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1 avril 2008

Simone Ratel

Simone Ratel a écrit des poèmes et des contes pour enfants. On trouvera des textes de cette auteure en feuilletant d'anciens manuels scolaires de lecture et de récitation du siècle dernier, comme cette berceuse :

Berceuse du petit loir

Bien au creux, bien au chaud
Mon gras mon doux mon beau
Poil luisant pattes fines
Mon petit loir dort
Dort et dîne
Dîne et dort
Un petit loir qui dort
Dort et dîne
Dîne et dort

Voici l'hiver venu
Les petits rats tout nus
Nichent dans la farine
Mon petit loir dort
Aux arbres du verger
Bois sec noyaux rongés
Le vent chante famine
Mon petit loir dort.

Simone Ratel (dans l'ouvrage de R. Millot :  "L'enfant et la lecture - premier livre de lecture courante - CP - CE1" - éditions Eugène Belin, 1965) (poème mis en musique et chanté par Jacques Douai)

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La rainette

Dans le gosier de la rainette
Un grillon triste est enfermé,
Un grillon triste et doux et résigné
Depuis toujours enfermé là
Et qui chante,
Qui chante
Son tout petit chant triste et doux et résigné,
Du fond de sa prison, pendant la nuit d'été.

Simone Ratel



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1 avril 2008

Madeleine Riffaud, Emmanuelle Riva

Madeleine Riffaud est née en 1924. Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a publié des romans et des poèmes.

Cheval bleu

J’avais un petit cheval bleu
Qui se promenait dans ma chambre
En liberté, crinière longue
Et des rayons sur ses sabots.

Il galopait sur le bureau,
Sur les bouquins de l’étagère.
Il galopait, tête levée
Sur la steppe blanche des draps.

Il vivait d’un reflet,
S’endormait chaque nuit
Dans le creux de mes mains
Comme font les oiseaux.

Madeleine Riffaud

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Nuit

Il fait noir
Acceptons la nuit,
Nuit :
Terre à étoiles.

Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)



Emmanuelle Riva est née en 1927. elle est connue comme actrice de cinéma et comédienne de théâtre, plus que pour sses poésies, trois recueils pourtant : "Juste derrière le sifflet des trains", "Le Feu des miroirs", et" L'Otage du désir" (ce dernier ouvrage est paru en 1982).

Ses quatre volontés

Je veux la lune
il ne fallait pas me la promettre
je veux la lune
je veux l'autre mémoire
je veux les places de villages
toutes les fleurs des bords de routes
je veux la croupe des chevaux
la chanson de leurs crinières
la confidence des oiseaux
je te veux toi
toi toi toi

je ne peux te remplacer que par Dieu
et je ne veux pas te remplacer

je veux la tombée du jour
je veux être à feu et à sang
dans tous les ports du monde
je veux être dans le lac de la nuit
quand tous les lièvres courent
comme des petits garçons
je veux toutes lesoreilles des nouveau-nés
je veux entrer chez toi
par les dents de ton sourire
je veux la mort de l'autre côté de ton sourire
afin de te connaître
je veux un dauphin
pour compagnon de jeu
je veux un dauphin
dans le secret des Dieux
je veux entrer chez toi
par jour de grand beau temps
je veux une carriole bombardée
je veux signer tous les traités
je veux être parcourue
par un horizon sans bornes
je veux le détroit de Gibraltar
je veux revoir le cap Horn
je veux donner mes yeux à Michel Strogoff
je veux te regarder sans arrêt
pendant toute ma vie
derrière les dentelles de l'automne
derrière Bruxelles en flammes

je veux que tu sois roi

je veux une année-lumière
je veux faire du cheval avec Dieu
afin de savoir s'il aime la nature
je veux conduire des tracteurs
je veux attendre devant la mer
comme les femmes des marins
je veux boire de l'eau
dans de vieilles huîtres
je veux être arrivée avant le malheur
pour bien le recevoir
je veux être arrivée avant le bonheur
pour le reconnaître
je veux l'aimer plus qu'il ne faut

je veux être sur le pont de Guadalquivir
je veux des rivières de rires
je veux ton pays natal
je veux l'aimer trop
pour le jour du meurtre
je veux être dans le vent
pour qu'il vole mes cendres
je veux te retrouver

c'est toi le vent
je veux manger les horloges de la plage
pour le goûter des petites filles
je veux emporter un arc-en-ciel
dans ma cabane

je veux me confondre avec mon ennemi
je veux que tu lâches tes loups sur moi
quand tu viendras demander ma main
tu seras très élégant ce jour-là
les loups ne t'obéissent
que si tu es très beau
je t'aimerai pour toujours ce jour-là
il n'y aura pas à s'y tromper
mais je veux te voir
même avec tes loups
je veux qu'ils me dévorent
je veux entrer dans ta mort
par ta grâce
et Dieu me dira
qui tu étais.

