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1 mars 2008

Charles DOBZYNSKI - le féminin en poésie

Charles Dobzynski est né en 1929. Il quitte sa Pologne natale pour la France avec sa famille, à l'âge d'un an.
Il côtoie Paul Éluard, Louis Aragon et Elsa Triolet, Pierre Gamarra, Tristan Tzara ... Il est le traducteur des textes du poète allemand Rainer Maria Rilke.

Un texte terrible, inconvenant presque ...

La mère

Je t'ai appris tout ce que j'avais. Tu as pris ma vie et tu n'as rien compris. Je t'ai nourri. Tu m'as tarie. Je t'ai guéri. Tu m'as meurtrie. Je t'ai habillé. Tu m'as dépouillée. Je t'ai nettoyé. Tu m'as noyée. Je t'ai lové. Tu m'as volée. Je t'ai adulé. Tu m'as annulée.
Je t'ai déployé, tu m'as repliée. Je t'ai blanchi. Tu m'as noircie. J'ai étét ton refuge, toi mon refus. Je t'ai inventé et vantéTu m'as évidée, évitée. Je t'ai changé et tu t'en es vengé. Je ne cesse de te chanter, toi qui me désenchantes.

Charles Dobzynski  ("Traduit en justice" - Le Verbe et l'empreinte (1980) - illustrations de Marc Pessin



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1 mars 2008

Paul ÉLUARD - le féminin en poésie

Paul Éluard (1895-1952) est l'un des plus importants poètes du Surréalisme. Il a aussi participé au mouvement Dada.

L'amoureuse

Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

Paul Éluard ("Capitale de la douleur" - Gallimard, 1926 - en Poésie/Gallimard depuis 1966) 

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La courbe de tes yeux

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul Éluard ("Nouveaux poèmes" "Capitale de la douleur" - Poésie/Gallimard, depuis 1966)

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Portrait

Bouclier d’écume la joue
Air pur le nez marée le front
Filet de chaleur de la bouche
Balance du bruit le menton
Pour finir par un vol d’oiseaux

Voici que naissent les lumières
Des paroles sur les collines
De ses yeux verts

Et le beau temps
A la forme de sa tête.

Paul Éluard ("Une longue réflexion amoureuse" - Seghers, 1978 - repris dans "derniers poèmes d'amour" - Seghers Poésie d'abord, 2002)

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Air vif

J'ai regardé devant moi
Dans la foule je t'ai vue
Parmi les blés je t'ai vue
Sous un arbre je t'ai vue

Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l'eau et du feu

L'été l'hiver je t'ai vue
Dans ma maison je t'ai vue
Entre mes bras je t'ai vue
Dans mes rêves je t'ai vue

Je ne te quitterai plus.

Paul Éluard ("Derniers poèmes d'amour")

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Les deux courts poèmes numérotés qui suivent sont prélevés dans le chapitre "Premièrement"  de "L'amour, la poésie", repris dans le recueil Poésie/Gallimard cité, "Capitale de la douleur". "L'amour, la poésie" est entièrement dédié à Gala, sa première épouse, qui sera plus tard la compagne et l'égérie de Salvador Dalí.

Premièrement (très courts extraits)

poème XXIII

 
De mes mains à tes yeux

Et dans tes cheveux
Où des filles d’osier
S’adossent au soleil
Remuent les lèvres
Et laissent l’ombre à quatre feuilles
Gagner leur coeur chaud de sommeil.
...
 
 poème XXIX
 
Il fallait bien qu'un visage
Réponde à tous les noms du monde.

Paul Éluard ("Capitale de la douleur" - Poésie/Gallimard depuis 1966) 



1 mars 2008

Maurice FOMBEURE - le féminin en poésie

Maurice Fombeure (1906-1981) est un romancier et poète français.
Son recueil de poèmes le plus connu est "À dos d'oiseau", édité en 1942 aux éditions Gallimard et disponible en Poésie-Gallimard.

