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1 novembre 2009

Obaldia, Paulin - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- René de Obaldia -

René de Obaldia est né en 1918. Auteur de théâtre (Le Satyre de la Villette, Le Banquet des méduses, Du vent dans les branches de sassafras ...) et de romans (Tamerlan des coeurs, Le centenaire), il est membre de l'Académie française depuis 1999.

Déjà présentes dans d'autres catégories du blog, revoici pour l'humour du Printemps des Poètes 2009, quelques textes choisis de René de Obaldia.

livre_innocentines"Innocentines" (1969 - collection "Les cahiers rouges" - Grasset) est un de ses quatre recueils de poésies. Du bonheur pour 8 euros, vraiment un livre de poésie à se procurer. (Photo : Lieucommun)

Le sous-titre annonce : "Poèmes pour les enfants et quelques adultes".
René de Obaldia y prend avec le langage et les situations, toutes les libertés, privant ainsi (pour notre plaisir quand même), les élèves de l'accès à la plupart des textes.

On retrouvera certains poèmes dans d'autres catégories pour la classe.

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Dimanche

Charlotte
fait de la compote

Bertrand
suce des harengs

Cunégonde
se teint en blonde

Épaminondas
cire ses godasses

Thérèse
souffle sur la braise

Léon
peint des potirons

Brigitte
s'agite, s'agite

Adhémar
dit qu'il en a marre

La pendule
fabrique des virgules

Et moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat

René de Obaldia

logo_cr_ation_po_tique Poèmes à la manière de "Dimanche" 

Document autour de ce texte, avec commentaires et exploitation ici à cette adresse :
http://www.gommeetgribouillages.fr/CP/Dimanche.pdf
(copier-coller dans votre navigateur, le lien s'ouvrira avec Acrobat Reader - fichier protégé en copie).
 

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Moi j'irai dans la lune

Moi, j'irai dans la lune
Avec des petits pois,
Quelques mots de fortune
Et Blanquette, mon oie.

Nous dormirons là-haut
Un p'tit peu de guingois
Au grand pays du froid
Où l'on voit des bateaux
Retenus par le dos.

Bateaux de brise-bise
Dont les ailes sont prises
Dans de vastes banquises
Et des messieurs sans os
Remontent des phonos.

Blanquette sur mon coeur
M'avertira de l'heure :
Elle mange des pois
Tous les premiers du mois.

Elle claque du bec
Tous les minuits moins sept.
...
Pas besoin de fusée
Ni de toute une armée,
Je monte sur Blanquette
Hop ! on est arrivé.

René de Obaldia

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J’ai trempé mon doigt dans la confiture  

J’ai trempé mon doigt dans la confiture
turelure
Ça sentait les abeilles
Ça sentait les groseilles
Ça sentait le soleil
J’ai trempé mon doigt dans la confiture
Puis je l’ai sucé
Comme on suce les joues de bonne grand-maman
Qui n’a plus mal aux dents
Et qui parle de fées...
Puis je l’ai sucé
Sucé
Mais tellement sucé
Que je l’ai avalé

René de Obaldia

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Le texte suivant (en version réduite) est aussi pour la classe :

Chez moi (extrait)

Chez moi, dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son oeil brille
Quand Papa le peint en blanc.

Chez moi, dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.

Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or,
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.

Chez moi, dit le petit garçon
Vit un empereur chinois.
Il dort sur le paillasson
Aussi bien qu’un Iroquois.

Iroquois ! dit la petite fille.
Tu veux te moquer de moi.
Si je trouve mon aiguille,
Je vais te piquer le doigt !

René de Obaldia (Innocentines")

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En voici la version intégrale, pour les grands enfants que certains d'entre-nous sont restés :

Chez moi

Chez moi, dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
Quand papa le peint en blanc

Chez moi, dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.

Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or.
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.

Chez moi, dit le petit garçon
Nous avons une soupière
Qui vient tout droit de Soissons
Quand Clovis était notaire.

Chez moi, dit la petite fille
Ma grand-mère a cent mille ans.
Elle joue encore aux billes
Tout en se curant les dents.

Chez moi, dit le petit garçon
Mon grand-père a une barbe
Pleine pleine de pinsons
Qui empeste la rhubarbe.

Chez moi, dit la petite fille
Il y a trois cheminées
Et lorsque le feu pétille
On a chaud de trois côtés.

Chez moi, dit le petit garçon
Passe un train tous les minuits.
Au réveil mon caleçon
Est tout barbouillé de suie.

Chez moi, dit la petite fille
Le pape vient se confesser.
Il boit de la camomille
Une fois qu’on l’a fessé.

Chez moi, dit le petit garçon
Vit un Empereur chinois.
Il dort sur un paillasson
Aussi bien qu’un Iroquois.

Iroquois ! dit la petite fille
Tu veux te moquer de moi !
Si je trouve mon aiguille
Je vais te piquer le doigt !

Ce que c’est d’être une fille !
Répond le petit garçon.
Tu es bête comme une anguille
Bête comme un saucisson.

C’est moi qu’ai pris la Bastille
Quand t’étais dans les oignons.
Mais à une telle quille
Je n’en dirai pas plus long !

René de Obaldia (Innocentines")

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Celui-ci, plus difficile, est très représentatif du recueil "Les Innocentines" :

Le plus beau vers de la langue française

« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Voici, mes zinfints
Sans en avoir l’air
Le plus beau vers
De la langue française.
Ai, eu, ai, in
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin…
Le poite aurait pu dire
Tout à son aise :
« Le geai volumineux picorait des pois fins »
Eh bien ! non, mes infints
Le poite qui a du génie
Jusque dans son délire
D’une main moite
A écrit :
« C’était l’heure divine où, sous le ciel gamin,
LE GEAI GÉLATINEUX GEIGNAIT DANS LE JASMIN. »

Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji.
Là, le geai est agi
Par le génie du poite
Du poite qui s’identifie
À l’oiseau sorti de son nid
Sorti de sa ouate.
Quel galop !
Quel train dans le soupir !
Quel élan souterrain!
Quand vous serez grinds
Mes zinfints
Et que vous aurez une petite amie anglaise
Vous pourrez murmurer
À son oreille dénaturée
Ce vers, le plus beau de la langue française
Et qui vient tout droit du gallo-romain:
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin. »
Admirez comme
Voyelles et consonnes sont étroitement liées
Les zunes zappuyant les zuns de leurs zailes.
Admirez aussi, mes zinfints,
Ces gé à vif,
Ces gé sans fin

René de Obaldia ("Innocentines")

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Celui-ci, plutôt direct, également :

Manège

Les chevaux de bois sont pas tous en bois
Les petits cochons vont pas tous en rond.

La dernière fois
Le cheval de bois
Que j'avais monté
Voulait m'renverser.
J'ai pris son oreille
Je lui ai mordu
Le sang de l'oreille
Je lui ai tout bu.
Alors il m'a dit :
"Pourquoi tu m'fais mal ?
Je n'suis qu'un cheval
Tu n'es pas gentil."
Et il m'a promis
Que quand je voudrais
Il m'emporterait
Jusqu'au Paradis !

Le petit cochon
Aux yeux de mouton
Que j'avais monté
Un beau jour d'été
Voulait s'échapper
Des autres cochons.
Il courait si vite
Qu'il faillit me tuer,
Ça sentait les frites
De tous les côtés !
Mais j'tirai si fort
Sur sa queue en or
Qu'elle me resta
Entre les dix doigts.
Je l'ai rapportée
L'soir à la maison,
Ça sert aux dîners
Comme tir'bouchon.

Les chevaux de bois sont pas tous en bois
Les petits cochons vont pas tous en rond.

René de Obaldia ("Innocentines")

Quelques autres titres de textes, pour vous donner envie  :
"Une dame très très morte", "Yous pique angliche", "Le col du fémur", "Berceuse de l'enfant qui ne veut pas grandir", "Ouiquenne", "Julot-Mandibule", "Antoinette et moi" ... il y a en tout soixante-dix textes, ça fait quoi ... à peine 10 centimes d'euro le poème, et on a quoi sinon, pour 10 centimes d'euro ?



- Louisa Paulin -

Louisa Paulin (1888-1944) a vécu dans le Tarn, où elle a été institutrice. Elle écrit ses poèmes d'abord uniquement en français, puis en français et en occitan.
“Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”.

Chat

Chat, chat, d'où viens-tu ?
- Je viens du fond de la nuit,
je viens de jouer sans bruit
avec le vent et la lune.

Chat, chat, d'où viens-tu ?
- Je viens d'aiguiser mes dents
à l'or du soleil levant
je l'ai cardé de mes griffes.

Chat, chat, d'où viens-tu ?
- Je viens de lustrer mon corps
sous la pluie des gouttes d'or
et ma fourrure étincelle.

Chat, chat, d'où viens-tu ?
- D'un pays silencieux
qui dort au fond de mes yeux
à l'abri de mes paupières.

Chat, chat, d'où viens-tu ?
- D'un pays où je suis roi
moi, j'en viens, vous n'irez pas,
vous n'irez pas, demoiselle !

Louisa Paulin ("Poèmes")

 

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La nouvelle année

Nouvelle année, année nouvelle,
Dis-nous, qu’as-tu sous ton bonnet ?
J’ai quatre demoiselles
Toutes grandes et belles.
La plus jeune est en dentelles.
La seconde en épis.
La cadette est en fruits,
Et la dernière en neige.
Voyez le beau cortège !
Nous chantons, nous dansons
La ronde des saisons.

Louisa Paulin

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Cette "Chanson de mariage" a été mise en musique par Henri Rys. On la trouve souvent sans les troisième et quatrième couplets

Chanson de mariage

La pie veut se marier,
C'est pour rire, c'est pour rire,
La pie veut se marier,
C'est pour rire et pour pleurer.