Emmanuelle Riva ("Le Feu des miroirs" - Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1975)



1 avril 2008

Ann Rocard, Ghislaine Roman, Annie Salager

Ann Rocard est née en 1954. On découvrira ses poèmes et ses nombreuses activités sur son site, ici : http://www.annrocard.com/ 

Bien au chaud

Dans ma maison, bien au chaud,
je vois le jour qui s'enfuit
et les étoiles là-haut
qui s'allument dans la nuit.
J'entends le vent qui s'élance
entre les tuiles du toit
et les grands arbres qui dansent
à la lisière du bois.
Chez moi, je suis à l'abri.
Je bois un bon lait bouillant.
Je n'ai pas peur de la pluie,
de l'hiver et du grand vent.

Ann Rocard



Ghislaine Roman, enseignante en élémentaire et auteure contemporaine pour les enfants a publié des albums ("Le parapluie volant", "Tukaï, l'enfant sorcier "...) et des recueils poétiques ("Le livre des peut-être", "Le livre des si"), tous aux éditions Milan.

Les Editions Milan nous ayant signalé que nous avions présenté "Le Livre des Peut-être" dans son intégralité, nous rectifions cette erreur avec uniquement la mise en ligne de courts extraits des deux ouvrages :
 

Si (extrait)

Si les girafes savaient tricoter,
il leur faudrait dix ans pour faire un cache-nez.
Si la mer était sucrée,
les icebergs seraient des sorbets.
Si les mille-pattes portaient des souliers,
ils passeraient leur nuit à les cirer.
Si on mettait des pierres dans les sabliers,
est-ce que ça empêcherait le temps de passer ?

...

Ghislaine Roman ("Le livre des si", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2004)

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Peut-être (passages)

Peut-être que les clowns ont de grandes chaussures
parce qu’ils ont de grands pieds
.
[...]
Peut-être que les abeilles font du miel
parce qu’elles ne savent pas faire du chocolat.
Peut-être que les moutons portent de la laine
parce qu’ils sont allergiques au coton.
[...]
Peut-être que les zèbres sont rayés
parce qu’ils n’aiment pas les carreaux

[...]
Peut-être que les sorcières chevauchent des balais
parce qu’elles n’ont jamais entendu parler des aspirateurs.

[...]
Peut-être que les lions sont mal coiffés
parce qu’ils font peur aux coiffeurs..


Ghislaine Roman ("Le livre des peut-être", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2003)

fille_verte_cr_ation__PP10À la manière de Ghislaine Roman : "Si ..." et "Peut-être ..."

Plusieurs poèmes d'autres auteurs sont présentés sur le blog ou ailleurs, pour la production de textes conditionnels avec "Si" (voir Jean-Luc Moreau dans la catégorie l'humour des poètes). Quelques pistes :

De la GS au CM2 dans cette circonscription, on s'est amusé avec "peut-être" (lien non cliquable) :
http://www.ac-amiens.fr/inspections/80/montdidier/ecoles/ecoles.htm
Encore une expérience illustrée ici
(lien non cliquable) :
http://sites86.ac-poitiers.fr/buxerolles-planty/spip.php?article159
L'IEN de Gennevilliers propose, une fiche détaillée pour l'exploitation en classe de ce texte, en vue de la production d'écrit poétique. Il faut y aller ! Le pdf en lien direct cliquable est ici :

http://www.ien-gennevilliers.ac-versailles.fr/IMG/pdf/le_livre_des_peut-etre.pdf



Annie Salager est une romancière et poète contemporaine.  

Trouver bonheur ...

Trouver
bonheur
à
l'
ordre
lent

au
manque

amas
de
feuilles

de
ramages

d'
à-propos

ce
lait
qui
perle
à
la
base
du
fruit

entrer
dans
la
respiration

si
c'
était
vivre.

