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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de RAYMOND QUENEAU

- Raymond Queneau et l' OULIPO -

Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Jacques Bens, Jean Lescure, Georges Perec, Jacques Roubaud appartiennent à ce mouvement, caractérisé par des contraintes littéraires d'écriture, telles que l'absence d'une voyelle (Georges Perec : La Disparition), une réécriture de poèmes connus (comme le texte de Raymond Queneau présenté ici), etc. On en trouvera des exemples sur le blog, voyez le SOMMAIRE en page 1 de cette catégorie.
Auteur en particulier d' Exercices de style (60 formes différentes à partir d'un même texte) et de Zazie dans le Métro, Raymond Queneau publie en 1961 l'ouvrage Cent Mille Milliards de Poèmes, qui permet par combinaisons de vers de composer une infinité (ou presque !) de sonnets  réguliers.
Il est élu à l'Académie Goncourt en 1951.

Pour un art poétique

Prenez un mot prenez en deux
faites les cuir' comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d'innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et mettez les voiles
Où voulez vous donc en venir ?
À écrire Vraiment ? À écrire ?

Raymond Queneau ("Le Chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)

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Cent mille milliards de poèmes

Raymond Queneau précise dans la présentation de l'ouvrage :

"C'est plus inspiré par le livre pour enfants intitulé "Têtes folles" * que par les jeux surréalistes du genre Cadavre exquis que j'ai conçu  et réalisé ce petit ouvrage qui permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C'est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes".

* Le livre-jeu "Têtes folles" propose 3 séries de languettes mobiles montées sur des anneaux, tête, corps, jambes, pour créer par d'innombrables combinaisons (cent mille milliards aussi ?), de drôles de personnages. Ce principe a été par la suite réutilisé avec des images d'animaux.
L'œuvre de Queneau est constituée, elle, de 14 vers sous 10 versions différentes pour chaqcun, c'est à dire 1014 combinaisons

Raymond Queneau dit encore à propos de son ouvrage : "En comptant 45 s pour lire un sonnet et 15 s pour changer les volets à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a pour plus d’un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails)" (Citation empruntée à http://savoir.pingouin.org/index.php/Cent_Mille_Milliards_de_Po%C3%A8mes)

Malgré tout, cet exercice se rapproche dans son principe, et pour la création poétique avec les élèves, du Cadavre exquis décrit dans cette catégorie au paragraphe consacré à André Breton (voir le SOMMAIRE).

Une des cent mille milliards de versions possibles* ...

Il se penche il voulait attraper sa valise
se faire il pourrait bien que ce soit des jumeaux
la découverte alors voilà qui traumatise
des narcisses on cueille ou bien on est des veaux

L'un et l'autre a raison non la foule insoumise
qui clochard devenant jetait ses oripeaux
un frère même bas est la part indécise
à tous n'est pas donné d'aimer les chocs verbaux

La Grèce de Platon à coup sûr n'est point sotte
on comptait les esprits acérés à la hotte
il voudra retrouver le germe adultérin

Ne fallait pas si loin agiter ses breloques
tu me stupéfies plus que tous les ventriloques
le Beaune et le Chianti sont-ils le même vin ?

Raymond Queneau ("Cent mille milliards de poèmes" - Gallimard 1961)

* Voir à cette adresse, où a été emprunté le texte qui précède, l'intégralité des 1014 combinaisons de vers pour "Cent mille milliards de poèmes" :
http://membres.lycos.fr/bouillondepoesie/auteur_Queneau.htm

logo_cr_ation_po_tique Le "Poème multiple", sur le principe de Cent mille milliards de poèmes

Le poème multiple propose un choix (ou laisse faire le hasard*) de plusieurs écritures possibles pour chacun de ses vers, capable de produire au final un poème différent mais correct (du point de vue grammatical au moins).
Comme pour le Cadavre exquis, cette activité suppose une maîtrise par les élèves de la structure de la phrase et de la relation logique entre ses différents éléments.

  • Avec des rimes :

On pourra se limiter pour la création du poème multiple à un quatrain avec trois, quatre ou cinq versions de chaque vers. Calculez le nombre de combinaisons, c'est déjà pas si mal !
Choisir 2 séries de syllabes-rimes des plus répandues, comme dans le texte de Queneau : age, eure, ise, ote, in, sous leurs différentes graphies ; et/ou des sons voyelles pour jouer plus facilement sur des assonances : a, o, i, u, ou, au, on...

Se constituer un stock de mots regroupés par rimes.

Exemple 1 : Structurer le poème de manière à construire une phrase avec  les deux premiers vers et une deuxième avec les deux derniers. Pour le quatrain, on aura le choix entre des rimes alternées ou embrassées. Masculines-féminines, mais sans contrainte, c'est déjà assez ardu !
On décidera si les variantes du poème doivent présenter une certaine logique, ou si on se donne toutes les libertés.
Ce premier exemple proposé par le blog est en alexandrins. On a utilisé ici la même structure interne pour chaque groupe de vers, constituée d'une phrase simple pour la première série. Le quatrain est lui-même structuré en 4 parties. L'ensemble tente de rester dans le thème annoncé par le titre :

Les évadés du zoo

1. Le lion dévorait un lièvre de passage / Le canari sciait les barreaux de sa cage / Une tortue bronzait toute nue sur la plage / Un chameau traversait la rivière à la nage

2. Sans se préoccuper ni du jour ni de l'heure / En songeant que demain arriverait sa sœur / Le désir d'aventure est plus fort que la peur / Un complice attendait sur son vélomoteur

3. Quand tout-à-coup  a éclaté un gros orage / Mais la police est arrivée dans les parages  / Une tempête a traversé le paysage / C'était le jour de l'ouverture de la chasse (assonance)

4. L'horoscope annonçait des lendemains meilleurs  / Les animaux les plus futés font des erreurs / Les émotions ont provoqué l'arrêt du cœur / Qui saura consoler le gardien en pleurs ?