Elle épousera le geai,
C'est pour rire, c'est pour rire,
Elle épousera le geai,
C'est pour rire et s'amuser.

C'est un fort joli garçon,
C'est pour rire, c'est pour rire,
C'est un fort joli garçon,
C'est pour rire sans façon.

Il a un bel habit bleu,
C'est pour rire, c'est pour rire,
Il a un bel habit bleu,
C'est pour rire quand on peut.

La pie est folle du geai,
C'est pour rire, c'est pour rire,
La pie est folle du geai,
C'est pour rire et pour chanter.

Quand ils se sont fiancés,
C'est pour rire, c'est pour rire,
Quand ils se sont fiancés,
On a ri, chanté, dansé.

Le jour ils se sont griffés,
C'est pour rire, c'est pour rire,
Le jour ils se sont griffés,
Ce n'est que pour commencer.

Demain ils s'épouseront,
C'est pour rire, c'est pour rire,
Demain ils s'épouseront,
Et le soir ils se battront.

La pie veut se marier,
C'est pour rire, c'est pour rire,
La pie veut se marier,
C'est pour rire et pour pleurer.


Louisa Paulin (dans l'anthologie d'Armand Got "Pin Pon d'or" - éditions Colin-Bourrelier, 1972)

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L'Escalier de verre

Pour arriver dans cette terre
Passez par l'Escalier de verre.

Alors quittez vos lourds sabots,
Le verre est fin, les pieds sont gros.

Je suis allée dans un pays
Où l'on attelait les fourmis.

Je suis entrée dans les maisons
Où l'on y sucrait les jambons.

Je suis allée à l'écurie
On y déployait un tapis ;

La lune brillait tout le jour,
Le soleil était dans le four.

Le pain cuisait à la fontaine
Et les hommes filaient la laine.

Le feu pleurait des larmes d'eau,
La fermière plumait un veau.

Le vin coulait à l'abreuvoir
Et l'eau ruisselait du pressoir.

Les vaches paissaient les nuages
Et tous les enfants étaient sages.

Les loups berçaient les nourrissons
Et leur murmuraient des chansons.

Les renards allaient à confesse
Et le lutin chantait la messe.

L'église dansait la polka
Et les maisons la mazurka
 
Alors pour quitter cette terre
J’ai repris l'Escalier de verre
J'ai dit à tous ceux que j'ai vu
Et personne, alors, ne m'a cru.

Mais si vous voulez tout savoir
Fermez les yeux, allez-y voir.

Je prends la clé et je la serre
Au bas de l'Escalier de verre.

Celui qui la retrouvera
Mon petit conte achèvera.

Personne n'a trouvé la clé.
Cric ! Crac ! Mon conte est achevé.


Louisa Paulin ("L'escalier de verre")

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Chanson pour rire

Le Rat, la Rate sont partis
Quel beau voyage !
Le Rat, la Rate sont partis
Pour voir Paris.

Ils sont partis en avion
Quel beau voyage !
Ils sont partis en avion
avec Raton.

En arrivant se sont assis
Quel beau voyage !
En arrivant se sont assis
Pour voir Paris.

Sur Notre-Dame de Paris
Quel beau voyage !
Sur Notre-Dame de Paris
Quel beau pays !

Ils ont mangé la Tour Eiffel
Quel beau voyage !
Ils ont mangé la Tour Eiffel
Au caramel.

Ils reviendront tous par sans-fil
Quel beau voyage !
Ils reviendront tous par sans-fil
Ainsi soit-il !

* "par sansfil", référence non pas au Wifi actuel mais plus probablement aux ondes radio

Louisa Paulin (dans l'anthologie d'Armand Got "Pin Pon d'or" - éditions Colin-Bourrelier, 1972)

fille_verte_cr_ation__PP10Une chansonnette à la manière de Louisa Paulin

Des classes se sont amusées à créer des comptines chantées à la manière de ces deux chansons de Louisa Paulin. A vous de voir si...
En maternelle : http://www.perigord.com/asso/asco/pages/ecoles.htm
En Cycle 3 (CM) : http://www.ac-nancy-metz.fr/ia88/Lubine/chansons_pour_rire.htm



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1 novembre 2009

Perec - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Georges Perec -

Georges Perec (1936-1982), écrivain, poète, a placé la majeure partie de son oeuvre sous les contraintes de l'Oulipo. Voir le paragraphe consacré à ce Mouvement littéraire et à Raymond Queneau, ainsi que Jean Lescure. Perec est l'auteur de La Vie Mode d’emploi (éditions Hachette/POL 1978) et de La disparition (éditions Denoël, 1969), roman de 300 pages sans la lettre E (voir ci-dessous).

Les contraintes de l'OULIPO, en dehors du plaisir que peut prendre l'auteur au jeu de construction lui-même, produisent parfois d'étonnants effets. On cherchera ici la meilleure diction, pour cette accumulation d'infinitifs.

Déménager

Quitter un appartement. Vider les lieux.
Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher.
Inventorier, ranger, classer, trier.
Éliminer, jeter, fourguer.
Casser.
Brûler.
Descendre, desceller, déclouer, décoller, dévisser, décrocher.
Débrancher, détacher, couper, tirer, démonter, plier, couper.
Rouler.
Empaqueter, emballer, sangler, nouer, empiler, rassembler, entasser, ficeler, envelopper, protéger, recouvrir, entourer, serrer.
Enlever, porter, soulever.
Balayer.
Fermer.
Partir.

Georges Perec ("Espèces d'espaces" - éditions Galilée, 1974)

logo_cr_ation_po_tique L'infinitif à l'infini

Ce procédé a été tenté par des élèves de collège (5e) ici :
http://paroles2.free.fr/demenager.html

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Georges Perec, dans son roman "La Disparition", s'est interdit d'utiliser la lettre "E", la plus fréquente en français. C'est ce qu'on appelle un lipogramme. Ci-dessous, extrait de cet ouvrage, "Vocalisations" est la réécriture sans "E" du poème "Voyelles", d'Arthur Rimbaud (l'original est à la suite). Évidemment, il fallait s'attendre à quelques difficultés, pour l'auteur ... et pour le lecteur.

Vocalisations

A noir, (Un blanc), I roux, U safran, O azur:
Nous saurons au jour dit ta vocalisation :
A, noir carcan poilu d'un scintillant morpion
Qui bombinait autour d'un nidoral impur,

Caps obscurs; qui, cristal du brouillard ou du Khan,
Harpons du fjord hautain, Rois Blancs, frissons d'anis ?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu'un lis
Dans un courroux ou dans un alcool mortifiant;

U, scintillations, rond divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d'animaux, paix du fin
Sillon qu'un fol savoir aux grands fronts imprima;

O, finitif clairon aux accords d'aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvâna :
O l'omicron, rayon violin dans son Voir !

Georges Perec ("Espèces d'espaces" - éditions Galilée, 1974)

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Le poème de Rimbaud :

Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges ;
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud (écrit en 1871, édité en 1883 dans "Lutèce")



1 novembre 2009

Poslaniec - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Christian Poslaniec -

Christian Poslaniec, enseignant, pédagogue, romancier et poète pour la jeunesse, est né en 1944.
Quelques titres :
Fleurs de Carmagnole (éditions Saint-Germain-des-Prés, 1978
) ; Concerto pour palette et rimes (éditions de L'école des loisirs, 1993) ; Poèmes en clé de scie pour les enfants en cage (éditions d'Utovie, 1976) ; Le chat de mon école marque toujours midi (éditions Lo Païs d’Enfance, 2002) ; Comme une pivoine (Éditions du Jasmin, 2008).

Mon arbre à moi

Lorsque je le caresse
Mon arbre apprivoisé
Se dresse
Sur la pointe des feuilles
dans le vent.

Alors moi je lui cueille
Un bouquet d'oiseaux blancs
et il remue la tête,
heureux
en souriant
d'un grand rire d'écorce
pour me faire la fête.

Christian Poslaniec ("Fleurs de Carmagnole" - éditions Saint-Germain-des-Prés, 1978)

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Cheval d'avril

Lorsque j'étais cheval
il y a deux mille ans
je galopais sans fin
je galopais longtemps

et c'est en galopant
que je suis devenu
galopin

depuis je cours tout le temps
les cheveux dans le vent
et le ventre tout nu.

Christian Poslaniec ("Poèmes en clé de scie pour les enfants en cage" - éditions d'Utovie, 1976)

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Douze ans

Trompée par les reflets de ses douze bougies
qu'elle avait prises pour des étoiles,
Francine s'engloutit dans la nuit blanche et ronde
du gâteau meringué nappé de chantilly
et dansa douze fois, légère,
au bout du monde.

Et quand elle revint
deux paillettes de neige
brillaient dans ses yeux.

Christian Poslaniec

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Pêchette surprise

Le pêcheur a attrapé une perche
qui aussitôt s'est perchée sur ses genoux.
Il faut s'attendre à tout quand on va à la pêche !
Puis elle a dit d'un air très doux :
poisson chat c'est toi qui le seras !

Christian Poslaniec

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Une autre prise poétique de ce pêcheur de jeux de mots à la ligne :

La tanche
 
Si t'attrapes une tanche
Et que la tanche fuit
C'est qu'ell' n'est pas étanche.

Est-ce dire
Que pour la pêcher
Mieux vaut lui coller une rustine
Qu'un hameçon au bout du nez ?

Christian Poslaniec



1 novembre 2009

Prévert - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Jacques Prévert -

Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.

Comme souvent en poésie, quand les textes sont destinés aux élèves, on en coupe des passages. Le poème bien connu qui suit, un classique pour les exercices de création poétique, est en version originale. A vous de juger si ...

