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lieu commun
1 mai 2008

le féminin des autres - Amérique du Sud - Chili - Violeta Parra

AMÉRIQUE DU SUD

CHILI 

Violeta Parra (1917-1967) est une artiste chilienne plasticienne et poète, et "auteure-compositrice-interprète".

Ce premier texte traduit* en français est suivi de sa version originale en espagnol :

la jardinière (extrait)

Pour t'oublier
je vais cultiver la terre,
j'espère trouver en elle
un remède à mes peines.

Ici je planterai le rosier
aux plus grosses épines,
J'aurai la couronne prête
quand tu mourras en moi.
(…)
Coeur de mélisse,
quand mes peines augmenteront
les fleurs de mon jardin
devront être infirmières ....

La jardinera

Para olvidarme de tí
voy a cultivar la tierra,
en ella espero encontrar
remedio para mis penas.

Aquí plantar el rosal
de las espinas más gruesas,
tendré lista la corona
para cuando en mí te mueras.

(...) 

Cogollo de toronjil,
cuando me aumentan las penas
las flores de mi jardín
han de ser mis enfermeras.

Violeta Parra (*texte français dans l'anthologie poétique "Voix", de Fanchita Gonzales Batlle - Petite collection Maspero, 1977)

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La plus connue de ses chansons, la première strophe en espagnol pour donner la musique de la langue, et le texte intégral en français (traduction adaptée par le blog lieucommun) :

Gracias a la vida

Gracias a la vida que me ha dado tanto
me dio dos luceros que cuando los abro
perfecto distingo lo negro del blanco
y en el alto cielo su fondo estrellado
y en las multitudes el hombre que yo amo.

- - - -

Merci à la vie 

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné deux yeux et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
et
là-haut le fond du ciel étoilé
et parmi la foule l'homme que j'aime

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné une ouïe sensible
qui enregistre nuit et jour criquets et canaris
Marteaux, turbines, aboiements, averses
Et la voix si douce de mon bien-aimé

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné la parole et l'alphabet
et avec lui les mots que je pense et que je dis :
mère, ami, frère, et la lumière éclairant

la route pour celui que j'aime

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle a donné l'allure à mes pieds fatigués
Avec eux j'ai marché dans les villes et les flaques d'eau
les plages et les déserts, les montagnes et les plaines
et vers ta maison, ta rue et ta cour

Merci à la vie qui m'a tant donné

Elle m'a donné un coeur qui  accélère son rythme
Quand je regarde l'œuvre du cerveau humain
Quand je regarde le bien si loin du mal
Quand je regarde dans le fond de tes yeux clairs

Merci à la vie qui m'a tant donné
Elle m'a donné les rires et m'a donné les pleurs
Ainsi je distingue la misère de la douleur
Les deux matériaux qui forment mon chant
et votre chant à vous qui est le même chant
et le chant de tous qui est mon propre chant

Merci à la vie ...

Violeta Parra


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1 mai 2008

le féminin des autres - Huidobro - Chili - Amérique du Sud - Vicente Huidobro

Vicente Huidobro (1893-1948).

Le début d'un premier poème :

Balada de lo que no vuelve

Venía hacia mí por la sonrisa
Por el camino de su gracia
Y cambiaba las horas del día
El cielo de la noche se convertía en el cielo del amanecer
El mar era un árbol frondoso lleno de pájaros
Las flores daban campanadas de alegría
Y mi corazón se ponía a perfumar enloquecido
(…)

- - - -

traduction (adaptée) par le blog lieucommun :

Ballade de ce qui ne revient pas 
 
Elle venait vers moi par le chemin de son sourire
Par le sentier de sa grâce
Elle changeait les heures du jour
Le ciel de la nuit devenait ciel d'aurore
La mer était un arbre au feuillage plein d'oiseaux
Les fleurs lançaient des chants joyeux
Et mon coeur affolé s'emplissait de parfums
(…)

Vicente Huidobro



1 mai 2008

le féminin des autres - Neruda, Mistral - Chili - Amérique du Sud

Pablo Neruda (1904-1973) est le poète chilien le plus connu dans le monde.
Dans le recueil "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" les poèmes ne portent aucun titre, ils sont numérotés de I à XX.

(Passages de 3 poèmes consécutifs du recueil)

XIV

"Juegas todos los días con la luz del universo" ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers.
Subtile visiteuse, tu viens sur la fleur et dans l'eau.
Tu es plus que cette blanche et petite tête que je presse
Comme une grappe entre mes mains chaque jour.

Tu ne ressembles à personne depuis que je t'aime.
Laisse-moi t'étendre parmi les guirlandes jaunes.
Qui inscrit ton nom avec des lettres de fumée parmi les étoiles du sud ?
Ah laisse-moi me souvenir comment tu étais alors, quand tu n'existais pas encore.

(...)

Je te crois même reine de l'univers.
Je t'apporterai des fleurs joyeuses des montagnes, des copihues,
des noisettes foncées, et des paniers sylvestres de baisers.

Je veux faire avec toi
ce que le printemps fait avec les cerisiers.

XV

"Me gustas cuando callas porque estas como ausente" ...

Je t'aime quand tu te tais ...

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas.
On dirait que tes yeux se sont envolés,
et on dirait qu'un baiser t'a clos la bouche

(...)

Je t'aime quand tu te tais et que tu es comme distante.
Et tu es comme plaintive, papillon que l'on berce.
Et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas :
laisse-moi me taire avec ton silence.

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence,
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée.
Ton silence est d'étoile, si lointain et si simple.

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
distante et dolente, comme si tu étais morte.
Un mot alors, un sourire suffisent,
et je suis heureux, heureux que ce ne soit pas vrai.

XVI

"En mi cielo al crepúsculo, eres como una nube" ...

Tu es au crépuscule ...

Tu es au crépuscule un nuage dans mon ciel,
ta forme, ta couleur sont comme je les veux.
Tu es mienne, tu es mienne, ma femme à la lèvre douce
et mon songe infini s'établit dans ta vie.

(...)

Tu es prise au filet de ma musique, amour,
aux mailles de mon chant larges comme le ciel.
Sur les bords de tes yeux de deuil mon âme est née.
Et le pays du songe avec ces yeux commence.

Pablo Neruda ("Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée", 1998 - paru en Poésie/Gallimard)

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Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.

Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.

¿ En dónde tejemos la ronda ?

¿ En dónde tejemos la ronda ?
¿ La haremos a orillas del mar ?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿ La haremos al pie de los montes ?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿ La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡ La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !

Gabriela Mistral

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Où ferons-nous la ronde ?

Où ferons-nous* la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.

Gabriela Mistral ("Désolation"  - 1922) - (traduction proposée par le blog lieucommun) -  * traduction littérale : "où tresserons-nous ..."

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Tout n'est que ronde

Les astres sont ronde
de garçons qui jouent
à voir sur la terre.
Les blés sont des tailles
de petites filles
qui jouent à ployer.

Les fleuves sont ronde
de garçons qui jouent
à se retrouver
dans la mer. Les vagues
sont ronde de filles
qui jouent à serrer
dans leurs bras la Terre.

Gabriela Mistral (source : site officiel du Printemps des Poètes - "Couleur femme")

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Dans le texte suivant, l'auteur décrit "trois arbres" de Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans), avec à l'ouest des forêts millénaires.
C'est en Patagonie que se trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant" dans la langue des indiens).

Trois arbres

Trois arbres tombés
sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.

Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum
de leur flanc ouvert.

L'un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l'autre
et ses blessures sont pareilles
à des yeux pleins de prière.

Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de douleur**.

Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation"  - 1922).

