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15 mai 2009

Francis CARCO ; Maurice CARÊME ; André CASTAGNOU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Francis Carco (1886-1958) est un romancier, auteur de Jésus la Caille, L'Homme traqué... et le poète de Premiers vers, La Bohème et mon cœur, Chansons aigre-douces... Il fréquente les milieux artistiques parisiens, où il rencontre les poètes Guillaume Apollinaire et Max Jacob.

La fenêtre

La fenêtre est ouverte et le jardin s'endort,
Longuement, avec des bruits d'eau et des murmures
D'invisibles oiseaux blottis dans les ramures
Que le soir a tiédies de sa caresse d'or.

La fenêtre est ouverte. Et monte le silence
Du c
œur des fleurs, du cœur de l'ombre jusqu'à nous
Qui, pensifs, l'écoutons venir à pas très doux
Du fond de notre obscure et grave conscience.

La fenêtre est ouverte...et le jardin n'est plus
Qu'une chose confuse et doucement lointaine
Où l'on entend parfois, aux rumeurs des fontaines,
Bouger les ailes des oiseaux qui se sont tus.

Francis Carco ("Premiers vers", Éditions Albin Michel, 1904-1910)

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Chanson

Des saules et des peupliers
Bordent la rive.
Entends, contre les vieux piliers
Du pont, l'eau vive !

Elle chante comme une voix
Jase et s'amuse,
Et puis s'écrase sur le bois
Frais de l'écluse.

Le moulin tourne. Il fait si bon,
Quand tout vous laisse,
S'abandonner, doux vagabond,
Dans l'herbe épaisse !

Francis Carco ("La Bohème et mon cœur", Éditions Albin Michel, 1912)

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On ne gardera pour les classes élémentaires que la première strophe de ce poème d'amour. Le texte intégral est ici : http://www.per-bast.com/poemes-coup-de-coeur/46-poemes-cdc/956-printemps-franciscarco-.html

Printemps

Je te donne ce coin fleuri,
Ces arbres légers, cette brume
Et Paris, au loin qui s’allume
Sous ces nuages blancs et gris.   
[...
]

Francis Carco ("La Bohème et mon cœur", Éditions Albin Michel, 1912)



Maurice Carême, instituteur et poète belge (1899-1978) est présent dans chaque cahier de poésie des élèves de France et de Navarre (et de Belgique bien sûr), et ses textes se baladent un peu partout sur le blog. Explorez les catégories !

Dans son ouvrage "Le jour s'en va toujours trop tôt - Sur les pas de Maurice Carême" (éditions Racine, 2007), Jeannine Burny, qui fut sa muse et sa secrétaire (elle est aujourd'hui présidente de l'association "Les Amis de Maurice Carême"), raconte les sources d'inspiration du poète.

"[...] Maurice aimait faire de longues randonnées dans la campagne. [...] Nous étions venus par les hauts plateaux dominant la ville basses de Montmédy. Malgré notre carte d'état-major, nous n'avions pas trouvé le sentier descendant sur Avioth. Le chemin s'était arrêté net devant nous, coupé par des fourrés épineux. En contrebas, nous apercevions la route qui filat vers l'église. Le sentier avait bel et bien disparu, envahi par la végétation. [...] Nous nous frayâmes un chemin et nous passâmes malgré quelques égratignures. Au sortir d'Avioth nous connaissions l"itinéraire. Il passait par Breux et rejoignait Margny [...] "

Entre Margny et Breux

Le silence est si transparent
Qu’il suffit d’un vague moustique
Pour le rayer profondément
De son diamant mélodique.
Les troupeaux se sont confondus
Avec les ombres des taillis.
Le ruisseau aussi s’est perdu.
Où sont passées les hirondelles ?
La forêt a fermé ses ailes.
Les peupliers sont bleus de nuit.

Maurice Carême ("Entre Margny et Breux", 1958)

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Les première poésies de Maurice Carême sont éditées en 1925 dans le recueil "63 illustrations pour un jeu de l'oie" :

Le ciel

Derrière le long treillis
Tramé par les branches nues
Des arbres de l'avenue,
Le ciel semble un pré bleui
Où paît, agneau nonchalant

Ébouriffé par le vent,
Un petit nuage blanc.

Maurice Carême ("63 illustrations pour un jeu de l'oie", éditions de la "Revue Sincère", Bruxelles, 1925)

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L'automne

L'automne au coin du bois,
Joue de l'harmonica.
Quelle joie chez les feuilles !
Elles valsent au bras
Du vent qui les emporte.
On dit qu'elles sont mortes,
Mais personne n'y croit.
L 'automne au coin du bois,
Joue de l'harmonica.

Maurice Carême ("La lanterne magique", Éditions Ouvrières, 1947)

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Le nuage

Un nuage, parmi les autres,
Reforme sans cesse un visage.
Il promène sur les villages
Un regard dont il ne sait rien,
Et s'il sourit au paysage,
Ce sourire n'est pas le sien.

Mais l'homme qui le voit sourire
Et qui sourit à son passage,
En sut-il jamais davantage ?