Le cancre

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Dans le même recueil "Paroles", le poème suivant fait référence au bagne d'enfants de Belle-Île-en-Mer, et à la révolte violemment réprimée qui a eu lieu pendant l'été 1934. Ce texte a été mis en musique par Joseph Kosma.

Chasse à l'enfant

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant

Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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L'enfance

Oh comme elle est triste l'enfance
La terre s'arrête de tourner
Les oiseaux ne veulent plus chanter
Le soleil refuse de briller
Tout le paysage est figé
 
La saison des pluies est finie
La saison des pluies recommence
Oh comme elle est triste l'enfance
La saision des pluies est finie
La saison des pluies recommence

Et les vieillards couleur de suie
S'installent avec leurs vieilles balances
Quand la terre s'arrête de tourner
Quand l'herbe refuse de pousser
C'est qu'un vieillard a éternué
Tout ce qui sort de la bouche des vieillards
Ce n'est que vieilles mouches vieux corbillard

Oh comme elle est triste l'enfance
Nous étouffons dans le brouilard
Dans le brouillard de vieux vieillards

Et quand ils retombent en enfance
C'est sur l'enfance qu'ils retombent
Et comme l'enfance est sans défense
C'est toujours l'enfance qui succombe

Oh comme elle est triste
Triste notre enfance
La saison des pluies est finie
La saison des pluies recommence.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Jour de fête

Où vas-tu mon enfant avec ces fleurs
Sous la pluie

Il pleut il mouille
Aujourd’hui c’est la fête à la grenouille
Et la grenouille
C’est mon amie

Voyons
On ne souhaite pas la fête à une bête
Surtout à un batracien
Décidément si nous n’y mettons bon ordre
Cet enfant deviendra un vaurien
Et il nous en fera voir
De toutes les couleurs
L’arc-en-ciel le fait bien
Et personne ne lui dit rien
Cet enfant n’en fait qu’à sa tête
Nous voulons qu’il en fasse à la notre

Oh ! mon père !
Oh ! ma mère !
Oh ! grand oncle Sébastien

Ce n’est pas avec ma tête
Que j’entends mon cœur qui bat
Aujourd’hui c’est jour de fête
Pourquoi ne comprenez vous pas
Oh ! ne me touchez pas l’épaule
Ne m’attrapez pas par le bras
Souvent la grenouille m’a fait rire
Et chaque soir elle chante pour moi
Mais voilà qu’ils ferment la porte
Et s’approchent doucement de moi
Je leur crie que c’est jour de fête
Mais leur tête me désigne du doigt.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Premier jour

 

Des draps  blancs dans une armoire
Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa mère
Sa mère dans les douleurs
Le père dans le couloir
Le couloir dans la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un cri
Et l’enfant dans la vie.

 

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

 

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La belle vie

Dans les ménageries
Il y a des animaux
Qui passent toute leur vie
Derrière des barreaux
Et nous, on est des frères
De ces pauvres bestiaux

On n'est pas à plaindre
On est à blâmer
On s'est laissé prendre
Qu'est-ce qu'on avait fait ?
Enfants des corridors
Enfants des courants d'air
Le monde nous a foutus dehors
La vie nous a foutus en l'air

Notre mère, c'est la misère
Et notre père le bistrot
Elevés dans des tiroirs
En guise de berceaux
On nous a laissé choir
Tout nus dans le ruisseau

Dès notre plus jeune âge
Parqués dans des prisons
Nous dormons dans des cages
Et nous tournons en rond
Sans voir le paysage,
sans chanter de chansons

On n'est pas à plaindre
On est à blâmer
On s'est laissé prendre
Qu'est-ce qu'on avait fait ?
Enfants des corridors
Enfants des courants d'air
Le monde nous a foutus dehors
La vie nous a foutus en l'air.

Jacques Prévert ("Spectacle" - Gallimard, Point du Jour, 1951) - mis en musique par Joseph Kosma et chanté par Juliette Greco - Bernard Lavilliers a beaucoup emprunté à ce texte, sans le citer, pour sa chanson "QHS" !...

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L'école des beaux-arts

Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
À la minute
Devant eux.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

 

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Page d'écriture

Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize...
Répétez ! dit le maître.
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize...
Mais voilà l'oiseau-lyre
Qui passe dans le ciel.
L'enfant le voit
L'enfant l'entend
L'enfant l'appelle :
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau !
Alors l'oiseau descend
Et joue avec l'enfant.
D'eu et deux quatre...
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s'en vont.
Et l'enfant a caché l'oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
Entendent sa chanson
Et tous les enfants
Entendent sa musique
Et huit et huit à leur tour s'en vont
Et quatre et quatre et deux et deux
A leur tour fichent le camp
Et un et un ne font ni une ni deux
Un et un s'en vont également.
Et l'oiseau-lyre joue
Et l'enfant chante
Et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants
Ecoutent la musique
Et les murs de la classe
S'écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L'encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Pour faire le portrait d'un oiseau

Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau
.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

crayon lieucommun Recettes poétiques

En reprenant la structure de ce poème de Prévert, des élèves ont produit d'autres recettes tout aussi inattendues, ici, à cette adresse, par ailleurs mine d'idées de création déjà mentionnée (voir la recette au paragraphe Guillevic) :

http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/html/sallesdejeux/JEUALAMANIERE/JEUALAMAPOR.html

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Enfants de la haute ville 

Enfants de la haute ville
filles des bas quartiers
le dimanche vous promène dans la rue de la Paix
Le quartier est désert
les magasins fermés
Mais sous le ciel gris souris
la ville est un peu verte derrière les grilles des Tuileries
Et vous dansez sans le savoir
Vous dansez en marchant sur les trottoirs cirés
Et vous lancez la mode
sans même vous en douter
Un manteau de fou rire
sur vos robes imprimées
Et vos robes imprimées sur le velours potelé
de vos corps amoureux
Tout nouveaux tout dorés
Folles enfants de la haute ville
ravissantes filles des bas quartiers
modèles impossibles à copier
Cover-girls
colored girls
De la Goutte d'Or ou de Belleville
De Grenelle ou de Bagnolet
.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, 1951 - Folio/Gallimard, 1976)

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Chanson des sardinières

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans

Les fées qui sont venues
autour de vos berceaux
les fées étaient payées
par les gens du château
elles vous ont dit l’avenir
et il n’était pas beau

Vous vivrez malheureuses
et vous aurez beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans.

Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" - Editions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", 1949)

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Le bouquet

Que fais-tu là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Que faites-vous là jeune fille
Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Que faites-vous là jolie femme
Avec ces fleurs qui se fanent
Que faites-vous là vieille femme
Avec ces fleurs qui meurent

J’attends le vainqueur.

Jacques Prévert ("Paroles" - Gallimard, 1949)

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Chanson pour les enfants l'hiver

Dans la nuit de l'hiver
Galope un grand homme blanc.
C'est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid.
Il arrive au village
Voyant de la lumière, le voilà rassuré.
Dans une petite maison, il entre sans frapper.
Et pour se réchauffer
S'asseoit sur le poêle rouge
Et d'un coup disparaît.
Ne laissant que sa pipe
au milieu d'une flaque d'eau
Ne laissant que sa pipe
et puis son vieux chapeau.

Jacques Prévert (" ", 19--)

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En sortant de l'école

En sortant de l'école
nous avons rencontré
un grand chemin de fer
qui nous a emmenés
tout autour de la terre
dans un wagon doré

Tout autour de la terre
nous avons rencontré
la mer qui se promenait
avec tous ses coquillages
ses îles parfumées
et puis ses beaux naufrages
et ses saumons fumés

Au-dessus de la mer
nous avons rencontré
la lune et les étoiles
sur un bateau à voiles
partant pour le Japon
et les trois mousquetaires
des cinq doigts de la main
tournant ma manivelle
d'un petit sous-marin
plongeant au fond des mers
pour chercher des oursins

Revenant sur la terre
nous avons rencontré
sur la voie de chemin de fer
une maison qui fuyait
fuyait tout autour de la Terre
fuyait tout autour de la mer
fuyait devant l'hiver
qui voulait l'attraper

Mais nous sur notre chemin de fer
on s'est mis à rouler
rouler derrière l'hiver
et on l'a écrasé
et la maison s'est arrêtée
et le printemps nous a salués

C'était lui le garde-barrière
et il nous a bien remerciés
et toutes les fleurs de toute la terre
soudain se sont mises à pousser
pousser à tort et à travers
sur la voie du chemin de fer
qui ne voulait plus avancer
de peur de les abîmer

Alors on est revenu à pied
à pied tout autour de la terre
à pied tout autour de la mer
tout autour du soleil
de la lune et des étoiles
A pied à cheval en voiture
et en bateau à voiles.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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La Seine a rencontré Paris

Qui est là
toujours là dans la ville
et qui pourtant sans cesse arrive
et qui pourtant sans cesse s'en va
C'est un fleuve répond un enfant
un devineur de devinettes.
Et puis l'œil brillant il ajoute
et le fleuve s'appelle la Seine
quand la ville s'appelle Paris
et la Seine c'est comme une personne
des fois elle court elle va très vite
elle presse le pas quand tombe le soir
des fois au printemps elle s'arrête et
vous regarde comme un miroir.
Et elle pleure si vous pleurez
ou sourit pour vous consoler
et toujours elle éclate de rire quand
arrive le soleil d'été ...

Jacques Prévert (poème écrit d'après le film de Joris Ivens, en 1957, qui porte le même titre)

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Cortège

Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d'Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de corde avec un danseur de têtes
Un maréchal d'écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite soeur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du Gaz de Paris
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l'orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l'Académie française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d'autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

crayon lieucommun Poèmes à la manière de "Cortège"  

La structure du poème se prête facilement au "mariage" de deux groupes nominaux, reliés par "avec". On pourra favoriser la production individuelle par les élèves d'éléments séparés, et les apparier collectivement, ou par groupes de recherche. Avec de grands élèves, le vers complet peut-être créé individuellement ou dans le groupe.