* dans le sens de converser     -   ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil" - lieucommun a préféré traduire par "douleur".
Traduction de Mathilde Pomès, auteure de "
Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)



1 mai 2008

féminin des autres - Arctique Groenland

ARCTIQUE - GROENLAND

LES INUITS

Les Inuits vivent dans les régions arctiques de la Sibérie, de l'Amérique du Nord (l'Alaska, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Québec, le Labrador) ainsi que du Groenland ('île la plus étendue de la planète après l'Australie, c'est un territoire autonome rattaché au Danemark).
Les Eskimo (ou "esquimaux") préfèrent qu'on les nomme "Inuit" (pluriel du mot "Inuk", qui signifie "l'homme par excellence").
En 1935 et 1936, à l'est du Groenland, l'explorateur Paul-Émile Victor a  collecté des récits, des chants et des poèmes traditionnels, réunis sous le titre "Poèmes eskimo" (Seghers jeunesse - 2005).

Le corbeau

Je suis montée sur le rocher
Sur le rocher de Krartoudouk*.
Comme un corbeau est ce rocher
Comme un corbeau posé sur le terre.
Derrière ce rocher j'ai vu les glaces
J'ai vu les glaces jusqu'au loin
Et je me suis assise sur ce rocher
Qui a l'air d'un corbeau.

poème anonyme (Krartoudouk* = corbeau)

Chant d'Anudadak

Je marchais au bord d'un lac
il y avait un renard qui grapillait des baies
il est venu vers moi, je lui ai pris la queue
et il m'a tiré jusqu'au sommet d'une montagne
ça soufflait un peu de l'intérieur
il y avait un petit vent.

Paroles d'un chant de la chamane Kaga  (collectées par Paul-Émile Victor - expédition à Ammassalik, 1935)



1 mai 2008

féminin des autres - Asie - Proche et Moyen Orient

ASIE - PROCHE ORIENT

IRAK

Salah Al Hamdani est né en 1951 à Bagdad. Exilé depuis 30 ans en France. il écrit en arabe et en français, des pièces de théâtre, des récits, des nouvelles et des poèmes (Bagdad mon amour, 2003 - Ce qu’il reste de lumière, 1999 -  Au large de Douleur, 2000 - Le Doute, 1992).

Seul le vieux tapis fleurissait le sol

La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol

 

Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage

J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.

Salah Al Hamdani - écrit en 2004 ("Poèmes de Bagdad", à paraître)

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Un poème écrit après la guerre d'Irak et la chute du régime de Saddam Hussein :

Trente jours après trente ans
 
N’ai-je pas à nommer les choses
comme une main tendue au naufragé,
comme le déroulement des saisons ?
 
N’ai-je pas dit
qu’une chose s’achève toujours au dépens de ce qui commence ?
 
Un flux de poussière achemine une odeur d’enfance
tandis que son cortège emporte mon incertitude
lentement
glissant sur la racine du jour ...
 
Je veux venir tout près de toi,
avec, dans les mots, ce que l’exilé laisse d’inachevé
 
L’aurore se lève sur Bagdad
et sa morsure se répand sur moi
 
Ma mère, comme la lumière,
n’a pas besoin du procès de l’obscurité
mais d’un peu de silence
quand son fils, l’exilé de retour,
se pose sur sa branche
en compagnie d’une étoile tatouée par la brume
 
Car il revient chez lui
comme un réfugié de passage
un fugitif qui cherche le partage :
un sourire,
un morceau de pain
un coin de lit
et le témoignage de la noyade du crépuscule.

Salah Al Hamdani ("Bagdad à ciel ouvert, illustrations de Salah Ghiad" - éditions Écrits des forges, 2007)


ISRAËL

Marlena Braester est une poète contemporaine israëlienne. Le recueil "Caractères" est paru en 2009.

les couleurs dansent

les couleurs dansent jusqu’au noir
dans la lumière
à un signe de l’air
elles se jettent aveugles de tous côtés
dans le vertige éblouissant
elles dansent jusqu’au noir
les ombres saignent
soudain
une couleur passe
les autres rentrent en-dessous
comme des pas étouffés dans les tapis de lumière
puis reprennent
la danse jusqu’au noir
derrière les couleurs
guette la lumière

Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)

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quelle langue parlent ces rues ?

quelle langue parlent ces rues
qui viennent vers nous
de leur lointain
horizon éclaté ?

Marlena Braester ("Poèmes" - Caractères, 2009)


LIBAN

On trouvera des poètes libanaises d'expression française (certaines ont vécu une grande partie de leur vie en France), dans la catégorie : PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES

Vénus Khoury-Ghata,  Etel Adnan, Nouad Es-Sahad

sans oublier Andrée Chedid ici : PRINT POÈTES 2010 : ANDRÉE CHEDID


PALESTINE

Palestine, région du Proche-Orient aux contours incertains, tourmentés, revendiqués, inclus, exclus, paradoxale Terre Sainte-terre d'affrontements. La poésie de Palestine est à la fois poésie ancienne de toute la région, avant les découpages historiques, et poésie contemporaine de résistance et d'identité des "Territoires palestiniens".

Mahmoud Darwich est né en Galilée en 1941. Il est mort en 2008. ” Je suis celui que l’on désigne comme "le poète de la Palestine", et l’on requiert de moi de fixer mon lieu dans la langue, de protéger ma réalité du mythe et de maîtriser l’une et l’autre, pour être tout à la fois partie de l’Histoire et témoin de ce qu’elle m’a fait subir. C’est pourquoi mon droit à un lendemain requiert révolte contre le présent et défense de la légitimité de mon existence dans le passé. Mon poème se retrouve ainsi changé en preuve d’existence ou de néant"...

À ma mère

je me languis du pain de ma mère
du café de ma mère
des caresses de ma mère
jour après jour
l’enfance grandit en moi
j’aime mon âge
car si je meurs
j’aurai honte des larmes de ma mère

si un jour je reviens
fais de moi un pendentif à tes cils
recouvre mes os avec de l’herbe
qui se sera purifiée à l’eau bénite de tes chevilles
attache moi avec une natte de tes cheveux
avec un fil de la traîne de ta robe
peut-être deviendrai-je un dieu
oui un dieu
si je parviens à toucher le fond de ton cœur

si je reviens
mets-moi ainsi qu’une brassée de bois dans ton four
fais de moi une corde à linge sur la terrasse de ta maison
car je ne peux plus me lever
quand tu ne fais pas ta prière du jour

j’ai vieilli
rends-moi la constellation de l’enfance
que je puisse emprunter avec les petits oiseaux
la voie du retour
au nid de ton attente

Mahmoud Darwich ("Ashiq min filastin, Un amoureux de Palestine" - 1966)

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Les oiseaux meurent en Galilée (passages)

pluie douce en un automne lointain
les oiseaux sont bleus, bleus
la terre en fête
Ne dis pas : Je suis un nuage suspendu sur le port
car je ne veux
de mon pays tombé de la fenêtre du train
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

pluie douce en un automne étrange
les fenêtres sont blanches, blanches
le soleil, un verger vespéral
et moi
je suis une orange spoliée
Pourquoi donc t’évades-tu de mon corps
alors que je ne veux
du pays des couteaux et du rossignol
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle ?

pluie douce en un automne triste
les rendez-vous sont verts, verts
et le soleil argile
Ne dis pas : Nous t’avons vu quand le jasmin fut piétiné
vendant la mort et les calmants
ma face était nuit
ma mort un embryon
et moi je ne veux
de mon pays qui a oublié le langage des absents
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

pluie douce en un automne lointain
les oiseaux sont bleus, bleus
la terre en fête
les oiseaux se sont envolés vers un temps irrévocables
veux-tu malgré tout connaître mon pays
et ce qui nous unit ?