Maurice Carême

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La grille est toute blanche

La grille est toute blanche
Et le perron tout rose.
Un vent clair y balance
Un rosier plein de roses.

Et les pigeons sont blancs
Sur les ardoises bleues,
Un peu moins bleues pourtant
Que le bleu doux des cieux.

Le chèvrefeuille est jaune
Qui monte autour de l'aune,
Jaune aussi, le vieux faune,

Mais près de l'arrosoir
Vert, vert à n'y pas croire,
Le chat, lui, est tout noir.

Maurice Carême

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Le brouillard 

Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.

Plus de fleur au jardin,
Plus d’arbre dans l’allée ;
La serre du voisin
Semble s’être envolée.

Et je ne sais vraiment
Où peut s’être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier.

Maurice Carême

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Automne en ville

Les quelques arbres de la ville,
Avec un ensemble émouvant,
Font pleuvoir leurs feuilles tranquilles
Sur les enfants.

Et l’on dirait que dans les rues
Et dans les cours où l’ombre dort,
Une main inconnue
Fait doucement pleuvoir de l’or.

Les tramways vont, les autos filent,
Les gens se pressent sans rien voir,
Un avion fait sur la ville
Une ombre de grand oiseau noir.

Un large soleil de nickel
Brille, glacé, aux devantures.
Plus un ange ne s’aventure
Sur les hauts trapèzes du ciel.

Et polie ainsi qu’un ivoire
Derrière un petit rideau blanc,
Une vieille sourit de voir
S’affairer sans fin les passants.

Maurice Carême

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L'homme et l'enfant

Ce n’est qu’un homme et un petit enfant
Dans une allée d’automne,
Un homme et un enfant s’en allant, souriant,
Sous une pluie de feuilles jaunes.

Ils ne se disent rien. L’enfant regarde
L’homme qui lui sourit.
Et ils s’en vont, main dans la main, sous les grands arbres
Vers un toit qui reluit.

Sur les arbres montrant obstinément leurs nids,
Le ciel se dore comme un fruit.
Ce n’est qu’un homme et un petit enfant,

Et l’on dirait que, tout joyeux, l’automne
Marche devant eux en semant
Du soleil et des feuilles jaunes.

Maurice Carême

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Il a neigé

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que le chaton croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.

Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé,
Que les choses
Semblent avoir changé.

Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
À cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.

Maurice Carême

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Le sentier se perdait

Le sentier là-bas se perdait
Dans une odeur de serpolet
Où, beuglant sans fin, de grands boeufs
Devenaient vaporeux.
Juste à la pointe du clocher,
L'étoile du berger
Paraissait se poser
Comme une flamme
Sur un haut chandelier.
Et là-bas, de la cheminée
De la maison, une fumée
S'élevait et puis s'inclinait
Pareille à une main
Qui ne cessait de m'appeler
Par dessus les jardins.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - emprunté à la documentation du Printemps des Poètes 2011 : http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ753_selection_jeunesse.pdf

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Quelques textes sur le paysage maritime :

Que la mer est belle !

Dieu ! qu’aujourd’hui la mer est belle !
Le dirai-je jamais assez.
Belle, mais belle à le crier
Pour qu’on l’entende jusqu’au ciel.

Imaginez-vous un vert jade,
Puis à l’horizon, un vert sombre
Qui la souligne ainsi qu’une ombre
Comme un tableau l’est par son cadre.

Devant, une longue estacade
De pierre dont le gris de perle
Souligne encor la splendeur verte.

Oh ! je sais bien que je divague,
Que je dirais n’importe quoi
À voir la mer comme elle est là.

Maurice Carême ("Sac au dos", à paraitre)

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Je sais ...

Je sais, mer du Nord, tu es là
Si grande, si nue devant moi.

Pour enlever ta robe d’aube,
Le ciel entier ne suffit pas.

Et pourtant, mer, je te prendrai,
Tu te traîneras à mes pieds.

D’un mot plus fascinant qu’un charme,
Je réveillerai tes vacarmes.

Je te donnerai la couleur,
La courbe heureuse de mon cœur.

Et tu te coucheras sans voir
Que tu tiens toute dans mes yeux

Avec mon étoile du soir
Piquée au bord de tes cheveux.

Maurice Carême ("Mer du Nord", éditions Fernand Nathan, Paris, 1971)

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La mer

Juste au milieu du jour,
La mer est toute ronde
Comme une belle montre
Que le soleil remonte.

Mais, le soir, elle est plate
À vous déconcerter *,
Et le soleil fâché
En devient écarlate.

La nuit, c’est encore pis.
On n’en voit qu’une aiguille
Lorsque la lune brille
Sur son verre terni.

N’empêche qu’elle chante,
De jour comme de nuit,
Qu’elle est bien moins méchante
Qu’on ne me l’avait dit

Et qu’au grand vent du nord,
Elle berce les heures
Comme des barques d’or
Dans la main du Seigneur.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - * c'est bien "déconcerter", attention, on trouve sur le Net d'autres versions erronées

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Sur la plage

Les mouettes se sont dissoutes
Dans l'air indiciblement pâle.
Le sable est si blanc qu'on en doute.
Les dunes ont perdu leur hâle.
Seuls d'étonnants feux roses
Passent là-bas très haut dans l'air
En éclosant comme des roses
Dont le rosier serait la mer.