Exemples [proposés par le blog]:

un cheval de manège  avec une bretelle d'autoroute >> un cheval d'autoroute avec une bretelle de manège

ou, en choisissant un thème unique pour le poème :

Les animaux se marient
un cheval de manège  avec un poisson d'aquarium   >> un cheval d'aquarium avec un poisson de manège

autre thème : Étonnants métiers disparus
un directeur d'école avec un coiffeur pour chiens   >> un coiffeur d'école avec un directeur pour chiens

Imaginez des illustrations pour les textes produits !

Voyez ICI quelques consignes , et des productions d'élèves ICI  :

 http://www.saxon.ch/ecoles/5p_yves/2001_2002/poesies_ex.ecrite/prevert.htm

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Soyez polis (2e strophe du poème)

(...)

Il faut être très poli avec la Terre
Et avec le
Soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
À toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter...
Les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le
Soleil et la Terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé...
Le soleil est amoureux de la
Terre
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le Soleil aime la
Terre
La Terre aime le Soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le
Soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la Lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du
Soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la
Lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :
" Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit. "

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Bain de soleil

La salle de bains est fermée à clef
Le soleil entre par la fenêtre
et il se baigne dans la baignoire
et il se frotte avec le savon
et le savon pleure
il a du soleil dans l'oeil.

Jacques Prévert ("Textes divers"  (1929-1977) - Oeuvres complètes tome II - Gallimard-La Pléiade, 1996)

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L'amiral

L'amiral Larima
Larima quoi
la rime à rien
l'amiral Larima
l'amiral Rien.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Frontières

- Votre nom ?
- Nancy.
- D'où venez-vous ?
- Caroline.
- Où allez-vous ?
- Florence.
- Passez.

- Votre nom ?
- On m'appelle Rose de Picardie, Blanche de Castille,
  Violette de Parme ou Bleue de Méthylène.
- Vous êtes mariée ?
- Oui.
- Avec qui ?
- Avec Jaune d'Oeuf.
- Passez.

Jacques Prévert ("Choses et autres" - Gallimard, 1972)

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Et la fête continue

Debout devant le zinc
Sur le coup de dix heures
Un grand plombier zingueur
Habillé en dimanche et pourtant c'est lundi
Chante pour lui tout seul
Chante que c'est jeudi
Qu'il n'ira pas en classe
Que la guerre est finie
Et le travail aussi
Que la vie est si belle
Et les filles si jolies
Et titubant devant le zinc
Mais guidé par son fil à plomb
Il s'arrête pile devant le patron
Trois paysans passeront et vous paieront
Puis disparaît dans le soleil
Sans régler les consommations
Disparaît dans le soleil tout en continuant sa chanson

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Le coquillage

Dans une chambre au sixième
Un coquillage est posé sur la table
soudain il se met à chanter
L'homme est réveillé par le bruit de la mer
il voit le coquillage
il lui sourit
il veut le prendre avec les mains
mais le coquillage s'enfuit

Jacques Prévert

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Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied

Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt
Un ciel tout à fait vert
Et des nuages en osier
Une église dans une malle
La malle dans un grenier
Le grenier dans une cave
Sur la tour d'un château
Le château à cheval
A cheval sur un jet d'eau
Le jet d'eau dans un sac
A côté d'une rose
La rose d'un fraisier
Planté dans une armoire
Ouverte sur un champ de blé
Un champ de blé couché
Dans les plis d'un miroir
Sous les ailes d'un tonneau
Le tonneau dans un verre
Dans un verre à Bordeaux
Bordeaux sur une falaise
Où rêve un vieux corbeau
Dans le tiroir d'une chaise
D'une chaise en papier
En beau papier de pierre
Soigneusement taillé
Par un tailleur de verre
Dans un petit gravier
Tout au fond d'une mare
Sous les plumes d'un mouton
Nageant dans un lavoir
A la lueur d'un lampion
Éclairant une mine
Une mine de crayons
Derrière une colline
Gardée par un dindon
Un gros dindon assis
Sur la tête d'un jambon
Un jambon de faïence
Et puis de porcelaine
Qui fait le tour de France
A pied sur une baleine
Au milieu de la lune
Dans un quartier perdu
Perdu dans une carafe
Une carafe d'eau rougie
D'eau rougie à la flamme
A la flamme d'une bougie
Sous la queue d'une horloge
Tendue de velours rouge
Dans la cour d'une école
Au milieu d'un désert
Où de grandes girafes
Et des enfants trouvés
Chantent chantent sans cesse
A tue-tête à cloche-pied
Histoire de s'amuser
Les mots sans queue ni tête
Qui dansent dans leur tête
Sans jamais s'arrêter

Et on recommence
Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt ...

etc, etc, etc.

Jacques Prévert

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Les animaux ont des ennuis

à Christiane Verger

Le pauvre crocodile n’a pas de C cédille
On a mouillé les L de la pauvre grenouille
Le poisson scie a des soucis
Le poisson sole, ça le désole
Mais tous les oiseaux ont des ailes
Même le vieil oiseau bleu
Même la grenouille verte
Elle a deux L avant l’E

Laissez les oiseaux à leur mère
Laissez les ruisseaux dans leur lit
Laissez les étoiles de mer
Sortir si ça leur plaît la nuit
Laissez les p’tits enfants briser leur tirelire
Laissez passer le café si ça lui fait plaisir

La vieille armoire normande et la vache bretonne
Sont parties dans la lande en riant comme deux folles
Les petits veaux abandonnés pleurent
Comme des veaux abandonnés
Car les petits veaux n’ont pas d’ailes
Comme le vieil oiseau bleu
Ils ne possèdent à eux deux
Que quelques pattes et deux queues

Laissez les oiseaux à leur mère
Laissez les ruisseaux dans leur lit
Laissez les étoiles de mer
Sortir si ça leur plaît la nuit
Laissez les éléphants ne pas apprendre à lire
Laissez les hirondelles aller et revenir

Jacques Prévert

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Être ange

Être ange
C'est étrange
Dit l'ange
Être âne
C'est étrâne
Dit l'âne
Cela ne veut rien dire
Dit l'ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
Étrâne est plus étrange qu'étrange
Dit l'âne
Étrange est
Dit l'ange en tapant des pieds
Étranger vous-même
Dit l'âne
Et il s'envole

Jacques Prévert

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Quartier libre

J'ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l'oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
a répondu l'oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu'on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l'oiseau.

Jacques Prévert

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Les belles familles

Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVII
Louis XVIII

et plus personne plus rien...
qu'est-ce que c'est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu'à vingt
?

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
 

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J’ai vu passer un homme (titre proposé)

Un matin
dans une cour de la rue de la Colombe ou de la rue
des Ursins
des voix d'enfants
chantèrent quelque chose comme ça :

Au coin d’la rue du Jour
et d’la rue Paradis
j’ai vu passer un homme
y a que moi qui l’ai vu
j’ai vu passer un homme
tout nu en plein midi
y a que moi qui l’ai vu
pourtant c’est moi l’plus petit
les grands y savent pas voir
surtout quand c’est marrant surtout quand c’est joli

Il avait des ch’veux d’ange
une barbe de fleuve
une grande queue de sirène
une taille de guêpe
deux pieds de chaise Louis treize
un tronc de peuplier
et puis un doigt de vin
et deux mains de papier
une toute petite tête d’ail
une grande bouche d’incendie
et puis un œil de bœuf
et un œil de perdrix

Au coin d’la rue du Jour
et d’la rue Paradis
c'est là que je l’ai vu
un jour en plein midi
c'est pas le même quartier
mais les rues se promènent partout où ça leur plaît.

Jacques Prévert ("Grand bal du printemps" - 1951 et Gallimard, 1976)

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La pêche à la baleine

À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d'une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l'armoire allongé,
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc ?
Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Qui ne m'a rien fait, papa,
Va la pêpé, va la pêcher toi-même,
Puisque ça te plaît,
J'aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
Et le cousin Gaston.
Alors dans sa baleinière le père tout seul s'en est allé
Sur la mer démontée...
Voilà le père sur la mer,
Voilà le fils à la maison,
Voilà la baleine en colère,
Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
La soupière au bouillon.
La mer était mauvaise,
La soupe était bonne.
Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole :
À la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
Et pourquoi donc que j'y ai pas été ?
Peut-être qu'on l'aurait attrapée,
Alors j'aurais pu en manger.Mais voilà la porte qui s'ouvre, et ruisselant d'eau
Le père apparaît hors d'haleine,
Tenant la baleine sur son dos.
Il jette l'animal sur la table,
une belle baleine aux yeux bleus,
Une bête comme on en voit peu,
Et dit d'une voix lamentable :
Dépêchez-vous de la dépecer,
J'ai faim, j'ai soif, je veux manger.Mais voilà Prosper qui se lève,
Regardant son père dans le blanc des yeux,
Dans le blanc des yeux bleus de son père,
Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait ?
Tant pis, j'abandonne ma part.
Puis il jette le couteau par terre,
Mais la baleine s'en empare, et se précipitant sur le père
Elle le transperce de père en part.
Ah, ah, dit le cousin Gaston,
On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.

Et voilà
Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
Et la baleine, la larme à l'œil contemplant le foyer détruit.
Soudain elle s'écrie :
Et pourquoi donc j'ai tué ce pauvre imbécile,
Maintenant les autres vont me pourchasser en moto-godille
Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
Alors éclatant d'un rire inquiétant,
Elle se dirige vers la porte et dit
À la veuve en passant :
Madame, si quelqu'un vient me demander,
Soyez aimable et répondez :
La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d'années, sans doute elle reviendra...

