Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

lieu commun

15 mai 2009

Anne HÉBERT, Franz HELLENS, Émile HENRIOT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Anne Hébert (1916-2000) est une poète francophone du Québec.

La neige

La neige nous met en rêve
sur de vastes plaines,
sans traces ni couleur

Veille mon coeur,
la neige nous met en selle
sur des coursiers d'écume

Sonne l'enfance couronnée,
la neige nous sacre en haute-mer,
plein songe,
toutes voiles dehors

La neige nous met en magie,
blancheur étale,
plumes gonflées
où perce l'oeil rouge de cet oiseau.

Mon coeur,
trait de feu sous des palmes de gel
file le sang qui s'émerveille.

Anne Hébert 

----------------------------------------

La nuit

Le silence de la nuit
M'entoure
Comme de grands courants sous-marins

Je repose au fond de l'eau muette et glauque
J'entends mon cœur
Qui s' illumine et s'éteint
Comme un phare

Rythme sourd
Code secret
Je ne déchiffre aucun myst
ère

A chaque éclat de lumière
Je ferme les yeux
Pour la continuité de la nuit
La perpétuité du silence
Où je sombre.

Anne Hébert 

----------------------------------------

Leçon de ténèbres

S'endormir debout
Comme un arbre

Dans la nuit

Sans cils ni paupières
Les yeux grands ouverts
S'emplir de nuit

À ras bord

Le cœur noir de la nuit
Ruisselle sur mon cœur
Change mon sang
En encre de Chine

La nuit fluide coule dans mes veines
Je m'enracine en forêt noire
Chevilles liées
Âme dissoute dans la nuit

Immobile
Attendre que les temps soient révolus
Dans l'espoir d'une petite étoile
À l'horizon couleur de suie.

Anne Hébert



Franz Hellens (1916-2000), de son vrai nom Frédéric Van Ermengem, est un romancier, poète, critique d'art et essayiste belge d'origine flamande et d'expression française. Il a fait connaître Henri Michaux.
 

Manège d'hiver (titre proposé)
   
 
La terre ce matin s'enroule
 
Dans ses beaux draps de neige.
 
Allons nous mettre en boule
 
Et roule, roule mon manège,
 
Tourne, tourne entre terre et ciel
 
Jusqu'au prochain dégel.

Franz Hellens ("Florilège poétique de Franz Hellens", de Pierre Menanteau, illustré par Michel Ciry, éditions L'Amitié par le Livre, 1963 - initialement publié sous le titre général Réalités fantastiques, dans la revue Le Disque vert, dont il est  le fondateur, éditions Jacques Antoine, 1923)



Émile Henriot (1889-1961), romancier, poète, essayiste et journaliste (au quotidien "Le Temps", puis "Le Monde") a publié un très grand nombre d'ouvrages jusqu'à sa mort.
Peintre aquarelliste authentique également, l'auteur peint ici dans le recueil "Aquarelles" deux paysages, et dans un autre recueil, bien plus tard, un poème qui a perdu un peu de sa facture classique, porte le titre d'aquarelle.

Ce premier texte est un tableau inspiré du village de Frouville, dans le Vexin du Val d'Oise, à côté de Nesles-la-Vallée, où a vécu le poète et dont une avenue porte le nom.

Le village

Le village est au fond de la vallée. En haut
De la route qui tourne au penchant du coteau
On l'aperçoit qui rêve au milieu des prairies,
Et regarde courir dans ses rives fleuries
La rivière d'argent qu'enjambe le vieux pont.
Voici la ferme, un puits, l'église … Des pigeons
Traversent brusquement le ciel et, de leurs ailes,
Jettent sur les toits d'or l'ombre volante et frêle.
Silence. Calme. Quiétude. - On n'entend rien
Que des branches, où passe un souffle aérien.

Émile Henriot ("Aquarelles", Émile-Paul frères, 1922) 

----------------------------------------

Paysages

J'aime les frais matins peuplés de tourterelles,
 
Les ciels purs et lavés comme des aquarelles,
 
L'azur, tout ce qui chante et tout ce qui sourit,
 
L'humble lilas qui s'ouvre et doucement fleurit,
 
L'oiseau comme un désir posé de branche en branche,
 
Et, dans un jardin clair, avec sa robe blanche,
Une rose au corsage ainsi qu'un cœur de feu,
Légère, et douce à voir, quelque enfant à l'œil bleu
Qui rêve, et longuement presse contre sa bouche
Une autre rose rouge et dont l'odeur la touche.

