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1 novembre 2009

Sicaud (Sabine) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

Les poésies de Sabine Sicaud (1913-1928) sont celles d'une enfant et d'une adolescente. Sa vie s'est arrêtée là ...

Aussi a-t-elle dans cette catégorie "ENFANCES" une place particulière

source Wikipedia : Sabine Sicaud est née et morte à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.
Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, avant de mourir à l'âge de 15 ans, elle écrit :

"Aux médecins qui viennent me voir :
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ses poisons de fakir, vert et or..."

Postée en commentaire, cette info : "On peut lire tous les poèmes de Sabine Sicaud et une foule de documents concernant son oeuvre poétique sur ce nouveau site" :
http://www.sabinesicaud.com

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Le chemin de l’amour

Amour, mon cher amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d’accent, de cœur et d’âge
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles,
De la nuit, de la mer, des îles sans escales.
Je ne crains rien si tu m’as reconnue
Mon amour, de bien loin, pour toi je suis venue.
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t’avais-je perdue ? Dans quelle vie ?
Et qu’oserait le ciel contre nous maintenant ?

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Les trois chansons

Entends la chanson de l'eau...
Comme il pleut, comme il pleut vite !
Il semble que des grelots
Dans la gouttière s'agitent.

A l'abri dans ton dodo
Entends la chanson de l'eau !

Entends la chanson du vent...
Comme les branches s'agitent !
Les nids d'oiseaux, bien souvent,
Sont bercés, bercés trop vite.

A l'abri des rideaux blancs
Entends la chanson du vent.

Entends la chanson du feu...
Comme les flammes s'agitent
Le feu jaune, rouge et bleu
Pour te chauffer brûle vite.

Quand tes yeux clignent un peu,
Entends la chanson du feu.

Ecoute les trois chansons
Qui se font toutes petites
Et douces comme un ronron
Pour que tu dormes plus vite.

Si tu veux, bébé, dormons
Au bruit léger des chansons.

Sabine Sicaud ("Poèmes d'enfant" - Les Cahiers de France, 1926) et "Premiers poèmes" ainsi que "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La vieille femme de la lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort ... Nous fermerons les yeux à double tour ...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Sabine Sicaud ("Premiers poèmes" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.

Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends, comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet ...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ?  Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être ...

Sabine Sicaud ("Douleur, je vous déteste" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La chanson du soleil (ou "Vassili")

N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil.

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958) - Poème trouvé dans un de ses cahiers, après sa disparition.



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1 novembre 2009

Souchon - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Alain Souchon -

Alain Souchon (né en 1944) est un auteur-compositeur-interprète français et suisse. Certaines musiques de ses chansons sont l'œuvre de Laurent Voulzy, autre interprète pour qui il a également écrit des textes. Alain Souchon est aussi acteur de cinéma : on n'a pas oublié le personnage lunaire de "Pin-Pon"dans "L'été meurtrier", avec Isabelle Adjani (film de Jean Becker, 1983).

Son site (officiel) est ici : http://www.alainsouchon.net/

Allô Maman bobo

J’marche tout seul le long d’la ligne de ch’min d’fer
Dans ma tête y a pas d’affaire
J’donne des coups d’pied dans une p’tite boîte en fer
Dans ma tête y a rien à faire
J’suis mal en campagne et mal en ville
Peut-être un p’tit peu trop fragile

Allô Maman bobo
Maman comment tu m’as fait j’suis pas beau
Allô Maman bobo
Allô Maman bobo

J’traine fumée, j’me r’trouve avec mal au cœur
J’ai vomi tout mon quatre-heures
Fêtes, nuits folles, avec les gens qu’ont du bol
Maint’nant qu’j’fais du music hall
J’suis mal à la scène et mal en ville
Peut-être un p’tit peu trop fragile


Allô Maman bobo ...

Moi j’voulais les sorties d’port à la voile
La nuit barrer les étoiles
Moi les ch’vaux, l’révolver et l’chapeau d’clown
La belle Peggy du saloon
J’suis mal en homme dur
Et mal en p’tit cœur
Peut-être un p’tit peu trop rêveur

Allô Maman bobo ...

J’marche tout seul le long d’la ligne de ch’min d’fer
Dans ma tête y a pas d’affaire
J’donne des coups d’pied dans une p’tite boîte en fer
Dans ma tête y a rien à faire
J’suis mal en campagne et mal en ville
Peut-être un p’tit peu trop fragile

Allô Maman bobo ...

Alain Souchon, musique de Laurent Voulzy  (album "Jamais content", 1977)

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J’ai dix ans

J’ai dix ans
Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans
Laissez-moi rever que j’ai dix ans
Ça fait bientot quinze ans que j’ai dix ans
Ça parait bizarre mais
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré

J’ai dix ans
Je vais a l’école et j’entends
De belles paroles doucement
Moi je rigole, cerf-volant
Je reve, je vole
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré

Le mercredi je m’balade
Une paille dans ma limonade
Je vais embeter les quilles a la vanille
Et les gars en chocolat

J’ai dix ans
Je vis dans des spheres ou les grands
N’ont rien à faire, je vois souvent
Dans des montgolfieres des géants
Et des petits hommes verts
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré

J’ai dix ans
Des billes plein les poches, j’ai dix ans
Les filles c’est des cloches, j’ai dix ans
Laissez-moi rever que j’ai dix ans
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré

Bien cache dans ma cabane
Je suis l’roi d’la sarbacane
J’envoie des chewing-gums maches à tous les vents
J’ai des prix chez le marchand

J’ai dix ans
Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans
Laissez-moi rever que j’ai dix ans
Ça fait bientot quinze ans que j’ai dix ans
Ça parait bizarre mais
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré

Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré
Si tu m’crois pas
T’ar ta gueule
A la récré
T’ar ta gueule ...

Alain Souchon, musique de Laurent Voulzy  (album "J'ai dix ans", 1974)



1 novembre 2009

Soupault - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Philippe Soupault -

Philippe Soupault (1897-1990) est un poète et romancier surréaliste . Il a appartenu au mouvement Dada (voir André Breton). Il est l'auteur avec André Breton du premeir grand texte surréaliste : Les Champs magnétiques, et tout comme Breton, il s'est éloigné du Mouvement surréaliste qu'il avait contribué à fonder.