Annie Salager ("Figures du temps sur une eau courante" - éditions Belfond, 1983)
source du texte : site officiel,  http://www.printempsdespoetes.com/

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Popo
   
1. Ça a mal commencé

Je cherche un poème
disait parfois Popo,
le Poème.
Je le voudrais économe,
pour ne pas gaspiller du papier, des arbres,
je le voudrais chaud pour celui qui a faim,
je le voudrais d'une chair de lumière,
et plus il serait beau, disait Popo,
plus je deviendrais transparent,
ne pèserais rien, ne serais rien.
... Ah, cette dernière partie,
ajoutait-il, je la réussis très bien.

2. Salut les copains

Il n'habite rien, Popo,
sans faire d'histoires,
le vent ballote sa douleur
sur le sol nu.
Il nettoie, après il salit,
le temps passe.
D'un peu de nous il vit,
de fatigue, d'usure, il vit,
de ce qu'il cherche,
de notre étourderie
il vit, de rien.

Annie Salager ("Terra Nostra" - Le cherche midi éditeur, 1999)
source du texte : site officiel,  http://www.printempsdespoetes.com/  

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Oyats

                       à F-J. Temple

J'aurais seulement besoin
des oyats sur les dunes
éclairés par les lis
et d'une cuillerée d'amour
pour marcher sur les flots
agités d'une illusion de temps
et d'un safran de rire

Tant d'années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l'ennui pour eux de n'être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d'exil terre ni mer
où travaille l'instable le néant de l'être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
réduit à rien

Annie Salager

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Traces 

Où j’aime tomber
mais dans
l’odeur des roses
les lis de mer
la lumière et le piercing
des martinets
ou encore dans
nos traces de silence
après le bruit
où aurais-je aimé vivre
mais dans
l’air la canopée
au milieu des poissons colorés
finalement où juste un vivre
de lumière j’aurais aimé.

Annie Salager

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Lumière

Là en moi la familière
de mes doutes de mes lèvres
de la soif et du désir
à la flamme d’une chandelle là
au champ de mes yeux fermés
la lumière jamais bue
courant comme une gazelle
une terre où rien ne bouge
dans les violences du sang
l’écoutes-tu-cherche-la
dans le parfum du fruit
et les saveurs des roses
la lumière du chant
l’inutile défi où
je pâtis je dure
son vide sans pourquoi
sa radiance me tient

Annie Salager



1 avril 2008

Constance-Marie de Salm-Dyck, George Sand

Constance-Marie de Salm-Dyck (1767-1845)

L’épitre aux femmes

Ô femmes, c'est pour vous que j'accorde ma lyre ;
Ô femmes, c'est pour vous qu'en mon brûlant délire,
D'un usage orgueilleux, bravant les vains efforts,
Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports.
Assez et trop longtemps la honteuse ignorance
A jusqu'en vos vieux jours prolongé votre enfance ;
Assez et trop longtemps les hommes, égarés,
Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ;
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :
Femmes éveillez-vous et soyez dignes d'elle.

L'homme injuste pourtant, oubliant sa faiblesse,
Outrageant à la fois l'amour et la sagesse,
L'homme injuste, jaloux de tout assujettir,
Sous la loi du plus fort prétend nous asservir ;
Il feint, dans sa compagne et sa consolatrice,
De ne voir qu'un objet créé pour son caprice ;
Il trouve dans nos bras le bonheur qui le fuit :
Son orgueil s'en étonne, et son front en rougit.
Esclave révolté des lois de la nature,
Il ne peut, il est vrai, consommer son injure ;
Mais que, par les mépris dont il veut nous couvrir,
Il nous vend cher les droits qu'il ne peut nous ravir

Nos talents, nos vertus, nos grâces séduisantes,
Deviennent à ses yeux des armes dégradantes,
Dont nous devons chercher à nous faire un appui,
Pour mériter l'honneur d'arriver jusqu'à lui ;
Il étouffe en nos cœurs le germe de la gloire ;
Il nous fait une loi de craindre la victoire ;
Pour exercer en paix un empire absolu,
Il fait de la douceur notre seule vertu.

 

Constance-Marie de Salm-Dyck



George Sand (1804-1876). Son oeuvre littéraire, poésies, romans, contes, pièces de théâtre, critiques et nouvelles est considérable. Femme émancipée pour son époque, elle a entretenu une relation (pas seulement épistolmaire) avec le poète Alfred de Musset et le musicien Frédéric Chopin. Elle s'engage politiquement et socialement dans les luttes populaires contre la monarchie.

À Aurore*

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.
Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.
Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.

George Sand   -   *Aurore est la petite fille de George Sand.



1 avril 2008

Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin (1937-1967) est une romancière et poète. Emprisonnée 8 années pour délinquance et prostitution, elle a écrit ses romans et ses poèmes derrière les barreaux. Ils racontent sa vie et portent la marque de la prison, de ses rêves de liberté et de son amour pour Julien Sarrazin.