Émile Henriot ("Aquarelles", Émile-Paul frères, 1922) 

----------------------------------------

Aquarelle

Je voudrais peindre ce paysage
en trempant dans l'eau du canal
ce peuplier sans feuille encore
qui a l'air vraiment d'un pinceau.
Sur l'écran du ciel comme une soie grise,
j'inscrirais d'une touche de laque violette très mouillée
le mouvement de cette colline à fin d'horizon,
puis, couleur de rouille et de fumée,
ces bois à demi dissous dans la brume,
et je réserverais pour la plume et l'encre de Chine,
ce bel arbre aux branches tordues
et enchevêtrées au premier plan.
Ce ne sera pas facile à rendre cet emmêlement
et cette ramification délicate,
et toutes ces brindilles capricieuses.
Il faudrait savoir dessiner.
Mais, ce sera ma récompense,
je garde pour le dernier moment,
d'un seul large coup de pinceau,
cette belle coulée d'émeraude pure
qui représentera le pré ;
et tout à la fin, signature,
pour faire chanter tout le reste,
une petite tache de vermillon
aussitôt écrasée du pouce,
pour figurer le toit d'une maison dans l'éloignement
à travers ce tendre et mélancolique paysage
noyé d'eau sous un ciel d'hiver.

Émile Henriot ("Les jours raccourcissent", 1954)



Publicité
15 mai 2009

José María de HEREDIA - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

José María de Heredia (1842-1905) est né à Cuba. Il n'a été naturalisé français qu'en 1893, mais est venu en France à l'âge de neuf ans, et a écrit toute son œuvre, textes historiques et poésie en français. Il est l'auteur d'un seul recueil de poèmes, Les Trophées, en 1893, mais c'est l'un des principaux animateurs, avec Leconte de Lisle, du mouvement poétique Le Parnasse (Les Parnassiens sont des défenseurs de "l'art pour l'art").

Un paysage du tout Nouveau monde :

Les conquérants

Comme un vol de gerfauts* hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer*, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango* mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

Ou penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.

José María de Heredia (Les Trophées - 1893) *Le gerfaut est le faucon gerfaut, oiseau rapace - *Palos de Moguer, c'est "Palos" ou plus précisément "Palos de La Frontera", le port espagnol d'Andalousie d'où Christophe Colomb a embarqué pour la découverte de l'Amérique.*Cipango est le nom que Colomb donna à l'île des Caraïbes (actuelle Cuba) qu'il atteignit à son premier voyage, croyant être arrivé en Orient  par la route de l'ouest. Le nom donné plus tard au "Japon" dérive de "Cipango".

----------------------------------------

Le récif de corail

Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore,
Eclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.

Et tout ce que le sel ou l'iode colore,
Mousse, algue chevelue, anémones, oursins,
Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.

De sa spendide écaille éteignant les émaux,
Un grand poisson navigue à travers les rameaux;
Dans l'ombre transparente indolemment il rôde;

Et, brusquement, d'un coup de sa nageoire en feu
Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu,
Courir un frisson d'or, de nacre et d'émeraude.

José María de Heredia (Les Trophées - 1893)

----------------------------------------

Un paysage de France :

Bretagne

Pour que le sang joyeux dompte l'esprit morose,
Il faut, tout parfumé du sel des goëmons,
Que le souffle atlantique emplisse tes poumons ;
Arvor t'offre ses caps que la mer blanche arrose.

L'ajonc fleurit et la bruyère est déjà rose.
La terre des vieux clans, des nains et des démons,
Ami, te garde encor, sur le granit des monts,
L'homme immobile auprès de l'immuable chose.

Viens. Partout tu verras, par les landes d'Arez*,
Monter vers le ciel morne, infrangible cyprès,
Le menhir sous lequel gît la cendre du Brave ;

Et l'Océan, qui roule en un lit d'algues d'or
Is la voluptueuse et la grande Occismor,
Bercera ton cœur triste à son murmure grave.

José María de Heredia (Les Trophées - 1893) - *Arez, sans doute les monts d'Arrée.


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



15 mai 2009

Victor HUGO - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Victor Hugo (1802-1885), est le plus édité des poètes français, un monument trop connu pour être présenté ? mais il mérite une visite ...

Saison des semailles. Le soir
ou Le semeur

C'est le moment crépusculaire
J'admire assis sous un portail
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles,
Le geste auguste du semeur.

Victor Hugo ("Les Chansons des rues et des bois" - 1865)

----------------------------------------

On choisira quelques strophes des "Soleils couchants" romantiques de Victor Hugo (on peut éviter les strophes 5 et 6 en élémentaire) :

Soleils couchants 

J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs,
Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs
Ensevelis dans les feuillages ;
Soit que la brume au loin s’allonge en bancs de feu ;
Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu
Á des archipels de nuages.

Oh ! regardez le ciel ! cent nuages mouvants,
Amoncelés là-haut sous le souffle des vents,
Groupent leurs formes inconnues ;
Sous leurs flots par moments flamboie un pâle éclair.
Comme si tout à coup quelque géant de l’air
Tirait son glaive dans les nues.

Le soleil, à travers leurs ombres, brille encor ;
Tantôt fait, à l’égal des larges dômes d’or,
Luire le toit d’une chaumière ;
Ou dispute aux brouillards les vagues horizons ;
Ou découpe, en tombant sur les sombres gazons,
Comme de grands lacs de lumière.