Maurice Carême ("L'Arlequin", éditions Nathan, 1970) - emprunté à la documentation du Printemps des Poètes 2011 : http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ753_selection_jeunesse.pdf

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Gare isolée

On allume les lampes.
Un dernier pinson chante.
La gare est émouvante
En ce soir de septembre.

Elle reste seule
À l’écart des maisons,
Si seule à regarder
L’étoile du berger
Qui pleure à l’horizon
Entre deux vieux tilleuls.

Parfois un voyageur
S’arrête sur le quai,
Mais si las, si distrait,

Qu’il ne voit ni les lampes,
Ni le pinson qui chante,
Ni l’étoile qui pleure
En ce soir de septembre.

Et la banlieue le cueille,
Morne comme le vent
Qui disperse les feuilles
Sur la gare émouvante.

Maurice Carême  

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Étranges fleurs

L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Maurice Carême

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Le temps des vacances

C’est le temps béni des vacances.
Le vent fait des noeuds d’hirondelles.
Le jour est rond comme une amande.
Tout le village sent le miel.
Le soleil a pendu sa lampe
Juste au-dessus des vaches blanches
Etonnées de n’avoir plus d’ombre,
Mais les prairies qui, près du bois,
Tremblent doucement sous leurs poids
N’ont jamais été si profondes.

Maurice Carême

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L'écureuil

Un écureuil sur la bruyère
Se lave avec de la lumière
Une feuille morte descend
Doucement portée par le vent
Le vent attend pour la poser
Légèrement sur la bruyère
Que l'écureuil soit remonté
Sur le chêne de la clairière
Où il aime se balancer
Comme une feuille de lumière.

Maurice Carême



André Castagnou (1889-1942).

Le fleuve

Avec midi,
Solitaire, tu resplendis ;
le silence à tes bords gagne jusqu'aux oiseaux. 
J'ai surpris ton frémissement
quand la lune vient se baigner à tes roseaux.       
Mais dans le matin tournoyant
peut-être encore es-tu plus beau !

Parmi les chênes,
les pins
Et les dunes mouvantes,
jamais il ne s'achève, ton destin :
la source chante
là-haut, dans la montagne,
sans fin.
 

André Castagnou ("Les Quatre Saisons", Éditions Spolète, 1923)


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15 mai 2009

Blaise CENDRARS - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, Alexandre Voisard, et Blaise Cendrars ci-dessous.

Blaise Cendrars (1887-1961), écrivain, reporter, essayiste et poète suisse d'expression française, prend la nationalité française en 1915. "Il fut le poète de la Fête et de l'Aventure" (JP Rosnay). Ses ouvrages romanesques se trouvent facilement en collection de poche : L'or, Moravagine, et ses oeuvres poétiques complètes ont été rassemblées en 2006 dans la collection Poésie/Gallimard

"Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie"

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"Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami [...]
Quand tu aimes il faut partir
[...]"

Voici un très court passage du très long poème "Prose du Transsibérien", ce train mythique dans lequel Blaise Cendras traverse des paysages réels et oniriques.

On en propose en général aux élèves d'élémentaire la première partie, celle qui n'est pas en italique :

Prose du Transsibérien (extraits)

[...]

Viens au Mexique
Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et le pinceau d'un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs,
Rousseau y a été
Il y a ébloui sa vie
C'est le pays des oiseaux
L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre
Le toucan, l'oiseau moqueur
Et le colibri niche au coeur des lys noirs
Viens !

[...]

Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D'autres se perdent en route

[...]

Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal
On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions
Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l'hymne au Tzar
Si j'étais peintre, je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage
Car je crois bien que nous étions tous un peu fous
Et qu'un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage
Comme nous approchions de la Mongolie
Qui ronflait comme un incendie
Le train avait ralenti son allure
Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues
Les accents fous et les sanglots
d'une éternelle liturgie

[...]

Blaise Cendrars ("La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France", Éditions des Hommes Nouveaux, 1913 - illustrations de Sonia Delaunay)

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Dans "Kodak", Blaise Cendras pratique le découpage et le collage de passages entiers du roman feuilleton de Gustave Lerouge : "Le mystérieux docteur Cornélius"

Mississipi (extraits)

À cet endroit le fleuve est presque aussi large qu'un lac
Il roule des eaux jaunâtres et boueuses entre deux berges marécageuses
Plantes aquatiques que continuent les acréages des cotonniers
Ça et là apparaissent les villes et les villages tapis au fond de quelque petite baie avec leurs usines avec leurs hautes cheminées noires avec leurs longues estacades qui s'avancent leurs longues estacades sur pilotis qui s'avancent bien avant dans l'eau

Chaleur accablante

[...]