Comme dans presque tous les poèmes de son recueil, l'auteure s'est affranchie de toute ponctuation et ne titre pas les textes (les titres sont proposés par le blog). Il faudra choisir sa diction :

Paris  (titre proposé pour ces deux textes qui se suivent dans le recueil)

Ton pied bute et rôde
Par la chambre chaude
Où l'aube maraude
L'adieu sans pleurer
À l'heure d'errer
Dans Paris doré

Moi très peu bavarde
Au lit qui me garde
Moi qui nous regarde
pauvres coeurs cachés
Toujours arrachés
Vers d'autres péchés

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Paris aux yeux tristes
Ciel inimité
En vain tourmenté
Des méchants artistes

Comme alors la reine
Je cours sans souliers
Aux blancs escaliers
Qu'a noyés la Seine

Richesse complète
Avoir mon tombeau
Au fin fond de l'eau
Où Paris reflète

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le soleil voudrait saigner sans arrêt ...

Le soleil voudrait saigner sans arrêt
Il coupe mon corps de longues aiguilles
Mais l'aube naîtra d'ici partirai
Un jour n'est pas loin nous reconnaîtrons
Ta voix en liberté franchit mes grilles
Tes cheveux encor dansent tes chansons
je voudrais tant dire et ne parle pas
Car la nuit est froide où sans fin tu brilles
Chut j'écoute en moi l'écho de tes pas

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en mal du mal que j'aime ...

Je suis en mal du mal que j'aime
Du ciel fauve où bat sans arrêt
Appel rythmé la forêt
Pour l'impossible poème

Dans nos courses d'enfant pas sage
Sous le dôme d'air et de lait
Comme la fontaine volait
Légèrement au visage

Le vent bruni couleur de flûte
Dans le sable nous effaçait
Et douce pluie dansait
Mêlant nos pas en sa chute

Doullens, 1956

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Rêve du 7 avril

Les hommes m’ont condamnée
À demeurer loin d’eux
Dans le calme ils m’ont enfermée
Seule à seule
Avec la vierge
Avec la cierge
Et le crochet
Moins puissant que symbolique
Dont ma porte est fermée
La religieuse
M’a percé la main de ce crochet
Symboliquement
Je rêve vers celui
Dont on m’a éloignée
Pour lui j’ai renversé les tiroirs
Du souvenir
De l’avenir
Du revenir
L’homme est revenu
Il a jugé ma révolte enfantine
Et lui aussi s’est détourné
J’ai monté par les escaliers sanglants
Nue encore sous la robe noire
Ma mère pour la première fois souriant
La fille relevée me contant son histoire

Désormais j’étais
Déchue à la terre
Refusée au ciel
On ressortit tout mon courrier d’enfance
Tout ce magique
Toute cette amitié
Tour ce profané
J’ai fait mal aux enfants
Par ce courrier d’enfance
Et me suis renfermée
Ni l’amour
Ni l’amant
Ni l’ami
Ne viennent me délivrer
La moitié de moi qui rôde autour des murs
Me prend par la main
Et franchit le ravin
Et rampe le long des frontières d’Europe
Alors sept coups de feu font éclater le rêve.

Fresnes, 1955

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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La jacasse dans son nœud de ramures


La jacasse dans son nœud de ramures
N’entendit la clé toucher les serrures
Et la prison fuir en un long respir
Parce que la vie ici est soupir
Les carillonneurs regardaient peut-être
Passer le convoi lent de nos fenêtres
Piquées très haut sur l’obscurité
Papillons morts des rondes sans été

Ah tant que la nuit neige sur la chambre
Que je sois cristal et toi mon Décembre
Soumis au ciel nous ne saurions mourir
Ni l’errant désir nous ensevelir

Je suis riche parmi les mendiantes
Et peux bien laisser ma part des enfances
Miséricordieusement leurrer
Tous ces hommes que Noël fait pleurer
Mon amitié chaude cheminée
Garde-leur ce soir le rêve à portée
Et que le beau feu danseur des hivers
Les réconcilie aux froides hiers

Noël, 1959

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le merle

Revenu
Gavé des solfèges
Des pièges des neiges
Des grains sacrilèges
Revenu

Petit corps
Chante-primevère
Ou bien c'est ton frère
Dont le rire espère
Là-dehors