L'enfance, l'école, et donc la grammaire :

Grammaire

Peut-être et toujours peut-être
adverbes que vous m'ennuyez
avec vos presque et presque pas
quand fleurissent les apostrophes

Et vous points et virgules
qui grouillez dans les viviers
où nagent les subjonctifs
je vous empaquette vous ficelle

Soyez maudits paragraphes
pour que les prophéties s'accomplissent
bâtards honteux des grammairiens
et mauvais joueurs de syntaxe

Sucez vos impératifs
et laissez-nous dormir
une bonne fois
c'est la nuit
et la canicule

Philippe Soupault  ("Poésies complètes" - Éditions Guy Levis Mano, 1937 )

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livre_Soupault_po_sies_GrassetEn cadence

Tout est gâché

Tout est perdu
Tout est gagné
Tout est foutu
Tout est en tout
et tout et tout

Tout est à vous
Tout est à nous
Tout est à tous
Tout est à tout
Tout est en tout
et tout et tout

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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Ah bien c'est du joli

Je vous l'avais bien dit Ah
C'est bien de votre faute Ah
Bien la peine de faire le malin Ah
Vous l'avez bien cherché Ah
Ça vous fera une belle jambe Ah
Vous voilà dans de beaux draps Ah
Maintenant vous êtes bien avancé Ah
Je vous fais bien mes compliments Ah
Vous parlez d'une belle réussite Ah
En effet voilà du beau travail Ah
Vous êtes un joli monsieur Ah
Il y a bien de quoi se vanter Ah
Vous avez fait un joli coup Ah
Et tout est bien qui finit bien Ah

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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Du jour au lendemain

Un coq rn'a dit
c'est l'aurore
Un mouton m'a dit
c'est enfin le matin
Un éléphant m'a dit
il est bientôt midi
Les pintades m'ont dit
il faut travailler travailler
Les hirondelles m'ont annoncé
c'est le soir puis la nuit
et mon enfant m'a dit
Bonsoir et bonne nuit
Il est temps de dormir
 

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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Pleine Lune

J’ai ouvert  ma fenêtre
et la lune m’a souri
J’ai fermé  ma fenêtre
et j’ai entendu un cri
J’ai ouvert ma fenêtre
pour voir tomber la pluie
Et comme c’était dimanche
je me suis rendormi

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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C'est vrai

Sept veaux
c'est peu
Sept œufs
c'est beaucoup
Mille huit cent quatre-vingt-douze
c'est sec
Mille huit cent quatre-vingt-dix-sept
c'est trop
Pomme poire et pendulette
c'est émouvant
Rien n'égale la satinette
c'est évident
N'essayez-pas de m'arrêter
c'est décidé
La lune l'orage et le poirier
c'est lune

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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C'est demain dimanche

Il faut apprendre à sourire
Même quand le temps est gris.
Pourquoi pleurer aujourd'hui
Quand le soleil brille ?
C'est demain la fête des amis
Des grenouilles et des oiseaux
Des champignons des escargots
N'oublions pas les insectes
Les mouches et les coccinelles.
Et tout à l'heure à midi
J'attendrai l'arc-en-ciel
Violet indigo bleu vert
Jaune orange et rouge
Et nous jouerons à la marelle

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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livre_disque_Soupault

Pour Alice

Est-ce un oiseau qui aboie
une lampe qui fume
cet enfant qui verdoie

C'est un lapin qui chante
un homme qui rit
un prêté pour un rendu

Alice ma fille ma plume
jouons enfin au plus fin
au jugé à la tartelette

Il faut nous donner la main
les lunettes sur nos cheveux
et les cheveux sur nos lunettes

Philippe Soupault  ("Chansons" -  Éditions Eynard, 1949) L'image représente la pochette du 33 tours ("Suite pour un jeune poète n°1") interprété par Hélène Martin, dans lequel entre-autres poèmes de Philippe Soupault, on trouve "Chassé-croisé" et "Pour Alice".

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Mélancolie

Mélancolie Mélancolie
quel joli nom pour une jeune fille
Neurasthénie Neurasthénie
quel vilain nom pour une vieille fille

Je cherche un nom pour un garçon
un nom d'emprunt un nom de guerre
pour la prochaine et la dernière
pour la dernière des dernières

Esprit, peut-être Agénor
ou Singulier ou Dominique
un nom à coucher dehors
au temps des bombes atomiques

Mais je préfère Nuit
pour celle que j'aime et chéris
Nuit brune, nuit douce
Nuit claire comme eau de source

Philippe Soupault  (Philippe Soupault "Chansons" -  Éditions Eynard, 1949 et "Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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Chassé-croisé

Un certain monsieur
Loup, Pou ou Hibou
Une jolie demoiselle
Est-elle Cruelle ou Hirondelle
Un gentil petit garçon
Guy, Gontran ou Gaston
Un roquet nauséabond
Dick, Médor ou Azor
Un affreux gros matou
Pompon, Minet ou Minou
Un stupide canari
Serin, Coco ou Kiki
Tous ensemble
Devant la fenêtre
Quand s’épanouit
Le crépuscule.
Ne vous croyez pas
Plus malins
Que vous n’êtes.

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)

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Chanson du rémouleur

Donnez-moi je vous prie
Vos ciseaux
Vos couteaux
Vos sabots
Vos bateaux
Donnez-moi tout je vous prie
Je rémoule et je scie.   

Donnez-moi je vous prie
Vos cisailles
Vos tenailles
Vos ferrailles
Vos canailles
Donnez-moi tout je vous prie
Je rémoule et je scie.   

Donnez-moi je vous prie
Vos fusils
Vos habits
Vos tapis
Vos ennuis
Je rémoule et je fuis.

Philippe Soupault  ("Poèmes et poésies" - Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges, 1987)a

logo_cr_ation_po_tique Poèmes à la manière de "Donnez-moi je vous prie ..." 

Des exemples de création à partir de ce texte en classe de CM1 à cette adresse :
http://pagesperso-orange.fr/pluneret/poetes_parmi_nous.htm
et en collège à celle-ci :
http://lemonteil.free.fr/ressources/francais/poemes6eme/explicationpoemes.html
(ces liens directs s'ouvrent désormais dans une nouvelle fenêtre - merci Canalblog !)



1 novembre 2009

Spède - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

Lucie Spède est née en 1936. C'est une poétesse belge de langue française.

Quelques recueils : Volte-face, 1973 ; Inventaire, 1974 ; Comme on plonge en la mer, 1984 -  ; Chansons de l'oiseau, 1993 ; J'ados, 2002 ...

"Tu penses que la vie est grise,
Mais ce sont tes lunettes qui sont sales".

Lucie Spède

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Définition

 L'humour ?
C'est l'humeur
qui devient jaune soleil
les yeux
qui se font champagne
le visage
qui se fend d'un sourire
les poumons
qui ouvrent leurs pétales
la voix
qui cascade son rire.
C'est un regard
un mot
un dessin
une musique
en tenues de fête
une façon
de porter en toutes saisons
ses lunettes solaires
pour regarder
la vie
.

Lucie Spède 

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Le mille-pattes

 Un mille-pattes à un mariage invité
n'y est jamais arrivé
car il n'a pas pu achever
de lacer tous ses souliers.

Lucie Spède

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Oh dodo

L'édredon
et ron et ron
est le bidon
dodu et rebondi
du lit.

Lucie Spède

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Météo

Les escargots
sont de sortie :
sortons nos parapluies.
Les limaces
sont sur le chemin :
ouvrons larges nos pépins.