(...)

... je ne veux
de mon pays qui m’a tranché la gorge
que le mouchoir brodé de ma mère
et les raisons d’une mort nouvelle

(...)

Mahmoud Darwich ("Al-'Asafir tamut fi al-jalil, Les oiseaux meurent en Galilée" - 1970)



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1 mai 2008

féminin des autres - Asie - Extrême Orient

ASIE - EXTRÊME ORIENT

CHINE

Tu Fu (712-770) est un grand poète chinois de la dynastie des Tang. Il a produit près de 1500 poèmes.

Village près d'une rivière

Eau claire, méandres qui enserrent le village.
Longues jourbées d'été où tout est poésie.
Sans crainte vont et viennent les couples d'hirondelles ;
Les mouettes, les unes contre les autres, dans l'étang.
Ma vieille épouse dessine un échiquier sur papier.
Mon fils, pour pêcher, tord son hameçon d'une aiguille.
Souvent malade, je cherche les plantes qui guérissent :
Quoi d'autre peut-il désirer, mon humble corps ?

Tu Fu - 1938  (extrait de "L'Écriture poétique chinoise", de François Cheng)

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JAPON (haïkus)

Le haïku (prononcez : “haïkou”) est un court poème japonais classique, comportant trois versets de 5, 7 et 5 pieds et visant à traduire une forte émotion face à la nature et à une saison.
Mais, même au Japon, le haïku a beaucoup évolué : on trouve maintenant des haïkus “libres” (qui ne respectent pas la métrique) et des haïkus politiques, érotiques, gastronomiques." (Georges Friedenkraft, dans la revue Marco Polo n° 10, d'octobre 2005).

Les haïkus sont rangés sur ce blog ici (colonne de gauche) : HAÏKUS - poésies des saisons
et pour le thème "Couleur femme" à la première page de la catégorie PRINT POÈTES 2010 : LE FÉMININ DES AUTRES

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VIÊT-NAM

Cù Huy Cân (1919-2005), auteur francophone bilingue, est un poète du Vietnam moderne ("Messages stellaires et terrestres" ; "Le temps des passages " ; "Écrits des Forges"). Engagé dans la lutte pour l'indépendance, il est en 1945, l’un des signataires de la Déclaration d’indépendance du Viêt-Nam, sous la présidence d' Hô-Chi-Minh. Il occupera différentes fonctions au sein du gouvernement de la République Démocratique du Viêt-Nam, dont celle de ministre de la Culture.

Je renais à toi chaque matin

Je renais à toi chaque matin
Et je regarde, émerveillé, la vie avec ton regard.
Je marche sur les bords de ta mer profonde
Et je rentre au plus profond de moi-même
En suivant ton sillage.
Nos deux destinées jumelles
Auront été deux vagues mêlées
Sur la grande Mer.
Nous écroulerons-nous en touchant les rivages ?
Je m’adosse aux bords de ton soir
Pour t’aimer dans tes racines
Pour avoir ta rose et tes épines.
Je renais à toi chaque matin.
Tu es mon aube et mon aurore,
Mon horizon fuyant et ma fixe horloge
Qui sonne gravement les heures de mon destin.
Saveur du jour, saveur de la nuit.
Tu es, mon amour, saveur de sève et de fruit
Que je hume et qui assouvit ma gourmandise.

Cù Huy Cân  ("Le Temps des Passages")
"Le Temps des Passages" réunit 24 poètes illustrés par des peintures de Chantal Legendre, dont le site est ici)

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INDONÉSIE

Asrul Sani est né en 1926.

Lettre d'une mère

Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
Va vers une vie libre !
Tant que le vent souffle en poupe.

Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Va vers le monde libre !
Tant qu’il ne fait pas encore noir
Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.

Lorsque les ombres s’effaceront,
Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
Que le vent soufflera vers la terre
Et que le timonier sera sans boussole,
Alors tu pourras revenir vers moi !

Reviens alors, mon cher enfant,
Reviens de l’autre côté de la nuit !
Et lorsque ton navire sera près du rivage,
Alors nous parlerons
De l’amour et de ta vie demain matin.

Asrul Sani  ("Le Temps des Passages")



1 mai 2008

féminin des autres - Europe - Europe Centrale et Europe de l'Est

 EUROPE de l'EST et ORIENTALE 

POLOGNE

Isaïe Spiegel (1906-1990), Juif polonais survivant d'Auschwitz, n'a cessé de témoigner de l'holocauste.

La dernière fois
 
Je t'ai vue, la dernière fois, dans le wagon encore ouvert,
Parmi le troupeau effaré, les visages des enfants juifs,
Je n'ai pu te tendre la main même pour le dernier voyage
Déjà le camion fermé m'emportait vers la grande route.
Et je ne savais pas que c'était le dernier,
Le dernier voyage de tous nos rêves,
Au loin les monts bleuis vers nous semblaient geler
Et près d'eux, sur le ciel, crachaient les crématoires.
 

Isaïe Spiegel ("Une échelle vers le ciel" - Gallimard, 1979)

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ALBANIE

Ismaïl Kadaré, né en 1936, est un grand écrivain ("Le Général de l'armée morte") et poète albanais.
Il a obtenu l’asile politique en France en 1990.

Un poème en albanais, la langue officielle du pays :

Peisazh (Paysage)

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur
Sillen në fushën e ngrirë
Shkelin mbi ngricë gjithkund.
Korbat mbi kokat e tyre
Enden kërcënueshëm.
Krokama
E tyre tregon se në kodin
E lashtë diçka nuk punon.

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur:
Korba mbi fushën e ngrirë.
Krokama të shkreta plot hutim.


Ismaïl Kadaré

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et sa traduction en français :

Paysage (Peisazh)

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Elles errent parmi les labours
durcis par le gel,
foulant la glace qui craque sous leurs pas.
Au-dessus d'elles,
menaçants, les corbeaux tournoient.
Leurs croassements semblent indiquer
qu'il y a quelque chose de détraqué dans le Code de l'espèce.

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Quelques corneilles foulant le gel des labours.
De pauvres croassements égarés.
                                                                      

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) version française établie par Claude Durand et l’auteur
avec la collaboration de Mira Mexi, Edmond Tupja et Jusuf Vrioni

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Même quand mon souvenir ... 

Même quand mon souvenir affaibli,
pareil aux trams d'après minuit,
ne s'arrêtera plus qu'aux principaux arrêts,
jamais je ne t'oublierai.

Je garderai en mémoire
le crépuscule immense et silencieux de ton regard,
et ce gémissement étouffé contre mon épaule
comme les flocons d'une neige un peu folle.

C'est l'heure de se séparer.
Je vais m'en aller loin de toi.
Rien là qui puisse étonner.

Pourtant, une autre nuit, les doigts
d'un autre dans tes cheveux viendront
s'entrelacer aux miens, mes doigts
de milliers de kilomètres de long.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) 

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RUSSIE

Youna Morits est née en 1937.

Je voudrais savoir

Je voudrais bien savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tombe le soir
sur le jour par traîtrise,
pourquoi le roseau chante
mais pas les autres plantes,
pourquoi dans sa tanière
l’ours peut dormir l’hiver
mais moi, qu’il pleuve ou vente,
je dois aller apprendre
l’histoire et la grammaire!

