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lieu commun
1 mars 2008

Tristan TZARA - le féminin en poésie

Tristan Tzara (1896-1963) est l'un des fondateurs du Mouvement Dada.
Le mouvement Dada échappe aux critères, aux règles et aux contraintes.

(sans titre) quelle est la belle au cœur d’eau ...

quelle est la belle au cœur d’eau
au cœur de l’eau changeant de peines
à peine marchant de chanson en chanson
dévisagée le long des yeux

déraisonnée au long des îles
se vident dans le sommeil les vérités à peine

pensantes
mourir dans l’eau veuve de désirs
où se dérèglent les rides

vie sauvage fleurs aux temps
sommeil mordu au flanc des furies
l’ombre refoulée en d’autres vies me porte
ombre désormais secret sans vie

sans amis et sans figure
je t’ai vue dans la prairie
pareille aux autres couronnée par mon soleil
unique changeant de femme en femme

comme le rire comme la nuit
sans passion ni retour
déchirée en son or
morte au sommeil des antres.

Tristan Tzara ("Jongleur de Temps" - Editeurs Français Réunis, 1976)

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(sans titre) je me suis imprégné ...

je me suis imprégné de ta présence
je me forme en toi et me transforme
je baigne dans le parfum sédentaire de tes vins
mais mille chèvres basculent dans le vide
et s’accrochent aux parois de ton chant
quand se lève l’aurore de ta voix
il n’y a plus de nuit puisque tout est conscience et ferveur scintillante
c’est à travers toi que les arbres sont en fleur
et déjà le printemps se réveille grelottant du froid dépassé
tout oubli prend sa racine dans ton rire
tête haute je m’enfonce dans la forêt frémissante de ta joie.

Tristan Tzara ("Jongleur de Temps" - Editeurs Français Réunis, 1976)



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1 mars 2008

Charles VAN LERBERGHE - le féminin en poésie

Charles Van Lerberghe (1861-1907) est un poète et romancier belge de langue française. Le recueil le plus remarquable peut-être : La chanson d'Ève, 1904

Si tu veux les voir, m'a dit une Fée

Si tu veux les voir, m'a dit une Fée,
Glisse un soir, comme moi,
Sous les saules,
Et regarde, entre tes doigts,
Par-dessus ton épaule.

Elles appuient sur les eaux bleues
Leurs frêles corolles,
Et leurs larges feuilles,
Et elles jouent, entre les joncs,
A des jeux d'ombre et de rayons.

Retiens ton souffle, approche en silence,
Regarde : mais sache,
Sous chaque fleur blanche,
Voir une fille qui se cache.

Charles Van Lerberghe ("La chanson d'Ève" - Mercure de France, 1904)

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Je l'ai prise dans mes bras

Je l'ai prise dans mes bras,
La petite sirène
Aux yeux éblouis.
Et voici qu'en chantant, ce soir, je la promène
En mon beau paradis.

Comme la lune sur la mer,
Sa longue chevelure bleue
Se mêle à la mienne,
Qui est d'or.
Sa belle queue
Traîne
Parmi les fleurs.

Comme elle a peur,
Comme son coeur bat sur mon coeur !

Je ne sais pas ce qu'elle pense.
Elle me regarde en silence,
De ses pâles yeux pleins d'effroi,
Où quelque étrange songe sommeille.
De la terre ils ne veulent
Rien voir que moi ;
Pour Elle, j'en suis la grande merveille,
Et le mystère.

Mais, parfois,
Elle étend les doigts,
Et touche l'air illuminé qui tremble,
Car la lumière et l'air ressemblent à la mer.
Et elle est triste, et parfois pleure.

Je veux la déposer, doucement, dans le fleuve,
Mon beau fleuve d'Eden, dont les divines eaux
S'en retournent parmi la chanson des roseaux
Vers la mer infinie, afin qu'il la ramène,
Heureuse et consolée, à ses soeurs les sirènes,
Et qu'elle joue encor, devant son miroir bleu,
A peigner en chantant ses longs et beaux cheveux,
Qu'ont effleurés, ce soir, quelques roses mortelles,
Et ces baisers humains que mes lèvres y mêlent.

Charles Van Lerberghe ("La chanson d'Ève" - Mercure de France, 1904)



1 mars 2008

Paul VERLAINE - le féminin en poésie

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. Voir ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend"...

Verlaine et dame souris ...

Impression fausse

Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !

Paul Verlaine ("Parallèlement", paru aux éditions Messein, 1889, suivi de nombreuses autres éditions)

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Verlaine et les femmes, un choix parmi de nombreux textes sur ce thème ...

Ô triste, triste était mon âme

Ô triste, triste était mon âme
A cause, à cause d'une femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon coeur s'en soit allé,
Bien que mon coeur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon coeur s'en soit allé.
Et mon coeur, mon coeur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,
Est-il possible, le fût-il,
Ce fier exil, ce triste exil ?
Mon âme dit à mon coeur: Sais-je
Moi-même que nous veut ce piège
D'être présents bien qu'exilés,
Encore que loin en allés ?

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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Les ingénus

Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme, depuis ce temps, tremble et s'étonne.
 

