dans une joie que rien n'arrête

Alan Pelhon ("Vi devi parlar"/"Je dois parler") - éditions La Dralha, 2004.


Louisa Paulin (1888-1944) a vécu dans le Tarn (naissance à Réalmont), où elle a été institutrice. Elle écrit ses poèmes d'abord uniquement en français, puis en français et en occitan.
“Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”

On ne connaît généralement de Louisa Paulin que ses poèmes en français. Voici deux textes qu'elle a écrits dans les deux langues :

La cançon del silenci.

Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci,
la cançon que comença,
quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ;
la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta,
la cançon de l'aigueta
que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ;
la cançon de la branca
que fernís e que dança
desliurada del pes amorós d'un ausèl ;
la secreta conçon breçant l'ombra blavenca
del lir còrfondut de promessa maienca,
qu'espèra, per florir, un signe del azur.


La chanson du silence

Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence,
la chanson qui commence,
quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ;
la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe,
la chanson de l'eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ;
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d'un oiseau ;
la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière,
qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.

Louisa Paulin


Fum 

Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal !
Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps
Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas.
O fial de fum, vèni ligar un raive,
Un rave que m'escapa
– coma tu, lial de fum –
Per fugir cap a las estelas.

Louisa Paulin ("Sorgas")

Fumée

Non, non, ce soir je veux fuir la maison !
Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs
Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes.
Ô fil de fumée, viens lier un rêve,
Un rêve qui m'échappe
– comme toi, fil de fumée –
Pour fuir vers les étoiles.

Louisa Paulin ("Sources")


Jean Boudou ou Joan Bodon (1920-1975), instituteur aveyronnais, est considéré comme le plus grand des poètes du Languedoc. Il est l'auteur de romans et de poésies en occitan, exclusivement.

Recueil le plus connu : Sus la mar de las galèras (Sur la mer des galères), dont on peut trouver le texte intégral ici (format pdf mais non traduit)

Alba de Pigala

Cercavi fortuna, la trobèri lèu;
Aquela nuèch blanca tombava de nèu.
Canti çò que canti, plore lo que vòl...
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Gardèt los debasses e lo casabèc:
De què ne pensavas, Tolosa-Lautrèc ?
Sus una flaçada, sens cap de lençòl ...
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Qu’es aquela trèva que totjorn me sèc ?
Lautrèc es Tolosa: lo comte bufèc ...
Quand l’amor se paga per un blavairòl.
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Al fons de la prada sabi lo pibol,
Sabi la montanha ... Caminarai sol.
La fortuna vira que me ten pel còl.
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Joan Bodon

L'aube de Pigala

Je cherchais fortune, la trouvai bientôt,
Cette nuit blanche où tombait la neige.
Je chante ce que je chante, pleure qui veut
Mais pour appeler l'aube il faut un rossignol ...

...

Au fond de la prairie je sais le peuplier,
Je sais la montagne ... seul, je marcherai
La fortune tourne qui me tient par le cou.
Mais pour appeler l'aube il faut un rossignol ...

Libre traduction des première et dernière strophes, lieucommun.
Ce texte est chanté en occitan par Mans de Breish, comme le suivant.


Alba d'Occitania (extrait)     Aube d'Occitanie

La nuèch e la pluèja e lo gèl  La nuit et la pluie et le gel
Pas una estela dins lo cèl       Pas une étoile dans le ciel
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?
Encara canta pas l'aucèl         L'oiseau ne chante pas encore
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?

Una nuèch longa sens amor    Une longue nuit sans amour
Lo rosal plora sus la flor        Le rosier pleure sur la fleur
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?
S'entrevesiam una lusor ...     On entrevoit une lueur ...

Paraulas de Joan Bodon, Cantat per Mans de Breish
Paroles de Joan Bodon, Chanté par Mans de Breish  traduction Lieucommun


29 avril 2007

Europe - Irlande

Samuel Beckett  (1906-1989), né à Dublin, est sans doute, avec James Joyce (voir plus bas), le plus connu des écrivains irlandais. C'est un romancier, dramaturge (En attendant Godot, 1952) et poète. Il quitte son pays à la veille de la Seconde Guerre mondiale et choisit de vivre en France, où il participe activement à la Résistance. Prix Nobel de la Paix en 1969, il a écrit en français une grande partie de son oeuvre et la plupart de ses poèmes.

Que ferais-je  (titre proposé)

que ferais-je sans ce monde sans visage
sans questions
où être ne dure qu'un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l'oubli d'avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s'engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l'amour
sans ce ciel qui s'élève
sur la poussière de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd'hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi

pas de ponctuation ni de majuscules
    
Samuel Beckett ("Poèmes suivi de Mirlitonnades" - éditions de Minuit, 1978, rééditions augmentées :1992, 1998)
On trouvera dans ce recueil tous les poèmes que Samuel Beckett a écrits en français depuis 1937.


La mouche

entre la scène et moi
la vitre
vide sauf elle

ventre à terre
sanglée dans ses boyaux noirs
antennes affolées ailes liées
pattes crochues bouche suçant à vide
sabrant l'azur s'écrasant contre l'invisible
sous mon pouce impuissant elle fait chavirer
la mer et le ciel serein.

Samuel Beckett ("Poèmes suivi de Mirlitonnades" - éditions de Minuit, 1978, rééd augmentées 1992, 1998)


William Butler Yeats (1865-1939) est né lui aussi à Dublin et a reçu le Prix Nobel, mais de littérature, en 1923 pour "sa poésie toujours inspirée, dont la forme hautement artistique exprime l'esprit d'une nation entière".
Il s'engage politiquement pour la reconnaissance de la nation irlandaise (il sera sénateur de l'État libre d'Irlande) et ses poèmes célèbrent le pays natal, avec son combat pour l'indépendance, et aussi l'humanisme et dans le sentiment amoureux, "la douleur d'aimer". Comme Beckett, il quitte l'Irlande  pour vivre en France, mais seulement les dernières années de sa vie, en 1930.