On aperçoit beaucoup de crocodiles
Les jeunes alertes et frétillants
Les gros le dos recouvert d'une mousse verdâtre se laissent aller à la dérive
La végétation luxuriante annonce l'approche de la zone tropicale
Bambous géants palmiers tulipiers lauriers cèdres
Le fleuve lui-même a doublé de largeur
Il est tout parsemé d'îlots flottants d'où l'approche du bateau fait s'élever des nuées d'oiseaux aquatiques
Steam-boats voiliers chalands embarcations de toutes sortes et d'immenses trains de bois
Une vapeur jaune monte des eaux surchauffées du fleuve

C'est par centaines maintenant que les crocos s'ébattent autour de nous
On entend le claquement sec de leurs mâchoires et l'on distingue très bien leur petit œil féroce
Les passagers s'amusent à leur tirer dessus avec des carabines de précision
[...]

Blaise Cendrars ("Kodak - Documentaire", Stock, 1924) 

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Les poèmes du recueil "Feuille de route" ont été écrits par Blaise Cendrars en 1924, en partie à bord du navire "Le Formose", au cours de son voyage vers le Brésil, et dans ce pays, où il a passé plus de six mois à parcourir et à s'imprégner des couleurs des paysages.

Paysage

La terre est rouge
Le ciel est bleu
La végétation est d'un vert foncé
Ce paysage est cruel dur triste malgré la variété infinie des formes végétatives
Malgré la grâce penchée des palmiers et les bouquets éclatants des grands arbres en fleurs fleurs* de carême

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * texte original

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Îles

Îles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétations
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Est-ce que l'humour peut faire passer le second poème sans en retirer deux mots ? à vous de voir, mais ce serait dommage :

Coucher de soleil

Nous sommes en vue des côtes
Le coucher de soleil a été extraordinaire
Dans le flamboiement du soir
D’énormes nuages perpendiculaires et d’une hauteur folle
Chimères griffons et une grande victoire ailée sont restées toute la nuit au-dessus de l’horizon
Au petit jour tout le troupeau se trouvait réuni jaune et rose au-dessus de Bahia* en damier

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro (voir plus bas le texte "Bahia")

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Couchers de soleil

Tout le monde parle des couchers de soleil
Tous les voyageurs sont d’accord pour parler des couchers de soleil dans ces parages
Il y a plein de bouquins où l’on ne décrit que les couchers de soleil
Les couchers de soleil des tropiques
Oui c’est vrai c’est splendide
Mais je préfère de beaucoup les levers de soleil
L’aube
Je n’en rate pas une
Je suis toujours sur le pont
À poil
Et je suis toujours seul à les admirer
Mais je ne vais pas les décrire les aubes
Je vais les garder pour moi seul

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * au singulier (c'est l'orthographe correcte) - texte original respecté

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À tribord

Une frégate est suspendue en l'air
C'est un oiseau d'une souveraine élégance aux ailes à incidence variable et profilées comme un planeur
Deux gros dos squameux émergent de l'eau bourbeuse et replongent dans la vesce
Des régimes de bananes flottent à vau-l'eau
Depuis que nous sommes là trois nouveaux cargos ont surgi derrière nous silencieux et las
La chaleur les écrase

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Bahia*

Lagunes églises palmiers maisons cubiques
Grandes barques avec deux voiles rectangulaires renversées qui
ressemblent aux jambes immenses d’un pantalon que le vent gonfle
Petites barquettes à aileron de requin qui bondissent
entre les lames de fond
Grands nuages perpendiculaires renflés colorés comme des poteries
Jaunes et bleues

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924) - * Salvador de Bahia est proche de Rio de Janeiro

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Bleus

La mer est comme un ciel bleu bleu bleu
Par au-dessus le ciel est comme le Lac Léman
Bleu-tendre

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Deux poèmes écrits au Brésil, dans le train (c'est le titre du second texte) qui le mène de Santos à Sao-Paulo :

Trouées

Échappées sur la mer
Chutes d’eau
Arbres chevelus moussus
Lourdes feuilles caoutchoutées luisantes
Un vernis de soleil
Une chaleur bien astiquée
Reluisance
Je n’écoute plus la conversation animée de mes amis qui se partagent les nouvelles que j’ai apportées de Paris
Des deux côtés du train toute proche ou alors de l’autre côté de la vallée lointaine
La forêt est là et me regarde et m’inquiète et m’attire comme le masque d’une momie
Je regarde
Pas l’ombre d’un œil

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)

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Dans le train

La nature est d'un vert beaucoup plus foncé que chez nous
Cuivrée
Fermée
La forêt a un visage d'Indien
Tandis que le jaune et le blanc dominent dans nos prés
Ici c'est le bleu céleste qui colore les campos fleuris

Blaise Cendrars ("Feuilles de route" - Au Sans Pareil, 1924)



15 mai 2009

Gilbert CESBRON - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gilbert Cesbron (1913-1979), écrivain chrétien (il est ainsi défini) est l'auteur de nombreux romans socialement engagés. On peut citer "Notre prison est un royaume", 1948 ; Chiens perdus sans collier", 1954), de pièces de théâtre, d'essais et de poésies (recueil "Merci l'oiseau").

Les nuages blancs

Les nuages blancs
qui dorment la nuit
dans les bras du vent
se laissent porter
comme des enfants
et rêvent qu’ils font
et font en rêvant
le tour de la terre.