Lucie Spède (dans "L'almanach de la poésie", anthologie rassemblée par Jacques Charpentreau - Éditions Ouvrières, 1983)

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Le monde à l'envers

Un jour où je dormais les yeux ouverts,
J'ai rêvé qu’après un grand tremblement de mer,
Le monde entier fonctionnait à l'envers,
Les Esquimaux se retrouvèrent en paréos et
Les Hawaïens dans des igloos,
Les libellules rampaient comme des limaces,
Les tortues fendaient l'air de leur carapace,
Les escargots filaient à toutes pattes et
Les zèbres pesants laissaient passer les mille-pattes,
Les poissons perchaient dans les bois,
Les oiseaux nageant chantaient sous l'eau à pleine voix,
Les crabes marchaient droit,
Les arbres plantaient leurs racines dans l'espace,
Les nuages se roulaient dans la mer et
Les vagues bruissaient dans le ciel,
Et moi, je marchais à travers tout cela,
La tête en bas, et tout émerveillée,
Je souriais de tous mes orteils.

Lucie Spède



1 novembre 2009

Tardieu - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Jean Tardieu -

Jean Tardieu (1903-1995), est un écrivain français né dans le Jura, poète, auteur de théâtre et romancier.

On trouvera ici, sur lieucommun, une présentation biographique et des textes, à l'occasion du Printemps des Poètes 2009, qui lui a rendu hommage :

http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_poetes_2009___jean_tardieu/index.html

La plupart des textes proposés ci-dessous sont extraits de "Monsieur monsieur" paru initialement en 1951 chez Gallimard. Pour des questions de droits d'auteur, le choix est limité. On se reportera aux anthologies et aux recueils de Jean Tardieu

Un passage du texte ci-dessous a été supprimé pour les élèves: [...]

Les difficultés essentielles

Monsieur met ses chaussures
Monsieur les lui retire,

Monsieur met sa culotte
Monsieur la lui déchire,

Monsieur met sa chemise
Monsieur met ses bretelles
Monsieur met son veston
Monsieur met ses chaussures :
au fur et à mesure
Monsieur les fait valser.

Quand Monsieur se promène
Monsieur reste au logis

quand Monsieur est ici
Monsieur n'est jamais là

[...]

s'il part pour la forêt
c'est qu'il s'installe en ville,

lorsqu'il reste tranquille
c'est qu'il est inquiet

il dort quand il s'éveille,
il pleure quand il rit

au lever du soleil
voici venir la nuit ;

Vrai ! c'est vertigineux
de le voir coup sur coup
tantôt seul tantôt deux
levé couché levé
debout assis debout!

Il ôte son chapeau
il remet son chapeau
chapeau pas de chapeau
pas de chapeau chapeau
et jamais de repos.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

crayon lieucommunÀ la manière de Monsieur monsieur : On peut reprendre cette structure en imaginant d'autres péripéties pour le duo Monsieur monsieur. Les noms des personnages  pourront être adaptés aux situations. Voir aussi "Toujours et Jamais", de Paul Vincensini, sur le blog.
Et appréciez dans un CM1, (cliquer ici) le travail de création poétique à partir du poème de Jean Tardieu

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Monsieur interroge Monsieur (extrait, trois strophes ont été coupées : [...])

Monsieur pardonnez-moi
de vous importuner
quel bizarre chapeau
vous avez sur la tête !

- Monsieur vous vous trompez
car je n'ai plus de tête
comment voulez-vous donc
que je porte un chapeau !

- Et quel est cet habit
dont vous êtes vêtu ?

- Monsieur je le regrette
mais je n'ai plus de corps
et n'ayant plus de corps
je ne mets plus d'habit

- Pourtant lorsque je parle
Monsieur vous répondez
et cela m'encourage
à vous interroger :
Monsieur quels sont ces gens
que je vois rassemblés
et qui semblent attendre
avant de s'avancer ?

- Monsieur ce sont des arbres
dans une plaine immense
Ils ne peuvent bouger
car ils sont attachés

Monsieur Monsieur Monsieur
au-dessus de nos têtes
Quels sont ces yeux nombreux
qui dans la nuit regardent ?

- Monsieur ce sont des astres
Ils tournent sur eux-même
et ne regardent rien

[...]

- Monsieur soudain ceci
soudain ceci m'étonne
Il n'y a plus personne
pourtant moi je vous parle
et vous vous m'entendez
puisque vous répondez !

- Monsieur ce sont les choses
qui ne voient ni entendent
mais qui voudraient entendre
et qui voudraient parler

- Monsieur à travers tout
quelles sont ces images
tantôt en liberté
et tantôt enfermées
Cette énorme pensée
Où des figures passent
Où brillent des couleurs ?

- Monsieur c'était l'espace
et l'espace
se meurt

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Voyage avec Monsieur Monsieur

Avec Monsieur Monsieur
je m'en vais en voyage.
Bien qu'ils n'existent pas
je porte leurs bagages.
Je suis seul et ils sont deux.

Lorsque le train démarre
je vois sur leur visage
la satisfaction
de rester immobile
quand tout fuit autour d'eux.

Comme ils sont face à face
chacun a ses raisons.
L'un dit : les choses viennent
et l'autre : elles s'en vont;
quand le train les dépasse
est-ce que les maisons
subsistent ou s'effacent ?
moi je dis qu'après nous
ne reste rien du tout.

Voyez comme vous êtes !
lui répond le premier,
pour vous rien ne s'arrête
moi je vois l'horizon
de champs et de villages
longuement persister.
Nous sommes le passage
nous sommes la fumée ...

C'est ainsi qu'ils devisent
et la discussion
devient si difficile
qu'ils perdent la raison.
Alors le train s'arrête
avec le paysage
alors tout se confond.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Le tombeau de Monsieur Monsieur

Dans un silence épais
Monsieur et Monsieur parlent
c'est comme si Personne
avec Rien dialoguait.

L'un dit : Quand vient la mort
pour chacun d'entre nous
c'est comme si personne
n'avait jamais été.
Aussitôt disparu
qui vous dit que je fus ?

- Monsieur, répond Monsieur,
plus loin que vous j'irai :
aujourd'hui ou jamais
je ne sais si j'étais.
Le temps marche si vite
qu'au moment où je parle
(indicatif-présent)
je ne suis déjà plus
ce que j'étais avant.
Si je parle au passé
ce n'est pas même assez
il faudrait je le sens
l'indicatif-néant.

- C'est vrai, reprend Monsieur,
sur ce mode inconnu
je conterai ma vie
notre vie à tous deux :
À nous les souvenirs !
Nous ne sommes pas nés
nous n'avons pas grandi
nous n'avons pas rêvé
nous n'avons pas dormi
nous n'avons pas mangé
nous n'avons pas aimé.