Pourquoi mon coeur bat-il ainsi ?

Pourquoi mon coeur bat-il ainsi ?
Etait-ce une ombre qui passait ?
Elle vient de passer ici.
Et qui donc sur l'herbe marchait ?
Quel vagabond erre en la nuit ?
Parfois le vertige des rêves,
Comme d'anciens auteurs l'ont dit,
Des os séchés des morts s'élève.
Et la nuit, il semble souvent
Que s'emplit toute la vallée
De ces rêves hallucinants.
Les collines sont submergées
Par une ombre qui se dilate,
Comme à ras bord le vin remplit
Une coupe en jade vert-gris,
Ou même une coupe d'agate.

William Butler Yeats (tiré de l'anthologie "Une Europe des poètes" - Livre de Poche - Hachette, 1991) - Traduction de Jacques Charpentreau.


Les textes de William Butler Yeats qui suivent sont parus dans  le recueil Choix de poèmes aux Editions Aubier, en édition bilingue :

Avant que le monde ne fût

Si j’assombris mes cils
Et illumine mes yeux
Et fais mes lèvres plus écarlates,
Ou demande si tout cela est juste
De miroir en miroir,
Sans montrer de vanité :
Je cherche le visage que j’avais
Avant que le monde ne fût.

Et si je regarde un homme
Comme on regarde son aimé,
Comme si mon sang un instant se glace
Dans mon coeur immobile ?
Pourquoi penserait-il que je suis cruel
Ou qu’il soit trahi ?
J'aurais aimé le voir aimer ce qui était
Avant que le monde ne fût.

William Butler Yeats

texte original :
Before the world was made

If I make the lashes dark
And the eyes more bright
And the lips more scarlet,
Or ask if all be right
From mirror after mirror,
No vanity’s displayed:
I’m looking for the face I had
Before the world was made.

What if I look upon a man
As though on my beloved,
And my blood be cold the while
And my heart unmoved ?
Why should he think me cruel
Or that he is betrayed ?
I’d have him love the thing that was
Before the world was made.

William Butler Yeats


Quand tu seras vieille

Quand tu seras vieille et grise et pleine de sommeil,
Quand, ta tête inclinée près du feu, tu prendras ce livre,
Et lentement, liras et reverras le doux regard
De tes yeux d’autrefois, et de leurs ombres profondes.

Combien ont aimé tes moments de joie prodigue,
Et aimèrent ta beauté d’un amour sincère ou faux,
Mais un seul aima l’âme du pèlerin en toi,
Et aima les défaites de ton visage changeant ;

Et quand courbée sur la hampe incandescente,
Tu murmureras comment l’amour te quitta
Comment il s’envola au-dessus des montagnes
Et cacha son visage dans un amas d’étoiles.

William Butler Yeats

When you are old

When you are old and grey and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly read and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;

How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;

And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his face amid a crowd of stars.

William Butler Yeats


La douleur d'aimer

Une douleur au-delà des mots
Se cache dans le coeur d’amour :
Les peuples qui vendent et achètent
Les nuages de leurs voyages passés,
Les vents froids et humides qui toujours ont soufflé,
Et l’ombrageuse coudraie
Où s’écoulent les eaux opaques,
Ils menacent l’être que j’aime.

William Butler Yeats

The pity of love

A pity beyond all telling
Is hid in the heart of love:
The folk who are buying and selling,
The clouds on their journey above,
The cold wet winds ever blowing,
And the shadowy hazel grove
Where moves-grey waters are flowing,
Threaten the head that I love.

William Butler Yeats ("Choix de poèmes" - Editions Aubier, collection bilingue,1990)


James Joyce (1882-1941), né à Dublin lui aussi, est un romancier et poète irlandais expatrié, considéré comme un des écrivains les plus influents du XXe siècle. Ses œuvres majeures sont un recueil de nouvelles Les Gens de Dublin (1914) et des romans Dedalus (1916), Ulysse (1922), et Finnegans Wake (1939). (inspiré de Wikipedia)

Ma colombe (titre proposé)

Ma colombe, ma belle,
Prend ton envol !

La rosée de la nuit repose
Sur mes lèvres et mes yeux.
Brodent les vents parfumés
Une musique de soupirs :

Prend ton envol,
Ma colombe, ma belle !

J’attends auprès du cèdre,
Ma sœur, mon amour.
Cœur blanc de la colombe,
Ma poitrine sera ton lit.

La rosée pale repose
Comme un voile sur ma tête.

Ma belle, ma jolie colombe,
Prend ton envol !

(traduction de  Gilles de Seze : http://gdeseze.free.fr/)

Texte original :

My dove, my beautiful one,            
Arise, arise!                                       

The night-dew lies                           
Upon my lips and eyes.                  
The odorous winds are weaving         
A music of sighs :                            

Arise, arise,                                       
My dove, my beautiful one!            

I wait by the cedar tree,                      
My  sister, my love.                           
White breast of the dove,                
My breast shall be your bed.         

The pale dew lies                           
Like a veil on my head.                                        

My fair one, my fair dove,                                    
Arise, arise !

James Joyce ("Chamber Music", 1907)


Thomas Moore (1779-1852) est un poète irlandais, né également à Dublin.

"Au sud de Dublin, dans le comté de Wicklow, rivières, collines et sous-bois forment ce que l’on appelle le "Jardin d’Irlande".
La vallée d’Avoca est une région dont la nature abondante enchante les passionnées de randonnée et de silence.
C'est dans ce lieu que Thomas Moore écrit, pendant l'été 1807 (publié l'année suivante) "The meetings of the water" (La réunion des eaux).
(source : http://www.pluralworld.com/)

The meetings of the water

1. There is not in the wide world a valley so sweet
As that vale in whose bosom the bright waters meet; (*)
Oh! the last rays of feeling and life must depart,
Ere the bloom of that valley shall fade from my heart.