Puis voilà qu’on croit voir, dans le ciel balayé,
Pendre un grand crocodile au dos large et rayé,
Aux trois rangs de dents acérées ;
Sous son ventre plombé glisse un rayon du soir ;
Cent nuages ardents luisent sous son flanc noir
Comme des écailles dorées.

Puis se dresse un palais. Puis l’air tremble, et tout fuit.
L’édifice effrayant des nuages détruit
S’écroule en ruines pressées ;
Il jonche au loin le ciel, et ses cônes vermeils
Pendent, la pointe en bas, sur nos têtes, pareils
Á des montagnes renversées.

Ces nuages de plomb, d’or, de cuivre, de fer,
Où l’ouragan, la trombe, et la foudre, et l’enfer
Dorment avec de sourds murmures,
C’est Dieu qui les suspend en foule aux cieux profonds,
Comme un guerrier qui pend aux poutres des plafonds
Ses retentissantes armures.

Tout s’en va ! Le soleil, d’en haut précipité,
Comme un globe d’airain qui, rouge, est rejeté
Dans les fournaises remuées,
En tombant sur leurs flots que son choc désunit
Fait en flocons de feu jaillir jusqu’au zénith
L’ardente écume des nuées.

Oh ! contemplez le ciel ! et dès qu’a fui le jour,
En tout temps, en tout lieu, d’un ineffable amour,
Regardez à travers ses voiles ;
Un mystère est au fond de leur grave beauté,
L’hiver, quand ils sont noirs comme un linceul, l’été,
Quand la nuit les brode d’étoiles.

Victor Hugo ("Les Feuilles d'automne" - 1831)

----------------------------------------

Printemps

C'est la jeunesse et le matin.
Vois donc, ô ma belle farouche,
Partout des perles : dans le thym,
Dans les roses, et dans ta bouche.

L'infini n'a rien d'effrayant ;
L'azur sourit à la chaumière
Et la terre est heureuse, ayant
Confiance dans la lumière.

Quand le soir vient, le soir profond,
Les fleurs se ferment sous les branches ;
Ces petites âmes s'en vont
Au fond de leurs alcôves blanches.

Elles s'endorment, et la nuit
A beau tomber noire et glacée,
Tout ce monde des fleurs qui luit
Et qui ne vit que de rosée,

L'oeillet, le jasmin, le genêt,
Le trèfle incarnat qu'avril dore,
Est tranquille, car il connaît
L'exactitude de l'aurore.

Victor Hugo ("Les Chansons des rues et des bois" - 1865)

----------------------------------------

Le chapitre IV de la partie "le feu du ciel" dans le recueil "Les Orientales", nous expose le majestueux paysage de l'Égypte ancienne, "trois monts bâtis par l'homme" : les Pyramides de Gizeh (Chéfren, Chéops et Mykérinos) ; le Nil dans sa vallée ; et le feu de Râ, le roi Soleil.

Le feu du ciel (passage)

[...]

IV

L'Égypte ! - Elle étalait, toute blonde d'épis,
Ses champs, bariolés comme un riche tapis,
Plaines que des plaines prolongent ;
L'eau vaste et froide au nord, au sud le sable ardent
Se disputent l'Égypte ; elle rit cependant
Entre ces deux qui la rongent.

Trois monts bâtis par l'homme au loin perçaient les cieux
D'un triple angle de marbre, et dérobaient aux yeux
Leurs bases de cendre inondées ;
Et, de leur faîte aigu jusqu'aux sables dorés,
Allaient s'élargissant leurs monstrueux degrés,
Faits pour des pas de six coudées.

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu'il fût vent de flamme au désert
Qui leur fît baisser la paupière.
Des vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port.
Une ville géante, assise sur le bord,
Baignait dans l'eau ses pieds de pierre.

On entendait mugir le semoun* meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles.
Les obélisques gris s'élançaient d'un seul jet.
Comme une peau de tigre, au couchant s'allongeait
Le Nil jaune, tacheté d'îles.

L'astre-roi se couchait. Calme, à l'abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d'or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l'un de l'autre.

[...]

Victor Hugo ("Les Orientales" - 1829) - * on orthographie aujourd'hui "simoun", vent chaud et sec du désert

----------------------------------------

Une nuit qu'on entendait la mer sans la voir

Quels sont ces bruits sourds ?
Ecoutez vers l’onde
Cette voix profonde
Qui pleure toujours
Et toujours gronde,
Quoique un son plus clair
Parfois l’interrompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe
Comme il pleut ce soir !
N’est-ce pas, mon hôte ?
Là-bas, à la côte,
Le ciel est bien noir,
La mer est bien haute !
On dirait l’hiver ;
Parfois on s’y trompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.
Oh ! marins perdus !
Au loin, dans cette ombre,
Sur la nef qui sombre !
Que de bras tendus
Vers terre sombre !
Pas d’ancre de fer
Que le flot ne rompe…
Le vent de la mer
Souffle dans sa trompe.

Victor Hugo ("Les Voix intérieures" - 1836)

----------------------------------------

La source

La source tombait du rocher
Goutte à goutte à la mer affreuse,
L'Océan, fatal au nocher,
Lui dit : - Que me veux-tu, pleureuse ?