Nous ne sommes personne
et rien n'est arrivé.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Jean Tardieu donne des indications pour la diction théâtrale de ses textes, petites saynètes comiques aux dialogues décalés, autour de l'identité, quand il faut trouver sa place entre l'interrogation sur le néant et le dérisoire de l'existence.
Les indications de l'auteur sont portées sous le titre en italique.

Les erreurs
(La première voix est posée, polie, maniérée et prétentieuse; l’autre est rauque, méchante et dure.)

Je suis ravi de vous voir
bel enfant vêtu de noir.

- Je ne suis pas un enfant
je suis un gros éléphant.

Quelle est cette femme exquise
qui savoure des cerises ?

- C’est un marchand de charbon
qui s’achète du savon.

Ah! que j’aime entendre à l’aube
roucouler cette colombe !

- C’est un ivrogne qui boit
dans sa chambre sous le toit.

Mets ta main dans ma main tendre
je t’aime ô ma fiancée!

- Je n’suis point vot’ fiancée
je suis vieille et j’suis pressée
laissez-moi passer !

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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La môme néant
(Voix de marionnette, voix de fausset, aiguë, nasillarde, cassée, cassante, caquetante, édentée.)

Quoi qu’a dit* ?
- A dit rin.

Quoi qu’a fait ?
- A fait rin.

A quoi qu’a pense ?
- A pense à rin.

Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?

- A’xiste pas.

* Qu'est-ce qu'elle dit ? - Elle ne dit rien.
Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

On peut écouter ici l'auteur disant "La môme néant" : http://www.koikadit.net/Accueil/mmntacc.html

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Conversation
(sur le pas de la porte, avec bonhomie)

Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte.

Et les volcans ?
- Ça mijote.

Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.

Et le temps
- Ça se déroule.

Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Conseils donnés par une sorcière
(À voix basse , avec un air épouvanté, à l’oreille du lecteur.)

Retenez vous de rire
dans le petit matin !

N’écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins !

Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu’après minuit sonné !

À la neige, à la pluie
ne tendez pas la main !

N’ouvrez votre fenêtre
qu’aux petites planètes
que vous connaissez bien !

Confidence pour confidence :
vous qui venez me consulter,
méfiance, méfiance !
On ne sait pas ce qui peut arriver.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Le dilemme

J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.

J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.

Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !

Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Rengaine à pleurer (extrait : [...])
(Résigné mais clairvoyant)

J'ai beaucoup appris
et tout entendu
je n'ai rien compris
et rien retenu.

J'avais entrepris
j'avais entendu
je m'étais perdu
je m'étais repris
puis j'ai tout perdu.

[...]

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Comptine
(Voix d'enfant, zézaiement recommandé)

J'avais une vache
elle est au salon

J'avais une rose
elle est en chemise
et en pantalon

J'avais un cheval
il cuit dans la soupe
dans le court-bouillon

J'avais une lampe
le ciel me l'a prise
pour les nuits sans lune

J'avais un soleil
il n'a plus de feu
je n'y vois plus goutte
je cherche ma route
comme un malheureux.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Chœur d'enfants
(À tue-tête et très scandé.)

Tout ça qui a commencé
il faut bien que ça finisse :

la maison zon sous l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.

Ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse :
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
an-ci-en-nes vérités.

Moralité.

Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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Le poème qui suit est donné en texte intégral, orthographe (majuscules) et ponctuation originales :

La place de la Concorde 

Il n’y avait ce jour-là
il n’y avait ce jour-là
que deux personnes dans Paris
dans Paris
un petit monsieur à Montmartre
une petite dame à Montsouris
à Montsouris.

Du sud au nord du nord au sud
de bon matin ils sont partis
sont partis
sur la place de la concorde
sur la place de la concorde
ils se sont rencontrés à midi
à midi.

Bonjour Monsieur bonjour Madame
bonjour Madame bonjour Monsieur
ah je vois bien dit-il dit-elle
c’est pour ça que nous étions partis
étions partis.

Mais nom de nom dit-il dit-elle
mais où sont donc les habitants ?
les habitants ?
Elle lui répond il lui répond :
chacun mon bon chacun ma belle
chacun croit qu’il n’y a personne
sinon l’amour de lui pour elle
sinon l’amour d’elle pour lui,
d’elle pour lui.

C’est ainsi mon bon ma belle
c’est ainsi ma belle mon bon
c’est ainsi qu’il n’y a personne
c’est ainsi qu’on est des millions
des millions.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

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L’éternel enfant

Grand plaisir grand merci
Merci mille fois merci
A bientôt Mais non Mais si
Ce n’est rien je vous en prie.

A Dimanche à Lundi
A Mardi à Mercredi
C’est cela: plutôt Vendredi
Le matin, je veux dire à midi
Dès l’aurore avant la nuit.

Sans façon c’est par ici
Trop aimable. Bonne nuit.

Jean Tardieu ("Formeries", au chapitre Les beaux métiers - éditions Gallimard, 1976)

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Étude de voix d'enfant

Les maison* y sont là
les deux pieds sous la porte
tu les vois les maisons ?

Les pavé y sont là
les souliers de la pluie
y sont noirs mais y brillent.

Tout le monde il est là
le marchand le passant
le parent le zenfant
le méchant le zagent.

Les auto fait vou-hou
le métro fait rraou
et le nuage, y passe
et le soleil, y dort.

Tout le monde il est là
comme les autres jours
mais c'est un autre jour
c'est une autre lumière :

aujourd'hui c'est hier.

* orthographe originale
Jean Tardieu ("Monsieur monsieur",  Gallimard 1951)

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Récatonpilu ou Le Jeu du poulet
Pour Nicolas

Si tu veux apprendre
des mots inconnus,
récapitulons,
récatonpilu.

Si tu veux connaître
des jeux imprévus,
locomotivons,
locomotivu.

Mais les jeux parfaits
sont les plus connus :
jouons au poulet.

Je suis le renard
je cours après toi
plus loin que ma vie.

Comme tu vas vite !
Si je m'essoufflais !
Si je m'arrêtais !

Jean Tardieu ("Comme ceci, comme cela" - Gallimard, 1979)

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Au conditionnel 

Si je savais écrire je saurais dessiner
Si j'avais un verre d'eau je le ferais geler
et je le conserverais sous verre
Si on me donnait une motte de beurre je
la ferais couler en bronze
Si j'avais trois mains je ne saurais où
donner de la tête
Si les plumes s'envolaient si la neige fondait
si les regards se perdaient, je
leur mettrais du plomb dans l'aile
Si je marchais toujours tout droit devant
moi, au lieu de faire le tour du
globe j'irais jusqu'à Sirius et
au-delà
Si je mangeais trop de pommes de terre je
les ferais germer sur mon cadavre
Si je sortais par la porte je rentrerais
par la fenêtre
Si j'avalais un sabre je demanderais
un grand bol de Rouge
Si j'avais une poignée de clous je les
enfoncerais dans ma main
gauche avec ma main
droite et vice versa.