2. Yet it was not that nature had shed o'er the scene
Her purest of crystal and brightest of green;
'Twas not her soft magic of streamlet or hill,
Oh! no, -- it was something more exquisite still.

3. 'Twas that friends, the beloved of my bosom, were near,
Who made every dear scene of enchantment more dear,
And who felt how the best charms of nature improve,
When we see them reflected from looks that we love.

4. Sweet vale of Avoca! how calm could I rest
In thy bosom of shade, with the friends I love best,
Where the storms that we feel in this cold world should cease,
And our hearts, like thy waters, be mingled in peace.

(*)
Il s'agit des rivières Avon et Avoca
Thomas Moore ("The Meeting of the Waters",1808 - in "Irish Melodies", volume 1)

Traduction des strophes 1 et 4 :

La réunion des eaux

Il n'y a pas de vallée aussi douce dans le monde
Que cette vallée dont les eaux brillantes se rencontrent en son cœur
Oh ! Les dernières lueurs de sentiment et la vie doivent s’en aller,
Avant que la fleur de cette vallée ne s'efface de mon cœur.
[...]
Douce Vallée d'Avoca ! Comment pourrais-je me reposer
Au sein de l’ombre, avec mes amis chers,
Où les tempêtes que nous ressentons dans ce monde froid devraient cesser
Et nos cœurs, comme vos eaux, être en paix.

Thomas Moore


The last rose of summer

Tis the last rose of summer
Left blooming alone;
All her lovely companions
Are faded and gone;
No flower of her kindred,
No rosebud is nigh,
To reflect back her blushes,
To give sigh for sigh.

I'll not leave thee, thou lone one !
To pine on the stem;
Since the lovely are sleeping,
Go, sleep thou with them.
Thus kindly I scatter
Thy leaves o`er the bed,
Where thy mates of the garden
Lie scentless and dead.

So soon may I follow,
When friendships decay,
And from Love`s shining circle
The gems drop away.
When true hearts lie withered
And fond ones are flown,
Oh! who would inhabit
This bleak world alone ?

La dernière rose de l'été
(traduction de Karl Petit)

C'est la dernière rose de l'été
Abandonnée en fleur ;
Toutes ces belles compagnes,
Sans retour sont fanées ;
Plus de fleur de sa parenté
Plus de boutons de rose à l'article de la mort
Pour réfléchir ses rougeurs,
Et rendre soupir pour soupir.

Je te laisserai point chère solitaire,
Languir sur ta tige ;
Puisque sommeillent tes sœurs
Va donc les rejoindre.
Et par sympathie, je répandrai
Tes feuilles sur le sol
Où tes compagnes de jardin
Gisent mortes et sans parfum.

Puissé-je te suivre bientôt
Lorsque l'amitié s'émoussera
Et que du cercle magique de l'amour
Les gemmes se détacheront ;
Quand les cœurs fidèles ne palpiteront plus
Et que les êtres aimés auront disparu,
Oh ! qui donc voudrait habiter seul
En ce monde désert !

Thomas Moore  ("Mélodies irlandaises", 1807-1834)

Et enfin en voici une adaptation de G. Newton pour une chanson dont la musique est d'Eddy Marnay :

La dernière rose de l'été

Si jamais tu cueilles une rose
Dont le coeur a déjà fané
Dis-toi bien que cette rose
Est la dernière de l'été

Hier encore en voisinage
Le ruisseau, tous les jardins
Il me reste plus qu'un feuillage
Que l'hiver brûlera demain

En amour comme en toute chose
En amour comme en amitié
Si ton coeur trouve une rose
Cette rose il faut garder

Même si c'est la première
Que tu as jamais trouvé
C'est peut-être, c'est la dernière
Et la vie n'est qu'un seul été (bis)

d'après le poème de Thomas Moore



Publicité
29 avril 2007

Europe - Kurdistan

Le Kurdistan n'est pas (encore ?) une nation. C'est une région à cheval sur plusieurs pays : la Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie. Lieu de conflits, revendiquée et revendiquant son indépendance, d'où de nombreux kurdes se sont exilés.

Kamuran Aali Bedir Khan (émir) est un poète kurde contemporain, défenseur de l'identité politique, économique et culturelle du Kurdistan.

Ris

Ris !
Douceur du printemps, parfum des vergers,
Ris !
Que les fleurs s'épanouissent,
Que les astres brillent
Ris !
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infinie de ce monde,
Que les souffrances s'éloignent
Que les tristesses s'évanouissent
Et que ce monde devienne
Un bouquet de roses
Ris ! ... Ris !  ... Ris ...!
Le jour et la nuit,
Dans la passion des minuits.
Que ta belle voix sonore
Chante
Dans l'infini de ce monde

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


L'agneau et sa maman

Je suis né dans la vallée ;
Dans un tout petit chalet,
C'était plutôt une cabane ...
Me réveillaient la voix des faons,
La douce musique du torrent,
Les bruissements des feuilles naissantes,
Le gazouillement de mille oiseaux,
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane ! ...

Le grand soleil
Dormait encore ...
Tout étourdi,
Il faisait nuit
Quand je quittais
Mon petit lit.
Malgré mon âge,
J'étais « la garde »
De nos brebis ...
L'agneau pleurait en bégayant
Cherchant sans cesse sa chère maman ...