(proposé par le blog)

Exemple 2 : On garde le principe des rimes ou assonances, mais en se rapprochant de la structure proposée pour le Cadavre exquis (développé au paragraphe André Breton). Puisqu'il n'y a qu'une phrase finalement par production, on peut construire un texte en regroupant plusieurs variantes :

1. C'est un arbre de la forêt / C'est un petit chat tigré / C'est une fée mal réveillée / C'est un nuage sur le clocher
2. qui a mangé /qui a rayé / qui a caché / qui a volé
3. la camionnette / le pantalon / la bague / les lunettes
4. du boulanger / de la mariée / du jardinier / de mon pépé

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* Une présentation du "poème multiple" en choisissant les lignes ou en laissant faire le hasard :

  • Écrire chaque vers sur un panneau  fixé sur un axe vertical (à la manière d'une girouette ou d'un panneau de signalisation à directions multiples). Un axe porte autant de panneaux rayonnants que de différentes écritures pour chaque vers. Autant d'axes donc, que le poème a de vers. Installer les axes en ligne (ce n'est pas la présentation habituelle d'un poème en vers, mais c'est déjà assez compliqué). On obtient un poème différent en faisant tourner les "girouettes" les unes après les autres (prévoir un système d'arrêt-blocage pour la lecture en ligne).
  • Écrire chaque vers sur des disques (à l'image d'une roue de loterie foraine). Autant de disques que de vers au poème. Aligner les roues, comme précédemment les panneaux. L'axe central peut être fixé sur une longue planche. On fait tourner la roue, et un repère indique le vers à lire quand elle s'arrête.
  • Présentation en utilisant des rouleaux de longueur et de diamètre suffisant. L'idéal serait de se procurer des tubes de protection ayant servi à l'expédition ou à la protection de posters. Chaque tube pourrait sans doute être coupé en deux au milieu diamétralement pour donner deux supports. Il faudra autant de rouleaux que de vers au poème. On collera les écritures autour de chaque rouleau en longueur. Les rouleaux  seront enfilés sur le même axe fixe. Ce sont eux qu'on fait tourner. Ici encore, la difficulté est d'arrêter la lecture approximativement au même niveau sur toute la longueur. Variante de disposition : Les rouleaux sont alignés les uns en-dessous des autres, portés sur une structure (cadre en bois par exemple), comme un boulier géant. L'avantage est de présenter le "poème multiple" dans sa disposition traditionnelle.

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  • La règle S+7

Autre exercice oulipien, imaginé par Jean Lescure (voir au paragraphe de cet auteur ci-dessus)

Ci-dessous le texte de départ (la première fable dans l'œuvre de La Fontaine), auquel Raymond Queneau a appliqué la règle, en utilisant sans doute un dictionnaire des plus fourmnis !

La cigale et la fourmi

La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal."
La fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
"Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien : dansez maintenant."

Jean de la Fontaine 1621-1695 ; (Fables, livre 1 - première fable - cet ouvrage a connu d'innombrables éditions)

La fable classique transformée reste reconnaissable par sa structure, intacte,  maintenue par le lien des mots inchangés, pronoms, déterminants, conjonctions, prépositions, adverbes :

La Cimaise et la Fraction

La Cimaise ayant chaponné
Tout l’éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique,
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu’à la salanque nucléaire.
"Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l’apanage, folâtrerie d’Annamite !
Interlocutoire et priodonte."
La Fraction n’est pas prévisible :
C’est là son moléculaire défi.
"Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette enarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
- Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante.
Eh bien ! débagoulez maintenant."

Raymond Queneau  ("Variations sur S+7 - OULIPO, La Littérature potentielle" - éditions Gallimard, 1973)

logo_cr_ation_po_tique Des poèmes sur le principe de S+7
Cet exercice s'adresse aux grandes classes, C3 et collège, puisque les élèves doivent être capables d'utiliser aisément le dictionnaire et d'identifier précisément la nature des mots du poème auxquels va s'appliquer la transformation : noms communs, adjectifs et verbes (les adverbes n'ont pas subi de transformation dans la fable).

Le matériel indispensable est un dictionnaire par élève, adapté au niveau de la classe (pas le Littré, que peut-être Queneau a utilisé !...).
On choisira un texte de départ assez court, structuré. La fable est un modèle de départ intéressant.
Ils procèdent à la recherche dans le dictionnaire de chaque mot à transformer, en repérant le 7e mot de même nature (et de même genre pour les noms) qui suit. Ce mot remplacera exactement l'original, c'est-à-dire qu'il devra s'accorder en genre et en nombre. Pour les verbes, il sera conjugué au même temps et à la même personne que celui qu'il remplace. On ne se préoccupe pas des rimes, bien entendu.
Si on rencontre une trop grande difficulté (de sens, d'accord...) on s'autorisera à choisir plutôt le mot suivant ou précédent.

  • Variante : évidemment S+7 n'est pas la seule transformation possible. On essaiera par exemple S+6 ou S-4.  D'ailleurs, à partir d'un même poème original, les élèves pourront choisir chacun une formule de transformation différente. On comparera les variantes, on les regroupera peut-être dans un même recueil.

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Cris de Paris

On n'entend plus guère le repasseur de couteaux
le réparateur de porcelaines le rempailleur de chaises
on n'entend plus guère que les radios qui bafouillent
des tourne-disques des transistors et des télés
ou bien encore le faible aye aye ouye ouye
que pousse un piéton écrasé

Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)

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Queneau s'intéresse à nouveau aux deux insectes de la célèbre fable de La Fontaine, dans une scène inattendue et enlevée :

La fourmi et la cigale

Une fourmi fait l'ascension
d'une herbe flexible
elle ne se rend pas compte
de la difficulté de son entreprise
elle s'obstine la pauvrette
dans son dessein délirant
pour elle c'est un Everest
pour elle c'est un Mont Blanc
ce qui devait arriver arrive
elle choit patatratement
une cigale la reçoit
dans ses bras bien gentiment
eh dit-elle point n'est la saison
des sports alpinistes
(vous ne vous êtes pas fait mal j'espère ?)
et maintenant dansons dansons
une bourrée ou la matchiche.