Si je partais sans me retourner, je
me perdrais bientôt de vue.


Jean Tardieu ("Comme ceci, comme cela" - Gallimard, 1979)
La rare ponctuation et les retours à la ligne sont ceux de l'original. Dans le texte imprimé, Les vers commençant par "Si" sont alignés à la marge gauche, et tous les autres ont un alignement décalé d'une quinzaine de signes. Cette présentation n'est pas respectée ici, par difficulté technique

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"Chat et chatte, heureux comme des rois,
Regardent leur petit qui boit,
Une fois trois, trois."

En 1947, Jean Tardieu publie un premier recueil destiné particulièrement aux enfants : "Il était une fois, deux fois, trois fois ... ou La table de multiplication en vers" (Gallimard), illustré par Élie Lascaux, dans lequel on trouve mise en scène, la table de multiplication. Extrait :

Les aventures d’une famille de chats

Le chat brun, dans le salon
A beau tourner en rond,
Ça ne fait qu’un seul chat brun,
Une fois un, un.

Le chat fait la grimace,
Car il est furieux
De voir un autre chat dans la glace !
Une fois deux, deux.

Chat et chatte, heureux comme des rois,
Regardent leur petit qui boit,
Une fois trois, trois.

Les chats font semblant de se battre
Une fois quatre, quatre…

Puis, grimpés sur le toit de zinc,
Une fois cinq, cinq.

Ils pourchassent les souris,
Une fois six, six.

Et sautent après les alouettes,
Une fois sept, sept…

Sur le toit, ils passent la nuit,
Une fois huit, huit…

Alors que leur bon lit d’étoffes,
Une fois neuf, neuf,

En bas, les attend chez Clarisse,
Une fois dix, dix.

Jean Tardieu ("Il était une fois, deux fois, trois fois ... - Gallimard, 1947)

Cette "table de multiplication en vers" a été rééditée en collection Folio Cadet Gallimard (1991), puis dans la collection "Enfance en poésie" sous le titre "Je m'amuse en rimant", avec des illustrations modernisées...
En Gallimard-Jeunesse est paru un deuxième ouvrage sous le même titre, "Je m'amuse en rimant" (1992), sous-titré "Au chiffre des grands hommes", il ne contient pas la table de multiplication, mais un inédit, "Petit voyage autour des capitales", et diverses reprises, ainsi que des jeux de rimes.

Voici un autre passage de cette "table de multiplication" :

La nièce attentionnée

Séraphine dans sa main
Tient quatre fleurs du jardin
Qu'elle a cueillies à quatre pattes
Quatre fois un quatre

Va au marché, choisit des truites
Quatre fois deux huit

Qu'elle pose dans sa blouse
Quatre fois trois douze

Achète un panier de fraises
Quatre fois quatre seize

Une bouteille de vin
Quatre fois cinq vingt

Un cornet de belles dattes
Quatre fois six vingt-quatre

Puis une douzaine d'huîtres
Quatre fois sept vingt-huit

Puis un ananas juteux
Quatre fois huit trente-deux

Enfin des grappes de cassis
Quatre fois neuf trente-six

Pour la fête de sa tante
Quatre fois dix quarante.

Jean Tardieu ("Il était une fois, deux fois, trois fois ... - Gallimard, 1947)

crayon lieucommunCréation poétique : Puisque les tables de multiplication sont un apprentissage obligé de l'école élémentaire, voici une activité transdisciplinaire comme on les affectionne, à réserver plutôt aux  grandes classes de Cycle 3 et de Collège.

  • À la manière de Jean Tardieu, à partir des tables X 2, 3,4 ... construction de comptines amusantes en recherche individuelle ou par groupes de 3 ou 4 élèves, en utilisant rimes et assonances.
  • Plus facilement qu'avec la multiplication, les tables d'addition et de soustraction peuvent autoriser l'invention de situations liées à l'opération d'ajouter ou de retrancher des éléments, pour permettre (ce n'est pas le cas dans les deux textes présentés) une petite histoire séquentielle comme celle-ci : 

crayon lieucommunexemple 1 - addition : Le bois des animaux 

Un chat noir et un chat bleu / Un et un deux
Rencontrent une pie en allant au bois / Deux et un trois
Une tortue les rattrape / Trois et un quatre
Un lapin blanc les rejoint / Quatre et un cinq ...

imaginer la suite
(début de comptine originale : lieucommun)

crayon lieucommunexemple 2, soustraction : Les pommes
(illustration à la manière d'un Andy Wharol très sommaire)

pommes_Warhol_2

Dix pommes crues dans un four neuf
Une de perdue, en reste neuf
Une qu'est trop cuite, y en a plus qu' huit
Une qu'est trop verte, en reste sept
Une qu'est trop lisse, y en a plus qu' six
Une dans la main, en reste cinq
Une qui éclate, y en a plus que quatre
Une pour le roi, en reste trois
Une dans le feu, y en a plus que deux
Une dans la lune, en reste qu'une
La dernière en bois ... je la mang' pas.
(image et comptine originales : lieucommun)

Jean Tardieu n'est pas l'auteur de ces deux comptines, mais elles peuvent aussi servir d'exemple pour la création des textes sur le thème de l'addition et de la soustraction :

Les lapins coquins

Un petit lapin sur le chemin
Rencontre un autre petit lapin
Deux petits lapins sont devenus copains.

Deux petits lapins sur le chemin
Rencontrent un autre petit lapin
Trois petits lapins sont devenus copains.

Trois petits lapins sur le chemin
Rencontrent un autre petit lapin
Quatre petits lapins sont devenus copains.

Quatre petits lapins sur le chemin
Rencontrent un autre petit lapin
J’ai cinq doigts sur ma main pour compter
Les petits lapins.

(comptine traditionnelle)

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Les mésanges

Cinq mésanges vertes
Font des pirouettes
L'une se casse la patte
Y'en a plus que quatre.

Quatre mésanges vertes
Sur une branchette
L'une s'envolera
Y'en a plus que trois.

Trois mésanges vertes
S'en vont à la fête
L'une se pince la queue
Y'en a plus que deux.

Deux mésanges vertes
Chantent à tue-tête
Vient le clair de lune
Y'en a plus qu'une.

Une mésange verte
Triste et bien seulette
Mais voilà le loup
Y'en a plus du tout !