Le doux soleil se réveillant
Nous arrosait de poudre dorée ...
Je comprenais nos villageois

Qui l'aimaient tant, qui l'adoraient
Dans l'eau limpide de la fontaine
Je voyais son chaud visage,
Où venaient pour s'abreuver
Le petit agneau et sa maman ...
Comme il fait bon dans ma cabane

Viens ! toi aussi pour te plonger
Dans ce silence majestueux
En regardant les flots muets
De mon ruisseau
Qui coule, qui coule
Sans dire un mot !
Comme il est bon le petit agneau,
La chère maman!
Il fait si doux dans ma cabane ! ...

Dans la joie de la lumière
Tout est chanson et couleur,
Tout est amour et douceur,
Tout est frisson et chaleur,
Tout est bonheur, enchantement
Comme il fait bon dans ma cabane

Le sentier qui monte en haut,
Il est long comme mes soupirs,
Il est long comme mes chansons,
Il est long comme la distance
Entre l'agneau et sa maman...
Comme il fait triste dans ma cabane ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


La caravane

La caravane passe
Entourée d'une cadence,
D'un silence,
D'un rythme sans écho.
Cherchant des sources des coteaux
Comme sur les mers, sans routes, les bateaux.
Sur la page blanche du désert
Où la lumière fond comme le plomb sur la flamme,
Les gazelles regardent de leurs yeux de femme.
La caravane passe
Liant les pays et les races,
Laissant sous leurs pas
Des mesures égales.
Le soleil est blanc, un morceau de cristal
Escortée par des ombres vives et berçantes,
Pensant à la nuit aux fraîcheurs caressantes
La vie a le rythme du pas des chameaux.
Tel un ciel hivernal par ses astres, les hameaux.
Des visages maigres et des regards sombres,
Leurs nuits sont longues et leur fatigue brève,
Cultivant la lumière et récoltant l'ombre.
Ils consolent leur espoir sur l'oreiller du rêve.

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)


Le silence ... (extrait)

Silence ... silence ...
Sur les cimes, dans les vallées,
Sur la neige immaculée,
Dans les parcs, dans les plaines ...
Le monde retient son haleine.

Les ruisseaux ne murmurent plus
Comme dans les caves,
Comme dans les vignes
C'est le silence, c'est le silence

Le ciel se tait ...
Le vent se tait
Comme si c'était un jour d'été ...
C'est le silence, c'est le silence
Mais ceci n'est
Qu'une apparence! ...
Interroge-le !
Est-il muet ?
Ecoute-le bien
Entends-le bien

Il te dira combien je t'aime

Sous ma poitrine mon coeur se tait
De nostalgie et d'espérance ...
Dans le bonheur, dans la souffrance
Le mot sublime est le silence,
C'est le silence, c'est le silence,
C'est l'ivresse de l'espérance ! ...

Kamuran Aali Bedir Khan ("La Lyre kurde" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1973)



29 avril 2007

Europe - Portugal - Fernando Pessoa

Fernando Pessoa (1888-1935) est le poète et écrivain portugais le plus connu et le plus traduit.

De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...

De mon village

Dans les villes la vie est plus petite
Qu'ici dans ma maison sur la crête de cette colline.
Dans les villes les grandes maisons ferment la vue à clé...
De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...
C'es pourquoi mon village est aussi grand qu'un autre pays quelconque.

Da minha aldeia

Nas cidades a vida é mais pequena
Que aqui na minha casa no cimo deste outeiro.
Na cidade as grandes casas fecham a vista à chave...
Da minha aldeia vejo quanto da terra se pode ver no Universo...
Por isso a minha  aldeia é tao grande como outra terra qualquer...

Fernando Pessoa - sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro ("Le gardien de troupeaux" - "O Guardador de rebanhos").


Comme des nuages dans le ciel

Comme des nuages dans le ciel
je  sens mes rêves passer.
Aucun d'eux ne m'appartient
Et je les ai pourtant rêvés.

Como nuvens pelo céu

Como nuvens pelo céu
Passam os sonhos por mim.
Nenhum dos sonhos é meu
Embora eu os sonhe assim.

Fernando Pessoa 1932


Entre le sommeil et le songe

Entre le sommeil et le songe,
Entre moi et ce qui en moi
Est l'être que je me suppose,
Coule un fleuve sans fin.
Il est passé par d'autres rives,
Toujours autres et plus lointaines,
Au cours de ces nombreux voyages
Que connaissent les fleuves.
Il est arrivé là où j'habite à présent
Cette maison qu'à présent je suis.
Il passe,si je ne médite;
Si je m'éveille,il est passé.
L'être que je ressens et qui se meurt
Dans ce qui m'enchaîne à moi-même
Sommeille où le fleuve s'écoule
Ce fleuve qui n'a pas de fin.

Entre o sono eo sonho

Entre o sono eo sonho,
Entre mim e o que em mim
E o quem eu me suponho,
Corre um rio sem fim.
Passou por outras margens,
Diversas mais além,
Naquelas varias viagens
Que todo o rio tem.
Chegou onde hoje habito
A casa que hoje sou,
Passa,se eu me medito;
Se desperto,passou.
E quem me sinto e morre
No que me liga a mim
Dorme onde o rio corre
Esse rio sem fim.

Fernando Pessoa 1933 (Cancioneiro)


29 avril 2007

Europe de l'Est - Roumanie - Poètes roumains et Tsiganes

De Jenuz Duka, poète tsigane d'aujourd'hui, ces poèmes chantés, en rromani (deux "r"), la langue des Rroms (Roms). Les Roms sont autrement appelés les Tsiganes, qu'il ne faut pas confondre avec les Roumains, même si  c'est sur le territoire de la Roumanie qu'ils sont les plus nombreux : Roumains et Roms ont des origines, des langues et des cultures différentes.

Le toit de notre maison (chanson)

Le toit de notre maison,
C’est le grand ciel tout nu.
Notre maison est solide.
Personne ne peut la renverser.

Les fondations de notre maison
C’est un coin de terre sans rien.
Notre maison est solide
Personne ne peut la ruiner.