Je suis la tempête et l'effroi
Je finis où le ciel commence,
Est-ce que j'ai besoin de toi,
Petite, moi qui suis l'immense ?

La source dit au gouffre amer :
- Je te donne, sans bruit ni gloire,
Ce qui te manque, ô vaste mer !
Une goutte d'eau qu'on peut boire.

Victor Hugo ("Les Contemplations" - 1854)

----------------------------------------

De ce tableau apocalyptique décrivant la "Campagne de Russie" (hiver 1812), menée par Napoléon, on a isolé deux passages  :

L'expiation

Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l'aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l'empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
[...]

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.

[...] 

Victor Hugo ("Les Châtiments" - 1853)

----------------------------------------

[...] Livre sixième - La stabilité est assurée

chapitre XV

Stella

Je m'étais endormi la nuit près de la grève.
Un vent frais m'éveilla, je sortis de mon rêve,
J'ouvris les yeux, je vis l'étoile du matin.
Elle resplendissait au fond du ciel lointain
Dans sa blancheur molle, infinie et charmante.
Aquilon s'enfuyait emportant la tourmente.
L'astre éclatant changeait la nuée en duvet.
C'était une clarté qui pensait, qui vivait
Elle apaisait l'écueil où la vague déferle
On croyait voir une âme à travers une perle.
Il faisait nuit encor, l'ombre régnait en vain,
Le ciel s'illuminait d'un sourire divin.
La lueur argentait le haut du mât qui penche ;
Le navire était noir, mais la voile était blanche
Des goëlands debout sur un escarpement,
Attentifs, contemplaient l'étoile gravement
Comme un oiseau céleste et fait d'une étincelle
L'océan, qui ressemble au peuple, allait vers elle,
Et rugissant tout bas, la regardait briller,
Et semblait avoir peur de la faire envoler.
Un ineffable amour emplissait l'étendue.
L'herbe verte à mes pieds frissonnait éperdue,
Les oiseaux se parlaient dans les nids ; une fleur
Qui s'éveillait me dit -. c'est l'étoile ma soeur.
Et pendant qu'à longs plis l'ombre levait son voile,
J'entendis une voix qui venait de l'étoile...

[...]

31 août. Jersey

Victor Hugo ("Les Châtiments" - 1853)

----------------------------------------

Le poète s'en va dans les champs ...

Le poète s'en va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles :
- Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.
Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur !

Victor Hugo ("Les Contemplations" - 1854)

----------------------------------------

On ne propose en général à la classe, de ce poème difficile, que les deux ou trois dernières strophes :

Va-t'en, me dit la bise 

- Va-t'en, me dit la bise,
C'est mon tour de chanter. -
Et tremblante, surprise,
N'osant pas résister,

Fort décontenancée
Devant un Quos ego,
Ma chanson est chassée
Par cette Virago.

Pluie. On me congédie
Partout, sur tous les tons.
Fin de la comédie.
Hirondelles, partons.

Grêle et vent. La ramée
Tord ses bras rabougris ;
Là-bas fuit la fumée
Blanche sur le ciel gris.

Une pâle dorure
Jaunit les coteaux froids.
Le trou de ma serrure
Me souffle sur les doigts.

Victor Hugo ("Les Chansons des rues et des bois" - 1865 - dans le "Livre deuxième, Sagesse", au chapitre IV, "Nivôse")

----------------------------------------

La rivière Bièvre est un affluent de la Seine. La vallée de la Bièvre, que Victor Hugo, Ronsard, et lus récemment jean Morés ont mise en vers, est aujourd'hui pour les naturalistes et les amateurs de paysages, de flore et de faune, un lieu de balades (et de ballades, pour les poètes). De Massy-Palaiseau à Antony, en passant par Verrières-le Buisson et Jouy-en-Josas, son parcours est semé de lavoirs et de moulins plus ou moins restaurés.

Bièvre (passages)

À Mademoiselle Louise B.

I

[...]

Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes.
Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ;
Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ;
Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive,
Et, comme une baigneuse indolente et naïve,
Laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux.

Là-bas, un gué bruyant dans des eaux poissonneuses
Qui montrent aux passants lés jambes des faneuses ;
Des carrés de blé d'or ; des étangs au flot clair ;
Dans l'ombre, un mur de craie et des toits noirs de suie ;
Les ocres des ravins, déchirés par la pluie ;
Et l'aqueduc au loin qui semble un pont de l'air.

Et, pour couronnement à ces collines vertes,
Les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes,
Le ciel, bleu pavillon par Dieu même construit,
Qui, le jour, emplissant de plis d'azur l'espace,
Semble un dais suspendu sur le soleil qui passe,
Et dont on ne peut voir les clous d'or que la nuit !

Oui, c'est un de ces lieux où notre coeur sent vivre
Quelque chose des cieux qui flotte et qui l'enivre ;
Un de ces lieux qu'enfant j'aimais et je rêvais,
Dont la beauté sereine, inépuisable, intime,
Verse à l'âme un oubli sérieux et sublime
De tout ce que la terre et l'homme ont de mauvais !