(comptine traditionnelle)



 

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1 novembre 2009

Tzara (Dadaïsme) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Tristan Tzara et le mouvement Dada -

Tristan Tzara (1896-1963) est l'un des fondateurs du mouvement Dada.
Le mouvement Dada dépasse le cadre de l'humour, et pour tout dire celui de la poésie. Il échappe aux critères, aux règles et aux contraintes.
Voici des passages du Manifeste Dada rédigé en 1918 par Tristan Tzara :

"[...] J'écris ce manifeste pour montrer qu'on peut faire les actions opposées ensemble, dans une seule fraîche respiration; je suis contre l'action; pour la continuelle contradiction, pour l'affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et je n'explique pas car je hais le bon sens. [...]
Une œuvre d'art n'est jamais belle, par décret, objectivement, pour tous. La critique est donc inutile, elle n'existe que subjectivement, pour chacun, et sans le moindre caractère de généralité. [...]
[Littérature] : Chaque page doit exploser, soit par le sérieux profond et lourd, le tourbillon, le vertige, le nouveau, l'éternel, par la blague écrasante, par l'enthousiasme des principes ou par la façon d'être imprimée. Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale, voilà de l'autre côté : des hommes nouveaux. Rudes, bondissants, chevaucheurs de hoquets."

Chanson dada

La chanson d'un dadaïste
Qui avait dada au cœur
Fatiguait trop son moteur
Qui avait dada au cœur

L'ascenseur portait un roi
Lourd fragile autonome
Il coupa son grand bras droit
Il'envoya au pape à rome *

C'est pourquoi
L'ascenseur
N'avait plus dada au cœur

Mangez du chocolat
Lavez votre cerveau
Dada
Dada
Buvez de l'eau

II

La chanson d'un dadaïste
Qui n'était ni gai ni triste
Et aimait une bicycliste
Qui n'était ni gaie ni triste

Mais l'époux le jour de l'an
Savait tout et dans une crise
Envoya au vatican
Leurs deux corps en trois valises

Ni amant
Ni cycliste
N'étaient plus ni gais ni tristes

Mangez de bons cerveaux
Lavez votre soldat
Dada
Dada
Buvez de l'eau

III

La chanson d'un bicycliste
Qui était dada de cœur
Qui était donc dadaïste
Comme tous les dadas de cœur

Un serpent portait des gants
Il ferma vite la soupape
Mit des gants en peau d'serpent
Et vint embrasser le pape

C'est touchant
Ventre en fleur
N'avait plus dada au cœur

Buvez du lait d'oiseaux
Lavez vos chocolats
Dada
Dada
Mangez du veau

* en principe pas de majuscule

Tristan Tzara ( 1923)

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Pour faire un poème dadaïste

Prenez un journal.
Prenez les ciseaux.
Choisissez dans le journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun de mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre.
Copiez consciencieusement dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.

Tristan Tzara (1920)

Ci-après une recette Dada dont nous pourrons nous inspirer pour proposer un jeu de création poétique plus structuré (et donc pas vraiment Dada !) :

crayon lieucommun Découpage et collage de mots ou de groupes de mots
 Avec les précautions d'usage quand on manipule des journaux (pas les taches d'encre ni les coupures de ciseaux mais bien le danger des mots et le choc des images), la poésie naîtra peut-être de l'improbable.

Dans les titres d'articles de vieux journaux ou de magazines adaptés au niveau de la classe*, les élèves découperont sans projet de rédaction préalable les ensembles (1, 2, 3 mots...) écrits qui les intéressent, de manière à constituer un stock important d'étiquettes.

Dans un deuxième temps, le travail individuel ou par groupe, permettra d'expérimenter différentes combinaisons de trois ou quatre étiquettes, de manière à composer des titres bizarres ou des phrases amusantes. Chaque groupe de travail soumettra au grand groupe une ou plusieurs de ses productions.

Il est possible, dans les grandes classes, de regrouper ou de réarranger plusieurs ensembles, comme dans l'exemple ci-dessous.

Les titres et phrases retenus seront alors collés sur des feuilles A4 ou A3 pour être présentés en affiches, ou réunis par agrafage pour un  journal ("Tout est possible").

Un travail d'arts plastiques est envisageable pour illustrer les productions écrites, à côté ou dans le texte lui-même.

  • Variantes : Scanner les titres et réaliser un montage informatique dans un logiciel de retouche d'image (Photoshop, Publisher, Paint...).
  • Agrandir la réalisation A4 en A3 en photocopie (on pourra garder l'image en niveaux de gris avant illustration). Il est possible de reproduire encore par moitiés le document A3 pour un affichage grand format A2 ( 60 X 42 cm), ou plus.

* publications d'actualité pour les enfants et les adolescents (source Wikipedia) :

Le Journal des Enfants 8 à 14 ans Hebdo
Les Clés de l'actualité junior 8 à 12 ans Hebdo
Mon Quotidien 10 à 14 ans Quotidien
Le Monde des ados 11 à 15 ans Bimensuel
Mon Petit Quotidien 6 à 10 ans Quotidien
L'actu + 14 ans Quotidie


Les pages ci-dessous ont été obtenues par découpage et collage dans les titres ou inter-titres des pages nationales du journal "Le Parisien" , édition du mercredi 26 novembre 2008, uniquement.

Le Parisible* (mais si) du mercredi 26 novembre 2008.
* ce titre satirique a déjà servi pour une autre occasion, lieucommun se permet de le reprendre ... !

collage_1

autre composition à partir du même journal :

collage_num_ro_2



1 novembre 2009

Verlaine, Vian - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Paul Verlaine -

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. Voir ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Impression fausse

Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !

Paul Verlaine ("Parallèlement", paru aux éditions Messein, 1889, suivi de nombreuses autres éditions)



- Boris Vian -

Boris Vian (1920-1959) est un "touche-à-tout de génie".
Diplômé de l'École centrale, il entre comme ingénieur à l'Afnor (Association française de normalisation !) où il sévira quand même quatre années, avant de devenir trompettiste, car il est passionné de musique et de "culture jazz" (il signe des critiques pour des revues spécialisées).
Il écrit parallèlement(1) des poésies et des textes de chansons, qu'il interprètera plus tard, des nouvelles et des romans.

Lire la suite dans la catégorie du blog qui lui est consacrée, à gauche...

livre_Boris_Vian_poisson_d_avril

Un poisson d'avril

Un poisson d'avril
Est venu me raconter
Qu'on lui avait pris
Sa jolie corde à sauter

C'était un cheval
Qui l'emportait sur son cœur
Le long du canal
Où valsaient les remorqueurs

Et alors un serpent
S'est offert comme remplaçant
Le poisson très content
Est parti à travers champs

Il saute si haut
Qu'il s'est envolé dans l'air
Il saute si haut
Qu'il est retombé dans l'eau

Boris Vian ("Un poisson d'avril" - Rue du Monde, collection Petits Géants, 2001)

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Si les poètes étaient moins bêtes 

Si les poètes étaient moins bêtes
Et s'ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s'occuper en paix
De leurs souffrances littéraires
Ils construiraient des maisons jaunes
Avec des grands jardins devant
Et des arbres pleins de zoizeaux
De mirliflûtes et de lizeaux
Des mésongres et des feuvertes
Des plumuches, des picassiettes
Et des petits corbeaux tout rouges
Qui diraient la bonne aventure
Il y aurait de grands jets d'eau
Avec des lumières dedans
Il y aurait deux cents poissons
Depuis le croûsque au ramusson
De la libelle au pépamule
De l'orphie au rara curule
Et de l'avoile au canisson
Il y aurait de l'air tout neuf
Parfumé de l'odeur des feuilles
On mangerait quand on voudrait
Et l'on travaillerait sans hâte
A construire des escaliers
De formes encor jamais vues
Avec des bois veinés de mauve
Lisses comme elle sous les doigts

Mais les poètes sont très bêtes
Ils écrivent pour commencer
Au lieu de s'mettre à travailler
Et ça leur donne des remords
Qu'ils conservent jusqu'à la mort
Ravis d'avoir tellement souffert
On leur donne des grands discours
Et on les oublie en un jour
Mais s'ils étaient moins paresseux
On ne les oublierait qu'en deux.