Gilbert Cesbron ("Merci l’oiseau", éditions Robert Laffont, 1976)



15 mai 2009

Anne-Marie CHAPOUTON - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Anne-Marie Chapouton (1939-2000) est une auteure de poésies, de contes, d'ouvrages pédagogiques et de romans pour les enfants et la jeunesse ("Poèmes petits", "1, 2, 3, comptines à compter", "La vache Amélie", " Méthode de lecture CP-CE1", etc).

Rêve 4

(c'est sous ce titre qu'il apparaît dans le recueil,
il y a 3 autres poèmes-rêves qui précèdent)

J'ai vu
trois châteaux
se promenant
lalaire
se promenant
dans les airs

puis je n'ai
plus rien vu
lalaire
plus rien vu
car ils étaient
redescendus

Anne-Marie Chapouton ("Poèmes petits" - Delagrave, 1999)


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15 mai 2009

René CHAR - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

René Char (1907-1988) est né à L'Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse.
Poète français marqué par le surréalisme, il fut aussi un héros de la Résistance et un humaniste, engagé dans la vie sociale.
Voir ici une biographie et une bibliographie de René Char.

Un texte sur sa rivière, paysage du cœur :

La Sorgue

Chanson pour Yvonne

Rivière trop tôt partie, d'une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.

Rivière où l'éclair finit et où commence ma maison,
Qui roule aux marches d'oubli la rocaille de ma maison.

Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété.
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta moisson.

Rivière souvent punie, rivière à l'abandon.

Rivière des apprentis à la calleuse condition,
Il n'est vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.

Rivière de l'âme vide, de la guenille et du soupçon,
Du vieux malheur qui se dévide, de l'ormeau, de la compassion.

Rivière des farfelus, des fiévreux, des équarrisseurs.
Du soleil lâchant sa charrue pour s'acoquiner au menteur.

Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards éclos,
De la lampe qui désaltère l'angoisse autour de son chapeau.

Rivière des égards au songe, rivière qui rouille le fer,
Où les étoiles ont cette ombre qu'elles refusent à la mer.

Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux,
De l'ouragan qui mord la vigne et annonce le vin nouveau.

Rivière au cœur jamais détruit dans ce monde fou de prison
Garde-nous violent et ami des abeilles de l'horizon.

René Char  ("Fureur et mystère" - Gallimard, 1948)



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15 mai 2009

Jacques CHARPENTREAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jacques Charpentreau (né en 1928), est l'auteur d'anthologies, aux éditions Ouvrières, qui ont fait connaître beaucoup de poètes pour la jeunesse, et il a publié de nombreux recueils. Quelques-unes de ses poésies sont présentes sur le blog.

Les fils de la vierge ...

Les fils de la vierge qui brillent
presque invisibles dans la haie
ne retiendront pas les oiseaux
cachés au creux de ces feuillages.
Ils déchireront de leurs ailes
délicates le fin roseau
que le vent d'automne a tissé
dans la haie de mûres sauvages.
Seule restera la rosée
constellant de ses gouttes d'eau
les fils de vierge du matin.
 

Jacques Charpentreau ("Poèmes pour les amis" - Éditions Ouvrières, 1963)

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Dans son recueil "Poèmes pour peigner la girafe", Jacques Charpentreau présente avec fantaisie et humour des poèmes  à base d'expressions communes.  Il y en a 20 en tout dans ce beau livre grand format illustré par Florence Koenig. 

La clé des champs (expression : prendre la clé des champs)

On a perdu la clé des champs !
Les arbres, libres, se promènent,
Le chêne marche en trébuchant,
Le sapin boit à la fontaine.

Les buissons jouent à chat perché,
Les vaches dans les airs s'envolent,
La rivière monte au clocher
Et les collines cabriolent.

J'ai retrouvé la clé des champs
Volée par la pie qui jacasse.
Et ce soir au soleil couchant
J'aurai tout remis à sa place.

Jacques Charpentreau ("Poèmes pour peigner la girafe" - Éditions Gautier-Languereau, 1996)

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Une autre approche du paysage, dans un autre recueil :

La mer s'est retirée

La mer s’est retirée,
Qui la ramènera ?
La mer s’est démontée,
Qui l’a remontera ?
La mer s’est emportée,
Qui la rapportera ?
La mer est déchaînée,
Qui la rattachera ?
Un enfant qui joue sur la plage
Avec un collier de coquillages.