II

Si dès l'aube on suit les lisières
Du bois, abri des jeunes faons,
Par l'âpre chemin dont les pierres
Offensent les mains des enfants,
A l'heure où le soleil s'élève,
Où l'arbre sent monter la sève,
La vallée est comme un beau rêve.
La brume écarte son rideau.
Partout la nature s'éveille ;
La fleur s'ouvre, rose et vermeille ;
La brise y suspend une abeille,
La rosée une goutte d'eau !

Et dans ce charmant paysage
Où l'esprit flotte, où l'oeil s'enfuit,
Le buisson, l'oiseau de passage,
L'herbe qui tremble et qui reluit,
Le vieil arbre que l'âge ploie,
Le donjon qu'un moulin coudoie,
Le ruisseau de moire et de soie,
Le champ où dorment les aïeux,
Ce qu'on voit pleurer ou sourire,
Ce qui chante et ce qui soupire,
Ce qui parle et ce qui respire,
Tout fait un bruit harmonieux !

[...]

IV

Et l'on ne songe plus, tant notre âme saisie
Se perd dans la nature et dans la poésie,
Que tout près, par les bois et les ravins caché,
Derrière le ruban de ces collines bleues,
A quatre de ces pas que nous nommons des lieues,
Le géant Paris est couché !

On ne s'informe plus si la ville fatale,
Du monde en fusion ardente capitale,
Ouvre et ferme à tel jour ses cratères fumants ;
Et de quel air les rois, à l'instant où nous sommes,
Regardent bouillonner dans ce Vésuve d'hommes
La lave des événements !

8 juillet 1831

Victor Hugo ("Les Feuilles d'automne" - 1831)

----------------------------------------

Promenades dans les rochers
 

(début et fin de ce passage daté du 7 août)

[...] Deuxième promenade

La mer donne l'écume et la terre le sable.
L'or se mêle à l'argent dans les plis du flot vert.
J'entends le bruit que fait l'éther infranchissable,
Bruit immense et lointain, de silence couvert.

[...] 

Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe,
Et de l'enfant qui chante il emporte la voix.
Ô vent ! Que vous courbez à la fois de brins d'herbe !
Et que vous emportez de chansons à la fois !

Qu'importe ! Ici tout berce, et rassure, et caresse.
Plus d'ombre dans le cœur ! Plus de soucis amers !
Une ineffable paix monte et descend sans cesse
Du bleu profond de l'âme au bleu profond des mers..

Victor Hugo ("Les Quatre vents de l'esprit" - 1881 - chapitre XLVIII : Promenades dans les rochers)

----------------------------------------

Spectacle rassurant

Tout est lumière, tout est joie,
L'araignée au pied diligent
Attache aux tulipes de soie
Ses rondes dentelles d'argent.

La frissonnante libellule
Mire les globes de ses yeux
Dans l'étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux !

La rose semble, rajeunie,
S'accoupler au bouton vermeil ;
L'oiseau chante plein d'harmonie
Dans les rameaux pleins de soleil.

Sa voix bénit le Dieu de l'âme
Qui, toujours visible au coeur pur,
Fait l'aube, paupière de flamme,
Pour le ciel, prunelle d'azur !

Sous les bois, où tout bruit s'émousse,
Le faon craintif joue en rêvant ;
Dans les verts écrins de la mousse
Luit le scarabée, or vivant.

La lune au jour est tiède et pâle
Comme un joyeux convalescent ;
Tendre, elle ouvre ses yeux d'opale
D'où la douceur du ciel descend !

La giroflée avec l'abeille
Folâtre en baisant le vieux mur ;
Le chaud sillon gaîment s'éveille,
Remué par le germe obscur.

Tout vit, et se pose avec grâce,
Le rayon sur le seuil ouvert,
L'ombre qui fuit sur l'eau qui passe,
Le ciel bleu sur le coteau vert !

La plaine brille, heureuse et pure ;
Le bois jase ; l'herbe fleurit.
- Homme ! ne crains rien ! la nature
Sait le grand secret, et sourit.

Victor Hugo ("Les Rayons et les Ombres" - 1840)

----------------------------------------

Pluie d'été

Que la soirée est fraîche et douce !
Oh ! viens ! il a plu ce matin ;
Les humides tapis de mousse
Verdissent tes pieds de satin.
L'oiseau vole sous les feuillées,
Secouant ses ailes mouillées ;
Pauvre oiseau que le ciel bénit !
Il écoute le vent bruire,
Chante, et voit des gouttes d'eau luire,
Comme des perles, dans son nid.

La pluie a versé ses ondées ;
Le ciel reprend son bleu changeant ;
Les terres luisent fécondées
Comme sous un réseau d'argent.
Le petit ruisseau de la plaine,
Pour une heure enflé, roule et traîne
Brins d'herbe, lézards endormis,
Court, et précipitant son onde
Du haut d'un caillou qu'il inonde,
Fait des Niagaras aux fourmis !