Air de ronde

On dansa la ronde,
Mais le roi pleura.
Il pleurait sur une
Qui n’était pas là.

On chanta la messe,
Mais le roi pleura.
Il pleurait pour une
Qui n’était pas là

Au clair de la lune,
Le roi se tua,
Se tua pour une
Qui n’était pas là.

Oui, sous les fougères
J’ai vu tout cela,
Avec ma bergère
Qui n’était pas là.

Maurice Fombeure

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Les deux textes qui suivent ont été empruntés ici, où on en trouve d'autres sur des thèmes différents : http://www.amicalien.com/membres/LeForum/f801-t3988809-s1-maurice-fombeure-le-siauguain-1906-1981-.htm

On pourra proposer des passages de ce texte intime :  

Ma femme

Celle qui partage mon pain
Mon lit et mes joies et mes peines
Éloigne de mon front les haines
D’une caresse de sa main
Que je retrouve dans chaque aube
Et plus belle d’avoir vécu,
J’écoute au fond d’un jour vaincu
Le doux bruissement de sa robe.
Contre les pièges dont dispose
Le malheur, paré désormais
Elle apprête les vins, les mets
Et dans les vases bleus, les roses.
"Ma femme." Le beau possessif
Surtout si la compagne est belle
Blanche, élancée comme un if
Et qui chaque an se renouvelle.
Pour le pire et pour le meilleur

C’est, inlassable volontaire,
Pour l’ici-bas et pour l’ailleurs
Le plus beau don de cette terre
Que cet être aux mains de douceur
Épouse, amante, femme et sœur.

Maurice Fombeure ("C'était hier et c'est demain" - Seghers, 2004)

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Chanson de la belle

Sous un pêcher en fleur
La belle s'est assise,
La belle qui est triste
Qui n'a pas d'amoureux,

Qui n'a pas d'amoureux
Pour lacer sa chemise.

Sous un pêcher en fleur
La belle entend la neige
La belle entend la neige
Qui tombe dans son cœur.

Ne pleurez pas la belle
L'amour rend malheureux.

J'aimerais mieux souffrir
À cause des amours,
J'aimerais mieux souffrir
Que d'être là seulette

À voir tomber la neige
Dans un pêcher en fleur.
 

Maurice Fombeure

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Chanson du loup et de la bergère

(introduction - le texte du poème suit)

 Les guitares, les cithares
Les tambours et le printemps,
Les vielles, les violes...
Mais la reine d'un sourire
Brise ces vergers chantants :


« Та chèvre est dans le trèfle, Maria,
Та chèvre est dans le trèfle
Dans le trèfle du roi, Maria,
Dans le trèfle du roi. »

"Va la chercher, ma chèvre,
Mon beau chien de berger.
Tu auras du pain d'orge
Et des os à ronger."

Quand il fut à la chèvre
Les loups l'avaient mangée.
Ma bergère, bergeronnette,
Ma bergère en a pleuré.

Ma, bergère bergeronnette,
Ma bergère en a pleuré.
 

Maurice Fombeure ("À dos d'oiseau" - éditions Gallimard, 1942, disponible en Poésie/Gallimard, 1971)

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 C'est le joli printemps

C'est le joli printemps
Qui fait sortir les filles,
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps.

J'y vais à la fontaine,
C'est le joli printemps,
Trouver celle qui m'aime,
Celle que j'aime tant.

C'est dans le mois d'avril
Qu'on promet pour longtemps,
C'est le joli printemps,
Qui fait sortir les filles,

La fille et le galant,
Pour danser le quadrille.
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps.

Aussi, profitez-en,
Jeunes gens, jeunes filles;
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps.

Car le joli printemps,
C'est le temps d'une aiguille.
Car le joli printemps
Ne dure pas longtemps.