Les murs de notre maison
C’est le froid et ce sont les vents.
Notre maison est solide
Personne ne peut l’atteindre.

A notre maison, il y a une fenêtre
A la fenêtre, tes yeux.
Notre maison est solide
C’est le cœur tsigane.

Jenuz Duka (sur une musique d' Astrit Qerimi)

Texte original :

Amare kheresqo ćhatlo / Le toit de notre maison (chanson)

Amare kheresqo ćhatlo
si o baro devel o nango.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti peravel les.

Amare kheresqo temèli
si o nango than e phuvǎqo.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti thabarel les.

Amare kheresqe barranga
si o śil ta e balvala.
Amaro kher si zoralo
khonik naśti xarravel les.

Amare kheresθe jekh penʒèra
k-i penʒèra tire jakha.
Amaro kher si zoralo
Ov si o rromano ilo.

Jenuz Duka

Deuxième texte :

Oiseau (chanson)

Je veux être un oiseau
Pour retourner près de toi,
Je veux poursuivre ma route,
Sans toi je ne peux pas.

Pourquoi m'as-tu quitté ?
Pourquoi m'as-tu m'oublié ?
Qu'ai-je fait pour celà, je me le demande,
Pourquoi me faire pleurer.

Je veux être un oiseau
Pour retourner près de toi,
Je veux oublier tout le reste
Et mourir près de toi.

Jenuz Duka (sur une musique d' Astrit Qerimi)

version originale en roumain :

Ćirikl / Oiseau (chanson)

Ćirikli ka kerdǒvav
tuθe mangav te avav
sa o drom mangav te prastav
bi tiro naśti beśav.

Sosθar gelǎn tu naśe manθar ?
Sosθar man tu bistardan ?
So kerdom tuqe, pućhav tut
kerè'a man te rovav.

Ćirikli ka kerdǒvav
tuθe mangav te avav
aver sa mangav te bistrav
paśe tuθe te merav.

Jenuz Duka


Autres poètes Roms et des poètes roumains, à suivre


29 avril 2007

Europe de l'est - poètes de Russie

Alexandre Pouchkine (Alexandre Sergueïevitch Pouchkine - en russe :  Александр Сергеевич Пушкин) est né à Moscou en 1799. Il est mort en 1837.

C'est un des plus importants écrivains russe, romancier (La Dame de pique, nouvelle - 1833 ...), dramaturge  et poète (Eugène Onéguine - roman en vers, 1823 à 1831 ; Les Tsiganes - 1824 ...).
Sous le règne d'Alexandre Ier, il est exilé dans le Caucase ("Le Prisonnier du Caucase" - poésies, en 1821), puis le tsar Nicolas Ier, qui lui succède, le prend sous sa protection.
Il est tué au cours d'un duel. Mikhaïl Lermontov (voir plus haut) a écrit "La Mort du poète" en hommage à Pouchkine.

La rose et le rossignol

Dans l'ombre et le silence et la nuit du printemps
Chante le rossignol aux jardins d'Orient,
Chante son chant d'amour pour l'insensible rose
Qui ne l'écoute pas, se balance et repose.
Tel celui qui célèbre une froide beauté ;
Eveille-toi, poète, à quoi sert de chanter ?
Insensible au poète ainsi l'ignore-t-elle,
Belle à qui la regarde, et sourde à qui l'appelle.

Alexandre Pouchkine ("Poésie russe" - anthologie du XVIIIe au XXe siècle - traduction de Jean-Luc Moreau - éditions Maspéro - coll La Découverte, 1983)


 

Soir d'hiver

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête,
Ou gémit comme un enfant,
Et soufflant soudain pénètre
Dans le vieux chaume avec bruit,
Elle frappe à la fenêtre,
Voyageur pris par la nuit.

La chaumière est triste et sombre,
Chère vieille, qu'as-tu donc
A rester dans la pénombre,
Sans plus dire ta chanson ?
C'est la bise qui résonne
Et, hurlant, t'abasourdit ?
Ou la ronde monotone
Du fuseau qui t'assoupit ?

Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !
Chante comme l'hirondelle,
Doucement vivait au loin ;
Chante-moi comme la belle
Puisait l'eau chaque matin.

Ciel de brume ; la tempête
Tourbillonne en flocons blancs,
Vient hurler comme une bête
Ou gémit comme un enfant.
Mais buvons, compagne chère
D'une enfance de malheur !
Noyons tout chagrin ! qu'un verre
Mette de la joie au cœur !

Alexandre Pouchkine ("Poésie" - Alexandre Pouchkine - traduction de Claude Frioux - Librairie du Globe, 1999) 
Il existe d'autres traductions de ce poème.

Texte original du poème en russe :

ЗИМНИЙ ВЕЧЕР (Soir d'hiver)

Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя,
То по кровле обвешалой
Вдруг соломой зашумит,
То, как путник запоздалый,
К нам в окошко постучит.
Наша ветхая лачужка
И печальна и темна.
Что же ты, моя старушка,
Приумолкла у окна ?
Или бури завыванием
Ты мой друг утомлена,
Или дремлешь под жужанием
Своего веретена ?
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.
Спой мне песню, как синица
Тихо за морем жила ;
Спой мне песню, как девица
За водой поутру шла.
Буря мглою небо кроеть,
Вихри снежные крутя ;
То, как зверь она завоет,
То заплачет как дитя.
Выпьем, добрая подружка
Бедной юности моей,
Выпьем с горя ; где же кружка ?
Сердцу будет веселей.


Пушкин


Mikhaïl Lermontov (1814-1841) est un poète russe, de la Russie des tsars, bien avant la Révolution et l'URSS.
Il a publié un seul recueil de poèmes, en 1840.
"Engagé dans les troupes du Tsar pour la conquête du Caucase, il a consacré plusieurs poèmes aux peuples montagnards, vus à la fois comme des peuples fiers et libres et comme des bandits vivants de rapines."