Tourbillonnant dans ce déluge,
Des insectes sans avirons,
Voguent pressés, frêle refuge !
Sur des ailes de moucherons ;
D'autres pendent, comme à des îles,
A des feuilles, errants asiles ;
Heureux, dans leur adversité,
Si, perçant les flots de sa cime,
Une paille au bord de l'abîme
Retient leur flottante cité !

Les courants ont lavé le sable ;
Au soleil montent les vapeurs,
Et l'horizon insaisissable
Tremble et fuit sous leurs plis trompeurs.
On voit seulement sous leurs voiles,
Comme d'incertaines étoiles,
Des points lumineux scintiller,
Et les monts, de la brume enfuie,
Sortir, et, ruisselants de pluie,
Les toits d'ardoise étinceler.

Viens errer dans la plaine humide.
À cette heure nous serons seuls.
Mets sur mon bras ton bras timide ;
Viens, nous prendrons par les tilleuls.
Le soleil rougissant décline
Avant de quitter la colline,
Tourne un moment tes yeux pour voir,
Avec ses palais, ses chaumières,
Rayonnants des mêmes lumières,
La ville d'or sur le ciel noir.

Oh ! vois voltiger les fumées
Sur les toits de brouillards baignés !
Là, sont des épouses aimées,
Là, des coeurs doux et résignés.
La vie, hélas ! dont on s'ennuie,
C'est le soleil après la pluie. --
Le voilà qui baisse toujours !
De la ville, que ses feux noient,
Toutes les fenêtres flamboient
Comme des yeux au front des tours.

L'arc-en-ciel ! l'arc-en-ciel ! Regarde. --
Comme il s'arrondit pur dans l'air !
Quel trésor le Dieu bon nous garde
Après le tonnerre et l'éclair !
Que de fois, sphères éternelles,
Mon âme a demandé ses ailes,
Implorant quelque Ithuriel,
Hélas ! pour savoir à quel monde
Mène cette courbe profonde,
Arche immense d'un pont du ciel !

Victor Hugo ("Odes et ballades" - 1828)

----------------------------------------

Joie des choses

Tout est pris d'un frisson subit.
L'hiver s'enfuit et se dérobe.
L'année ôte son vieil habit ;
La terre met sa belle robe.

L'arbre est coquet ; parmi les fleurs
C'est à qui sera la plus belle ;
Toutes étalent leurs couleurs,
Et les plus laides ont du zèle.


On fait les foins. Bientôt les blés.
Le faucheur dort sous la cépée ;
Et tous les souffles sont mêlés
D'une senteur d'herbe coupée.

On voit rôder l'abeille à jeun,
La guêpe court, le frelon guette ;
A tous ces buveurs de parfum
Le printemps ouvre sa guinguette.

Victor Hugo ("L'Art d'être grand-père" - 1877)

----------------------------------------

Brèves images, petites touches juxtaposées, pour un paysage très sonore et habité :

Le matin - En dormant

J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.
Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre.
Cris des baigneurs. Plus près ! plus loin ! non, par ici !
Non, par là ! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi.
Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle
Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle.
Grincement d'une faux qui coupe le gazon.
Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison.
Bruits du port. Sifflement des machines chauffées.
Musique militaire arrivant par bouffées.
Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci.
Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici
Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge.
Vacarme de marteaux lointains dans une forge.
L'eau clapote. On entend haleter un steamer.
Une mouche entre. Souffle immense de la mer.

Victor Hugo ("L'Art d'être grand-père" - 1877, chapitre "Fenêtres ouvertes")

----------------------------------------

Au mois d'août de l'année 79, le volcan Vésuve détruit brutalement les villes de Pompéï et d'Herculanum. Les trois premiers vers en italique de cette partie VII qui clôt le long poème intitulé “Dicté après Juillet 1830", sont en principe retirés du texte proposé en classe :

Le Vésuve

[...]

Et désormais, chargés du seul fardeau des âmes,
Pauvres comme le peuple, humbles comme les femmes,
Ne redoutez plus rien. Votre église est le port !

Quand longtemps a grondé la bouche du Vésuve,
Quand sa lave écumant comme un vin dans la cuve,
Apparaît toute rouge au bord,

Naples s’émeut : pleurante, effarée et lascive,
Elle accourt, elle étreint la terre convulsive ;
Elle demande grâce au volcan courroucé.
Point de grâce ! Un long  jet de cendre et de fumée
Grandit incessamment sur la cime enflammée
Comme un cou de vautour hors de l’aire dressé.

Soudain un éclair luit ! Hors du cratère immense
La sombre éruption bondit comme en démence :
Adieu, le fronton grec et le temple toscan !
La flamme des vaisseaux empourpre la voilure.
La lave se répand comme une chevelure
Sur les épaules du volcan.