Raymond Queneau ("Battre la campagne" - 1967, Gallimard poésie, même ouvrage que "Courir les rues")

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L'auteur s'affranchit ici du lexique et des règles d'orthographe, exercice qu'il affectionne :

Maigrir

Y en a qui maigricent sulla terre
Du vente du coq-six ou des jnous
Y en qui maigricent le caractère
Y en a qui maigricent pas du tout
Oui mais
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé

II

Lautt jour Boulvar de la Villette
Vlà jrenconte le bœuf à la mode
Jlui dis Tu mas l’air un peu blett
Viens que jte paye une belle culotte
Seulement jai pas pu passque
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé

III

Dpuis ctemps jfais pus dgymnastique
Et jmastiens des sports d’hiver
Et comme avec fureur jmastique
Je pense que si je persévère
Eh bien
Jmégrirai du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Jmégrirai même de partout
Même de lesstrémité du cou

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1966, Gallimard poésie, même ouvrage que "Les Ziaux").
Sur une musique de Gérard Calvi, ce texte est devenu une chanson, interprétée par Denise Benoît (voir paragraphe Roland Bacri) en 1968, Les Charlots (1977), d'autres sans doute ...

 

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Pauvre type

Toto a un nez de chèvre et un pied de porc
Il porte des chaussettes
en bois d'allumette
et se peigne les cheveux
avec un coupe-papier qui a fait long-feu
S'il s'habille les murs deviennent gris
S'il se lève le lit explose
S'il se lave l'eau s'ébroue
Il a toujours dans la poche
un vide-poche

Pauvre type

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1966, Gallimard poésie, même ouvrage que "Les Ziaux")

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Encore l'art po

C'est mon po - c'est mon po - mon poème
Que je veux - que je veux - éditer
Ah je l'ai - ah je l'ai - ah je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Oui mon po - oui mon po - mon poème
C'est à pro - à propos - d'un pommier
Car je l'ai - car je l'ai - car je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Il donn' des - il donn' des - des poèmes
Mon popo - mon popo - mon pommier
C'est pour ça - c'est pour ça - que je l'aime
La popo - la popomme - au pommier

Je la sucre - et j'y mets - de la crème
Sur la po - la popomme - au pommier
Et ça vaut - ça vaut bien - le poème
Que je vais - que je vais - éditer

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)

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L’arbre qui pense

L’arbre qui pense
les pieds dans sa grille
à quoi pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
Le chien qui pense
la patte en l’air
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
le pavé qui pense le ventre poli de pas
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
ciel toits et nuages
voyez-moi
là tout en bas
qui marche
et qui pense à l’arbre qui pense
au chien au pavé
oh ça oh mais à quoi pensent-ils donc
à quoi pensent-ils donc

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965) - toujours sans ponctuation

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Égocentrisme

Je m'attendais au coin de la rue
j'avais envie de me faire peur
en effet lorsque je me suis vu
j'ai reculé d'horreur

Faisant le tour du pâté de maisons
je me suis cogné contre moi-même
c'est ainsi qu'en toute saison
on peut se distraire à l'extrême

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JULES RENARD

livre_Jules_Renard_histoires_naturelles

- Jules Renard -

Jules Renard (1864-1910), écrivain, poète, est célèbre pour son Journal, le roman  Poil de carotte, et les Histoires Naturelles, (1896) chef-d'oeuvre de concision imagée ou de saynètes théâtrales dans l'évocation des animaux.

Tirés de son livre, Histoires Naturelles (éditions Flammarion, 1896 - nombreuses rééditions : photo de l'édition de poche Ganier-Flammarion en 2000)
d'abord ces croquis si justes de petits puis de plus gros animaux :

Le lézard

[...]
Le mur
- Je ne sais quel frisson me passe sur le dos.
Le lézard
- C’est moi.
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Le serpent

Trop long.
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Le cafard

Noir et collé comme un trou de serrure.
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Le ver

En voilà un qui s’étire et qui s’allonge comme une belle nouille.
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Le ver luisant

Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y encore de la lumière chez lui.
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L'araignée

Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.
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Le hanneton

1.

Un bourgeon tardif s'ouvre et s'envole du marronier.
2.

Plus lourd que l'air, à peine dirigeable, têtu et ronchonnant, il arrive tout de même au but, avec ses ailes en chocolat.
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Les fourmis

Chacune d'elles ressemble au chiffre 3.
Et il y en a ! il y en a !

Il y en a 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 ... jusqu'à l'infini.

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L'escargot

Casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l'escargot bout comme un nez plein. 
Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue.
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La puce

Un grain de tabac à ressort.
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Le papillon

Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur.
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La demoiselle (ou libellule)
Elle soigne son ophtalmie. 
D'un bord à l'autre de la rivière, elle ne fait que tremper dans l'eau fraîche ses yeux gonflés.
Et elle grésille, comme si elle volait à l'électricité.
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L'écureuil

1.