Paul Verlaine ("Fêtes galantes", 1869)

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La chanson des ingénues

Nous sommes les Ingénues
Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu'on lit peu.
Nous allons entrelacées,
Et le jour n'est pas plus pur
Que le fond de nos pensées,
Et nos rêves sont d'azur ;
Et nous courons par les prés
Et rions et babillons
Des aubes jusqu'aux vesprées,
Et chassons aux papillons ;
Et des chapeaux de bergères
Défendent notre fraîcheur
Et nos robes, si légères,
Sont d'une extrême blancheur ;
Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les oeillades,
Les saluts et les "hélas !"
Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons détournés ;
Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions
Battre nos coeurs sous nos mantes
À des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins.
 

Paul Verlaine ("Poèmes saturniens", 1866)

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Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
 

Paul Verlaine ("Poèmes saturniens", 1866)

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À une femme

À vous ces vers de par la grâce consolante
De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,
De par votre âme pure et toute bonne, à vous
Ces vers du fond de ma détresse violente.

C'est qu'hélas ! le hideux cauchemar qui me hante
N'a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,
Se multipliant comme un cortège de loups
Et se pendant après mon sort qu'il ensanglante !

Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bien
Que le gémissement premier du premier homme
Chassé d'Eden n'est qu'une églogue au prix du mien !

Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme
Des hirondelles sur un ciel d'après-midi,
Chère, par un beau jour de septembre attiédi.

Paul Verlaine ("Poèmes saturniens", 1866)



1 mars 2008

Gabriel VICAIRE - le féminin en poésie

Gabriel Vicaire (1848-1900), poète du plaisir de vivre, a passé son enfance dans la Bresse.

Il se souvient ici d'un matin de neige dans cette région de l'est de la France :

Matin de neige

Quand j'ouvris ma fenêtre, oh ! quel enchantement !
De la neige partout avec un soleil rose !
Une indicible paix était en toute chose ;
On eût cru voir rêver la Belle au bois dormant.

Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans, 1884 et éditions Ferroud, 1929)

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Une fée

Ah! c'est une fée
Toute jeune encor,
Ah! c'est une fée
De lune coiffée.

A sa robe verte
Un papillon d'or,
A sa robe verte,
A peine entr'ouverte.

Elle va légère,
Au son du hautbois,
Elle va légère
Comme une bergère.

Elle suit la ronde
Des dames des bois,
Elle suit la ronde
Qui va par le monde.

Gabriel Vicaire ("L'Heure enchantée" - éditions Lemerre, 1890)



1 mars 2008

François VILLON - le féminin en poésie

François VILLON est né en 1431 et serait mort en 1463. Poète "maudit", le plus important sans doute du Moyen-Âge français, son existence comme sa disparition sont entourés de mystère.

Le texte qui suit est proposé dans le français le plus proche du texte original de l'auteur (il en existe de nombreuses transpositions aux orthographes différentes). Il est ensuite présenté en français actuel, tel qu'il a été mis en musique et interprété avec de légères adaptations, par Georges Brassens :

Ballade des dames du temps jadis

Dictes moy où, n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine ;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan !

Où est la très sage Heloïs,
Pour qui fut chastré et puis moyne
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys ?
Pour son amour eut cest essoyne.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust jetté en ung sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan !

La royne Blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sereine ;
Berthe au grand pied, Bietris, Allys ;
Harembourges, qui tint le Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglois bruslèrent à Rouen ;
Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…
Mais où sont les neiges d’antan !

envoi

Prince, n’enquerrez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’anten ?

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et en français moderne :

Ballade des dames du temps jadis

Dites moi où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine;
Archipiada ni Thaïs
Qui fut sa cousine germaine ;
Écho, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sus étang,
Qui beauté eut trop plus qu' humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart
* à Saint Denis ?
Pour son amour eut cette essoine*.
Semblablement où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

La reine Blanche comme lys
Qui chantait a voix de sirène,
Berthe aux grands pieds, Biétris, Alis,
Aremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Qu' à ce refrain ne vous ramène :
Mais où sont les neiges d''antan ?

* Pierre Esbaillard : il s'agit de Pierre Abélard / cette essoine = cette peine

François Villon ("Le Grand Testament", repris dans de nombreuses éditions des "Oeuvres Complètes")

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une autre ballade au féminin :

Ballade des femmes de Paris

Quoiqu'on tient belles langagères
Florentines, Vénitiennes,
Assez pour être messagères,
Et mêmement les anciennes,
Mais soient Lombardes, Romaines.
Genevoises, à mes périls,
Pimontoises, savoisiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.

De beau parler tiennent chaïères,
Ce dit-on, les Napolitaines,
Et sont très bonnes caquetières
Allemandes et Prussiennes ;
Soient Grecques, Egyptiennes,
De Hongrie ou d'autres pays,
Espagnoles ou Catelennes,
Il n'est bon bec que de Paris.

Brettes, Suisses n'y savent guères,
Gasconnes, n'aussi Toulousaines :
De Petit Pont deux harengères
Les concluront, et les Lorraines,
Angloises et Calaisiennes,
(Ai-je beaucoup de lieux compris ?)
Picardes de Valenciennes ;
Il n'est bon bec que de Paris.

Prince, aux dames parisiennes
De bien parler donnez le prix ;
Quoi que l'on die d'Italiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.

François Villon ("Le Grand Testament")



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