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Voici un court texte expiatoire...

Mea culpa

C’est ma faute
C’est ma faute
C’est ma très grande faute d’orthographe
Voilà comment j’écris
Giraffe.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

... auquel Prévert apporte un rectificatif (un codicille) clin-d'oeil quelques années après dans un autre recueil. Les élèves apprécieront  :

Sans faute (codicille)livre_Pr_vert_choses_et_autres

J'ai eu tort d'avoir écrit cela autrefois
Je n'avais pas à me culpabiliser
Je n'avais fait aucune phaute d'ortographe
J'avais simplement écrit giraffe en anglais.

Jacques Prévert ("Choses et autres" - Gallimard, 1966 et 1972)

crayon lieucommun Jouer avec l'orthographe

Choisir des noms d'objets ou d'animaux, et imaginer une bonne raison de les orthographier différemment.
Exemple :
Éléphant s'écrira ailéphant pour être plus léger et voyager, éléfan s'il est supporter d'une équipe de rugby (le pack), éléfaon s'il est adopté par une biche (c'est n'importe quoi ça) ...
Il reste à construire une histoire à la manière peut-être d'un article de presse, ou d'un conte ("Il était une fois...").

Cet exercice se rapproche des mots-valise, décrits ailleurs.



1 novembre 2009

Raymond Queneau et l' OULIPO - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Raymond Queneau et l' OULIPO -

Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Jacques Bens, Jean Lescure, Georges Perec, Jacques Roubaud appartiennent à ce mouvement, caractérisé par des contraintes littéraires d'écriture, telles que l'absence d'une voyelle (Georges Perec : La Disparition), une réécriture de poèmes connus (comme le texte de Raymond Queneau présenté ici), etc. On en trouvera des exemples sur le blog, voyez le SOMMAIRE en page 1 de cette catégorie.
Auteur en particulier d' Exercices de style (60 formes différentes à partir d'un même texte) et de Zazie dans le Métro, Raymond Queneau publie en 1961 l'ouvrage Cent Mille Milliards de Poèmes, qui permet par combinaisons de vers de composer une infinité (ou presque !) de sonnets  réguliers.
Il est élu à l'Académie Goncourt en 1951.

Pour un art poétique

Prenez un mot prenez en deux
faites les cuir' comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d'innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et mettez les voiles
Où voulez vous donc en venir ?
À écrire Vraiment ? À écrire ?

Raymond Queneau ("Le Chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)

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Cent mille milliards de poèmes

Raymond Queneau précise dans la présentation de l'ouvrage :

"C'est plus inspiré par le livre pour enfants intitulé "Têtes folles" * que par les jeux surréalistes du genre Cadavre exquis que j'ai conçu  et réalisé ce petit ouvrage qui permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C'est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes".

* Le livre-jeu "Têtes folles" propose 3 séries de languettes mobiles montées sur des anneaux, tête, corps, jambes, pour créer par d'innombrables combinaisons (cent mille milliards aussi ?), de drôles de personnages. Ce principe a été par la suite réutilisé avec des images d'animaux.
L'œuvre de Queneau est constituée, elle, de 14 vers sous 10 versions différentes pour chaqcun, c'est à dire 1014 combinaisons

Raymond Queneau dit encore à propos de son ouvrage : "En comptant 45 s pour lire un sonnet et 15 s pour changer les volets à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a pour plus d’un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails)" (Citation empruntée à http://savoir.pingouin.org/index.php/Cent_Mille_Milliards_de_Po%C3%A8mes)

Malgré tout, cet exercice se rapproche dans son principe, et pour la création poétique avec les élèves, du Cadavre exquis décrit dans cette catégorie au paragraphe consacré à André Breton (voir le SOMMAIRE).

Une des cent mille milliards de versions possibles* ...

Il se penche il voulait attraper sa valise
se faire il pourrait bien que ce soit des jumeaux
la découverte alors voilà qui traumatise
des narcisses on cueille ou bien on est des veaux

L'un et l'autre a raison non la foule insoumise
qui clochard devenant jetait ses oripeaux
un frère même bas est la part indécise
à tous n'est pas donné d'aimer les chocs verbaux

La Grèce de Platon à coup sûr n'est point sotte
on comptait les esprits acérés à la hotte
il voudra retrouver le germe adultérin

Ne fallait pas si loin agiter ses breloques
tu me stupéfies plus que tous les ventriloques
le Beaune et le Chianti sont-ils le même vin ?

Raymond Queneau ("Cent mille milliards de poèmes" - Gallimard 1961)

* Voir à cette adresse, où a été emprunté le texte qui précède, l'intégralité des 1014 combinaisons de vers pour "Cent mille milliards de poèmes" :
http://membres.lycos.fr/bouillondepoesie/auteur_Queneau.htm

logo_cr_ation_po_tiqueLe "Poème multiple", sur le principe de Cent mille milliards de poèmes

Le poème multiple propose un choix (ou laisse faire le hasard*) de plusieurs écritures possibles pour chacun de ses vers, capable de produire au final un poème différent mais correct (du point de vue grammatical au moins).
Comme pour le Cadavre exquis, cette activité suppose une maîtrise par les élèves de la structure de la phrase et de la relation logique entre ses différents éléments.

  • Avec des rimes :

On pourra se limiter pour la création du poème multiple à un quatrain avec trois, quatre ou cinq versions de chaque vers. Calculez le nombre de combinaisons, c'est déjà pas si mal !
Choisir 2 séries de syllabes-rimes des plus répandues, comme dans le texte de Queneau : age, eure, ise, ote, in, sous leurs différentes graphies ; et/ou des sons voyelles pour jouer plus facilement sur des assonances : a, o, i, u, ou, au, on...

Se constituer un stock de mots regroupés par rimes.

Exemple 1 : Structurer le poème de manière à construire une phrase avec  les deux premiers vers et une deuxième avec les deux derniers. Pour le quatrain, on aura le choix entre des rimes alternées ou embrassées. Masculines-féminines, mais sans contrainte, c'est déjà assez ardu !
On décidera si les variantes du poème doivent présenter une certaine logique, ou si on se donne toutes les libertés.
Ce premier exemple proposé par le blog est en alexandrins. On a utilisé ici la même structure interne pour chaque groupe de vers, constituée d'une phrase simple pour la première série. Le quatrain est lui-même structuré en 4 parties. L'ensemble tente de rester dans le thème annoncé par le titre :

Les évadés du zoo

1. Le lion dévorait un lièvre de passage / Le canari sciait les barreaux de sa cage / Une tortue bronzait toute nue sur la plage / Un chameau traversait la rivière à la nage

2. Sans se préoccuper ni du jour ni de l'heure / En songeant que demain arriverait sa sœur / Le désir d'aventure est plus fort que la peur / Un complice attendait sur son vélomoteur

3. Quand tout-à-coup  a éclaté un gros orage / Mais la police est arrivée dans les parages  / Une tempête a traversé le paysage / C'était le jour de l'ouverture de la chasse (assonance)

4. L'horoscope annonçait des lendemains meilleurs  / Les animaux les plus futés font des erreurs / Les émotions ont provoqué l'arrêt du cœur / Qui saura consoler le gardien en pleurs ?

(proposé par le blog)

Exemple 2 : On garde le principe des rimes ou assonances, mais en se rapprochant de la structure proposée pour le Cadavre exquis (développé au paragraphe André Breton). Puisqu'il n'y a qu'une phrase finalement par production, on peut construire un texte en regroupant plusieurs variantes :

1. C'est un arbre de la forêt / C'est un petit chat tigré / C'est une fée mal réveillée / C'est un nuage sur le clocher
2. qui a mangé /qui a rayé / qui a caché / qui a volé
3. la camionnette / le pantalon / la bague / les lunettes
4. du boulanger / de la mariée / du jardinier / de mon pépé

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* Une présentation du "poème multiple" en choisissant les lignes ou en laissant faire le hasard :

  • Écrire chaque vers sur un panneau  fixé sur un axe vertical (à la manière d'une girouette ou d'un panneau de signalisation à directions multiples). Un axe porte autant de panneaux rayonnants que de différentes écritures pour chaque vers. Autant d'axes donc, que le poème a de vers. Installer les axes en ligne (ce n'est pas la présentation habituelle d'un poème en vers, mais c'est déjà assez compliqué). On obtient un poème différent en faisant tourner les "girouettes" les unes après les autres (prévoir un système d'arrêt-blocage pour la lecture en ligne).
  • Écrire chaque vers sur des disques (à l'image d'une roue de loterie foraine). Autant de disques que de vers au poème. Aligner les roues, comme précédemment les panneaux. L'axe central peut être fixé sur une longue planche. On fait tourner la roue, et un repère indique le vers à lire quand elle s'arrête.
  • Présentation en utilisant des rouleaux de longueur et de diamètre suffisant. L'idéal serait de se procurer des tubes de protection ayant servi à l'expédition ou à la protection de posters. Chaque tube pourrait sans doute être coupé en deux au milieu diamétralement pour donner deux supports. Il faudra autant de rouleaux que de vers au poème. On collera les écritures autour de chaque rouleau en longueur. Les rouleaux  seront enfilés sur le même axe fixe. Ce sont eux qu'on fait tourner. Ici encore, la difficulté est d'arrêter la lecture approximativement au même niveau sur toute la longueur. Variante de disposition : Les rouleaux sont alignés les uns en-dessous des autres, portés sur une structure (cadre en bois par exemple), comme un boulier géant. L'avantage est de présenter le "poème multiple" dans sa disposition traditionnelle.