Boris Vian ("Je voudrais pas crever", éditions Jean-Jacques Pauvert, 1962)

logo_cr_ation_po_tique Inventer des mots

Voir Guillevic, Henri Michaux et Boby Lapointe.



1 novembre 2009

Vaillant-Couturier - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Paul Vaillant-Couturier -

Paul Vaillant-Couturier  (1892-1937) était journaliste, écrivain, et poète mais l'Histoire a surtout retenu son engagement pacifiste et sa carrière politique. Il contribue à la diffusion de la « chanson de Craonne » pensant la guerre de 14-18. Journaliste au "Canard Enchaîné", en 1917, il crée en 1919 la revue pacifiste et artistique Clarté, avec Henri Barbusse.

Après le Congrès de Tours (1920), il participe à la fondation du Parti communiste français .

recueils de poésie : La Visite du berger (1913) et  Trains rouges (1922).

Du recueil justement intitulé "Enfance", deux alphabets, imagiers de l'enfance  :

L'alphabet (première version)

Le A majuscule monte dans le ciel comme une Tour Eiffel.
Le B est un monsieur à gros ventre.
Le C fait la révérence.
Le D est le dernier quartier de lune.
Le E a faim de toutes ses dents.
Le F est une grue dressée sur un chantier.
Le G ouvre sa bouche pour vous avaler.
Le H dresse ses deux poteaux sur le terrain de rugby.
Le I est un monsieur très maigre qui se tient droit.
Le J a le profil d'une louche à soupe.
Le K est un képi très haut.
Le L me servira d'équerre.
Le M est deux ponts dans la plaine.
Le N nous avertit d'un virage dangereux.
Le O est une belle pomme.
Le P pourrait servir de parapluie.
Le Q a le profil d'une raquette.
Le R est une pieuvre sur ses gardes.
Le S se tortille comme un serpent.
Le T est perché comme une antenne sur le toit.
Le U est un trapèze.
Le V est comme un oiseau dans le ciel.
Le W est comme les racines d'une molaire.
Le X présente deux épées qui se croisent.
Le Y est une baguette de sourcier.
Le Z est le signe de Zorro.

Paul-Vaillant Couturier

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L' alphabet (deuxième version)

"Paul se plaisait à imaginer les lettres un peu comme se les imaginaient les enlumineurs de manuscrit...
II y avait l'A, gendarme campé sur ses bottes,
le B, gros monsieur sans fesses roulant sur son ventre,
le C qui fait la révérence,
le D qui est assis derrière son comptoir,
le E qui a faim de toutes ses dents,
le F qui indique la sortie,
le G, menuisier des lettres avec son étau,
le H avec ses duellistes qui s'enferrent
le I monsieur maigre qui salue,
le J qui saute
et le K petit bossu,
le L qui envoie son coup de pied,
le M, la plus assise des lettres,
le N, montagne russe pour aller au ciel,
le O à qui on n'a qu'à dessiner une figure comme à la lune,
le P, initiale de Paul, ce qui suffit,
le Q dont on fait un rat en lui mettant deux oreilles,
le R mousquetaire, la plus noble et la plus majestueuse des lettres,
l'anguille du S,
la balance du T,
l'U tête sans crâne,
le V de vipère et le mystère de son identification
avec l'U sur les affiches,
le W qui n'est nulle part que sur les cabinets
et les parents lointains des lettres qui offrent avec le W une évocation d'exotisme et de voyage : X, Y, Z."

Paul Vaillant-Couturier ("Enfance" - Editions  Messidor, 1987)

crayon lieucommunLa forme des lettres, évocation poétique

L'observation des lettres de l'alphabet permet l'évocation poétique. On imaginera d'autres correspondances (cf aussi "Voyelles", le poème d'Arthur Rimbaud, en formes et couleurs :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes ...

Autres matériaux : les chiffres : 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9, les signes d'écriture  : , ; . ! ? ... ( " ¨^@ + - X

Dans la nouvelle "L'alphabet de Mondo", Le Clézio, auteur contemporain, livre d'autres visions de l'alphabet : [...]

L'homme avait pris dans son sac de plage un vieux canif à manche rouge et il avait commencé à graver les signes des lettres sur des galets bien plats. En même temps, il parlait à Mondo de tout ce qu'il y a dans les lettres, de tout ce qu'on peut y voir quand on les regarde et quand on les écoute.

Il parlait de A qui est comme une grande mouche avec ses ailes repliées en arrière ;  de B qui est drôle, avec ses deux ventres, de C et D qui sont comme la lune, en croissant et à moitié pleine, et O qui est la lune tout entière dans le ciel noir. Le H est haut, c'est une échelle pour monter aux arbres et sur le toit des maisons ; E et F, qui ressemblent à un râteau et à une pelle, et G, un gros homme assis dans un fauteuil ; I danse sur la pointe de ses pieds, avec sa petite tête qui se détache à chaque bond, pendant que J se balance ; mais K est cassé comme un vieillard, R marche à grandes enjambées comme un soldat, et Y est debout, les bras en l'air et crie : au secours ! L est un arbre au bord de la rivière, M est une montagne ; N est pour les noms et les gens saluent de la main, P dort sur une patte et Q est assis sur sa queue ; S, c'est toujours un serpent, Z toujours un éclair ; T est beau, c'est comme le mât d'un bateau, U est comme un vase. V, W, ce sont des oiseaux, des vols d'oiseaux ; X est une croix pour se souvenir.
Avec la pointe de son canif, le vieil homme traçait les signes sur les galets et les disposait devant Mondo.


Jean-Marie Gustave Le Clézio ("Mondo et autres histoires" - éditions Gallimard, 1978).



1 novembre 2009

Villon - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- François Villon -

François Villon  (1431-1463), ou François Moncorbier, est qualifié de poète "maudit", le plus important sans doute du Moyen-Âge français. Sa courte vie, comme sa disparition sont entourés de mystère.