Du panache ! du panache ! oui, sans doute ; mais, mon petit ami, ce n'est pas là que ça se met.
2.
Leste allumeur de l'automne, il passe et repasse sous les feuilles la petite torche de sa queue.
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Le brochet

Immobile à l'ombre d'un saule, c'est le poignard dissimulé au flanc du vieux bandit.
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La baleine

Elle a bien dans la bouche de quoi se faire un corset, mais avec ce tour de taille ! ...
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Le corbeau


L'accent grave sur le sillon.
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Deux scènes de la vie quotidienne :

Le chat

1.
Le mien ne mange pas les souris ; il n'aime pas ça.
Il n'en attrape que pour jouer avec.
Quand il a bien joué, il lui fait grâce de la vie, et il va rêver ailleurs, l'innocent, assis dans la boucle de sa queue, la tête bien fermée comme un poing.
Mais à cause des griffes, la souris est morte.
2.
On lui dit : "Prends les souris et laisse les oiseaux !"
C'est bien subtil, et le chat le plus fin quelquefois se trompe.

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Le paon

Il va sûrement se marier aujourd'hui.
Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt.
Il n'attendait que sa fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut tarder.
Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d'usage.
L'amour avive l'éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre.
La fiancée n'arrive pas.
Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil.
Il jette son cri diabolique :
Léon ! Léon !
C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond.
Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l'admirer.
Il redescend dans la cour, si sûr d'être beau qu'il est incapable de rancune.
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron.
Il gravit les marches, comme des marches de temple, d'un pas officiel.
Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle.
Il répète encore une fois la cérémonie.

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Et une fable, imitée de Jean de La Fontaine (la colombe et la fourmi) :

La fourmi et le perdreau

Une fourmi tombe dans une ornière où il a plu et elle va se noyer, quand un perdreau, qui buvait, la pince du bec et la sauve.
- Je vous la revaudrai, dit la fourmi.
- Nous ne sommes plus, répond le perdreau sceptique, au temps de La Fontaine. Non que je doute de votre gratitude, mais comment piqueriez-vous au talon le chasseur prêt à me tuer ! Les chasseurs aujourd’hui ne marchent point pieds nus.
La fourmi ne perd pas sa peine à discuter et elle se hâte de rejoindre ses sœurs qui suivent toutes le même chemin, semblables à des perles noires qu’on enfile.
Or, le chasseur n’est pas loin.
Il se reposait, sur le flanc, à l’ombre d’un arbre. Il aperçoit le perdreau piétant et picotant à travers le chaume. Il se dresse et veut tirer, mais il a des fourmis dans le bras droit. Il ne peut lever son arme.
Le bras retombe inerte et le perdreau n’attend pas qu’il se dégourdisse.

Jules Renard ("Histoires naturelles" - éditions Flammarion, 1896)

logo_cr_ation_po_tiquePortraits d'animaux

À la manière du texte sur le chat,  de Jules Renard, observer (se documenter) les caractéristiques physiques, les traits de caractère, les habitudes et le comportement d'animaux familiers ou connus. Imaginer une saynète amusante. Voir Jacques Roubaud (La vache : description), pour d'autres idées de création poétique : décrire en première impression.

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de YAK RIVAIS

- Yak Rivais -

Yak Rivais, enseignant et auteur pour la jeunesse, est né en 1939. Il a écrit de nombreux ouvrages, mêlant contes et jeux de mots ("Les demoiselles d'A" est composé exclusivement de phrases empruntées à différents ouvrages). Dans  "Les sorcières sont N.R.V.", il s'est exercé avec talent au tautogramme (tous les mots commencent par la même lettre).
Ce livre contient bien d'autres expériences auxquelles l'auteur soumet le langage. 

livre_Yak_Rivais_sorci_resCauchemar !

Voici Venir Vingt Vampires Verts !
Six Sales Sorcières Sifflantes Suivent !
Deux Dragons Déchaînés Dégobillent Des Déchets Dégoûtants
Attention Aux Affreux Assaillants !
Courez, Car Cinquante Crapauds Crachent Cent Cancrelats Caoutchouteux !
Trente Terrifiants Tapirs Tonitruent !
Mille Monstres Marins Mordent
!
Cent Cavaliers Chevauchent Cent Centaures Colossaux !
Douze Diables Dévorent Douze Dames Désespérées !
Fuyez Faibles Femmes !

Yak Rivais ("Les sorcières sont N.R.V." - L'École des Loisirs, 1989)
et Claude Gagnière, dans "Au bonheur des mots", page 132 (éditions Robert Laffont, 1989)

logo_cr_ation_po_tique Tautogramme 
Cet exercice est ardu, car respecter la contrainte à la lettre (c'est bien ça), complique la construction de phrases.
Pour réduire la difficulté, on peut limiter le nombre de mots par initiale, ou/et décider que seuls les verbes, noms, adverbes et adjectifs obéiront à la règle. On obtiendra alors un effet d' allitération. Voir d'autres tautogrammes dans la partie "JEUX".

Exemple :
1. 
Votre vieux vélo va si vite que vous volez.
Voulez-vous vraiment que je voyage avec vous ?

2. 
Un simple serpent suffit souvent à soulager les sinusites
Faites-le frire, farinez-le et frappez-vous fortement le front.

On trouvera ici des productions d'élèves, avec de vrais tautogrammes :
http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/HTML/SALLESDEJEUX/JEUTAUTOGRAM.html

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de GHISLAINE ROMAN

livre_Ghislaine_Roman_si

- Ghislaine Roman -

Ghislaine Roman, enseignante en élémentaire et auteure contemporaine pour les enfants a publié des albums ("Le parapluie volant", "Tukaï, l'enfant sorcier "...) et des recueils poétiques ("Le livre des peut-être", "Le livre des si"), tous aux éditions Milan.

Comme Jean-Hughes Malineau, Ghislaine Roman propose "des rencontres ponctuelles dans les écoles, les bibliothèques ou médiathèques [...] en liaison directe avec ses albums, [...] de préférence en école maternelle et élémentaire".
Voir son site pour plus d'infos (lien direct cliquable) :

http://charte.repertoire.free.fr/r/roman.html

Si (extrait)

Si les girafes savaient tricoter,
il leur faudrait dix ans pour faire un cache-nez.
Si la mer était sucrée,
les icebergs seraient des sorbets.
Si les mille-pattes portaient des souliers,
ils passeraient leur nuit à les cirer.
Si on mettait des pierres dans les sabliers,
est-ce que ça empêcherait le temps de passer ?