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  • La règle S+7

Autre exercice oulipien, imaginé par Jean Lescure (voir au paragraphe de cet auteur ci-dessus)

Ci-dessous le texte de départ (la première fable dans l'œuvre de La Fontaine), auquel Raymond Queneau a appliqué la règle, en utilisant sans doute un dictionnaire des plus fourmnis !

La cigale et la fourmi

La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal."
La fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
"Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien : dansez maintenant."

Jean de la Fontaine 1621-1695 ; (Fables, livre 1 - première fable - cet ouvrage a connu d'innombrables éditions)

La fable classique transformée reste reconnaissable par sa structure, intacte,  maintenue par le lien des mots inchangés, pronoms, déterminants, conjonctions, prépositions, adverbes :

La Cimaise et la Fraction

La Cimaise ayant chaponné
Tout l’éternueur
Se tuba fort dépurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De mouffette ou de verrat.
Elle alla crocher frange
Chez la fraction sa volcanique,
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu’à la salanque nucléaire.
"Je vous peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant l’apanage, folâtrerie d’Annamite !
Interlocutoire et priodonte."
La Fraction n’est pas prévisible :
C’est là son moléculaire défi.
"Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette enarthrose.
- Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
- Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante.
Eh bien ! débagoulez maintenant."

Raymond Queneau  ("Variations sur S+7 - OULIPO, La Littérature potentielle" - éditions Gallimard, 1973)

logo_cr_ation_po_tiqueDes poèmes sur le principe de S+7
Cet exercice s'adresse aux grandes classes, C3 et collège, puisque les élèves doivent être capables d'utiliser aisément le dictionnaire et d'identifier précisément la nature des mots du poème auxquels va s'appliquer la transformation : noms communs, adjectifs et verbes (les adverbes n'ont pas subi de transformation dans la fable).

Le matériel indispensable est un dictionnaire par élève, adapté au niveau de la classe (pas le Littré, que peut-être Queneau a utilisé !...).
On choisira un texte de départ assez court, structuré. La fable est un modèle de départ intéressant.
Ils procèdent à la recherche dans le dictionnaire de chaque mot à transformer, en repérant le 7e mot de même nature (et de même genre pour les noms) qui suit. Ce mot remplacera exactement l'original, c'est-à-dire qu'il devra s'accorder en genre et en nombre. Pour les verbes, il sera conjugué au même temps et à la même personne que celui qu'il remplace. On ne se préoccupe pas des rimes, bien entendu.
Si on rencontre une trop grande difficulté (de sens, d'accord...) on s'autorisera à choisir plutôt le mot suivant ou précédent.

  • Variante : évidemment S+7 n'est pas la seule transformation possible. On essaiera par exemple S+6 ou S-4.  D'ailleurs, à partir d'un même poème original, les élèves pourront choisir chacun une formule de transformation différente. On comparera les variantes, on les regroupera peut-être dans un même recueil.

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Cris de Paris

On n'entend plus guère le repasseur de couteaux
le réparateur de porcelaines le rempailleur de chaises
on n'entend plus guère que les radios qui bafouillent
des tourne-disques des transistors et des télés
ou bien encore le faible aye aye ouye ouye
que pousse un piéton écrasé

Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)

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Queneau s'intéresse à nouveau aux deux insectes de la célèbre fable de La Fontaine, dans une scène inattendue et enlevée :

La fourmi et la cigale

Une fourmi fait l'ascension
d'une herbe flexible
elle ne se rend pas compte
de la difficulté de son entreprise
elle s'obstine la pauvrette
dans son dessein délirant
pour elle c'est un Everest
pour elle c'est un Mont Blanc
ce qui devait arriver arrive
elle choit patatratement
une cigale la reçoit
dans ses bras bien gentiment
eh dit-elle point n'est la saison
des sports alpinistes
(vous ne vous êtes pas fait mal j'espère ?)
et maintenant dansons dansons
une bourrée ou la matchiche.

Raymond Queneau ("Battre la campagne" - 1967, Gallimard poésie, même ouvrage que "Courir les rues")

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L'auteur s'affranchit ici du lexique et des règles d'orthographe, exercice qu'il affectionne :

Maigrir

Y en a qui maigricent sulla terre
Du vente du coq-six ou des jnous
Y en qui maigricent le caractère
Y en a qui maigricent pas du tout
Oui mais
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé

II

Lautt jour Boulvar de la Villette
Vlà jrenconte le bœuf à la mode
Jlui dis Tu mas l’air un peu blett
Viens que jte paye une belle culotte
Seulement jai pas pu passque
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé

III

Dpuis ctemps jfais pus dgymnastique
Et jmastiens des sports d’hiver
Et comme avec fureur jmastique
Je pense que si je persévère
Eh bien
Jmégrirai du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Jmégrirai même de partout
Même de lesstrémité du cou

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1966, Gallimard poésie, même ouvrage que "Les Ziaux").
Sur une musique de Gérard Calvi, ce texte est devenu une chanson, interprétée par Denise Benoît (voir paragraphe Roland Bacri) en 1968, Les Charlots (1977), d'autres sans doute ...

 

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Pauvre type

Toto a un nez de chèvre et un pied de porc
Il porte des chaussettes
en bois d'allumette
et se peigne les cheveux
avec un coupe-papier qui a fait long-feu
S'il s'habille les murs deviennent gris
S'il se lève le lit explose
S'il se lave l'eau s'ébroue
Il a toujours dans la poche
un vide-poche

Pauvre type

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1966, Gallimard poésie, même ouvrage que "Les Ziaux")

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Encore l'art po

C'est mon po - c'est mon po - mon poème
Que je veux - que je veux - éditer
Ah je l'ai - ah je l'ai - ah je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Oui mon po - oui mon po - mon poème
C'est à pro - à propos - d'un pommier
Car je l'ai - car je l'ai - car je l'aime
Mon popo - mon popo - mon pommier

Il donn' des - il donn' des - des poèmes
Mon popo - mon popo - mon pommier
C'est pour ça - c'est pour ça - que je l'aime
La popo - la popomme - au pommier

Je la sucre - et j'y mets - de la crème
Sur la po - la popomme - au pommier
Et ça vaut - ça vaut bien - le poème
Que je vais - que je vais - éditer

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)

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L’arbre qui pense

L’arbre qui pense
les pieds dans sa grille
à quoi pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
Le chien qui pense
la patte en l’air
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
le pavé qui pense le ventre poli de pas
que pense-t-il
oh ça oh mais ça oh mais ça à quoi pense-t-il
ciel toits et nuages
voyez-moi
là tout en bas
qui marche
et qui pense à l’arbre qui pense
au chien au pavé
oh ça oh mais à quoi pensent-ils donc
à quoi pensent-ils donc

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965) - toujours sans ponctuation

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Égocentrisme

Je m'attendais au coin de la rue
j'avais envie de me faire peur
en effet lorsque je me suis vu
j'ai reculé d'horreur

Faisant le tour du pâté de maisons
je me suis cogné contre moi-même
c'est ainsi qu'en toute saison
on peut se distraire à l'extrême

Raymond Queneau ("Le chien à la mandoline" - Gallimard, 1965)



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1 novembre 2009

Prassinos, Le Quintrec - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

Gisèle Prassinos, née en 1920, est écrivaine, poète et artiste peintre, tout ça au féminin très singulier, marqué de surréalisme.

Dans tes yeux il y a la mer

Dans tes yeux il y a la mer.

Sur la mer il y a la tempête.

Dans la tempête : une barque.

Dans la barque : une petite fille.

Dans la petite fille il y a ton enfant

et je vais me noyer maman

si tu ne cesses de gronder.

Gisèle Prassinos

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La neige

Il paraît que le ciel et la terre
vont se marier.
Avant l’aube le fiancé
sur sa fille
a jeté son voile de mousse
lentement et sans bruit
pour ne pas l’éveiller.

Elle sommeille encore il est tôt
mais déjà exaltés
impatients d’aller à la noce
les arbres ont mis leur gants
par milliers
et les maisons leurs chapeaux blancs.

Gisèle Prassinos ("Le ciel et la terre se marient" - Éditions ouvrières, 1979)

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La montre

Lunaire blonde innocente
La montre

Moins que compagne
Plus qu'objet
Cœur sans amour
Elle effectue ses exercices d'angles.

Gisèle Prassinos ("Les mots endormis" - Éditions Flammarion, 1967)

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Qu'est-ce qu'un chat ?

Qu'est-ce qu'un chat ?
C'est un roi
Un soir de gala
En tournure
De fourrure.

Gisèle Prassinos (dans "Il était une fois les animaux" - anthologie de Jean-Hugues Malineau - éditions Messidor - La Farandole, 1989)

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Deux recettes, en forme de comptines "pour fillottes et garcelons" :

Recette

Mets le rat dans un plat
La souris dans le riz
Le moineau dans le seau
La grenouille dans la rouille
Et touille !

Gisèle Prassinos

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Comptine pour enfant pas sage

Pour faire un oisillon
Prenez du saucisson
Un morceau pour le dos
Pour le bec un coup sec
Deux rondelles pour les ailes
Pour la queue trois cheveux

Pour faire du saucisson
Prenez un oisillon.
Etouffez et pilez
Bien saler et ficeler
Découper et manger.

Gisèle Prassinos ("Comptines pour fillottes et garcelons")



- Charles Le Quintrec -

Charles Le Quintrec , né en 1926 en Bretagne, est un écrivain et poète français.
Un de ses derniers romans : Les enfants de Kerfontaine (Albin Michel, 2007).


L'enfant

L’enfant n’est pas un ange
Ce n’est pas un démon

Il se cogne aux étoiles
Sans se blesser le front

Roi des eaux sidérales
Il s’invente un royaume

Un royaume à cheval
Entre l’aurore et l’aube

Chaque jour son regard
Recommence le monde.