Jacques Charpentreau (encore une anthologie : "Poèmes d'aujourd'hui pour les enfants de maintenant" - éditions Ouvrières, 1958)

logo_cr_ation_po_tique À la manière de "La mer s'est retirée, qui..." :
Des productions d'élèves ici à partir de ce poème et d'autres poèmes (copier-coller l'adresse):

http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/HTML/SALLESDEJEUX/JEUALAMA.html



15 mai 2009

Andrée CHEDID, Marc CHESNEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Andrée Chedid ( pas d'accent sur le "e"")  est une poétesse française aux racines multiples : née en 1920 en Égypte (Le Caire) de parents libanais, elle vit au Liban de 1942 à 1946 puis vient s'installer en France (où elle avait séjourné enfant) et adopte la nationalité française.  
Auteure de nombreux romans, récits, pièces de théâtre, recueils de poésies, ainsi que de contes et de comptines pour les enfants, elle a également écrit des paroles de chansons interprétées par son petit-fils Matthieu Chedid ("M"), fils du chanteur Louis Chedid.  Le Printemps des Poètes 2008, sur le thème de L'Éloge de l'autre (accès aux textes de cette catégorie colonne de gauche) avait mis en exergue ce passage d'un poème d'Andrée Chedid :

"Toi
Qui que tu sois
Je te suis bien plus proche qu'étranger".

(derniers vers du poème TOI-MOI"  - "Visage premier, Flammarion, 1972) - voir le poème intégral plus bas

Elle était "l'ambassadrice" du Printemps des poètes 2010, sur le thème Couleur femme. On trouvera de nombreux textes sur le blog dans la catégorie qui lui est consacrée : PRINT POÈTES 2010 : ANDRÉE CHEDID. 

livres_Chedid_enfants

quelques recueils, aux textes très accessibles 

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Les routes

Si tu sautes par-dessus la haie
Vers les routes en triangle

Tu trouveras l'Automne
Allongée* comme un cadavre
Couchée de toutes ses feuilles

Tandis que d'une cheminée
Montera la première chaleur
Étoile rouge du berger
Avec sa coiffe de magicienne.

Andrée Chedid ("Textes pour un poème", GLM et Flammarion, 1950) - *automne est au féminin ici



Marc Chesneau  (1899-1980), était poète et professeur de littérature en Suède, où il a vécu.

Voici un simple paysage du temps des bergères et des moulins :

Paysage

Sur la colline
tourne un moulin,
et l'heure est fine,
le vent câlin.

Une bergère
et ses moutons.
Robe légère
Comme un bouton
de primevère.

Un gros chien dort
dans l'herbe tendre
et sans entendre
l'abeille d'or.

Une fauvette
vive et moquette
dans un buisson
montre sa tête
et sa chanson.

Marc Chesneau ("Choix de poèmes", éditions Fritzes Kungl. Hovbokhandel, Stockolm, 1950 - préface de Paul Fort)


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15 mai 2009

Georges-Emmanuel CLANCIER, Paul CLAUDEL - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

George-Emmanuel Clancier, né en 1914, est un écrivain romancier, poète, critique littéraire, journaliste (presse écrite et radio).
Son grand roman en plusieurs tomes, Le pain noir (éditions Robert Laffont, à partir de 1956), qui raconte l'histoire de sa famille maternelle (on parlerait aujourd'hui d'une saga familiale), est son œuvre la plus connue. Il a été porté à l'écran pour la télévision.
On trouve Le pain noir en livre de poche (éditions J'ai Lu).
Voici deux textes extraits de Terres de mémoire, recueil de 1965, réédité en 2003 :

 Les ajoncs, la pierraille ...

Les ajoncs, la pierraille au sursis de l'hiver,
Haute ruine aux lambeaux de songe,
Tous les siècles de l'obscur dans le vent,
La vallée, le grand pays familier et désert.
Le couple né de ces granits, de ces racines,
Et moi qui porte au fond des mots, au fond du sang
Je ne sais quel appel, je ne sais quel écho
De ce passage de serfs et de guerriers,
De vagabonds, de paysans et de rois,
D'enfances tenaces et terrifiées,
L'effrayante ou miraculeuse saveur
D'une lézarde entre deux nuits.

Georges-Emmanuel Clancier ("Terres de mémoire"- éditions Robert Laffont, 1965 et  "Terres de mémoire suivi de Vrai visage" - La Table Ronde, collection "la petite vermillon", 2003)

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Escales

Flûte lointaine à travers les défilés,
Flûte et battements de mains heureuses,
Chant du souvenir et des espaces,
Chant du Pérou sur l'autre rive,
Là-bas sur l'autre rive des nuits :
Los Indios, los Indios ,tristesse
À perdre haleine aux plateaux de Cuzco,
Lamas et guenilles, enfance noire
Sous les blocs,sous les ruines Incas.
Je vous le dis, tapis au fond du songe
Il existe des pays tendres et féroces.
Flûte lointaine et battements de mains heureuses,
Flûte lointaine à travers tant de défilés.

Georges-Emmanuel Clancier (idem : "Terres de mémoire" - 1965 et 2003)

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Autre texte :

Le guet

Sur le fin taillis des ramilles
À contre-jour du ciel d’hiver
Longtemps l’oiseau en silhouette
Noire surveillait l’horizon.

Te voyait-il à ta lucarne
Vieil homme incertain de lui-même
Entre lassitude et bonheur
D’un œil inquiet le contemplant ?

De l’oiseau corneille ou corbeau
Guetteur à la cime des branches,
Du rêveur perdu dans la neige
De l’âge et des pensées frileuse

Lequel des deux inventait l’autre
Lequel à la vie démentielle,
Somptueuse, éparse en l’univers,
Serait messager du futur ?