Elle vient, elle vient, cette lave profonde
Qui féconde les champs et fait des ports dans l’onde.
Plage, mers, archipels, tout trésaille à la fois.
Les flots roulent vermeils, fumants, inexorables,
Et Naples et ses palais tremblent plus misérables,
Qu’au souffle de l’orage une feuille de bois !

Chaos prodigieux ! la cendre emplit les rues.
La terre revomit des maisons disparues,
Chaque toit éperdu se heurte au toit voisin,
La mer bout dans le golfe et la plaine s’embrase,
Et les clochers géants, chancelant sur leur base,
Sonnent d’eux-mêmes le tocsin !

[...]

Victor Hugo ("Les Chants du crépuscule" - 1835, dans la partie VII du poème “Dicté après Juillet 1830")



15 mai 2009

Philippe JACCOTTET, Max Jacob, Francis JAMMES - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Alexandre Voisard, Charles-Ferdinand Ramuz, et Philippe Jaccottet ci-dessous.

Philippe Jaccottet (deux "t", deux "c") est un poète suisse d'expression française, né en 1925.
En préface du recueil "Poésie, 1946-1967" paru en Poésie/Gallimard, Jean Starobinski écrit : "La poésie de Jaccottet tirera sa force, non de l'énergie improvisatrice ni de l'ingéniosité combinatoire, mais de l'exigence constante de la véracité"...

Quelques passages de ce recueil :

Celui-ci est la première partie du poème "Les eaux et les forêts"

Les eaux et les forêts (début)

I

La clarté de ces bois en mars est irréelle,
tout est encor si frais qu’à peine, insiste-t-elle.
Les oiseaux ne sont pas nombreux ; tout juste si,
très loin, où l’aubépine éclaire les taillis,
le coucou chante. On voit scintiller des fumées
qui emportent ce qu’on brûla d’une journée,
la feuille morte sert les vivantes couronnes,
et suivant la leçon des plus mauvais chemins,
sous les ronces, on rejoint le nid de l’anémone,
claire et commune comme l’étoile du matin.

Philippe Jaccottet ("L'Effraie et autres poésies", Gallimard, 1953 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 sous le titre "Poésie, 1946-1967")

----------------------------------------

Nouvelles notes pour la semaison 

Maintenant la terre s’est dévoilée
et la lumière du soleil en tournant comme un phare
fait les arbres tantôt roses tantôts noirs.
Puis elle écrit sur l’herbe avec une encre légère.

Un soir, le ciel resta plus longtemps clair
sur les grands jardins verts et noirs
couleur des pluies de la veille.
Les globes luirent trop tôt.
Alors dans le nid des branches
apparut le chant du merle
et ce fut comme si l'huile de la lumière
brûlait doucement dans cette faible lampe noire,
ou la voix même de la lune
venue prédire la nuit de mars aux passagers..
.

Philippe Jaccottet ("L'ignorant", Gallimard, 1957 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 sous le titre "Poésie, 1946-1967")

----------------------------------------

Deux passages de poèmes plus difficiles, réunis sous le titre "Oiseaux, fleurs et fruits" dans le recueil "Airs" :

sans titre

Je marche
dans un jardin de braises fraiches
sous leur abri de feuilles
un charbon ardent sur la bouche

Philippe Jaccottet ("Airs", Gallimard, 1967 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 dans le recueil "Poésie, 1946-1967")

----------------------------------------

Fruits

Dans les chambres des vergers
Ce sont des globes suspendus
Que la course du temps colore
Des lampes que le temps allume
Et dont la lumière est parfum
On respire sous chaque branche
Le fouet colorant de la hâte
Ce sont des perles parmi l’herbe
De nacre à mesure plus rose
Que les brumes sont moins lointaines
Des pendeloques plus pesantes
Que moins de linge elles ornent
Comme ils dorment longtemps
Sous les mille paupières vertes !
Et comme la chaleur
Par la hâte avivée
Leur fait le regard avide !

Philippe Jaccottet ("Airs", Gallimard, 1967 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 dans le recueil "Poésie, 1946-1967")

----------------------------------------

Du recueil "Pensées sous les nuages" :

L’aurais-je donc inventé ?... (titre suggéré pour ce passage)

L’aurais-je donc inventé, le pinceau du couchant
sur la toile rugueuse de la terre,
l’huile dorée du soir sur les prairies et sur les bois ?

C’était pourtant comme la lampe sur la table avec le pain.

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)

----------------------------------------

Jour à peine plus jaune .... (titre suggéré pour ce passage) 

Jour à peine plus jaune sur la pierre et plus long,
ne vas-tu pas pouvoir me réparer ?
Soleil enfin moins timoré, soleil croissant,
ressoude-moi ce coeur.

Lumière qui te voûtes pour soulever l'ombre
et secouer le froid de tes épaules,
je n'ai jamais cherché qu'à te comprendre et t'obéir.

Ce mois de février est celui où tu te redresses
très lentement comme un lutteur jeté à terre
et qui va l'emporter -
soulève-moi sur tes épaules,
lave-moi de nouveau les yeux, que je m'éveille,
arrache-moi de terre, que je n'en mâche pas
avant le temps comme le lâche que je suis.