Le texte original en russe et les précisions entre guillemets, sont issues du site universitaire : http://epi.univ-paris1.fr

Voici un de ses plus fameux poèmes, une berceuse, apparemment pour les enfants, mais ...
"Le passage le plus célèbre de la berceuse est le « Злой чеченец ползëт на берег, точит свой кинжал » (Le méchant tchétchène rampe sur la berge, aiguise son couteau) – qui n’est pas chanté ici. Il est néanmoins fréquemment cité pour expliquer les représentations dominantes en Russie sur les Tchétchènes, en particulier depuis le début de la seconde guerre de Tchétchénie en 1999" (1).

Спи, младенец мой прекрасный,
Баюшки-баю.
Тихо смотрит месяц ясный
В колыбель твою.
Стану сказывать я сказки,
Песенку спою;
Ты ж дремли, закрывши глазки,
Баюшки-баю.
(……)
Богатырь ты будешь с виду
И казак душой. --
Провожать тебя я выйду
Ты махнëшь рукой...
Сколько горьких слëз украдкой
Я в ту ночь пролью!..
Спи, малютка, тихо, сладко,
Баюшки-баю.


Dors, mon enfant, dors, mon joli,
Do-do, do-do.
Doucement la lune se penche
Sur ton berceau.
Je vais te dire des légendes,
Chanter pour toi ;
Mais dors, ferme tes petits yeux
Do-do, do-do.
(….) (1)
Héros d’aspect, sois dans ton âme
Un vrai Cosaque !
Je sortirai... Tu me feras
De loin adieu.
Ah ! que de pleurs amers, secrets,
Cette nuit-là !
Dors, mon ange, sans bruit, tout doux...
Do-do, do-do.

Mikhaïl Yourievitch Lermontov (1840) ("Anthologie de la poésie russe" - traduction de Jacques David - éditions Stock, 1947)
Cette berceuse traditionnelle est chantée par Marina Vlady.
(1) Passage omis : Sur les cailloux le Terek roule,  / Sombre, et clapote, / Sur ses bords le Tchétchène aiguise, /  Sournois, sa lame : / Mais ton père, le vieux guerrier, / Est endurci ; / Dors, mon petit, dors, n’aie point peur, /  Do-do, do-do. / Tu apprendras (tu as le temps) /  À guerroyer. / Hardi, tu chausseras l’étrier, /  Tu t’armeras... / J’ornerai ta selle de guerre / De soie brodée... / Dors, mon enfant, dors, mon chéri, /  Do-do, do-do.

Un autre texte du même auteur : Le voilier

ПАРУС (Le voilier)

Белеет парус одинокий
В тумане моря голубом!..
Что ищет он в стране далекой?
Что кинул он в краю родном?..

Играют волны - ветер свищет,
И мачта гнется и скрипит...
Увы, - он счастия не ищет
И не от счастия бежит!

Под ним струя светлей лазури,
Над ним луч солнца золотой...
А он, мятежный, просит бури,
Как будто в бурях есть покой!

Le voilier

Ce voilier tout blanc, solitaire,
Qui dans le brouillard bleu s'enfuit
Qu' a-t-il besoin d'une autre terre?
Qu'abandonna-t-il après lui?

Son mât sur l'onde vagabonde
S'incline et grince dans le vent
Hélas! point de bonheur au monde
Ni derrière lui ni devant

Pour le porter la mer est belle
Le soleil brille au firmament...
Mais lui réclame, le rebelle,
L'orage, cet apaisement.

Mikhaïl Yourievitch Lermontov, 1832

Lermontov a écrit un poème en hommage à Pouchkine, tué en duel (voir Pouchkine plus bas) :

La mort du poète (fragments)

Le poète est mort, de l’honneur esclave ;
Diffamé par l’opinion, il emporte
Au coeur ce plomb... et sa soif de revanche.

Et vous,  (...)
Les bourreaux du génie, et de la liberté !
(...) vous pourrez bien user de calomnie :
Cela ne vous sera d’aucun secours.
Vous ne laverez point de tout votre sang noir
Tout le juste sang du Poète.

Mikhaïl  Lermontov, 1837


Sacha Tchiorny ou Alexandre Noir (pseudonymes du poète Alexandre Glikberg) est né en Russie en 1880. Emigré en France en 1917 après la Révolution russe, il y est mort en 1932. Il a écrit de nombreux poèmes pour les enfants.

La fête de la forêt

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Le mât, l'espar (1),
Pour tenir les agrès ;
Le pont, la coque
Et l' abri du sextant
Pour naviguer
Par mer calme ou gros temps.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
L'aile qui nous soulève au ciel d'un trait ;
Le banc, la table
Où nous nous asseyons,
La feuille blanche
Et même le crayon.

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
Une maison
Pour renards et furets,
Pour l'écureuil,
Sa femme
Et ses petits,
Pour le pivert
Et ses pizzicati (2).

Que plantons-nous
En plantant
Des forêts ?
De l'eau
De l'ombre
Et des feuillages frais ;
Le houx l' hiver,
Au printemps les chatons ...
C' est tout cela
Qu' aujourd' hui
Nous plantons.

(1) l'espar est une longue pièce de bois utilisée pour "tenir les agrès" du bateau.
(2)
pizzicati (pluriel de pizzicato) : musique produite par les pincements des cordes du violon, à quoi on compare ici le bruit que font les coups de bec du pivert sur l'écorce de l'arbre. (Notes du blog Lieucommun)

Sacha Tchiorny (dans "Poèmes de Russie", choisis, traduits et présentés par Jean-Luc Moreau - Éditions ouvrières, 1985)


Daniil Kharms ou Daniil Harms, (1905-1942), en russe : Даниил Хармс (mais son vrai nom est Daniil Ivanovitch Iouvatchev : Даниил Иванович Ювачев), et en plus il a usé de nombreux autres pseudonymes ... a écrit des poèmes, des saynettes et des textes satiriques qui lui ont valu la prison, des années d'exil, et pour finir, la mort en détention psychiatrique, en URSS.