Charles Le Quintrec ("")



1 novembre 2009

Ratel, Rictus, Riffaud - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Simone Ratel -

Simone Ratel (1900-1948) écrivaine ("La maison des Bories", Plon 1932, Prix Interallié) et poète a aussi écrit des contes pour enfants. On trouvera des textes de cette auteure en feuilletant d'anciens manuels scolaires de lecture et de récitation du siècle dernier, comme cette berceuse :

Berceuse du petit loir

Bien au creux, bien au chaud
Mon gras mon doux mon beau
Poil luisant pattes fines
Mon petit loir dort
Dort et dîne
Dîne et dort
Un petit loir qui dort
Dort et dîne
Dîne et dort

Voici l'hiver venu
Les petits rats tout nus
Nichent dans la farine
Mon petit loir dort
Aux arbres du verger
Bois sec noyaux rongés
Le vent chante famine
Mon petit loir dort.

Simone Ratel (dans l'ouvrage de R. Millot :  "L'enfant et la lecture - premier livre de lecture courante - CP - CE1" - éditions Eugène Belin, 1965) (poème mis en musique et chanté par Jacques Douai)

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La rainette

Dans le gosier de la rainette
Un grillon triste est enfermé,
Un grillon triste et doux et résigné
Depuis toujours enfermé là
Et qui chante,
Qui chante
Son tout petit chant triste et doux et résigné,
Du fond de sa prison, pendant la nuit d'été.

Simone Ratel



- Jehan Rictus -

Jehan Rictus (1900-1948) ou plutôt Jehan-Rictus (1867-1933), est le pseudonyme sous lequel Gabriel Randon a publié ses oeuvres poétiques. Une histoire familiale de séparation et d'abandon le laisse, adolescent, livré à lui-même dans Paris, menant une vie de SDF.
Il écrit des poésies rimées en langage populaire. Elles seront éditées en 1897 sous le titre : Les Soliloques du pauvre.
D'autres recueils suivront (Doléances, les Cantilènes du malheur et surtout le Cœur populaire en 1914), ainsi qu'un roman et une pièce de théâtre.

lieucommun a supprimé à regret la dernière strophe de ce poème, qui a donné lieu à des interprétations trop douteuses. On n'aura aucun mal à retrouver le passage supprimé sur d'autres sites ...

Le Bel Enfant

Comme c’est doux, comme c’est beau
À voir
Le soir
Dans quelque modeste famille
Le « bel Enfant » qu’on déshabille
Petit gas ou petite fille
Avant qu’on le mette au dodo
Comme c’est doux, comme c’est beau.

Ce n’est peut-être pas au gré
D’un tas de « fabricants » de vers
Diseurs de riens cis’leurs de mots,
Bons rimeurs mais piètres poètes
Ce n’est peut-être pas assez
« Esthétique » ! ni « littéraire »
Mais c’est pourtant rudement beau.

« Petit Père » ayant tout le jour
Traqué la pièce de cent sous
Dans ce Paris cruel et fourbe
Ou bien, peiné sur des dossiers
Sous l’agressive surveillance
D’un « Chef » quinteux et tracassier
Voici, voici sa récompense...

On est à la fin du repas ;
On fume, on rêve, on boit, on cause
Quand l’Enfant se met à bâiller
(La salle à manger est bien close)
Nous allons le déshabiller
Devant l’Ami, le Familier...

La pudeur ne peut être en cause
(Il est si jeune, n’est-ce pas)...
Puis un bébé nu, c’est si beau.

Donc, la Maman le prend sur elle
(Baisers goulus, tendres querelles)
Et, sous le gaz ou l’abat-jour
À mon ravissement immense
L’ineffable labeur commence
Accompagné d’un chant d’amour.

— « Donne tes beaux « iers iers » mon Ange »
Docile, car ensommeillé
L’Enfant tend ses menus souliers
Et, partis les bas ou chaussettes,
Paraissent les deux petits pieds !

Ah ! les petons ! Ah ! les « papattes »
Ronds comm’ petites patates
Et gras comme oisillons plumés
(La bouche s’en montre affamée)
Chers petits pieds ; charmants « totos ».
Aussi Maman les mord et mange
Comme de bons petits gâteaux.

Puis, au reste de la toilette
Et voilà que les vives mains
Vont, viennent, volent, se propagent
Parcourent l’Enfant en tous sens
Le dépouillant des vêtements
Comme on délivre de ses feuilles
Un gros bouquet de fleurs des champs.

Alors, peu à peu s’en dégage
Le cou portant à sa naissance
Le beau collier d’ambre à gros grains
Vient, la suave épaule blanche
Que suit le beau petit bras rond
Au coude orné de sa fossette,
Le beau petit « bra-bras » dodu
Pénible à tirer de la manche...

Là, Mamans, j’admire Vos Mains
Vos Mains, savantes et légères
Lorsque, sans peur de le casser
Comme un bibelot d’étagères
Vous tripotez et pétrissez
Le Petit Animal Humain !

Et m’enivre du doux parler
Que forment vos tendres paroles
Ce « bébaiement » délicieux
Aux diminutifs gracieux
Analogue au babil créole !

Enfin, debout et soutenu
Près de ses mignonnes mamelles
Par les bonnes mains maternelles
Râblé, poli, frais, propre et beau
Voici l’Enfantelet tout nu
Potelé comme un angelot

Avec ses petits reins cambrés
Les fermes pommes de ses fesses
Ses doux membres cerclés de graisse
Son ventre et son pubis bombés
Comme c’est doux, comme c’est beau.

Et puis, avant qu’Elle lui passe
Sa longue chemise de nuit
Semblable aux Vierges des Églises
Qui présentent « l’Enfant Jésus »
Maman se levant, le ramasse
Et me l’apporte, bras tendus

Me l’apporte, me le confie
Sachant bien dans sa charité
Que les seuls « enfants » de ma Vie
Sont « Solitude » et « Pauvreté »

Et dit ces mots de bonne grâce :
« Maintenant qu’on est dévêtu,
Il faut aller dire : bonsoir
À notre ami « Jehan Rictus ».

Et voilà qu’autour de mon cou
Deux jolis bras d’amour se nouent
Voilà que près de mon oreille
Et dans ma barbe qu’elle effleure
Une bouchette en chair de fleur
Balbutiante de sommeil
Me souffle : « Bonsoir mon « ictus » !

Alors, je sens mon vieux cœur fondre
Comme une neige de Printemps
À peine si je puis répondre
À la caresse de l’Enfant.

(...)

Jehan Rictus, 1909

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Chanson de “Taote”

"De suis Taote, Taote, Taote !
Taote Jeanson y te plaît !
Ai pas t'ois z'ans, unique au monde
Et de suis blonde
Petite fille du Toleil.
De vais, de viens, pa'tout de trotte
De perds tout le temps ma “tulotte”
Que reboutonne Maminet,
Ô maminet, ma maminet
De suis Taote, Taote, Taote, Taote !
Ma mémée me dit - “Ma thérie !”
Mon papa me dit - “Mon coco !”
Ma maman me dit - “Viens Talotte !”
Papinet me dit - “Riquiqui !”
Maminet me dit - “Mon doudou !”
De suis Taote ! De suis Taote !
Tout est à moi au Tolombet !
Les poules, les palmiers, les plantes
Le zadin et le potager :
Même la voiture
De t'assure...
T'est vrai, n'est-ce pas maminet ?
De suis Taote ! de suis Taote !
Ô Maminet, ma Maminet !
Gade mes n'yeux bleuis-bleuets
Gade mon doli corps
fuselé et tout rondelet
Gade mes “feveux” d'or fizés
Gade mes minnes à fossettes
Gade mes petons sans “çaussettes”
Avec quoi de fais que danser
De suis Taote, Taote, Taote !
Qui me dorlote ? Qui me baigne ?
Qui me met de la bonne odeur ?
Qui me fait belle ? Qui me peigne ?
T'es Maminet, ma Maminet !
Quand d'ai du “çagrin” à gros coeur
Quand de me cogne ou que de tombe
T'est à Maminet que de cours...
La “bouce” en cris, les n'oeils en larmes
Mes petits bras raidis d'amour...
Et ma Maminet me “tonsole”
Et ma Maminet boit mes pleurs
De suis Taote, Taote, Taote !
Papinet me porte ou me gronde
Ou doue avec moi à “w'ou-w'ou”
Papi, Papi, t'est Papinet
De suis Taote, de suis Taote !
Les “ciens” ont mangé ma Poupée !
De leur ai donné la fessée...
Maminet a dit “T'est bien fait !”
T'est Maminet t'est la pus belle
T'est Papinet t'est le meilleur
De suis Taote, Taote, Taote !
Ô Maminet ! Ma Maminet
De suis Taote ! De suis Taote..
N'est à toi mon drand Petit coeur."

Jehan Rictus - Juillet 1927 - d’après Charlotte Jeanson, Sanary (Var)

La "chanson de Taote" est rapportée par Charlotte Langlois, à qui, enfant, elle faisait référence. Ce texte a été emprunté ici : , http://www.florilege.free.fr/jehan-rictus/poemes_divers.html#chanson_de__taote site où lieucommun a trouvé aussi la précision suivante : "Chant d’allégresse d’un bébé-fillette de trois ans, recueilli et mis en ordre par Jehan-Rictus
Observation : “Taote” vu son jeune âge, ne pouvait prononcer les C, les S, et les remplaçait par des T. Les J sont remplacés par des D."

crayon lieucommunLe langage enfantin

Il est naturellement celui de l'enfant débutant dans la vocalise, dont le lexique et la structuration s'enrichit, devançant l'articulation correcte.
Il est aussi celui des poètes qui ont, comme Jehan Rictus, imité et brodé à partir de phrases d'enfant.
On s'exercera à cet exercice, à l'exemple de Jehan Rictus, Norge ou Jean Tardieu (voir les paragraphes de ces auteurs).