Si 1 plus 1 ne faisait plus 2,
ce serait triste pour les amoureux...

Ghislaine Roman ("Le livre des si", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2004)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Peut-être

Peut-être que les clowns ont de grandes chaussures
parce qu’ils ont de grands pieds.
Peut-être que la nuit est noire
Pour qu’on ne la confonde pas avec le jour.
Peut-être que les abeilles font du miel
parce qu’elles ne savent pas faire du chocolat.
Peut-être que les moutons portent de la laine
parce qu’ils sont allergiques au coton.
Peut-être que les dragons crachent du feu
parce que, s’ils crachaient de l’eau, on les prendrait pour des
pompiers.
Peut-être que les vaches sont noires et blanches
parce qu’elles n’ont pas réussi à choisir.
Peut-être que les kangourous ont des poches
parce qu’ils n’aiment pas les sacs à main.
Peut-être que les zèbres sont rayés
parce qu’ils n’aiment pas les carreaux.
Peut-être que les chenilles se transforment en papillons
parce que c’est plus simple que de se transformer en licornes.
Peut-être que les sorcières chevauchent des balais
parce qu’elles n’ont jamais entendu parler des aspirateurs.
Peut-être que les éléphants montent sur les tabourets
parce qu’ils ont peur des souris.
Peut-être que les chameaux ont deux bosses
pour rendre les dromadaires jaloux.
Peut-être que les lions sont mal coiffés
parce qu’ils font peur aux coiffeurs.
Peut-être qu’on dit « barbe à papa »
parce que ça fait plus jeune que de dire « barbe à papy »
Peut-être que les dinosaures n’ont pas disparu
mais qu’ils sont les meilleurs à cache- cache.
Peut-être qu’il faut terminer les livres
pour le plaisir de les recommencer.


Ghislaine Roman ("Le livre des peut-être", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2003)

logo_cr_ation_po_tiqueA la manière de Ghislaine Roman : "Si ..." et "Peut-être ..."

Plusieurs poèmes d'autres auteurs sont présentés sur le blog ou ailleurs, pour la production de textes conditionnels avec "Si" (voir Jean-Luc Moreau). La création poétique avec "peut-être" tout aussi intéressante. Voici des pistes :

De la GS au CM2 dans cette circonscription, on s'est amusé avec "peut-être" (lien non cliquable) :
http://www.ac-amiens.fr/inspections/80/montdidier/ecoles/ecoles.htm
Encore une expérience illustrée ici
(lien non cliquable) :
http://sites86.ac-poitiers.fr/buxerolles-planty/spip.php?article159
L'IEN de Gennevilliers propose, une fiche détaillée pour l'exploitation en classe de ce texte, en vue de la production d'écrit poétique. Il faut y aller ! Le pdf en lien direct cliquable est ici :

http://www.ien-gennevilliers.ac-versailles.fr/IMG/pdf/le_livre_des_peut-etre.pdf

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JACQUES ROUBAUD

- Jacques Roubaud -

Jacques Roubaud (né en 1932), est un mathématicien-poète (ou poète-mathématicien ?), membre actif de l'OULIPO depuis 1966.
Sur l'OULIPO, voir la rubrique Raymond Queneau qui précède.
La poésie de Jacques Roubaud, très inventive,  obéit à certaines contraintes qui placent les productions en dehors du champ scolaire, du moins pour l'élémentaire et le collège.

Un exemple avec le poème ci-dessous. Repérez le point ...

Le microbe









.

Le poème est là, mais pour le voir il faut un microscope.

Jacques Roubaud ("Les animaux de tout le monde" - Ramsay, 1983)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La vache : description

La
Vache
Est
Un

Animal
Qui
A
Environ

Quatre
Pattes
Qui
Descendent
Jusqu'
À terre

Jacques Roubaud ("Les animaux de tout le monde" - Ramsay, 1983)

logo_cr_ation_po_tique Décrire en première impression

La description de la vache par Jacques Roubaud est inattendue et pourtant évidente. C'est un peu comme si, venu d'une autre planète, il découvrait pour la première fois un animal, quadrupède, et en livrait en première impression, ce qui lui paraît remarquable.
Un humoriste, Georg Christoph Lichtenberg rapportait cette observation à propos du chat :
"Il s’émerveillait de voir que les chats avaient la peau percée de deux trous, précisément à la place des yeux."
Ici, c'est une observation amusante, plus précise, et permanente (emploi de l'imparfait).

  • L'exercice est apparemment réservé aux grands élèves. On se placera dans cette situation de "première impression" devant un animal ou un objet (réel ou représenté), et dans un deuxième temps, on développera cette observation brute dans une courte description amusante. Ou bien, si ça semble moins difficile, on prendra le temps de s'informer,de se documenter, pour isoler des éléments de description et en retenir un qui se prête au jeu (voir également Jules Renard et ses "Histoires Naturelles", plus haut dans cette page) .

Quelques autres formulations possibles :
Le zèbre va très vite pour qu'on ne puisse pas compter ses rayures.
Ce qui est étonnant chez ... la girafe, c'est qu'elle ait un si long cou et ne porte pas de collier.
J'ai remarqué que... l'escargot n'invite jamais personne chez lui.

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JEAN ROUSSELOT

- Jean Rousselot -

Jean Rousselot (1913-2004) a publié, à partir de 1934 de très nombreux recueils de poésie et des anthologies pour la collection "Poètes d'Aujourd'hui" de Pierre Seghers. Il est également l'auteur d'un Dictionnaire de la Poésie Française contemporaine (en 1962) et d'une Histoire de la poésie française en 1976.
On trouvera dans la catégorie hiver, un joli texte sur la neige.