La strophe colorée en vert de ce poème est la plus connue et proposée en classe :

Regrets (extraits)

Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j'ai plus qu'autre gallé
Jusqu'à l'entrée de vieillesse,
Qui son partement m'a celé.
Il ne s'en est à pied allé,
N'à cheval ; hélas ! comment donc ?
Soudainement s'en est volé,
Et ne m'a laissé quelque don.

Allé s'en est, et je demeure
Pauvre de sens et de savoir,
Triste, failli, plus noir que meure,
Qui n'ai ni cens, rente, n'avoir ;
Des miens le moindre, je dis voir,
De me désavouer s'avance,
Oubliant naturel devoir,
Par faute d'un peu de chevance.

...

Hé ! Dieu, si j'eusse étudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J'eusse maison et couche molle !
Mais quoi ? Je fuyaie l'école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
À peu que le coeur ne me fend.

...


Mes jours s'en sont allés errant
Comme, dit Job, d'une touaille
Font les filets, quand tisserand
En son poing tient ardente paille :
Lors s'il y a nul bout qui saille,
Soudainement il le ravit.
Si ne crains plus que rien m'assaille,
Car à la mort tout s'assouvit

...

Pauvre je suis de ma jeunesse,
De pauvre et de petite extrace ;
Mon père n'eut onc grand richesse,
Ni son aïeul nommé Horace ;
Pauvreté tous nous suit et trace.
Sur les tombeaux de mes ancêtres,
Les âmes desquels Dieu embrasse !
On n'y voit couronnes ni sceptres.

...

François Villon ("Le Testament" 1461)

...

Texte du passage coloré en vert, retranscrit en ancien français d'origine  :

Bien sçay, se j'eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié,
J'eusse maison et couche molle.
Mais quoy ! je fuyoië l'escolle
Comme fait le mauvaiz enffant
En escripvant cette parolle
A peu que le cueur ne me fent !

Texte établi par Claude Thiry - source : http://fr.wikipedia.org/wiki/François_Villon

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Lais de François Villon
(deux premiers huitains du poème qui en compte 40)

L'AN quatre cent cinquante six,
Je, François Villon, écolier,
Considerant, de sens rassis,
Le frein aux dents, franc au collier,
Qu'on doit ses œuvres conseillier
Comme Vegece le raconte,
Sage romain, grand conseillier,
Ou autrement on se mécompte.

En ce temps que j’ai dit devant,
Sur le Noel, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu’on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison,
Me vint un vouloir de briser
La tres amoureuse prison
Qui souloit mon cœur debriser.

(…)

François Villon ("Le Lais" 1457)

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Épitaphe et rondeau


Ci gît et dort en ce solier,
Qu'amour occit de son raillon,
Un pauvre petit écolier
Qui fut nommé François Villon.
Oncques de terre n'eut sillon.
Il donna tout, chacun le sait :
Table, tréteaux, pain, corbillon.
Pour Dieu, dites-en ce verset :

Repos éternel donne à cil*,
Sire, et clarté perpétuelle,
Qui vaillant plat ni écuelle
N'eut oncques, n'un brin de persil.

Il fut rés**, chef, barbe et sourcils,
Comme un navet qu'on ret** ou pèle.
Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil
Et lui frappa au cul la pelle,
Nonobstant qu'il dît : " J'en appelle ! "
Qui n'est pas terme trop subtil.
Repos éternel donne à cil*.

* celui-ci  - ** rase, rasé

François Villon ("Le Testament" 1461)



1 novembre 2009

Vilmorin (Louise de) - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS

- Louise de Vilmorin -

Louise de Vilmorin (1902-1969) est une romancière et poétesse française.

Son oeuvre est empreinte d'humour et de fantaisie, avec des regards vers l'Oulipo (cf Raymond Queneau dans la catégorie "L'humour des poètes").
Quelques recueils :  Le Sable du Sablier, l'Alphabet des aveux.

Récitez-moi votre leçon

Récitez-moi votre leçon
"L'oiseau se prend à l'hameçon
Le poisson s'apprivoise et chante
Le papillon est une plante
L'été ramène les grands froids."
Je vous l'ai redit mille fois.

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")

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Dans le ciel mauve ...

Dans le ciel mauve
La lune est ronde,
C’est une blonde
Mais elle est chauve.

Louise de Vilmorin ("L'heure malicieuse", 1967)

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Vers olorimes*

Étonnamment monotone et lasse,
Est ton âme en mon automne, hélas !

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Les vers holorimes (voir Alphonse Allais) sont identiques à l'oreille. L'auteure orthographie ce mot : "olorimes".

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Palindromes*

Lune de ma dame d’été
Été de ma dame de nul.

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L’âme sûre ruse mal.

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Suce ses écus

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Eh! Ça va la vache?
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Ta bête te bat
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À l’étape épate-la

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Rue : Verte fenêtre
Verte nef
Et rêveur
   

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Un palindrome est un écrit qu'on peut lire dans les deux sens avec le même résultat.

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Ce poème phonétique n'est-il pas précurseur du SMS ?

Poème phonétique (titre suggéré)

Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
J’ai assez cédé, aimé, obéi,                                      G  AC  CD  ME  OBI
Et double vécu et rêvé et fui                                     E  WQ   REV  FUI

Ogive et émaux et miel et mer                                  OJVMO   MIL  MR
Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
Hélène aima et fit grec et la chair et l’été.               LN  MA  FY  LHR  LET

Louise de Vilmorin (dans "L'alphabet des aveux", 1954, illustrations de Jean Hugo - rééédition Le Promeneur, 2004)

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L’île

L’île a des lis
Et des lilas
Pour les délices il y a des lits là.
Pas de soucis,
Cent liserons
Viens tes soucis vite s’enliseront.
Un cycle amène
Cycle centaure,
Sous les lilas où j’oublie tes cent torts,
Un cyclamen
Des centaurées
Et des pensées pour le temps dépensé.
L’île à délices
A des lilas,
Avec des lis j’ai porté ton lit là.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)

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Fado*

L’ami docile a mis là
Fade au sol ciré la sole
Ah ! si facile à dorer.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

L’art est docile à l’ami.
La sole adorée dort et
L’ami l’a cirée, dorée.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Sire et fade au sol ciré,
L’adoré, do raide aussi,
L’ami dort hélas ici.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)
* Le fado est une musique du Brésil et du Portugal.

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La Reine

La Reine en moi bercée
Me donne sa grandeur
Je suis la tour hantée
Dont les hommes ont peur.

Bouche de Reine
Sans un baiser,
Tour sur la plaine
Sans escalier.

Mes yeux sont les fenêtres
Où brillent ses beaux yeux,
La Reine va paraître
Chassant les amoureux.

Nul ne me dit :
"Viens ma maîtresse
Il est minuit
Dénoue tes tresses."

Une Reine est en moi
Qui défie l’aventure,
Sa main est en mes doigts
Mon corps est son armure.

Et nul ne veut
De ma personne
Car je suis deux
Quand je me donne.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire", 1939)



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