Je voudrais bien savoir
qui a donné leur nom
aux pommes et aux poires
et à chaque saison;
qui a fait qu’on appelle
éléphant l’éléphant
alors qu’il n’a pas d’ailes,
bien plus lourd qu’un enfant;
pourquoi a-t-on nommé
ainsi le crocodile,
lui qui n’a pas croqué
ma petite soeur Odile?

Je voudrais bien savoir
pourquoi la pauvre chèvre
ne fait que bégayer,
pourquoi toujours mes lèvres
ont comme un goût salé
quand je dis des sottises ?

Je voudrais tant savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tous les regards
et aussi les nuages
se lisent comme un livre,
pourquoi sur le visage
il y a des yeux qui vivent,
il y a des yeux qui vivent ?

Youna Morits (dans l'Anthologie de la poésie russe pour enfants" -  Circé poésie, 2000) - source : Printemps des Poètes, site officiel

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Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe, est née à Moscou en 1963. Elle y vit toujours. "L'Animal céleste", paru en 2004 est le premier de ses recueils traduit en français :

La balance

Sur un des plateaux la joie.
Sur l'autre le chagrin.
Le chagrin est lourd.
Voilà pourquoi
la joie est plus haute.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

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Je voudrais t’écrire une lettre ...

Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot
de reproche, de rancune, d’insolence,
pas de coquetterie, de caprice, de bravade,
pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe,
pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie…
Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

On peut lire ce poème de Vera Pavlova  dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov :  "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".

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Maria Tsetaeva (ou Tsvetaïeva), (1892-1941).

"la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d'ombre".
Maria Tsetaeva

L'auteure a passé une partie de son existence à Paris. C'est en français qu'elle écrit ce texte :

Neige

Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre

Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave ...
Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !

Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
Désole, détale,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.

Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.

Marina Tsetaeva (cité par Eveline Amoursky - texte emprunté au site : www.espritsnomades.com )

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Poèmes à Blok (extrait)

Ton nom - un oiseau dans la main,
Ton nom - sur la langue un glaçon.
Un seul mouvement de lèvres.
Quatre lettres*.
La balle saisie au bond,
Dans la gorge un grelot d'argent.

Une pierre jetée dans l'étang
Sangloterait ainsi quand on t'appelle.
Dans le piaffement léger des sabots la nuit
Ton nom, son éclat, retentit.
Le chien du fusil qui claque à la tempe
Le dit.

Ton nom -
ah, impossible!
Ton nom - le baiser sur les yeux,
Sur le tendre froid des paupières.

Ton nom - le baiser sur la neige.
Gorgée d'eau bleue qui sourd, glaciale,
Avec ton nom - le sommeil est profond.

* BLOK, à qui est adressé ce texte
Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Ma journée est absurde ...

Ma journée est absurde non-sens
J'attends du pauvre une aumône,
Je donne au riche généreusement.

J'enfile dans l'aiguille un rayon,
Je confie ma clef au brigand
Et je farde mes joues de blanc.

Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche ne prend pas mon argent,
Dans l'aiguille le rayon ne passe pas.

Il entre sans clef, le brigand,
Et la sotte pleure à seaux
Sur sa journée de non-sens. 

Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Pour grand-mère

L’ovale allongé, sévère,
Les plis de la robe noire …
Jeune grand-mère ! Qui baisait
Vos lèvres hautaines ?
Ces mains qui dans les salles de Chopin …
De chaque côté du visage glacé
Les boucles en spirales.
Le regard sombre, droit et exigeant,
Le regarde prêt de la bataille.
Les jeunes femmes ne regardent pas ainsi.
Jeune grand-mère, qui êtes-vous ?
Que d’occasions vous avez emportées,
Que de choses impossibles aussi
Dans le sein affamé de la terre,
Polonaise de vingt ans !
Le jour était innocent, le vent frais.
Les sombres étoiles mouraient.
Grand-mère! Ce cruel tourment
Dans mon coeur, serait-ce vous ? ...

Marina Tsvetaïeva ("Le ciel brûle", 1914 - éditions Gallimard, Poésie/Gallimard, 2002)

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Antonina Kimitval est née en 1940.

Le caneton

Le lac se couvrait de glace, le froid devenait plus âpre,
Par un jour sombre d’automne, j’aperçus un caneton.

Sans ami, seul, il nageait, barbotant dans les glaçons,
Luttant seul contre le gel qui figeait les eaux profondes.

Il désirait s’envoler mais il ne pouvait le faire.
La mort froide le guettait, l’oiseau voulait vivre, vivre.

Je voulus aller vers lui, il ne me comprenait pas.
Il s’enfuyait, déchirant la glace fragile encore ...

Il est resté seul ainsi, mourant sur le lac gelé
Et sa mort m’a rappelé le passé de mon pays..

Antonina Kimitval (dans la revue "Europe",  n° 607-608 de nov-déc 1979 : "Le livre, l'enfant dans le monde" - Les Éditeurs Français Réunis, 1979)


ROUMANIE

Magda Isanos (1916-1944).

 Le poème de la femme qui aimait le printemps (extrait)

Le printemps viendra.
Les fleurs porteront au sommet
La lumière qui brille
Du soleil
Et de la grande
Saison rêveuse.
"Pousse, fleur",
Murmurera la lumière de mai.
Des ailes
S'ouvriront à l'instant juste,
Et chaque chose se prolongera dans l'ombre secrète.
On aura beau changer d'habit pour l'amour,
La fleur, l'homme et l'élan
N'en resteront pas moins éphémères.

Magda Isanos ("Poésies" traduction d'Alain Bosquet, 1943) - source : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"


TURQUIE

Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J’écoute Istanbul (extrait)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Tout d’abord, le souffle du vent
Et le feuillage qui tangue
Lentement dans les arbres ;
Loin, très loin, les cloches des
Porteurs d’eau qui chantent,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Un oiseau passe,
Des oiseaux passent, leurs cris, leurs cris,
Filets qu’on retire des pêcheries,
Orteil d’une femme qui barbotte dans l’eau,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul

(...)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Sur le trottoir passe une élégante,
De dépit, elle chante, chante, passe ;
Quelque chose tombe de ta main
Par terre
Une rose, sûrement.
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
autour de ta taille volette un oiseau ;
Je sais si ton front est moite ou froid
Si tes lèvres sont humides et sèches ;
Ou si une lune blanche s’élève au-dessus du pistachier
Mon cœur qui bat me parle…
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
.

Orhan Veli



1 mai 2008

féminin des autres - Europe méditerranéenne

EUROPE MÉDITERRANÉENNE

GRÈCE 

Constantin Cavafy (1863-1933), ou Konstandínos Kaváfis, est considéré comme l'un des plus importants poètes grecs modernes, avec le poète contemporain Yannis Ritsos. Il est pourtant né et a passé la plupart de sa vie en Égypte, à Alexandrie, où il est né et où il repose.

Il n'a rien publié de son vivant, se contentant de distribuer des feuillets imprimés de ses poèmes.

J'ai regardé si fixement la beauté ...

J'ai regardé si fixement la beauté que mes yeux sont tout pleins d'elle.
Lignes du corps, lèvres empourprés, membres voluptueux,
chevelures évoquant celles des statues grecques, toujours belles,
même quand elles sont en désordre et tombent un peu sur les fronts blancs.
Visages de l'amour, tels que les désirait mon art…
Visages rencontrés furtivement dans mes nuits,
dans les nuits de ma jeunesse…

Constantin Cavafy

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Yannis Ritsos (1909-1990)

Jour vert

Jour vert ardent, bonne pente parsemée
Clochettes et bêlements, myrtes et coquelicots...
La jeune fille tricote les objets de sa dot
Le jeune homme tresse des paniers
Et les boucs, le long du rivage
Lèchent le sel blanc.