La douceur
de croire autre chose
Epuise et repose
Vague l'on suppose
La douceur

Nuit de mars
Qui laisse grisée
D'une aile posée
Au toit de rosée
L'oiseau noir

Qui s'enfuit
Vers l'avant-aurore
Où tombe incolore
L'aujourd'hui

Soissons, 1960

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en partance

Je suis en partance
Aux jours de l'exil
Aucune importance
Je tiens le bon fil

J'ai lu le grand Meaulnes
Je dors si je veux
Mes doigts restent jaunes
Et noirs mes cheveux

Dehors me murmure
À travers le toit
Et chaque voiture
Va passant pour moi

Comme en ta couchette
Rêvant sur le bois
M'abreuve en cachette
À l'eau que tu bois

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Amiens, 1958

Véronique Pestel interprète ce poème, devenu chanson, en 2000, sur une musique d'Alain Poirier.

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)



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1 avril 2008

Cécile Sauvage, Anne Schwarz-Henrich, Madeleine de Scudéry

Cécile Sauvage (1883-1927).

Je t'ai écrit au clair de lune

Je t'ai écrit au clair de lune
Sur la petite table ovale,
D'une écriture toute pâle,
Mots tremblés, à peine irisés
Et qui dessinent des baisers.
Car je veux pour toi des baisers
Muets comme l'ombre et légers
Et qu'il y ait le clair de lune
Et le bruit des branches penchées
Sur cette page détachée.

Cécile Sauvage ("Primevère")

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Le jour (début du poème)

Levons-nous, le jour bleu colle son front aux vitres,
La note du coucou réveille le printemps,
Les rameaux folichons ont des gestes de pitres,
Les cloches de l'aurore agitent leurs battants.
La nuit laisse en fuyant sa pantoufle lunaire
Traîner dans l'air mouillé plein de sommeil encor
Et derrière les monts cachant sa face claire
Le soleil indécis darde trois flèches d'or.

Cécile Sauvage ("Tandis que la terre tourne")

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Peut-être serai-je plus gaie ...

Peut-être serai-je plus gaie
Quand, dédaigneuse du bonheur,
Je m'en irai vieille et fanée,
La neige au front et sur le coeur :

Quand la joie ou les cris des autres
Seront mon seul étonnement
Et que des pleurs qui furent nôtres
Je n'aurai que le bavement.

Alors, on me verra sourire
Sur un brin d'herbe comme au temps
Où sans souci d'apprendre à lire
Je courais avec le printemps.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Mais je suis belle d'être aimée ...

Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe.

Cécile Sauvage ("Primevère")

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Souvent le coeur qu'on croyait mort ... (La lune blanche)

Souvent le coeur qu'on croyait mort
N'est qu'un animal endormi ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Fumées (début et passages du poème)

Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.

Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d’eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s’étend
À toutes les branches.
…...

L’azur d’un soir gris.
Un vague arc-en-ciel s’allonge et verdit
Sur la côte obscure ;
Sa courbe légère et rose grandit
De plus en plus pure.
À l’endroit où l’arc suave incliné
Rejoint la colline,
Les arbres d’hiver prennent sa clarté,
Dans leurs branches fines.

Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !

Le paysan vieux et cassé
Rejoint son obscure chaumine
Qui somnole sur la colline
Dans le velours tendre d’un pré.
Il voit d’en bas tourner le chien
Et la lueur d’un jeune pin
Se détacher doucement verte
Dans l’ombre de la porte ouverte.

……

La lune pâle, rêveuse
Et transparente à demi,
Glisse sur la vaporeuse
Douceur d’un ciel endormi.
Dans les branches dénudées
Et si grêles d’un bouleau
Une lueur irisée
Incline ses calmes eaux.
C’est l’hiver et sa tristesse
Avec de muets oiseaux
Se berçant à la sveltesse
Sans feuillage des rameaux.
……

Homme au grand chapeau tombant,
À la figure flétrie,
Quelle étrange horlogerie
Vous fait aller titubant ?
Quel cœur dans votre poitrine
Éveille des souvenirs ?
Voyez-vous l’ombre divine
De la lune revenir,
Ou bien n’êtes-vous qu’un rêve
Flottant en vagues habits
À travers les heures brèves
Et sous les ciels engourdis ?
……

J’ai vu ce matin la lune
Pâle dans les longs bouleaux
Et cette image importune
Reviendra dans mon cerveau.
Elle viendra persistante
Comme un avertissement
Dans un rêve qui me hante,
Et j’ai le bref sentiment
Qu’au jour de ma destinée
Dans un bouleau langoureux
Luiront nettement les feux
De cette lune obstinée.
……

La ville sous la fumée
Du soir et des cheminées
Flotte en un rêve étranger
Et s’efface. Son église
De fines colonnes grises,
Pareilles aux pins légers,
Sur le fond de la colline
Grandit, sans âge et divine
Dans le soir désespéré.

Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.
……

Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.

Cécile Sauvage ("Fumées")



Anne Schwarz-Henrich est une poète contemporaine, auteure de recueils pour les enfants : "Du coq à l'âne" (paru en 2005), "Au clair de ma plume"...

 L'autre monde

Quand je ferme les yeux,
J'allume les lumières
Des plafonds merveilleux
Que déploient mes paupières

Et qui m'éclairent les lieux
Où je viens, solitaire,
Glaner des rêves bleus
Dans la nuit, sur mes terres.

Anne Schwarz-Henrich

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Rêve-luisant

C'est le soir
au milieu du noir
un petit rêve s'est
allumé
Je monte chez lui
Et il me garde toute la nuit
 

Anne Schwarz-Henrich

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 Fleurs éternelles

Je sème des fleurs
Sur mon passage
Des fleurs d’instants,
Si parfumées
Que, même lorsque
J’avance en âge,
Elles me ramènent
Vers mon passé.

Anne Schwarz-Henrich

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La montre à remonter le temps

Ma montre a une tactique
Pour remonter le temps...
Elle ne fait pas « tic-tac »
Mais « tac-tic » tout le temps !

Anne Schwarz-Henrich



Madeleine de Scudéry (1607-1701) est une écrivaine, romancière et poète, adepte d'épigrammes, poèmes courtsà l'adresse de quelqu'un. En voici trois des plus connus :

Contre Job

Contre Job, autrefois, le démon révolté
Lui ravit ses enfants, ses biens et sa santé,
Mais pour mieux l’éprouver et déchirer son âme
Savez-vous ce qu’il fît ?... Il lui laissa sa femme.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)

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Impromptu sur des pots de fleur
que Monsieur le Prince de Condé cultiva lui-même


En voyant ces oeillets qu'un illustre guerrier
Arrosa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtissait des murailles
Et ne t'étonne point que Mars soit jardinier.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)

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Réponse au poème d'un de ses amis
qui la flattait d'immortalité.


Quand l'aveugle destin aurait fait une loi
Pour me faire vivre sans cesse,
J'y renoncerais par tendresse,
Si mes amis n'étaient immortels comme moi.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)



1 avril 2008

Colette Seghers

Colette Seghers (contemporaine). Moins connue que Pierre Seghers, son époux disparu, éditeur et poète, elle a plus mis en avant les textes de son mari, pour qui a écrit deux biographies ("Pierre Seghers, un homme couvert de noms" et "Nous étions de passage"), que ses propres poésies, un recueil sous son nom de jeune fille, Colette Peugniez ("Lointains") et plus tard, "10 poèmes pour un bébé" et "Dans l'estuaire des lendemains". Elle est aussi auteure de nouvelles et de romans " Martin Hanson", "Sarah Cortez" et "Belle ou l’Envers du temps". source (en partie) : site des éditions Seghers.

Berceuse pour Virginie

Dors, ma fille, ma gazelle,
ma rose du Doued et de la Laponie,
mon fruit d'Asie, ma tourterelle,
la nuit chantonne "Virginie ..."
Dors mon jasmin, mon Bagatelle,
mon poisson d'or, ma symphonie,
une étoile ouvre son ombrelle
sur le berceau de Virginie.

Dors mon oiseau, ma belle abeille
mon bébé de songe et de vie,
j'entends les chevaux du sommeil
attelés de rêve et de bruit.

Mon opéra, mon arabesque,
mon air de fable et d'infini
j'entends chanter au vent de sable
un air de fées pour Virginie.

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)

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Ses yeux

ses yeux sont pleins de lunes tranquilles
ses yeux sont pleins de malles perdues
par des corsaires aux fonds des creux marins !
ses yeux quand le sable est mouillé
qu'il y neige des mouettes,
que la terre est brûlée et que la nuit s'y jette
voilà ses yeux de nouveau-né !
Elle a des yeux de perce-neige et de poème hindou,
elle a parfois des yeux de prétentaine
qui rendent bleu l'oeil andalou,
elle a parfois des yeux pleins de lanternes,
des yeux de filets posés, de vol de nuit,
des yeux de charme, de devineresse
des yeux de certitude et de guerrier,
elle a des yeux de plomb pour amarrer les fées !