Georges-Emmanuel Clancier



Paul Claudel, (1868-1955) est connu pour ses pièces de théâtre ("Le soulier de satin") et son oeuvre poétique, marquée par sa foi catholique. Il a été aussi diplomate. C'est le frère de l'artiste sculptrice Camille Claudel.

C'est dans le presbytère de Villeneuve-sur-Fère, petit village de Picardie (dans l'Aisne, le Tardenois), qu'est né Paul Claudel. Il en dessine dans ces deux passages du même ouvrage*, le paysage fantastique :

"Le premier quartier de lune, brillant au milieu d’un immense halo, éclaire une butte toute couverte de bruyères et de sable blanc" ... Des pierres monstrueuses, des grès aux formes fantastiques s’en détachent. Ils ressemblent aux bêtes des âges fossiles, à des monuments inexplicables, à des idoles ayant mal poussé encore leurs membres et leurs têtes"...

Paul Claudel ("La Jeune Fille Violaine", Mercure de France, 1906) - * Il s'agit d'une pièce de théâtre, sous deux versions successives (1892 et 1899), qui, profondément remaniée une nouvelle fois par l'auteur, deviendra en 1911 son célèbre drame : "L'Annonce faite à Marie".

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"… La Providence, dès mon berceau, m'a assuré un poste sur un promontoire. Une vue sur la mer. Non point une mer liquide, mais un océan céréal prolongeant sa houle d'émeraude et de feu jusqu'aux extrémités de l'horizon. Une plaine d'or mûrissant sur laquelle l'été promène l'ombre des grands nuages empourprés. Dès mon enfance, je n'ai cessé de recevoir sur mon visage cette haleine de solennité et de tempête. Tout à l'infini était libre et ouvert devant moi. Elle était grande ouverte devant moi, et je la contemplais d'un œil avide, cette porte immense par laquelle il ne cesse d'arriver quelque chose ! ...
"Par derrière il y a la forêt, cette sombre forêt de Beuvardes et de la Tournelle sur le seuil de qui jaillit cette fontaine, accompagnée d'un lavoir désert, qu'on appelle la fontaine de la Sibylle.
"Quel beau pays ! quel rude et sévère pays à l'écart de tout ! quel vieux pays, un des plus vieux de notre Gaule immémoriale ! Un coin de ce Tardenois gallo-romain, dont le sol livre encore des fragments de poterie, des monnaies barbares et des lames d'épées. On voit près de Fère ce rocher isolé appelé le Grès-qui-va-boire parce qu'au coucher du soleil son ombre essaie d'atteindre l'Ourcq..."
(Paul Claudel, 1948 - source du passage qui précède : http://www.paul-claudel.net/node/28/)

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 Salut, pays* !

Salut, village ! Hier depuis la route
J'ai reconnu à la crête de la colline
Les maisons parmi les clos.
Et, se découpant sur les nuées telles qu'un
Pays blanc, plein de montagnes et de précipices,
La vieille église avec son clocher qui penche !
Salut, pays !

Paul Claudel ("La Jeune Fille Violaine", Mercure de France, 1906) - * "pays" est ici le synonyme affectueux de "village"

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Paysage français

La rivière sans se dépêcher
Arrive au fond de la vallée

Assez large pour qu’un pont
La traverse d’un seul bond

Le clocher par-dessus la ville
Annonce une heure tranquille

Le dîner sera bientôt prêt
Tout le monde l’attend, au frais,

On entend les gens qui causent
Les jardins sont pleins de roses

Le rose propage et propose
L’ombre rouge à l’ombre rose

La campagne fait le pain
La colline fait le vin

C’est une sainte besogne
Le vin, c’est le vin de Bourgogne!

Le citoyen fort et farouche
Porte son verre à sa bouche

Mais la poule pousse affairée
Sa poulaille au poulailler

Tout le monde a fait son devoir
En voilà jusqu’à ce soir.

Le soleil dit:
Il est midi.

Paul Claudel ("Poésies diverses", Mercure de France, 1935 - réédité avec 14 autres poèmes illustrés dans "Dodoitzu et l'escargot alpiniste", Gallimard Jeunesse, 2005)



15 mai 2009

Pierre CORAN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Pierre Coran, auteur belge de langue française, est né en 1934. Instituteur, poète et romancier pour la jeunesse, la liste de ses écrits est  longue.

Quelques titres :
Comptines en Mots d'Ici et d'Ailleurs (éditions Casterman, collection Direlire, à paraître). Autour de 6 € le livre.
Comptines pour ne pas zozoter, avec Gabriel Lefebvre (éditions Casterman, collection Direlire, 1993).
Pierre Coran a publié de nombreux recueils de comptines et de jeux de langage aux éditions Casterman dans la même collection Direlire : Comptines pour jongler avec les rimes (2007), Comptines pour délier les langues à noeuds (2007), Comptines pour garder la cadence (1993), Comptines pour ne pas bredouiller (1993), Comptines pour nasiller comme un canard (1993),etc.
À parcourir aussi : Jaffabules ( Hachette Jeunesse, 1983) et Comptines et poèmes pour jouer avec la langue >> (avec Irène Coran, et Anne Letuffe, illustratrice - éditions Casterman, Les Grands livres, 2005). Ce beau livre est vendu 16 €.