Chanson du possible

Un oiseau sous la mer
Qui marche à petits pas
Cela ne se peut guère
Cela ne se peut pas

Un marchand de biftèques
Qui les donne pou rien
Cela ne se peut guère
Cela ne se peut point

Un général qui crie
À bas la guerre à bas
Cela ne se peut mie
Cela ne se peut pas

Mais un rat bicycliste
Un poisson angora
Un chat premier ministre
Un pou qui met des bas

Une rose trémière
qui fait des pieds de nez
Tout ça se peut ma chère
Il suffit d'y penser.
    

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Georges Jean, "Nouveaux trésors de la poésie pour enfants" - éditions Le cherche midi, 2003)

logo_cr_ation_po_tique A la manière de ..."chanson du possible" 
Voyez ici, à partir du  texte original des productions d'élèves (copier-coller ce lien) :

http://www.prof2000.pt/users/anaroda/pfrances/Trabalho_final_pagina_frances/doc_pdf/Poèmes_élèves.pdf

- - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Les pommes de lune

Entre Mars et Jupiter
Flottait une banderole
Messieurs Mesdames
Faites des affaires
Grande vente réclame
De pommes de terre

Un cosmonaute qui passait par là
Fut tellement surpris qu'il s'arrêta
Et voulut mettre pied à terre

Mais pas de terre en ce coin là
Et de pommes de terre
Pas l'ombre d'une

C'est une blague sans doute
Dit il en reprenant sa route
Et à midi il se fit
Un plat de pommes de lune.


Jean Rousselot (dans l'anthologie de Georges Jean, "Nouveaux trésors de la poésie pour enfants" - éditions Le cherche midi, 2003)

- - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'ordinateur et l'éléphant

Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
- C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit-il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
Ainsi firent les deux compères.

Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint-Bernard,
Hannibal et Jules César...

Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.

De morale je ne vois guère
À cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez-la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Georges Jean, "Nouveaux trésors de la poésie pour enfants" - éditions Le cherche midi, 2003)

- - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

On n'est pas n'importe qui

Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue.
C'est distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui "Monsieur".
De toutes façons, appelle-le par son nom :
Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul...
Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser.
Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons :
appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui !
Si tu veux être tout à fait gentil, dis "Madame la Rose" à l'églantine ;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.


Jean Rousselot ("Petits poèmes pour coeurs pas cuits" - éditions Editions St- Germain-des-Prés, 1979)

- - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pas de vacances

Si vous croyez que ça m'amuse
Dit la mer
D'avoir toujours à me refaire
- Un point à l'endroit, un point à l'envers
- Un pas en avant, un pas en arrière

Moi qui aimerais tant aller cueillir des coings
À Tourcoing
Me bronzer dans la neige
À Megève

Hélas pas moyen de fermer boutique
J'ai trop de sprats j'ai trop de pra-
Trop de pratiques

Mais comme elle a des cailloux plein la bouche
Personne ne comprend rien
À ce que raconte la mer.

Jean Rousselot (dans l'anthologie de Jacques Charpentreau, "La nouvelle guirlande de Julie" - éditions Ouvrières, 1976)

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1 avril 2008

PP 09 : l'humour de CLAUDE ROY

- Claude Roy -

Claude Roy (1915-1997), poète français, est au rendez-vous des catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour).
Voici donc des textes d'humour déjà présents sur ce blog et d'autres pas :

L'excès des petits noms d'amitié

"Mon petit chat,
mon gros minet,
mon doux mouton, mon chatounet".
disait la mère à son bébé
dans l'excès des diminutifs.

Il ne faut pas trop s'étonner :
enfant d'un amour excessif
le petit se mit à miauler
et la maman à ronronner.

Claude Roy  

- - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'affable La Fontaine

Récite ta fa
Récite ta fable.
Pour devenir grand
Il faut qu’on apprend
assis à sa table
sa récitation,
l’ineffable fable,
riche en citations,
de l’affable la
fontaine de fables.

L’heureux nard et le corbeau
Rat Deville et rats Deschamps
le méchant loup Pélagneau
la Chevreuse et le Roseau
L’Assis Gal et la fournie
la quenouille qui veut se faire
aussi rose que le bœuf
les animaux malades de la tête.

Retisse et récite
récite ta fa
ta fable d’enfant.
Quand tu seras grand
il sera bien temps
d’apprendre qu’on n’a
souvent aucun besoin d’un plus petit
que soif
pour boire à la fontaine.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior)  

- - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Avec des si …

Si les poissons savaient marcher
Ils aimeraient bien aller le jeudi au marché.

Si les canards savaient parler
Ils aimeraient bien aller le dimanche au café.

Et si les escargots savaient téléphoner
Ils resteraient toujours au chaud dans leur coquille.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior)

logo_cr_ation_po_tique Poèmes à la manière de " Avec des si..."

Voyez ces productions en Cycle 3 >
(copier-coller le lien dans une nouvelle fenêtre)
http://www.stjean-douai.org/page-15179.html  ou bien ceci : http://www.aideeleves.net/recherches/avecdessi.htm  ou encore ceci dans un CE1-CE2 : http://legrandban57.123.fr/articles.php?lng=fr&pg=1097  et en CE1 : http://www.ac-versailles.fr/etabliss/ien-corbeil/ecoles/Paradis/avec_des_si.htm  Vous en trouverez plein d'autres sur la toile.

Voir aussi le texte Si ... de Jean-Luc Moreau

- - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'enfant qui battait la campagne

Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.

Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.

La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.

C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.

Il ne faut jamais battre la campagne :
on pourrait casser un nid et ses oeufs.

On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.

Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.