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)

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Solitude

Il a perdu le fil des mots,
mais le fil du temps,
le fil conducteur des choses, il l'a trouvé …
Ciseaux vides des êtres mille fois rencontrés,
qui l'avez décousu, habité, comme un manteau vide,
Si le manteau peut vous servir, gardez-le
Si cet homme peut vous servir, gardez-le
Si le fil peut encore retenir un vieux secret qui s'est perdu
Laissez-le faire,
Mais si la nuit lui tombe de la tête
Ne vous baissez pas pour la ramasser,
S'il oublie qui vous êtes,
Pour s'asseoir seul, à la porte de n'importe quel endroit
S'il caresse dans son silence un cheval pur
Qui se souvient de moi
Si le cheval hennit, à la porte des villes où il passe
S'il frappe d'échos neufs le morne bruit des portes
A tout jamais fermées,
Si vous ne l'entendez pas, n'arrêtez pas le bruit
Pour le laisser passer,
Mais si cet homme voit à travers son image,
ressusciter le sens exact des choses
Si l'herbe haute pousse la porte des bars où il se trouve,
S'il se met à parler au col de son manteau
Comme à une trace vivante,
s'il sort dans la nuit seul …
laissez-le passer …

Colette Seghers ("Lointains" - Seghers, 1960)



1 avril 2008

Sabine Sicaud

Sabine Sicaud (1913-1928). source Wikipedia : Elle est née et morte à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.
Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, avant de mourir à l'âge de 15 ans, elle écrit :

"Aux médecins qui viennent me voir :
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ses poisons de fakir, vert et or..."

Postée en commentaire, cette info : "On peut lire tous les poèmes de Sabine Sicaud et une foule de documents concernant son oeuvre poétique sur ce nouveau site" :
http://www.sabinesicaud.com

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Le chemin de l’amour

Amour, mon cher amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d’accent, de cœur et d’âge
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles,
De la nuit, de la mer, des îles sans escales.
Je ne crains rien si tu m’as reconnue
Mon amour, de bien loin, pour toi je suis venue.
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t’avais-je perdue ? Dans quelle vie ?
Et qu’oserait le ciel contre nous maintenant ?

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Les trois chansons

Entends la chanson de l'eau...
Comme il pleut, comme il pleut vite !
Il semble que des grelots
Dans la gouttière s'agitent.

A l'abri dans ton dodo
Entends la chanson de l'eau !

Entends la chanson du vent...
Comme les branches s'agitent !
Les nids d'oiseaux, bien souvent,
Sont bercés, bercés trop vite.

A l'abri des rideaux blancs
Entends la chanson du vent.

Entends la chanson du feu...
Comme les flammes s'agitent
Le feu jaune, rouge et bleu
Pour te chauffer brûle vite.

Quand tes yeux clignent un peu,
Entends la chanson du feu.

Ecoute les trois chansons
Qui se font toutes petites
Et douces comme un ronron
Pour que tu dormes plus vite.

Si tu veux, bébé, dormons
Au bruit léger des chansons.

Sabine Sicaud ("Poèmes d'enfant" - Les Cahiers de France, 1926) et "Premiers poèmes" ainsi que "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La vieille femme de la lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort ... Nous fermerons les yeux à double tour ...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Sabine Sicaud ("Premiers poèmes" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.

Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends, comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet ...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ?  Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être ...

Sabine Sicaud ("Douleur, je vous déteste" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La chanson du soleil (ou "Vassili")

N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil.

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958) - Poème trouvé dans un de ses cahiers, après sa disparition.



1 avril 2008

Andrée Sodenkamp

Andrée Sodenkamp (1906-2004). Poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp

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Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp

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Je suis ton grain pesé

Je suis ton grain pesé, ta paille remuée
Ton pain sorti du four et la lampe allumée
Qui marque ta maison.

Pourquoi chercher ailleurs l'oubli qui me ressemble ?
L'amour est sans repos.
Si tu meurs avant moi, nous partirons ensemble,
Mon plaisir dans tes os.

Andrée Sodenkamp

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La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp

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Je suis du temps ...

Je suis du temps des lents et vieux romans d'amour,
des Grands Meaulnes poussant des portes solennelles.
On se mangeait le coeur en guettant sur la tour
un pays balancé de bois et d'hirondelles.

C'étaient les temps heureux des grandes fautes tendres
des confessionnaux pleins de voix murmurées,
et de chagrins si beaux qu'on ne pouvait attendre
pour les souffrir déjà de n'être plus aimée.