Yannis Ritsos

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Des filles grêles

Des filles grêles
Sur le rivage
Récoltent le sel
Courbées, elles ne voient pas la mer
Une voile
Une voile blanche leur fait signe du large
Elles ne l'ont pas aperçue et la voile noircit de tristesse 

Yannis Ritsos

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Costas Kalatzis est un poète grec contaemporain.

La mère du proscrit (passages)

(...)

Tu es mon dernier fils et ton absence pèse
Et va peser encore pendant des siècles
Plus noire que la nuit je m'en vais devenir
Et me mettre à errer telle un spectre
J'entends au dehors comme une plainte
La plainte déchirante de notre chien
Je m'en vais errer et les montagnes les vallons
Les plaines les torrents m'interrogeront.
A mon passage les sources feront silence
Des incendies s'allumeront à ma poitrine
Les étoiles la lune le soleil m'interrogeront
Et je n'aurai le coeur de leur répondre

(...)

J'ai reçu ta lettre si amère
Comme tes nouvelles sont navrantes
O reviens mon enfant je t'attends
Reviens et moi l'infortunée j'ouvrirai mes ailes
Pour t'en recouvrir tendrement
Mon coeur ressentira une douceur infinie
Quand il t'aura près de lui, mon fils
Que de fois j'aurai nourri la mort
L'aurai nourri jusqu'à satiété
Dans ma vieillesse pour me contenter
Je n'attends plus qu'un signe de toi.

Costas Kalatzis


ITALIE 

Giacomo Leopardi (1798-1837), est un grand poète et philosophe italien.

À Silvia (extraits)

Silvia, te souvient-il encore
Du temps de cette vie mortelle,
Quand la beauté brillait
Dans tes yeux fugitifs et riants,
Et que, pensive et gaie, tu gravissais
Le seuil de la jeunesse ?

Sonnaient les calmes
Voûtes, et les rues alentour,
À ta chanson sans fin,
Alors qu’assise à ton œuvre de femme
Tu t’appliquais, heureuse
De ce vague avenir que tu rêvais en toi.
C’était mai plein d’odeurs, et tu aimais
Passer ainsi le jour.

(...)

Je tendais mon oreille au son de ta voix
Et de ta main rapide
Qui parcourait l’âpre toile.
Je contemplais le ciel serein,
Les rues dorées et les vergers,
Là-bas la mer, au loin, et là les monts,

(...)
Avant que l’hiver même eût desséché les feuilles,
Toi, frappée, vaincue d’un mal obscur,
Tu périssais, fillette. Et tu n’as point connu
La fleur de tes années,
Ton cœur ne s’est ému
Sous la tendre louange de tes cheveux de jais,
De tes yeux amoureux et craintifs,
Et près de toi tes amies, aux jours de fête,
D’amour n’ont pas parlé.

... Ah ! comme,
Comme tu t’es enfuie,
Chère compagne de mon jeune âge,
Mon espérance pleine de larmes !
C’est donc cela, le monde ? Cela, l’amour,
Et les plaisirs, les aventures, les travaux
Dont nous avions tant devisé ensemble ?
(...)

Giacomo Leopardi ("Chants", traduction de Michel Orcel)

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Patrizia Cavalli est née en 1947.

Même quand la journée ... (extrait)

Même quand il semble que la journée
a passé comme une aile d’hirondelle,
comme une poignée de poussière
jetée et qu’il n’est pas possible
de ramasser et que la description
le récit ne trouvent nécessité
ni écoute, il y a toujours un mot
un petit mot pour dire
qu’il n’y a rien à dire.

Patrizia Cavalli ("Mes poèmes ne changeront pas le monde"- traduction de Danièle Faugeras et Pascale Janot - Éditions des Femmes, 2007)

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Sandro Penna (1906-1977). 

Femme dans le tram

Tu veux embrasser ton enfant qui ne veut pas :
il aime regarder la vie, dehors.
Alors tu es déçue, mais tu souris :
ce n'est pas l'angoisse de la jalousie
même si déjà il ressemble à l'autre homme
qui pour "regarder la vie, dehors"
t'a laissée ainsi ...

Sandro Penna ("Une ardente solitude" - traduit par Bernard Simeone, éditions La Différence, 1989) 



1 mai 2008

féminin des autres - Europe Ouest - Îles Britanniques... - France des régions et d'Outremer

EUROPE DE L'OUEST

ALLEMAGNE

Sarah Kirsch, née en 1935, est considérée comme la plus grande poétesse actuelle de langue allemande.

source de la présentation et du poème : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"

Sur les lieux

La neige pénètre les contours des forêts
Forêts nordiques de hêtres en ce temps
Courbée la neige qui tombe
Se coule au corps noir de la forêt.
Rouges les feuilles sur les racines
Au-dessus des cimes le ciel couleur de soupe au lait
Les flocons ont des allures de suie.
Tandis que les cristaux se modifient
Que des semaines durant ils tombent à terre
Dressent des remparts à mi-hauteur du coeur.

texte original :

Ort und Stelle

Es schneit in die Konturen der Wälder
Nördliche Buchenwälder zu der Zeit
Gebogen paBt der Schneefall
Schwarzgrauem Waldleib sich an.
Rot das Laub auf den Wurzeln
Über den Kronen im Milchsuppenhimmel
Erscheinen die Flocken wie RuB
Indem die Kristalle sich wandeln
Wochenlang niederstürzen
Türmen sie Wälle halb vor das Herz.

Sarah Kirsch ("Chaleur de la neige" / "Schneewärme" - bilingue - éditions Le dé bleu, traduit de l'allemand par Jean-Paul Barbe) 


Les textes des poètes femmes de BELGIQUE - SUISSE et LUXEMBOURG, dont les titres seuls sont indiqués, sont à lire dans l'autre catégorie "couleur femme", ici : PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES

BELGIQUE

Marie Gevers 

Chanson pour apprendre aux cinq sens à aimer la pluie

Repas du matin

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Renée Brock 

Îles de Lérins

Jamais ...

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Anne-Marie Kegels 

Automne

La Fenêtre

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Madeleine Ley 

La girafe

En rêve j'ai trouvé

L’araignée

Grand-père

Le petit lapin

Le ruisseau

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Jeanine Moulin 

Dialogue

La poésie comme elle s'écrit

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 Marie-Claire d'Orbaix 

Sirène

Touffe de mots

Les aînées

Le printemps

Les loups

Je suis ton grain pesé

La fenêtre est un livre d'images

Je suis du temps ...

Don Juan

Femmes des longs matins

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Lucie Spède 

Définition

Le mille-pattes

Oh dodo

Météo

Le monde à l'envers

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Liliane Wouters

À l'enfant que je n'ai pas eu ...

Ma tête dans le vent ...

Le bois sec

Que m'importent lieu, durée ...


SUISSE

Marguerite Burnat-Provins

Le livre pour toi

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Pernette Chaponnière 

La neige

 Le sapin de noël (ou le petit sapin sous la neige)

Les feuilles mortes

L'hirondelle


LUXEMBOURG

Anise Koltz

J’avance sans filet

Le mot change

Dans ce monde

Couchée dans le désert

J'écris les yeux grand ouverts

Le mur du son

L'ailleurs  des mots

À ma mère


ÎLES BRITANNIQUES

Percy Bysshe Shelley (1792-1822) est un poète romantique anglais. 

La philosophie de l'amour

Les fontaines se mêlent aux rivières,
Les rivières à l'océan,
Les vents du Ciel s'unissent à jamais
Avec une douce émotion;
Rien dans le monde n'est solitaire
Toutes choses par loi divine
En un esprit se rencontrent, se mêlent.
Pourquoi pas le mien et le tien ?