Maurice Fombeure ("À dos d'oiseau" - éditions Gallimard, 1942, disponible en Poésie/Gallimard, 1971)



1 mars 2008

Xavier FORNERET - le féminin en poésie

Xavier Forneret (1809-1884), contemporain de Victor Hugo, est un romancier ("Le diamant de l'herbe") et un poète non conformiste, adepte de l'humour noir. Son texte le plus connu "un peuvre honteux" est ici sur le blog : PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes/page 5

Elle

Vous ne savez son nom ? Celle pour qui je chante
La vie d'amour de feu, puis après est mourante :
C'est un arbre en verdeur, un soleil en éclats,
C'est une nuit de rose ou languissants ébats.
C'est un torrent jeté par un trou de nuage ;
C'est le roi des lions dégarni de sa cage :
C'est l'enfant qui se roule et qui est tout en pleurs,
C'est la misère en cris, c'est la richesse en fleurs.
C'est la terre qui tremble et la foudre qui tonne,
Puis le calme du soir, au doux bruit qui résonne ;
C'est un choc qui renverse en tuant de frayeur,
Puis un pauvre qui donne, ou le soupir qui meurt.
C'est un maître qui gronde, un amant qui caresse ;
C'est la mort, désespoir, deuil, bonheur, allégresse.
C'est la brebis qui bêle en léchant son agneau,
Puis la brise aux parfums, ou le vent dans l'ormeau.
Bien sûr elle a deux coeurs : l'un qui vit et palpite ;
L'autre, frappé, battu, qui dans un coin habite.

On pense que son pied ne la soutiendra pas,
Tant il se perd au sol, ne marquant point de pas.
Ses cheveux sont si beaux qu'on désire se pendre
Avec eux, si épais qu'on ne peut pas les prendre.
Si petite est la place où l'entoure un corset
Qu'on ne sait vraiment pas comment elle le met.
Quelque chose en sa voix arrête, étreint, essouffle.
Des âmes en douceur s'épurent dans son souffle.
Et quand au fond du coeur elle s'en va cherchant,
Ses baisers sont des yeux, sa bouche est leur voyant.

Xavier Forneret ("Aigremorts" - 1947)



 

1 mars 2008

Paul FORT - le féminin en poésie

Les Ballades françaises de Paul Fort (1872-1960) sont éditées à partir de 1894, et jusqu'en 1958. Particularités : c'est sous ce seul titre qu'il continue à publier ensuite ses poèmes, aux vers disposés comme de la prose, et dont les textes occupent  40 tomes !
Le thème du poème suivant a inspiré une chanson (intitulée "Si tous les gars du monde"). D'autres poèmes de Paul Fort, souvent très connus, se promènent sur le blog (Le petit cheval, Le bonheur est dans le pré, La mer, La marine ...)

Georges Brassens a mis en musique (catégorie BRASSENS chante les poètes) Le petit cheval (titré La complainte du petit cheval blanc) et La marine.

La ronde autour du monde

Si toutes les filles du monde voulaient s'donner la main,
Tout autour de la mer elles pourraient faire une ronde.

Si tous les gars du monde voulaient bien êtr' marins,
Ils f'raient avec leurs barques un joli pont sur l'onde.

Alors on pourrait faire une ronde autour du monde,
Si tous les gens du monde voulaient s'donner la main.

Paul Fort (Ballades françaises T1 - 1897 - Flammarion)



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1 mars 2008

Théophile GAUTIER - le féminin en poésie

Théophile Gautier (1811-1872), écrivain et poète français, est également un critique d'art reconnu.
Plus peut-être que ses poèmes, on connaît ses romans classiques pour la jeunesse, régulièrement réédités et parfois adaptés au cinéma : Le Capitaine Fracasse, Le Roman de la momie.

Deux figures emblématiques de l'Espagne éternelle, aux traits accentués :

Carmen

Carmen est maigre, un trait de bistre
Cerne son oeil de gitana ;
Ses cheveux sont d'un noir sinistre ;
Sa peau, le diable la tanna.