Claude Roy ("Enfantasques" Gallimard, 1974 et 1993 Folio Junior) 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La clef des champs

Qui a volé la clef des champs ?
La pie voleuse ou le geai bleu ?
Qui a perdu la clef des champs ?
La marmotte ou le hoche-queue ?
Qui a trouvé la clef des champs ?
Le lièvre vert ? Le renard roux ?
Qui a gardé la clef des champs ?
Le chat, la belette ou le loup ?
Qui a rangé la clef des champs ?
La couleuvre ou le hérisson ?
Qui a paumé la clef des champs ?
La musaraigne ou le pinson ?
Qui a mangé la clef des champs ?
Ce n'est pas moi. Ce n'est pas vous.
Elle est à personne et partout,
La clé des champs, la clef de tout.

Claude Roy

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L'oiseau voyou

Le chat qui marche l'air de rien
voulait se mettre sous la dent
l'oiseau qui vit de l'air du temps
oiseau voyou oiseau vaurien

Mais plus futé l'oiseau lanlaire
n'a pas sa langue dans sa poche
et siffle clair comme eau de roche
un petit air entre deux airs.

Un petit air pour changer d'air
et s'en aller voir du pays
un petit air qu'il a appris
à force de voler en l'air

Faisant celui qui n'a pas l'air
le chat prend l'air indifférent.
L'oiseau s'estime bien content
et se déguise en courant d'air.

Claude Roy 

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Le chat blanc

Un petit chat blanc
qui faisait semblant
d'avoir mal aux dents
disait en miaulant :
« Souris mon amie
j'ai bien du souci.
Le docteur m'a dit :
- Tu seras guéri
si entre tes dents
tu mets un moment,
délicatement,
la queue d'une souris ».
Très obligeamment
souris bonne enfant
s'approcha du chat
qui se la mangea.

Moralité :
Les bons sentiments
ont l'inconvénient
d'amener souvent
de graves ennuis
aux petits enfants
comme-z-aux souris.

Claude Roy 

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Limerick* des gens excessivement polis

Excusez-moi, je vous en prie
Disait le Monsieur Très Poli
tout ourlé de Bonnes Manières
quand il croisait un dromadaire

Je suis charmé vraiment ravi
Disait le Monsieur Si Gentil
en rencontrant rue de Lisbonne
un pangolin avec sa bonne

Je vous présente mes respects
Disant le Monsieur Circonspect
en dépassant dans l'escalier
un i sans point très essoufflé

Veuillez agréer mes hommages
Disait le Monsieur Tout en Nage
en arrivant très en retard
au bal masqué des nénuphars

Après vous je n'en ferai rien
Disait le Monsieur Vraiment Bien
lorsque la Mort sonnant chez ui
le trouvera toujours poli

L'ennui avec les gens polis
c'est qu'ils n'ont jamais fini
tout en saluts et en courbettes
mais trop polis pour être honnêtes.

* Un limerick est une forme de poème burlesque ou absurde.
Claude Roy ("Le Parfait Amour" - Éditions Seghers)

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Voici une réhabilitation de l'étourneau, cet animal trop souvent sujet de moquerie chez les humains :

Étourdis étourneaux

Les étourneaux
sont étourdis.
On le dit.

Ils font des tours
et des détours
et ils rient.

Les étourneaux
n'ont pas de tête.
On le dit.

Mais ils sont gais,
les étourneaux,
légers là-haut !

Ils font dans le ciel
des anneaux,
des anneaux gais à tire-d'aile
les étourneaux.

Claude Roy ("La cour de récréation" - Éditions Gallimard)

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L'escargot matelot

Un escargot fumant sa pipe
Portait sa maison sur son dos.
C'était un garçon sympathique,
Un brave et joyeux escargot.
Il avait été matelot
Et navigué sur un cargo.
Il en avait assez de l'eau
Cet ancien marin escargot.
Son ami le petit Léon
Lui apportait du tabac blond.
Et l'escargot fumant sa pipe
Évoquait la mer, les tropiques,
Et le tour du monde en cargo
Qu'il avait fait en escargot,
Un escargot fumant la pipe
Pour n'être pas mélancolique.

Claude Roy

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JOËL SADELER

- Joël Sadeler -

Joël Sadeler (1938-2000), poète français, a obtenu en 1997 le "Prix de Poésie Jeunesse"  pour son recueil de poésies "L'enfant partagé".
Le Prix Joël Sadeler, récompensant un recueil pour la jeunesse, a été créé en 2001.

Fable

Le zébulus
Transportait
Noirs et Blancs
Indifféremment
Il croisa
Un crocomobile
Qui en faisait
Tout autant
et l’éléphanfare
Se mit à chanter
Que le monde
Était bien fait
Maintenant

Joël Sadeler ("Poèmes pour ma dent creuse" - Éditions À cœur joie, 1986)

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La fourmi et la cigale

La fourmi ayant engrangé
Pour manger,
Se trouva fort déprimée
Quand la saison fut abîmée:
«Voilà l'hiver qui s'avance
Je n'ai pas eu de vacances.»
Rencontra la cigale
un peu pâle
D'avoir chanté
Tout l'été.
Lui dit : "Remonte-moi le moral,
Joue donc un air estival.
Puise dans mes provisions.
Sans poésie
la vie
n'est que désolation."
Moralité : depuis lors
La fourmi est devenue sponsor.