Vois, les montagnes baisent le haut Ciel,
Les vagues l'une l'autre étreignent;
Nulle sœur-fleur ne serait pardonnée
Si elle dédaignait son frère;
Du soleil la lumière étreint la terre,
Les rais de lune baisent la mer :
Mais que vaut donc tout cet ouvrage tendre
Si toi tu ne m’embrasses pas ?

Percy Bisshe Shelley


ESPAGNE

Federico García Lorca (1898- 1936) est un poète et auteur de pièces de théâtre espagnol. Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí. Il est mort fusillé au début de la Guerre civile par les troupes du Général Franco.

"Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses".

Chanson bête

Maman,
Je voudrais être en argent.

Mon fils,
Tu auras bien froid.

Maman,
Je voudrais être de l'eau.

Mon fils,
Tu auras bien froid.

Maman,
Brode-moi sur ton oreiller.

Ah, ça oui  !
tout de suite !

Federico García Lorca (Traduction proposée par Lieucommun )

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Canción tonta

Mamá.
Yo quiero ser de plata.

Hijo,
tendrás mucho frío.

Mamá.
Yo quiero ser de agua.

Hijo,
tendrás mucho frío.

Mamá.
Bórdame en tu almohada.

¡Eso sí!
¡Ahora mismo!

Federico García Lorca ("Canciones" - 1928)

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Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928) (Traduction proposée par Lieucommun )

 Romance de la lune lune
 
La lune vient à la forge
avec ses volants de nards.
l'enfant, les yeux grand ouverts,
la regarde, la regarde.

Dans la brise qui s'émeut
la lune bouge les bras,
dévoilant, lascive et pure,
ses seins blancs de dur métal.

Va-t-en lune, lune, lune.
Si les gitans arrivaient,
ils feraient avec ton cœur
bagues et colliers blancs.

Petit, laisse-moi danser.
Quand viendront les cavaliers,
ils te verront sur l'enclume
tu auras les yeux fermés.

Va-t'en lune, lune, lune.
j'entends déjà leurs chevaux.

Laisse-moi, petit, tu froisses
ma blancheur amidonnée.

Battant le tambour des plaines
approchait le cavalier.
Dans la forge silencieuse
gît l'enfant, les yeux fermés.

Par l'olivette venaient,
bronze et rêve, les gitans,
chevauchant la tête haute
et le regard somnolent.

Comme chante la zumaya*,
Ay, comme elle chante dans son arbre !
Dans le ciel marche la lune
tenant l'enfant par la main.

Autour de l'enclume pleurent
les gitans désespérés.
la brise veille, veille,
la brise fait la veillée.

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Romance de la luna luna

La luna vino a la fragua
con su polisón de nardos.
El niño la mira, mira.
El niño la está mirando.

En el aire conmovido
mueve la luna sus brazos
y enseña, lúbrica y pura,
sus senos de duro estaño.

Huye luna, luna, luna.
Si vinieran los gitanos,
harían con tu corazón
collares y anillos blancos.

Niño, déjame que baile.
Cuando vengan los gitanos,
te encontrarán sobre el yunque
con los ojillos cerrados.

Huye luna, luna, luna,
que ya siento sus caballos.

Niño, déjame, no pises
mi blancor almidonado.

El jinete se acercaba
tocando el tambor del llano.
Dentro de la fragua el niño,
tiene los ojos cerrados.

Por el olivar venían,
bronce y sueño, los gitanos.
Las cabezas levantadas
y los ojos entornados.

Cómo canta la zumaya,
¡ay, cómo canta en el árbol!
Por el cielo va la luna
con un niño de la mano.

Dentro de la fragua lloran,
dando gritos, los gitanos.
El aire la vela, vela.
El aire la está velando.

Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)


FRANCE

BRETAGNE

Anjela Duval (1905-1981) n'a pas un nom à consonance celte, certes, mais ...
"Anjela Duval est cette femme qui pendant le jour cultive la terre de sa petite ferme, Traoñ an Dour, et qui le soir sort ses cahiers et écrit des poèmes, devenus parmi les plus aimés de la langue bretonne. Le breton est sa langue de tous les jours, et elle a appris la langue littéraire, qu'elle enrichit de ses mots, de sa sensibilité. Ses poèmes révèlent son amour lucide de la nature, sa rage contre le déclin organisé du breton, ses angoisses, son humour..."
source : http://www.breizh.net/anjela/barzhonegou.php ou on trouvera ses poèmes en breton et certains traduits en français.

Voici deux poèmes dans les deux langues, traduits par Paol Keineg (adresse ci-dessus) :

Lagad an Heol

— Heol ! Perak out ken diwezhat o tiblouz ?
Ha perak eo ken ruz da lagad ?
Ha bet ac’h eus en noz-mañ ur gwall-hunvre, en deus graet dit leñvañ dre da hun ?
— Na hun na hunvre na fall na mat.
Beilhet am eus an noz-pad…
Tra ma kouske ar c’hornôg dibled war ludu louet e lore me ’m eus graet tro an Douar.
Ha gwelet am eus tud o vervel gant an naon.
Gwelet ’m eus tud o vervel gant ar riv.
Gwelet tud o vervel gant an dic’hoanag.
Gwelet am eus tud o lazhañ tud, breudeur o ’n em dagañ.
Gwelet ’m eus pobloù mac’het.
Gwelet ur penntiern meur o kouezhañ dindan boled ur foll.
Gwelet forzh tud o leñvañ :
Ha chomet on bepred digas…
Gwelet ’m eus, avat, tud o c’hoarzhin goap ouzh ar re zo er boan, ouzh ar re zo en dienez
Ouzh ar re zo dindan ar yev.
Ha neuze am eus ranket leñvañ,
Ma ’z eo ruz c’hoazh va lagad.
— Heol ! Sec’h bremañ da zaeroù !
Mor-Breizh, emberr, a vo dous
D’az lagad ruz hag entanet…

Anjela Duval (Ur beure goañv 1964)

traduction : L’œil du Soleil

— Soleil ! Pourquoi te lèves-tu si tard ?
Et pourquoi as-tu l’œil si rouge ?
As-tu fait cette nuit un cauchemar, qui t’a fait pleurer dans ton
sommeil ?
— Ni sommeil ni rêve ni bon ni mauvais.
J’ai veillé toute la nuit…
Tandis que l’occident frivole dormait sur les cendres grises de ses lauriers j’ai fait le tour de la Terre.
Et j’ai vu des gens mourir de faim.
J’ai vu des gens mourir de froid.
J’ai vu des gens mourir de désespoir.
J’ai vu des gens s’entre-tuer, des frères s’étrangler.
J’ai vu des peuples opprimés.
J’ai vu un grand dirigeant tomber sous la balle d’un dément.
J’en ai vu beaucoup qui pleuraient :

Et j’ai continué, indifférent…

J’en ai vu cependant qui se moquaient des gens dans la peine, des gens dans la misère
Des gens sous le joug.

C’est alors que j’ai pleuré,
C’est pourquoi mon œil est rouge.

— Soleil ! sèche tout de suite tes larmes !
La mer de Bretagne adoucira bientôt
Ton œil rouge et enflammé …

Anjela Duval (Un matin d’hiver 1964)

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Balafenn ha Gwenanenn

— Ma vez hinon
Eme ar valafenn hedro
Ma vez hinon
Emberr me ’z ay da vale bro
— Ha me, eme ar wenanenn
D’ar valafenn skañvbenn
Me ’gaso va labour en-dro
            Ma vez hinon

Anjela Duval (Miz Mezheven 1967)

traduction : Papillon et Abeille

— S’il fait beau
Dit le papillon volage
S’il fait beau
Je battrai bientôt la campagne.
— Et moi, dit l’abeille
Au papillon écervelé
Je me mettrai au travail
         S’il fait beau.