Il est  considéré comme un des précurseurs de l'art absurde en poésie, mais son apport n'a été reconnu dans son propre pays que bien après sa disparition. "Jeu", recueil de textes pour enfants est publié en 1962. Ses textes sont publiés en anglais en 1971, avant de l'être en russe en 1974 ("Oeuvres choisies", Würzburg, Jal-Verlag) ; et c'est l'éditeur français Christian Bourgeois qui publie ses "Écrits" en 1993, dans une traduction de Jean-Philippe Jaccard.

Un tigre dans la rue

Dans ma rue il y a un tigre.
Bigre !
D'où peut-il bien sortir ?
D'où peut-il bien venir ?
Longuement j'ai réfléchi,
J'ai réfléchi et pensé,
J'ai pensé et réfléchi :
D'où ce tigre est-il venu ?
D'où ce tigre est-il sorti ?
Mais le vent a soufflé,
Emportant mes pensées,
Et plus jamais je ne saurai
D'où il peut bien sortir,
D'où il peut bien venir
Dans ma rue ce gros tigre …
Bigre !

Le poème original en russe :

ТИГР НА УЛИЦЕ

Я долго  думал,  откуда
на улице  взялся тигр.
Думал, думал,
Думал, думал,

Oткуда на улице
Bзялся этот  тигр ?
Думал, думал,
Думал, думал.
В это  время ветер дунул,
И я забыл, о чем  я  думал.
Так я и не узнаю,
Откуда
На улице взялся тигр.

Daniil Harms ou Kharms ("Oeuvres en prose et en vers", traduit du russe par Yvan Mignot, Verdier, 2005 ; et ce poème est cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Un dernier texte, en russe et en français, que Daniil Harms a écrit en 1937 :

ИЗ ДОМА ВЫШЕЛ ЧЕЛОВЕК        (Un homme s'en alla)

Из дома вышел человек
 Un jour un homme s'en alla
С дубинкой и мешком
 Avec son baluchon
И в дальний путь
 Et il marcha,
И в дальний путь
 Et il marcha
Отправился пешком.
 Toujours vers l'horizon.

Он шел все прямо и вперед
 Et il avançait ce bonhomme
И все вперед глядел
 Sans jamais s'arrêter.
Не спал, не пил,
 Sans faire un somme,
Не пил, не спал,
 Sans faire un somme (les termes sont inversés)
Не спал, не пил, не ел.
 Sans boire ni manger.

И вот однажды на заре
 Dans une forêt à l'aurore
Вошел он в темный лес
.       Un jour il est entré,
И с той поры,
 Et depuis lors,
И с той поры,
 Et depuis lors
И с той поры исчез. Nul ne l'a rencontré.

Но если как-нибудь его
 S'il vous arrivait par la suite
Случится встретить вам,
 De le voir quelque part,
Тогда скорей,
 Venez bien vite,
Тогда скорей,
 Venez bien vite,
Скорей скажите нам.
 Nous le faire savoir.

Даниил Хармс  Daniil Harms - (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Samuel Marchak (1887-1964) est lui, un poète russe contemporain, qui a connu la Russie impériale et la Russie République de l'URSS. Il est auteur pour enfants de poésies et de pièces de théâtre.

Voici un drôle de voyage :

Les bagages

Une dame avait pour bagages :
Un coffre, une cage, trois paniers, cinq malles, un faitout,
Plus un gentil petit toutou.

Au guichet d’enregistrement,
L’enregistreur évidemment
Enregistra tous ses bagages :
Un coffre, une cage, trois paniers, cinq malles, un faitout,
Un tout petit toutou.

Puis, dans le tout dernier wagon,
Le wagon dénommé fourgon,
On empila tous ses bagages :
On y mit tout, jusqu’au toutou.

Or, avant même qu’on roulât,
Le cher toutou se défila ...

Ce ne fut qu’à l’arrêt suivant
À l’arrêt suivant, pas avant !
Qu’on recompta les bagages :
Nom d’un bonhomme ! et le toutou ?

Au même instant qu’est-ce qu’on voit ?
Un dogue, à côté du convoi ...
On l’attrape, et hop ! aux bagages ! ...
Le mâtin rejoint coffre, cage, paniers, valises, malles et faitout :
Le dit dogue devient toutou.

Bref, on arrive à Jitomir.
Un porteur nommé Vladimir, ou Kantémir ou Clodomir ...
Un porteur porte les bagages :
Sur ses talons trotte un toutou ...

Le toutou pousse un aboiement ! ...
La dame alors : - Hein ? Quoi ? Comment ? Bandits ! Voyous ! Vauriens !
Ce chien ... ce chien n’est pas le mien !
Que m’importent tous ces bagages !
Gardez valises et coffre et cages, malles et faitout ...
Rendez- moi mon petit toutou !

Madame ! à quoi bon tout casser ?
Si j’en crois le récépissé, vous ne déposâtes aux bagages
Alors, qu’un tout petit toutou ...
À voyager, votre toutou
A pu changer du tout au tout !

Ci-dessous, un autre long et drôle de voyage qu'on peut raccourcir. Par exemple, le passage avec les jeux de mots amuse beaucoup les enfants.

L'hurluberlu

Connaissez-vous l'hurluberlu
De la rue Lanturlu ?

Il se lève un dimanche,
Enfile ses deux manches

De chemise… Allons bon,
C'est son vieux pantalon !

Ah ! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu !

Il met des caoutchoucs :
C'est pas les siens du tout!

Et puis un pardessus :
C'est pas le sien non plus !

Ah! quel hurluberlu

De la rue Lanturlu!

Au lieu de son chapeau
Il s'est coiffé d'un pot,

Et il met ses pantoufles
À la place des moufles.

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu !

Il a pris l'autobus
Pour aller à la gare;

S'embrouillant tant et plus,
Le voici qui déclare
Au chauffeur-conducteur :

"Très cher et honoré
Chaubus de l'autoffeur,
Cher auto chauforé,
Honobus du cherfeur !
Laissez-moi démonter,
Je vais être en retard;
Pouvez-vous arrêter
Votre gus à la bare  ?"

Le chauffeur stupéfait
Freine vite à l'arrêt.
Et notre hurluberlu
De la rue Lanturlu
Court alors au buffet
Acheter un billet,
Puis il file chercher
Un sandwich au guichet.

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu!

Sans trop faire  attention,
Il va vers un wagon
Qui était en garage,
Y monte ses bagages,
S'installe et tôt s'endort

Après tous ces efforts,
De bon matin, il dit :

" Quel est donc cet arrêt ? "

" Mais c'est Paris, pardi ! "
Lui répond-on du quai.

Après un petit somme
Il se penche au-dehors,
Voit une gare énorme
Et une fois encore
Demande, un peu surpris :
" Mais quel est cet arrêt ?
Trifouillis ou Tremblay ? "
" Non, pardi, c'est Paris ! "
Lui répond-on du quai.

Il refait un bon somme,
Puis se penche au-dehors,
Voit une gare énorme
Et demande bien fort,
De plus en plus surpris:
" Mais quel est cet arrêt ?
Bécon ou Bilboquet ? "
" Non, pardi, c'est Paris ! "
Lui répond-on du quai.

" Quelle blague ! " il s'écrie,
"J 'ai bien roulé deux jours,
Et voilà qu'à Paris
Je serais de retour ! "

Ah! quel hurluberlu
De la rue Lanturlu... 

Samuel Marchak (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000)


Autre poète russe du XXe siècle : Guenrikh Sapguir

Le capricorne

Dans la rue des Mirages
ce matin
j'ai croisé un bonhomme
qui avait d'aussi longues moustaches
que celles d'un
capricorne.
Mais peut-être était-ce bien
un insecte dit capricorne
qui voulait, gros malin,
se faire passer pour un homme ?

Guenrikh Sapguir (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000).

Les mots de couleur

L’herbe a des mots tout verts
qui chuchotent dans l’air.

Le vent a des mots bleus
qui sont parfois houleux.

Le soleil à l’aurore
a des mots rouge et or.

Et les mots se répondent
en repeignant le monde.

Guenrikh Sapguir (cité dans "Anthologie de la poésie russe pour enfants" - traduction, présentation et choix de Henri Abril - Circé / poésie, 2000).


Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe d'aujourd'hui, est née à Moscou (en 1963), où elle vit toujours. Son premier recueil de poésies en traduction française, L'Animal céleste, est paru en 2004 :

La balance

Sur un des plateaux la joie.
Sur l'autre le chagrin.
Le chagrin est lourd.
Voilà pourquoi
la joie est plus haute.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" recueil en français traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

Je voudrais t’écrire une lettre ...

Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot
de reproche, de rancune, d’insolence,
pas de coquetterie, de caprice, de bravade,
pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe,
pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie…
Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" recueil en français traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

On peut lire ce poème de Vera Pavlova  dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov :  "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".


29 avril 2007

Europe - Turquie - Orhan Veli

Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul, sujet du poème ci-dessous.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J'écoute Istanbul

J'écoute Istanbul les yeux fermés
Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches
Mahmout Pacha est tout grouillant de monde ;
les cours sont pleines de pigeons,
Des bruits de marteaux montent des docks,
dans le vent du printemps flottent
des odeurs de sueur ;
J'écoute Istanbul, les yeux fermés…

Orhan Veli (le passage en français est emprunté à : "Tour de terre en poésie" pour  - Jean-Marie Henry - Rue du Monde éditeur, 1998)

Texte intégral du poème en turc :

İstanbul'u dinliyorum

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Önce hafiften bir rüzgar esiyor ;
Yavaş yavaş sallanıyor
Yapraklar, ağaçlarda ;
Uzaklarda, çok uzaklarda ,
Sucuların hiç durmayan çıngırakları ;
İstanbul'u dinliyorum gözlerim kapalı.

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Kuşlar geçiyor, derken ;
Yükseklerden, sürü sürü, çığlık çığlık.
Ağlar çekiliyor dalyanlarda ;
Bir kadının suya değiyor ayakları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Serin serin Kapalı Çarşı ;
Cıvıl cıvıl Mahmutpaşa ;
Güvercin dolu avlular.
Çekiç sesleri geliyor doklardan,
Güzelim bahar rüzgarında, ter kokuları ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Başında eski alemlerin sarhoşluğu ,
Loş kayıkhaneleriyle bir yalı ;
Dinmiş lodosların uğultusu içinde.
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir yosma geçiyor kaldırımdan ;
Küfürler, şarkılar, türküler, laf atmalar.
Bir şey düşüyor elinden yere ;
Bir gül olmalı ;
İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;

İstanbul'u dinliyorum, gözlerim kapalı ;
Bir kuş çırpınıyor eteklerinde ;
Alnın sıcak mı değil mi, biliyorum ;
Dudakların ıslak mı değil mi, biliyorum ;
Beyaz bir ay doğuyor fıstıkların arkasından
Kalbinin vuruşundan anlıyorum ;
İstanbul'u dinliyorum.

Orhan Veli
(Le passage qui a été traduit en français est mis en couleur).


Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 > >>
Publicité