Les femmes disent qu'elle est laide,
Mais tous les hommes en sont fous ;
Et l'archevêque de Tolède
Chante la messe à ses genoux ;

Car sur sa nuque d'ambre fauve
Se tord un énorme chignon
Qui, dénoué, fait dans l'alcôve
Une mante à son corps mignon,

Et, parmi sa pâleur, éclate
Une bouche aux rires vainqueurs,
Piment rouge, fleur écarlate,
Qui prend sa pourpre au sang des coeurs.

Ainsi faite, la moricaude
Bat les plus altières beautés,
Et de ses yeux la lueur chaude
Rend la flamme aux satiétés.

Elle a dans sa laideur piquante
Un grain de sel de cette mer
D'où jaillit nue et provocante,
L'âcre Vénus du gouffre amer.

Théophile Gautier ("Émaux et Camées")

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Séguidille

Un jupon serré sur les hanches,
Un peigne énorme à son chignon,
Jambe nerveuse et pied mignon,
Oeil de feu, teint pâle et dents blanches ;
Alza ! olà !
Voilà
La véritable manola.

Gestes hardis, libre parole,
Sel et piment à pleine main,
Oubli parfait du lendemain,
Amour fantasque et grâce folle ;
Alza ! olà !
Voilà
La véritable manola.

Chanter, danser aux castagnettes,
Et, dans les courses de taureaux,
Juger les coups des toreros,
Tout en fumant des cigarettes ;
Alza ! olà !
Voilà
La véritable manola.

Théophile Gautier ("España")



1 mars 2008

Fernand GREGH - le féminin en poésie

Fernand Gregh (1873-1960) était, comme il se définissait lui-même pour se démarquer des symbolistes, un poète "humaniste".
Il est aussi l'auteur d'essais et de nombreuses critiques littéraires.

"Après l'école de la beauté pour la beauté, après l'école de la beauté pour le rêve, il est temps de constituer l'école de la beauté pour la vie." F. Gregh

La plus jeune fée

C'est la plus jeune fée.
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coillée,
Elle passe dans l'air
Où, sur les romarins et sur les renoncules,
Le sillage argenté de son char minuscule
Laisse deux tourbillons d'éclairs...
Elle visite le grillon
Qui chante aux pieds de Cendrillon,
Cache au fond d'un hallier les bijoux de Peau d'Ane,
Berce la Belle au Bois Dormant
Et guide le Prince Charmant,
Grimpe à la tour avec Soeur Anne,
Vole les clefs de Barbe-Bleue,
Chausse au Petit Poucet les bottes de sept lieues,
Brûle à l'ogre sa soupe,
Frise à Riquet sa houppe...
Elle prend aussi soin des moindres fleurs,
Calme le vent qui siffle,
Rit à la source en pleurs,
Jase avec tous les sylphes...
Blonde et blanche, de lis ou de lilas coiffée,
C'est la plus jeune fée.

Fernand Gregh ("Les clartés humaines")



1 mars 2008

Pierre GAMARRA - le féminin en poésie

Pierre Gamarra (1919-2009) était écrivain et poète.
Il nous a quittés en mai dernier, au Printemps des Poètes 2009, laissant un nombre considérable d'ouvrages pour la jeunesse, de romans, d'essais et de poésies.

 Bonne fête ma mère

Bonne fête, ma mère tendre,
ma mère d'or, ma mère fine,
bonne fête, ma mère d'ambre,
de porcelaine et de praline.

Bonne fête, mère légère,
mère d'eau vive et de fougère,
mère d'argent et de vermeil,
mère de lune et de soleil.

Bonne fête, ma mère grave,
ma mère joyeuse, ma mère,
bonne fête, ma mère sage,
ma mère jour, ma mère image.

Bonne fête, ma mère lente,
ma mère qui voit et qui rêve,
ma mère qui court et qui vole,
ma mère ciel, ma mère abeille.