Anjela Duval (Juin 1967)

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Jean-Pierre Calloc'h, Yann-Ber Kalloc'h en breton, est un barde. Il publie ses poèmes sous le pseudonyme de Pen men (Tête de pierre) puis de Bleimor (loup de mer). source : http://calloch.jp.free.fr/Pages/fspoete.htm

Le poème qui suit, Me zo ganet e-kreiz ar mor a été mis en musique  par Jef Le Penven et est devenu une chanson traditionnelle bretonne :

Me zo ganet é kreiz er mor (trois premières strophes)

Me zo ganet é kreiz er mor
Tèr lèu ér méz;
Un tiig gwenn duhont em-es,
Er benal 'gresk etal en nor
Hag el lann e hol en anvez.
Me zo ganet é kreiz er mor,
E bro Arvor

Me zad e oé, èl é dadeu,
Ur matelod;
Béùet en-des kuh ha diglod
- Er peur ne gan dén é glodeu -
Bamdé-bamnoz ar er mor blod.
Me zad e oé, el e dadeu,
Stleijour-rouédeu.

Me mamm eùé e laboura
- Ha gwenn hé blèu -;
Geti, en hwéz ar on taleu,
Disket em-es bihannig tra,
Médein ha tennein avaleu.
Me mamm eùè e laboura
D'hounid bara...

...

Jean Pierre Calloc'h (extrait de "Prière dans les ténèbres", dans le recueil "A genoux", Paris 1914)

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traduction :

Je suis né au milieu de la mer

Je suis né au milieu de la mer
Trois lieues au large;
J'ai une petite maison blanche là-bas,
Le genêt croît près de la porte,
Et la lande couvre les alentours.
Je suis né au milieu de la mer,
Au pays d'Armor.

Mon père était comme ses pères
Un matelot.
Il a vécu obscur et sans gloire,
- Le pauvre, personne ne chante ses gloires -
Tous les jours, toutes les nuits sur la mer souple
Mon père était comme ses pères,
Traîneur de filets.

Ma mère aussi travaille,
- Malgré ses cheveux blancs -;
Avec elle, la sueur à nos fronts,
J'ai appris, tout petit,
A moissonner et à arracher les pommes de terre;
Ma mère aussi travaille
Pour gagner du pain ...

...

Jean Pierre Calloc'h ("Ar en deulin", Paris 1914)

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Xavier Grall (1930-1981) est un journaliste et poète breton d'expression française, mais avec quelle force il revendique son identité ! Sa poésie est toute entière de roc, de lande et d'océan, et d'humanité. Voici quelques éloges de sa Bretagne.   

"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance."

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Les vieux de chez moi

Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frêles brigantines

Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande
Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie Galante
Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières

Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs
des voiliers brisés dans les goémons rageurs
et luisent leurs regards comme des louis !

Les vieux de chez moi n'attendent rien de la vie
ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie
La mort peut les prendre, noire comme pinasse

Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l'hortensia
Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria
"Adieu les belles, c'est le branle-bas"

Et les femmes des marins fermeront leurs volets

Xavier Grall ("La Sône des pluies et des tombes", 1976)

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Viens avec moi

Viens avec moi
je te dirai le cri des sternes
et le psaume des pierres levées
(...)
Viens avec moi
je te dirai les dieux fraternels
dans les chapelles bleues
Viens
nous inventerons un pays mystique
violentes seront les femmes comme des solstices
il y aura des nids chantants dans les poutres
les nefs seront pleines d'hirondelles.

Xavier Grall ("Les vents m'ont dit" - éditions Calligrammes, Quimper)

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Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Pierre

Pierre je compatis à ta vie lente et dure
Même le saule en pleurs ne me déchire pas
Comme le verbe d’or caché sous ton armure.

J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël
Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même
Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime
Et se souvient d’avoir été semblable à toi.

Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu
Que je vous ai donné sans détourner la tête
Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut
Traduire pour Jésus sa prière muette.

Règne du minéral ouvre-moi ton église
Et travaillons ensemble à refuser l’hiver
Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer
Le diable et ses petits ricanent dans la brise
Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs
Qui durent lentement debout face à la mer.

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

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Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

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La lavandière (première et dernière strophes du poème)

La lavandière est mon amie
Ses cheveux roux sont des ruisseaux
Ses cheveux mènent à l'amour.
La lavandière est jeune fille
Elle a volé ma chanson d'eau
Pour laver le suil de l'auberge.



Lavandière lavant la vie
Nous suivons le même chemin
Celui de l'eau celui des mains.
La lavandière est mon amie.

Angèle Vannier ("Songes de la lumière et de la brume" - éditions Savel, 1947)


FRANCE

PROVENCE - OCCITANIE

La langue d'Oc, observeront les lecteurs attentifs, est différente à l'oral et à l'écrit selon les régions (et même à l'intérieur d'une même région). Témoin ces textes, de Provence et de Languedoc.

Frédéric Mistral (1830-1914) est un écrivain et poète provençal, prix Nobel de littérature en 1904.Il fonde en 1854 avec d'autres poètes provençaux, le Félibrige, pour défendre les cultures régionales traditionnelles et la langue occitane.

"Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut"
Frédéric Mistral

TEXTES EN ATTENTE

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Sextius Michel 1827-1906) est né à Sénas (Provence). Il "monté à Paris", avec ses premiers poèmes. Il sera président des félibres (voir ci-dessus Frédéric Mistral) de Paris et maire du XVe arrondissement, de 1871 à sa mort.

Il est le fondateur d'une des premières Caisses des écoles de Paris, pour financer les cantines scolaires, d'une colonie de vacances, ainsi que d'une mutualité scolaire (en 1900).

Les hirondelles (légende)texte_hirondelles_orig

Les hirondelles ont fait leur nid
dans la toiture ensoleillée
d'un petit château. L'aube rit
aux piaulements de la nichée.

Vivait dans ce paradis
une charmante dame adorée
d'un galant jouvenceau du pays.
Oh ! Quels tendres embrassements !

Un jour, crime ou folie,
on la trouva morte dans son lit,
la jeune dame, hélas ! toute seule.

L'amant avait disparu.
Revient l'été avec le ciel bleu,
mais ne reviennent pas les hirondelles.

Sextius Michel ("Le long du Rhône et de la mer") ("Long dóu Rose e de la mar" - Flammarion et Roumanillo 1892)

... (lire la traduction du poème  "Li dindouleto" en cliquant sur l'image ci-contre >)

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Louisa Paulin (1888-1944) a vécu dans le Tarn (naissance à Réalmont), où elle a été institutrice. Elle écrit ses poèmes d'abord uniquement en français, puis en français et en occitan.

On retrouve les textes de Louisa paulin dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES

“Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”

On ne connaît généralement de Louisa Paulin que ses poèmes en français. Voici deux textes qu'elle a écrits dans les deux langues :

La cançon del silenci.

Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci,
la cançon que comença,
quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ;
la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta,
la cançon de l'aigueta
que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ;
la cançon de la branca
que fernís e que dança
desliurada del pes amorós d'un ausèl ;
la secreta conçon breçant l'ombra blavenca
del lir còrfondut de promessa maienca,
qu'espèra, per florir, un signe del azur.

en français :

La chanson du silence

Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence,
la chanson qui commence,
quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ;
la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe,
la chanson de l'eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ;
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d'un oiseau ;
la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière,
qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.