Orage

La pluie me mouille,
La pluie me cingle.
Sa pattemouille
Sort ses épingles.

Il pleut du vent
Et des éclairs.
Un zèbre blanc
Strie la lumière.

La pluie se rouille
Et se déglingue.
Sa pattemouille
Perd ses épingles.

Sous le ciel veuf
D'un soleil mort,
Je me sens neuf
Comme une aurore.

Pierre Coran


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15 mai 2009

Charles CROS, Lise DEHARME - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Charles Cros (1842–1888) est un poète français ("Le Collier de griffes", "Le Coffret de santal") méconnu de ses contemporains et quelque peu oublié aujourd'hui. Il reste quand même son hareng saur, sec, sec, sec, qui se balance aux murs des écoles. Charles Cros est aussi un inventeur dépossédé : qui sait ce qu'il a apporté à la photographie ? Et le phonographe, qu'il avait théorisé, a été réalisé par Thomas Edison.

On observera que les paysages qu'aime Charles Cros sont, à l'image du personnage et de son oeuvre, surprenants :

Songe d'été

À d’autres les ciels bleus ou les ciels tourmentés,
La neige des hivers, le parfum des étés,
Les monts où vous grimpez, fiertés aventurières
Des Anglaises. Mes yeux aiment mieux les clairières
Où la charcuterie a laissé ses papiers,
Les sentiers où l’on sent encor l’odeur des pieds
Des soldats avec leurs payses, la presqu’île
De Gennevilliers, où croît l’asperge tranquille
Sous l’irrigation puante des égouts...
On ne dispute pas des couleurs ni des goûts.

Charles Cros ("Le Coffret de santal", 1873 - Gallimard poésie 1972)



Lise Deharme (1907-1981), est une romancière et poétesse française, proche d'André Breton et des Surréalistes. On trouvera ses d'autres textes de cette auteure sur le blog ici : l'humour de Lise Deharme et ici : des femmes poètes

Le pêcheur endormi

La ligne d'or
danse sur l'eau :
de chaque rayon
sort un oiseau.

Pêcheur qui dort
abasourdi
croit que le lac
est plein de nids.

Lise Deharme ("Cahiers de curieuse personne" - éditions des Cahiers libres, 1933)

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Un paysage-visage *. De quoi donner des idées de création plastique autrement qu'à la Arcimboldo, non ? ...

Curieuse

Tes cheveux sont des araignées noires et griffues
ton front un désert de sable blond
ton nez une vague de son
tes dents ont faim
ta bouche est fine
ton menton
une colline aiguë
mais tes yeux sont deux cratères
de lave et de gouffres ouverts
semés d'étincelles et de feu
Tes yeux sont deux mondes perdus.

Lise Deharme ("Le coeur de Pic" -  photographies de Claude Cahun - éditions Corti, 1937 et Éditions MeMo, 2004)

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* Ce poème me renvoie à une chanson qu'interprétait Claude Vinci, à contre-courant, dans les années 60, et dont l'auteur, qui l'a chantée lui aussi, est sans doute Max Rongier.* On y trouve le mot "censure", qui n'est pas une coquetterie de langage, mais une réalité de ce temps là ... * ce texte sera rangé dans un paragraphe "Max Rongier", s'il se confirme qu'il en est bien l'auteur... on compte sur vous ?

Ci-dessous, la pochette du 33 tours "Chansons pour vivre", qui contient "Ta chanson", jamais réédité (aucun des deux CD de Claude Vinci ne reprend ce titre), c'est bien dommage. Le nom de l'auteur doit se trouver sur ce disque, mais là on ne peut proposer qu'une image, trouvée sur un site marchand d'occasion ...

Claude_Vinci_Chansons_pour_vivre

Ta chanson *

Tes joues de près ce sont des plages
Tes yeux des lacs, tout bêtement,
Et ta bouche frileusement
C'est une fabrique à nuages

Ton front c'est déjà la forêt
Il y a peut-être des panthères
Tes cheveux quel raz-de-marée
Tout ruisselants de vrai mystère

Bref ton visage déluré
C'est un monde
Et je ne dis rien
De ta poitrine censurée
Dont je pense beaucoup de bien

Ce grain de beauté sur ton cou
C'est un soleil en pleine éclipse
Je n'ose le dire à mon goût
Il brûle mes doigts et je glisse

Voici tes bras comme les branches
De l'arbre de la tentation
Tes mains vaudraient une passion
Quand elles effleurent tes hanches

N'insistons pas et restons sages
Nous chanterons à l'unisson
Les secrets de tes paysages
Ailleurs que dans une chanson.

Max Rongier (sous réserves, pour les paroles) - * pas de confusion, ce titre est aussi celui d'une chanson de Jean Ferrat. Ferrat, Max Rongier et Claude Vinci se connaissaient bien, ayant beaucoup d'idées "communes". Vinci a chanté Ferrat, mais les deux chansons n'ont en commun que leur titre.



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