- Madeleine Riffaud -

Madeleine Riffaud est née en 1924. Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a publié des romans et des poèmes.

Cheval bleu

J’avais un petit cheval bleu
Qui se promenait dans ma chambre
En liberté, crinière longue
Et des rayons sur ses sabots.

Il galopait sur le bureau,
Sur les bouquins de l’étagère.
Il galopait, tête levée
Sur la steppe blanche des draps.

Il vivait d’un reflet,
S’endormait chaque nuit
Dans le creux de mes mains
Comme font les oiseaux.

Madeleine Riffaud



1 novembre 2009

Rimbaud - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Arthur Rimbaud -

Arthur Rimbaud (1854-1891),  est-il trop connu pour être présenté ? Est-il ce "poète de sept ans" (il commence à publier à quinze ans) qui "s'en allait les poings dans (ses) poches trouées", ou bien l'ami fâché de Verlaine, ou encore cet aventurier perdu de vue en Éthiopie dans une seconde vie. Rimbaud est tout celà. Il reste le marginal pleine page des anthologies de poésie, icône toujours moderne de l'adolescence révoltée, en recherche d'espace et de liberté.

L'avant-dernière strophe du "Bateau ivre" pour le thème de l'enfance :

Le Bateau ivre

...

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

...

Arthur Rimbaud ("Poésies")

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L'enfance, celle des autres, la sienne, l'adolescence :

Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,

A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Grogne un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Quand pour quelque médianoche,
Façonné comme une brioche
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres Jésus pleins de givre,
Qu'ils sont là tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leurs prières
Et repliés vers ces lumières
Du ciel rouvert,

Si fort qu'ils crèvent leur culotte
Et que leur chemise tremblote
Au vent d'hiver.

Arthur Rimbaud ("Poésies")

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On propose en général aux élèves d'élémentaire le passage coloré en vert :

Les étrennes des orphelins

I

La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...

III

Votre cœur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien loin !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :

Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !

IV

Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !

Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...

L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...

La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !

Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : " Quand donc reviendra notre mère ? "

V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !

Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...

Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire ...
On dirait qu'une fée a passé dans cela ! ...
Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...

Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : " à notre mère" ! 

Arthur Rimbaud ("Poésies")

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Les poètes de sept ans

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son oeil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile !

Arthur Rimbaud ("Poésies")

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Ma bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Arthur Rimbaud ("Poésies")

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Roman

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière ...

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche ...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête ...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête ...

III

Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père ...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif ...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines *...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire ! ...

- Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

* une cavatine est une courte partie mineure chantée, terminant un passage vocal, dans un opéra ou un oratorio. Ici, par extension, ce terme est plutôt péjoratif et désigne sans doute un morceau d'une romance populaire, chantonné.

Arthur Rimbaud ("Poésies")



 

1 novembre 2009

Rocard, Roman - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Ann Rocard -

Ann Rocard est née en 1954. On découvrira ses poèmes et ses nombreuses activités sur son site, ici : http://www.annrocard.com/ 

Bien au chaud

Dans ma maison, bien au chaud,
je vois le jour qui s'enfuit
et les étoiles là-haut
qui s'allument dans la nuit.
J'entends le vent qui s'élance
entre les tuiles du toit
et les grands arbres qui dansent
à la lisière du bois.
Chez moi, je suis à l'abri.
Je bois un bon lait bouillant.
Je n'ai pas peur de la pluie,
de l'hiver et du grand vent.

Ann Rocard



- André Rochedy -

André Rochedy (1942-2006), professeur de lettres et poète, est l'auteur de nombreux recueils de poèmes.

Quelques titres : Fils du Soleil, L’arbre à paroles, 1991 ; L’homme descend du songe, L’arbre à paroles, 1992 ; Dans la mémoire du jour, L’arbre à paroles, 1995 ; Dans la main du vent, suivi de L’ange la nuit, Voix d’encre, 1999 ; Ma maison, c’est la nuit, Cheyne, 2002, illustration de Martine Mellinette.

Dans la gorge des oiseaux ...

Dans la gorge des oiseaux
il y a des mots
qui roulent
rouges et doux
comme des soleils
d'extrême-enfance.

André Rochedy ("Descendre au jardin", Cheyne éditeur, 1987)

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Pour grandir ...

Pour grandir
il faut faire un vœu
disait le nain
en décrochant l’étoile.
 
Pour grandir
il ne faut pas se faire vieux.

André Rochedy ("Descendre au jardin", Cheyne éditeur, 1987)

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Pour entrer dans l'arche de Noé

Pour entrer dans l'arche de Noé
toutes les bêtes
ont montré patte blanche
la brebis galeuse
le canard boiteux
l'oie blanche et la poule mouillée
deux chiens de faïence
un tigre de papier
l'anguille sous roche
le coq de clocher
le dindon de la farce
la vache à lait
le rat de bibliothèque
le chat échaudé
la fine mouche, l'âne bâté
le bouc émissaire
et l'ours mal léché
le veau d'eau et la vache espagnole
le vieux loup de mer
et l'agneau de lait
l'oiseau de malheur
- un drôle d'oiseau -
ma bête noire
la bête à manger du foin
la bête comme ses pieds
et un paysan du Danube
monté sur ses grands chevaux
suivant
un mouton de Panurge.

André Rochedy ("Bêtes à rire et à pleurer", Magnard, 1984 et Anthologie de André Rochedy et Lionel Andeler - 2001)



- Ghislaine Roman -

Ghislaine Roman, enseignante en élémentaire et auteure contemporaine pour les enfants a publié des albums ("Le parapluie volant", "Tukaï, l'enfant sorcier "...) et des recueils poétiques ("Le livre des peut-être", "Le livre des si"), tous aux éditions Milan.

Les Editions Milan nous ayant signalé que nous avions présenté "Le Livre des Peut-être" dans son intégralité, nous rectifions cette erreur avec uniquement la mise en ligne de courts extraits des deux ouvrages :
 

Si (il s'agit d'un extrait du poème)

Si les girafes savaient tricoter,
il leur faudrait dix ans pour faire un cache-nez.
Si la mer était sucrée,
les icebergs seraient des sorbets.
Si les mille-pattes portaient des souliers,
ils passeraient leur nuit à les cirer.
Si on mettait des pierres dans les sabliers,
est-ce que ça empêcherait le temps de passer ?

...

Ghislaine Roman ("Le livre des si", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2004)

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Peut-être (passages)

Peut-être que les clowns ont de grandes chaussures
parce qu’ils ont de grands pieds
.
[...]
Peut-être que les abeilles font du miel
parce qu’elles ne savent pas faire du chocolat.
Peut-être que les moutons portent de la laine
parce qu’ils sont allergiques au coton.
[...]
Peut-être que les zèbres sont rayés
parce qu’ils n’aiment pas les carreaux

[...]
Peut-être que les sorcières chevauchent des balais
parce qu’elles n’ont jamais entendu parler des aspirateurs.

[...]
Peut-être que les lions sont mal coiffés
parce qu’ils font peur aux coiffeurs..


Ghislaine Roman ("Le livre des peut-être", illustrations de Tom Schamp - éditions Milan, 2003)

fille_verte_cr_ation__PP10À la manière de Ghislaine Roman : "Si ..." et "Peut-être ..."

Plusieurs poèmes d'autres auteurs sont présentés sur le blog ou ailleurs, pour la production de textes conditionnels avec "Si" (voir Jean-Luc Moreau dans la catégorie l'humour des poètes). Quelques pistes :

De la GS au CM2 dans cette circonscription, on s'est amusé avec "peut-être" (lien non cliquable) :
http://www.ac-amiens.fr/inspections/80/montdidier/ecoles/ecoles.htm
Encore une expérience illustrée ici
(lien non cliquable) :
http://sites86.ac-poitiers.fr/buxerolles-planty/spip.php?article159
L'IEN de Gennevilliers propose, une fiche détaillée pour l'exploitation en classe de ce texte, en vue de la production d'écrit poétique. Le pdf en lien direct cliquable est ici :
http://www.ien-gennevilliers.ac-versailles.fr/IMG/pdf/le_livre_des_peut-etre.pdf



1 novembre 2009

Ronsard - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Pierre de Ronsard -

Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".


L'Amour piqué par une abeille

Le petit enfant Amour
Cueillait des fleurs à l'entour
D'une ruche, où les avettes
Font leurs petites logettes.

Comme il les allait cueillant,
Une avette sommeillant
Dans le fond d'une fleurette
Lui piqua la main douillette.

Sitôt que piqué se vit,
"Ah, je suis perdu !" ce dit,
Et, s'en courant vers sa mère,
Lui montra sa plaie amère ;

" Ma mère, voyez ma main,
Ce disait Amour, tout plein
De pleurs, voyez quelle enflure
M'a fait une égratignure !"

Alors Vénus se sourit
Et en le baisant le prit,
Puis sa main lui a soufflée
Pour guérir sa plaie enflée.

"Qui t'a, dis-moi, faux garçon,
Blessé de telle façon ?
Sont-ce mes Grâces riantes,
De leurs aiguilles poignantes ?

- Nenni, c'est un serpenteau,
Qui vole au printemps nouveau
Avecques deux ailerettes
Ça et là sur les fleurettes.

- Ah ! vraiment je le connois,
Dit Vénus ; les villageois
De la montagne d'Hymette
Le surnomment Mélissette.

Si doncques un animal
Si petit fait tant de mal,
Quand son alène époinçonne
La main de quelque personne,

Combien fais-tu de douleur,
Au prix de lui, dans le coeur
De celui en qui tu jettes
Tes amoureuses sagettes ?"

Pierre de Ronsard ("Odes", livre IV, 1550)

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