Bonne fête, ma mère pain,
ma mère lis, cristal, guitare,
ma mère tôt, ma mère tard,
ma mère toujours en chemin.

Bonne fête, ma mère grive,
bonne fête ma mère vive.

Pierre Gamarra ("Des mots pour une maman" - 1984)



1 mars 2008

GUILLEVIC - le féminin en poésie

On trouvera une biographie et de nombreux textes d' Eugène* Guillevic (1907-1997) dans la catégorie du blog qui lui est consacrée ici : PRINT des POÈTES 2008 : GUILLEVIC  *[Guillevic ne voulait pas qu'on mentionne son prénom]

"La terre
est mon bonheur"
Guillevic

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La pomme (titre proposé)

Dans l'arbre privé de fruits et de feuilles
Qui déjà se lasse

Des rameaux jouant pour ne pas trop voir
Le soleil couchant

Une pomme est restée
Au milieu des branches.

Et rouge à crier
Crie au bord du temps.

Guillevic ("Carnac" - éditions Gallimard, 1961)

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La forêt (passages)

Je ne suis pas
Une addition d’arbres.

Le chat-huant le sait,
Le répète,

Lui qui est ma voix,
Le meilleur de mes voix.

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Je suis silence.
Je suis une amphore de silence.

Je suis silence
Qui impose du silence.

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Je suis comme j’étais
Il y a des millénaires.

...

Guillevic

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L'alouette

À quoi je sers
Se chante l'alouette ?

J'ai beau monter,
Grisoller, tourner, descendre
Et remonter et regrisoller,

Alors qui fait mieux ?
Qui ne se plaint pas
De ne rien changer à rien ?

Mais je suis, je suis.
Je fais vibrer avec moi
Ce qui m'entoure.

Guillevic

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Élégie  (un autre texte, dans la catégorie "Guillevic", porte ce titre)

Je t’ai cherchée 

 Dans tous les regards,

 Et dans l’absence des regards,
Dans toutes les robes, dans le vent,

 Dans toutes les eaux qui se sont gardées,
Dans le frôlement des mains,

Dans les couleurs des couchants,

Dans les mêmes violettes,

Dans les ombres sous les hêtres,
Dans mes moments qui ne servaient à rien,

Dans le temps possédé,

Dans l’horreur d’être là,
Dans l’espoir toujours

Que rien n’est sans toi,
Dans la terre qui monte

Pour le baiser définitif,
Dans un tremblement

Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.

Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)



1 mars 2008

Victor HUGO - le féminin en poésie

Victor Hugo (1802-1885). Romancier ("Notre Dame de Paris", "Les Misérables", "Les Travailleurs de la mer" ...), poète prolifique, essayiste, journaliste, engagé socialement dans son époque, il est considéré comme l'écrivain et homme politique le plus important de son siècle.

Les femmes sont sur la terre...

Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser ;
L'univers est un mystère
Que commente leur baiser.

C'est l'amour qui, pour ceinture,
A l'onde et le firmament,
Et dont toute la nature,
N'est, au fond, que l'ornement.

Tout ce qui brille, offre à l'âme
Son parfum ou sa couleur ;
Si Dieu n'avait fait la femme,
Il n'aurait pas fait la fleur.

A quoi bon vos étincelles,
Bleus saphirs, sans les yeux doux ?
Les diamants, sans les belles,
Ne sont plus que des cailloux ;

Et, dans les charmilles vertes,
Les roses dorment debout,
Et sont des bouches ouvertes
Pour ne rien dire du tout.

Tout objet qui charme ou rêve
Tient des femmes sa clarté ;
La perle blanche, sans Eve,
Sans toi, ma fière beauté,

Ressemblant, tout enlaidie,
À mon amour qui te fuit,
N'est plus que la maladie

D'une bête dans la nuit.

Victor Hugo ("Les Contemplations", 1856)

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À une femme

Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !

Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

Victor Hugo ("Les Feuilles d'automne", 1831)

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Mes deux filles

Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belle, et toutes deux joyeuses, ô douceur !
Voyez, la grande sœur et la petite sœur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillons arrêté dans l'extase.

Victor Hugo ("Les Contemplations", 1856)

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Chanson de grand-père

Dansez, les petites filles,
Toutes en rond.
En vous voyant si gentilles,
Les bois riront.
Dansez, les petites reines,
Toutes en rond.
Les amoureux sous les frênes
S'embrasseront.

Dansez les petites folles,
Toutes en rond.
Les bouquins dans les écoles
Bougonneront.

Dansez, les petites belles,
Toutes en rond.
Les oiseaux avec leurs ailes
Applaudiront.

Dansez, les petites fées,
Toutes en rond.
Dansez, de bleuets coiffées,
L'aurore au front.

Dansez, les petites femmes,
Toutes en rond.
Les messieurs diront aux dames
Ce qu'ils voudront.

Victor Hugo ("L'Art d'être grand-père, 1877)

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À une jeune fille

Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,
Enfant ! n'enviez point notre âge de douleurs,
Où le coeur tour à tour est esclave et rebelle,
Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.

Votre âge insouciant est si doux qu'on l'oublie !
Il passe, comme un souffle au vaste champ des airs,
Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie,
Comme un alcyon sur les mers.

Oh ! ne vous hâtez point de mûrir vos pensées !
Jouissez du matin, jouissez du printemps ;
Vos heures sont des fleurs l'une à l'autre enlacées ;
Ne les effeuillez pas plus vite que le temps.

Laissez venir les ans ! Le destin vous dévoue,
Comme nous, aux regrets, à la fausse amitié,
A ces maux sans espoir que l'orgueil désavoue,
A ces plaisirs qui font pitié.

Riez pourtant ! du sort ignorez la puissance
Riez ! n'attristez pas votre front gracieux,
Votre oeil d'azur, miroir de paix et d'innocence,
Qui révèle votre âme et réfléchit les cieux !

Victor Hugo ("Odes et Ballades", 1826)

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Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé …

Ma Jeanne, dont je suis doucement insensé,
Étant femme, se sent reine ; tout l'A B C
Des femmes, c'est d'avoir des bras blancs, d'être belles,
De courber d'un regard les fronts les plus rebelles,
De savoir avec rien, des bouquets, des chiffons,
Un sourire, éblouir les cœurs les plus profonds,
D'être, à côté de l'homme ingrat, triste et morose,
Douces plus que l'azur, roses plus que la rose ;
Jeanne le sait ; elle a trois ans, c'est l'âge mûr ;
Rien ne lui manque ; elle est la fleur de mon vieux mur,
Ma contemplation, mon parfum, mon ivresse ;
Ma strophe, qui près d'elle a l'air d'une pauvresse,
L'implore, et reçoit d'elle un rayon ; et l'enfant
Sait déjà se parer d'un chapeau triomphant,
De beaux souliers vermeils, d'une robe étonnante ;
Elle a des mouvements de mouche frissonnante ;
Elle est femme, montrant ses rubans bleus ou verts.
Et sa fraîche toilette, et son âme au travers ;
Elle est de droit céleste et par devoir jolie ;
Et son commencement de règne est ma folie.

Victor Hugo ("L'Art d'être grand-père, 1877)

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Jeune fille, l'amour, c'est d'abord un miroir

Jeune fille, l'amour, c'est d'abord un miroir
Où la femme coquette et belle aime à se voir,
Et, gaie ou rêveuse, se penche ;
Puis, comme la vertu, quand il a votre cœur,
Il en chasse le mal et le vice moqueur,
Et vous fait l'âme pure et blanche ;

Puis on descend un peu, le pied vous glisse ...  Alors
C'est un abîme ! en vain la main s'attache aux bords,
On s'en va dans l'eau qui tournoie !
L'amour est charmant, pur, et mortel. N'y crois pas !
Tel l'enfant, par un fleuve attiré pas à pas,
S'y mire, s'y lave et s'y noie.