Louisa Paulin

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Fum 

Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal !
Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps
Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas.
O fial de fum, vèni ligar un raive,
Un rave que m'escapa
– coma tu, lial de fum –
Per fugir cap a las estelas.

Louisa Paulin ("Sorgas")

en français :

Fumée

Non, non, ce soir je veux fuir la maison !
Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs
Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes.
Ô fil de fumée, viens lier un rêve,
Un rêve qui m'échappe
– comme toi, fil de fumée –
Pour fuir vers les étoiles.

Louisa Paulin ("Sources")
 

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Béatrice de Die (XIIe siècle). C'est en Provence et en langue d'oc que les poèmes de la comtesse Béatrice de Die sont chantés par les troubadours.

Voici un poème, en occitan, suivi de sa traduction en français moderne (source : www.horslesmurs.ning.com )
 

Estat ai en greu cossirier (extrait)

Estat ai en greu cossirier
per un cavallier qu'ai agut,
e vuoil sia totz temps saubut
cum ieu l'ai amat a sobrier;
ara vei qu'ieu sui trahida
car ieu non li donei m'amor
don ai estat en gran error
en lieig e quand sui vestida.

Ben volria mon cavallier
tener un ser en mos bratz nut,
qu'el s'en tengra per ereubut
sol qu'a lui fezes cosseillier;
car plus m'en sui abellida
no fetz Floris de Blanchaflor:
ieu l'autrei mon cor e m'amor
mon sen, mos huoillis e ma vida.
...

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Grande peine m'est advenue
(extrait)

Grande peine m'est advenue
par un chevalier que j'ai eu.
je veux qu'on sache toujours
que j'ai pour lui tant d'amour.
à présent me voilà trahie,
pour ne lui point donner d'amour
quand je fus en grande folie,
au lit comme toute vêtue.

Je voudrais mon chevalier
tenir un soir dans mes bras nus ;
il en serait comblé de joie
si je lui servais de doux coussin;
je suis plus amoureuse de lui
qu'un jour Flore de Blanchefleur,
je lui donne mom amour et ma vie,
mon âme, mes yeux et mon coeur.
...

Béatrice de Die (la traduction en français est de Pierre Seghers)


FRANCE d'OUTREMER

MARTINIQUE

Marie-Magdeleine Carbet, née en 1902 en Martinique, était romancière, auteur de contes pour enfants, et poète ("Mini-poèmes sur trois méridiens" - 1977).

Le ruisseau

Le ruisseau qui glisse

Son filet d'eau claire
Parmi l'herbe lisse
En sait long
La lon laire
En sait long
Laire lon


Marie-Magdeleine Carbet

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L’acacia

Le vent
Passait, pleurant.
L’acacia dit :
Vent d’automne
Au front gris,
Tu t’ennuies :
Je te donne
Mes feuilles.
Prends, cueille
Et va jouer au volant
Avec ton amie
La pluie.
Le printemps,
En son temps,
M’en fera de plus jolies !

Marie-Magdeleine Carbet


1 mai 2008

féminin des autres - Océanie

OCÉANIE

NOUVELLE CALÉDONIE

La Nouvelle-Calédonie, cet archipel d'Océanie, ancienne colonie française, a acquis un statut d'autonomie, et selon les accords de Nouméa négociés en 1998, un référendum doit décider, à partir de 2014, de son indépendance ou de son maintien dans la République française.
Les kanak (en français canaques) sont les Mélanésiens autochtones. Le mot "kanak", invariable, signifie "homme".
La langue officielle est le français, mais ils parlent de nombreuses langues locales indigènes (dont le drehu, dans les Îles Loyauté), la plupart étant des langues orales.
Le drehu possède aujourd'hui une écriture et une grammaire et est enseigné à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. On peut écouter ici un récit en drehu, une des langues kanak parlées en Nouvelle-Calédonie (à Ouvéa).
Erratum: un lecteur nous signale que "la langue drehu est parlée à Lifou et non Ouvéa (où on parle le Iaai)". Vous voudrez bien accepter nos excuses. Un lien ici, qui précise que le drehu est la langue kanak qui a le plus de locuteurs : http://fr.wikipedia.org/wiki/Drehu

Déwé Gorodey, née en 1949 est une écrivaine kanak. Elle occupe des fonctions importantes dans le gouvernement Calédonien.

Araucaria

Araucaria
pin colonnaire*
qui troue le ciel de mon pays
de son tronc s'étirant
vers les souvenirs inavoués
de mon peuple humilié
réfugié dans le ciel des prières

pour oublier

Araucaria
arbre à palabres
de clans et tribus trahis
sur cette terre qui est leur
leurs paroles figées
dans ta dure résine solide
je les dirai en face car je ne veux

PAS OUBLIER

Je les écrirai
là où je le pourrai
du mieux que je le pourrai
ici et maintenant car

j'ai beau chercher
la nuit le jour
je ne vois rien d'autre dans le ciel que
pour éclairer ma mémoire

Le pin colonnaire, comme son nom l'indique, est un arbre qui pousse tout en hauteur et qui peut s'élever jusqu'à 50 m.
Dewe Gorodey ("Sous les Cendres des Conques", 1974)

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Le passage ci-dessous est emprunté ici : http://www.ac-noumea.nc/histoire-geo/progexam/doc/placeteroledelafemme.pdf

Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier

Peut-être est-ce depuis ce temps là que, parfois, seule aux champs, j’entends les voix de la Terre. Ces voix de la Terre, enseignait donc ma grand-mère Utê Mûrûnû, n’étaient autres que celles de la mère, celle de la femme. Et elles s’adressaient en premier lieu à nous les femmes qui, mieux que personne, pouvions les comprendre. Porteuses de semences, nous étions lardées d’interdits, marquées de tabous comme autant de pierres pour obstruer la vie. [..] Ädi, perles noires du mariage coutumier, nous étions échangées comme autant de poteries scellant une alliance entre deux guerres. Voies et pistes inter claniques, nous survivions tant bien que mal à nos enfances et à nos pubertés trop souvent violées par des vieillards… »

Peu après le retour à la terre de notre grand-mère Utê Mûrûnû, qui s’éteignit au tout début de ce siècle, nos pères et nos grands-pères m’accompagnèrent chez nos utérins de l’autre coté, pour m’offrir à l’un de nos vieux cousins, polygame dont je devins alors la plus jeune des femmes. [….] J’étais à peine pubère et aucun garçon ne m’avait approchée. Les grands-mères, tantes et soeurs aînées qui étaient là, les premières épouses, se chargèrent de parfaire mon éducation. […] Les unes et les autres me nourrissaient, m’épouillaient, me soignaient. Les unes et les autres m’ordonnaient les tâches quotidiennes, m’emmenaient aux champs, m’initiaient au tissage et à la vannerie, m’apprenaient les récits du clan, les chants et les danses de femmes. Ce fut la plus vieille d’entre elles […] qui m’accompagna au fil des nuits dans la case de notre grand cousin.

 

Déwé Gorodey ("Utê Mûrûnû, petite fleur de cocotier" -  Grain de sable, EDIPOP, 1994)

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AUSTRALIE

Dorothea Mackellar (1885-1968).

J'aime un pays ...

J'aime un pays brûlé par le soleil,
Terre des vastes plaines,
Des chaines de montagne déchiquetées,
De la sécheresse et des inondations.
J'aime ses horizons lointains,
J'aime le bijou qu'est sa mer,
Sa beauté et sa terreur
La grande terre brune pour moi !

Dorothea Mackellar ("My Country", 1908)



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