Andrée Sodenkamp

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Attention, les deux textes qui suivent sont destinés aux très grandes classes  :

Don Juan
 
Tu ne fus rien, pas même un cœur de peu de temps.
Un jeu de femmes nues sur ta pensée d’amant
Mêle de lourds cheveux ouverts comme un automne
La roue du paon qui tourne en ton cœur monotone.
 
On te respire comme un lit. Tu crois qu’on t’aime.
On te boit, ô Juan, sur ta bouche d’oubli.
On se couche sur toi pour rêver à soi-même,
On te perd, on te gagne aux dés, comme un pari.
 
Tu es tout ocellé de tristes bouches peintes,
Tu es tout traversé d’appels et sourd de plaintes
Qui ont crié sur toi comme à travers la mer.
Un jour, tu seras vieux, ta chair sera la terre
Où dorment trop de mortes.
Tu seras ce hochet du plaisir qu’on emporte ...
 
Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,
Que des femmes sont nées dont tu n’es pas l’amant,
Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,
Tu t’en iras, Juan, juste avant la plus belle.

Andrée Sodenkamp

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Femmes des longs matins

Femmes des longs matins, mes belles amoureuses
Dont le nom s'attardait à la bouche des morts
Qui faisiez du malheur une brûlante rose
Et déchiriez le temps entre vos ongles d'or.

Est-ce la Nonne ardente et que Juan oublie
Ou dans ses jupons fous, l'innocente Manon,
Cléopâtre tapie au creux des pierreries
Qui retient son amant, au poing, comme un faucon ?

Voici celle qui vint de la France en Écosse,
Éblouie comme l'aigle au soleil des plaisirs,
L'abeille qui foudroie en son plein ciel des noces
Et met le goût du sang aux saveurs du désir.

Nous sommes belles par vos seins levés dans l'ombre *
Par vos hanches donnant le merveilleux danger
Et dans l'odeur d'amour ouverte sur vos tombes
Nous régnons sur l'amant qui a les yeux fermés.

Andrée Sodenkamp - * "vos" est bien le pronom exact



1 avril 2008

Lucie Spède

Lucie Spède est née en 1936. C'est une poétesse belge de langue française.

Quelques recueils : Volte-face, 1973 ; Inventaire, 1974 ; Comme on plonge en la mer, 1984 -  ; Chansons de l'oiseau, 1993 ; J'ados, 2002 ...

"Tu penses que la vie est grise,
Mais ce sont tes lunettes qui sont sales".

Lucie Spède

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Définition

 L'humour ?
C'est l'humeur
qui devient jaune soleil
les yeux
qui se font champagne
le visage
qui se fend d'un sourire
les poumons
qui ouvrent leurs pétales
la voix
qui cascade son rire.
C'est un regard
un mot
un dessin
une musique
en tenues de fête
une façon
de porter en toutes saisons
ses lunettes solaires
pour regarder
la vie
.

Lucie Spède 

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Le mille-pattes

 Un mille-pattes à un mariage invité
n'y est jamais arrivé
car il n'a pas pu achever
de lacer tous ses souliers.

Lucie Spède

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Oh dodo

L'édredon
et ron et ron
est le bidon
dodu et rebondi
du lit.

Lucie Spède

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Météo

Les escargots
sont de sortie :
sortons nos parapluies.
Les limaces
sont sur le chemin :
ouvrons larges nos pépins.

Lucie Spède (dans "L'almanach de la poésie", anthologie rassemblée par Jacques Charpentreau - Éditions Ouvrières, 1983)

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Le monde à l'envers

Un jour où je dormais les yeux ouverts,
J'ai rêvé qu’après un grand tremblement de mer,
Le monde entier fonctionnait à l'envers,
Les Esquimaux se retrouvèrent en paréos et
Les Hawaïens dans des igloos,
Les libellules rampaient comme des limaces,
Les tortues fendaient l'air de leur carapace,
Les escargots filaient à toutes pattes et
Les zèbres pesants laissaient passer les mille-pattes,
Les poissons perchaient dans les bois,
Les oiseaux nageant chantaient sous l'eau à pleine voix,
Les crabes marchaient droit,
Les arbres plantaient leurs racines dans l'espace,
Les nuages se roulaient dans la mer et
Les vagues bruissaient dans le ciel,
Et moi, je marchais à travers tout cela,
La tête en bas, et tout émerveillée,
Je souriais de tous mes orteils.

Lucie Spède 



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