Joël Sadeler

- - - - - - - - - - - - - - - - -

Puce

Une puce
dans un bus
rata le contrôleur
qui la pria
d'acquitter
son ticket
D'accord
fit la puce
mais aujourd'hui
c'est moi qui poinçonne …

Joël Sadeler ("Ménagerimes" - illustrations de Jacqueline Duhême, Éditions Corps Puce, 1990)

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Boulevard Auguste Blanqui

À Paris
Boulevard Auguste Blanqui
le métro
traverse les feuilles des platanes
courant de fer
gris et vert
dans les arbres du printemps
Oiseau métropolitain
et véloce
à pattes de caoutchouc
picorant à Corvisart
les grains
jetés
épars
sur les quais du matin

Joël Sadeler ("En chemin le poème" - Éditions Encres Vives, 1997)

- - - - - - - - - - - - - - - - -

Pigeons

Pigeons
des Champs Elysées
Pigeons
en jupons noirs et gris
gavés de graines
du Japon
Pigeons
qui ne savez plus
où donner de la tête
Pigeons
qui ne savez plus
où donner du bec
Pigeons des squares
pigeons du soir
êtes-vous atteints
de la maladie de Parkinson
êtes-vous des mobiles de Calder
pigeons de Notre-dame de Paname
pigeons de Notre-dame de plein air

Joël Sadeler ("En chemin le poème" - Éditions Encres Vives, 1997)

- - - - - - - - - - - - - - - - -

Allergie

Moi j'aime les routiers
I' sont sympas
Mais papa les aime pas
Parce qu'ils vous crachent dessus
Qu'ils toussent et éternuent
J'ai beau lui dire
Qu'ils ont le rhume des freins
Ça ne fait rien
I' les aime pas
Mais moi je sais pourquoi
Ils ont des gros biceps
Et papa n'a que deux bras


Joël Sadeler (dans "Éclats de lire" n°8, décembre 1985,  supplément à la revue "Jeunes Années")

- - - - - - - - - - - - - - - - -

Au feu

Feu rouge
feu vert
un coup je vends
un coup je perds
vitres fermées
vitres baissées
mains au volant
ou mains s'offrant
selon les heures
et les humeurs

Feu rouge
feu vert
un coup je vends
un coup je perds
visages fermés
visages ouverts
Macadam rue
ou lampadaire
je fais partie du paysage
qu'on ne voit plus

Feu rouge
feu vert
un coup je vends
un coup je perds
mais au bout de la route
on se retrouvera
vous pas plus riches
que moi

feu rouge
feu vert
Tous en paradis
ou tous en enfer

Joël Sadeler ("En chemin le poème" - Éditions Encres Vives, 1997)

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de GILBERT SAINT-PRÉ

- Gilbert Saint-Pré -

Gilbert Saint-Pré est un auteur contemporain discret, auteur de l'introuvable recueil de poèmes Badaboum, en 1977, et de La mésange.

Les perles de rose

Si tu veux inventer un collier,
Tiens, voici comment procéder.
De bon matin, te réveiller,
Dans les rosiers, te promener.
Tu verras des perles de rosée,
Sur les roses elles sont accrochées.
Une bonne poignée tu cueilleras,
Dans une boîte tu les rangeras.
Un cheveu d'or pour les assembler,
Un tout petit nœud pas trop serré,
Ainsi tu auras un joli collier,
Aussi souple que celui d'une fée.

Gilbert Saint-Pré ("Badaboum", Éditions Saint-Germain-des-Prés, collection L'Enfant, La Poésie, 1977)

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Le hibou

Un jour, monsieur le hibou
Qui n'était qu'un vieux filou,
Ayant acheté des poux
N'avait donné aucun sou.
Hou ! Hou !

Gilbert Saint-Pré ("Badaboum", Éditions Saint-Germain-des-Prés, collection L'Enfant, La Poésie, 1977)

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Du temps de nos rois

Le roi de trèfle,
Le roi des nèfles,
S'offrit
À la dame de carreau
Voyant cela
La dame de cœur, jalouse,
Donna une gifle
Au roi de pique
Qui la menait en bateau,
Et le jeu de cartes
S'écroula.

Gilbert Saint-Pré (dans l'anthologie de Georges Jean "Nouveaux Trésors de la poésie pour enfants" - Le cherche midi éditeur, 2003)

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de PAUL SAVATIER

- Paul Savatier -

Paul Savatier est un auteur contemporain d'albums pour les enfants.

La linotte

Je suis idiote
dit la linotte.
J'ai oublié mes bottes,
ma redingote,
et ma culotte.
J'ai froid à mes menottes
et je grelotte.
J'ai la tremblote
en sautant sur mes mottes.
Mais je ne suis pas sotte,
je chante sur six notes
et sur ma tête de linotte,
je porte une calotte
couleur carotte.

Paul Savatier ("Alphanimaux", illustrations de Paule Charlemagne et Florence Guiraud - Editions du Sorbier, 2001)

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Le dromadaire

Un jour au Caire
un dromadaire
entra chez un libraire
et prit une grammaire.
C'est pas vrai, ça fait rien,
ça sera vrai demain

Ce dromadaire
savait tout faire,
multiplier, soustraire,
et même le contraire.
C'est pas vrai, ça fait rien,
ça sera vrai demain.

Il savait braire,
ou bien se taire,
et versait un salaire
à son vétérinaire.
C'est pas vrai, ça fait rien,
ça sera vrai demain.

Pour se distraire
Monsieur le Maire
en fit son secrétaire
dans toutes ses affaires.
C'est pas vrai, ça fait rien,
ça sera vrai demain.

Ce dromadaire
est légendaire
chez tous les antiquaires
de la ville du Caire
C'est pas vrai, ça fait rien
ça sera vrai demain
ou à la Saint Glin-Glin.

Paul Savatier ("Alphanimaux" - Editions du Sorbier, 2001)

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Le kangourou

Le papa kangourou
N’est pas un loup-garou,
C’est un sauteur,
C’est un boxeur,
Et c’est un troubadour
Qui joue bien du tambour.
La maman kangourou
En faisant la nounou
Porte ses mioches
Dedans sa poche.
Pas besoin de poussette,
C’est beaucoup plus pratique,
Pas besoin de sucette,
C’est très économique …

Paul Savatier ("Alphanimaux" - Editions du Sorbier, 2001)

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