Victor Hugo ("Les Voix intérieures", 1837)

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Jolies femmes

On leur fait des sonnets, passables quelquefois ;
On baise cette main qu'elles daignent vous tendre ;
On les suit à l'église, on les admire au bois ;
On redevient Damis, on redevient Clitandre ;

Le bal est leur triomphe, et l'on brigue leur choix ;
On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre,
Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois,
Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre :

"La force est tout ; la guerre est sainte ; l'échafaud
Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut
Bâtir plus de prisons et bâtir moins d'écoles ;

Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts".
Et ces colombes-là vous disent des paroles
A faire remuer d'horreur les os des morts.

Victor Hugo ("Les Quatre Vents de l'esprit", 1870)

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Elle était pâle, et pourtant rose ...

Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : je n'ose,
Et ne disait jamais : je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune cœur.

Sur le saint livre que j'admire
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser !

Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !

Elle lui disait : Sois bien sage !
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'Éden où rampe Satan.

Moi, j'écoutais... - Ô joie immense
De voir la sœur près de la sœur !
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.

Et, dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs cœurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi rêveur,

Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu !

Victor Hugo ("Les Contemplations", 1856)

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Je t'aime, avec ton oeil candide

je t'aime, avec ton oeil candide et ton air mâle,
Ton fichu de siamoise et ton cou brun de hâle,
Avec ton rire et ta gaîté,
Entre la Liberté, reine aux fières prunelles,
Et la Fraternité, doux ange ouvrant ses ailes,
Ma paysanne Égalité !

Victor Hugo ("Dernière Gerbe", 1902 - titre donné à ce recueil posthume qui rassemble divers poèmes )

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Le doigt de la femme

Dieu prit sa plus molle argile
Et son plus pur kaolin,
Et fit un bijou fragile,
Mystérieux et câlin.

Il fit le doigt de la femme,
Chef-d'oeuvre auguste et charmant,
Ce doigt fait pour toucher l'âme
Et montrer le firmament.

Il mit dans ce doigt le reste
De la lueur qu'il venait
D'employer au front céleste
De l'heure où l'aurore naît.

Il y mit l'ombre du voile,
Le tremblement du berceau,
Quelque chose de l'étoile,
Quelque chose de l'oiseau.

Le Père qui nous engendre
Fit ce doigt mêlé d'azur,
Très fort pour qu'il restât tendre,
Très blanc pour qu'il restât pur,

Et très doux, afin qu'en somme
Jamais le mal n'en sortît,
Et qu'il pût sembler à l'homme
Le doigt de Dieu, plus petit.

Il en orna la main d'Eve,
Cette frêle et chaste main
Qui se pose comme un rêve
Sur le front du genre humain.

Cette humble main ignorante,
Guide de l'homme incertain,
Qu'on voit trembler, transparente,
Sur la lampe du destin.

Oh ! dans ton apothéose,
Femme, ange aux regards baissés,
La beauté, c'est peu de chose,
La grâce n'est pas assez ;

Il faut aimer. Tout soupire,
L'onde, la fleur, l'alcyon ;
La grâce n'est qu'un sourire,
La beauté n'est qu'un rayon ;

Dieu, qui veut qu'Eve se dresse
Sur notre rude chemin,
Fit pour l'amour la caresse,
Pour la caresse ta main.

Dieu, lorsque ce doigt qu'on aime
Sur l'argile fut conquis,
S'applaudit, car le suprême
Est fier de créer l'exquis.

Ayant fait ce doigt sublime,
Dieu dit aux anges : Voilà !
Puis s'endormit dans l'abîme ;
Le diable alors s'éveilla.

Dans l'ombre où Dieu se repose,
Il vint, noir sur l'orient,
Et tout au bout du doigt rose
Mit un ongle en souriant.
 

Victor Hugo ("Les chansons des rues et des bois", 1865)



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