Je ne peux plus parler qu'à travers ces fragments pareils
à des pierres qu'il faut soulever avec leur part d'ombre
et contre quoi l'on se heurte,
plus épars qu'elles.

Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre
le filet déchiré, maille après maille,
et ce serait, dans l'espace plus haut,
comme recoudre, astre à astre, la nuit ...

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)

----------------------------------------

Chemins de montagne (titre suggéré pour ce passage)

Maintenant nous montons dans ces chemins de montagne,
Parmi les prés pareils à des litières
D’où le bétail des nuages viendrait de se relever
Sous le bâton du vent.
On dirait que de grandes formes marchent dans le ciel.

La lumière se fortifie, l’espace croît,
les montagnes ressemblent de moins en moins à des murs,
elles rayonnent, elles croissent elles aussi,
les grands portiers circulent au-dessus de nous –
et le mot que la buse trace lentement, très haut,
si l’air l’efface, n’est-ce pas celui que nous pensions
ne plus pouvoir entendre ?
Qu’avons-nous franchi là ?
Une vision, pareille à un labour bleu ?
Garderons-nous l’empreinte à l’épaule, plus d’un instant, de cette main ?

Philippe Jaccottet ("Pensées sous les nuages", Gallimard, 1983)



Max Jacob (1876-1944) était écrivain, poète et peintre, ami de peintres cubistes comme Pablo Picasso, Georges Braque et Juan Gris, et de poètes, comme Guillaume Apollinaire, puis plus tard, de Jean Cocteau, Modigliani, ou encore Marcel Béalu, Michel Manoll, René-Guy Cadou, Jean Rousselot ...
Il est auteur de contes pour enfants, et de nombreux recueils de poésie, certains en prose ("Le Cornet à dés" est d'abord édité en 1917 à compte d'auteur).
Voir la suite de cette présentation
ici sur le blog, avec le poème "Amour du prochain".

- - - - - - - - - - - - - - - - -

C'est le pays natal, la campagne bretonne, dans l'estuaire de l'Odet, qui est ici évoqué, à l'heure du départ pour la ville :

Le départ

Adieu l’étang et toutes mes colombes
Dans leur tour et qui mirent gentiment
Leur soyeux plumage au col blanc qui bombe,
Adieu l’étang.
Adieu maison et ses toitures bleues
Où tant d’amis, dans toutes les saisons,
Pour nous revoir avaient fait quelques lieues,
Adieu maison.

[...] deux quatrains ont été sautés

Adieu vergers, les caveaux et les planches
Et sur l’étang notre bateau voilier,
Notre servante avec sa coiffe blanche,
Adieu vergers.
Adieu aussi mon fleuve clair ovale,
Adieu montagne ! Adieu arbres chéris !
C’est vous qui êtes ma capitale
Et non Paris.


Max Jacob ("Le laboratoire central", Gallimard, 1921)


Francis Jammes (1868-1938) est l'auteur de "La Prière", poème chanté par Georges Brassens (voir la catégorie BRASSENS chante les poètes) et de "J'aime l'âne si doux" :
"J'aime l'âne si doux / marchant le long des houx. / Il a peur des abeilles /et bouge ses oreilles...
Qualifié parfois de "poète naturaliste", il porte une tendresse particulière à cet animal. Une autre de ses poésies, comme toute son oeuvre empreinte de mysticisme, s'intitule d'ailleurs "Prière pour aller au Paradis avec les ânes".

L'association Francis Jammes possède un site où on trouvera des informations complémentaires, et où nous avons emprunté le poème "Un jour bleu de l'été" :
http://www.francis-jammes.com/index.html

Un jour bleu de l'été ...

Un jour bleu de l'été que nous nous promenions,
Le petit que j'étais et la vieille servante,
Nous vîmes, sur le foin aux vagues reluisantes,
Battre des ailes un énorme papillon.

Et, m’avançant avec mille précautions,
Je posai brusquement sur cette fleur vivante
Mon chapeau, sous lequel je la pris pantelante,
Puis l'emportai dans une boîte à la maison.

Et mon cœur se serra d'indicible tristesse
Quand je montrai l'insecte à mes parents. Qu'était-ce ?
Comment le reconnaître ? Ah ! Il n'était plus tel

Que tout à l'heure... O mes frères en poésie !
Il n'avait plus autour des ailes la prairie
Qui me l'avait fait croire aussi grand que le ciel.

Francis Jammes ("La Vierge et les Sonnets", Sonnets pour commencer, VII - Mercure de France, 1919)

----------------------------------------

On choisira des passage de ce texte, qui n'est, on s'en doute, jamais intégralement proposé :

Le vieux village

            À André Gide

Le vieux village était rempli de roses
et je marchais dans la grande chaleur
et puis ensuite dans la grande froideur
de vieux chemins où les feuilles s’endorment.

Puis je longeai un mur long et usé ;
c’était un parc où étaient de grands arbres,
et je sentis une odeur du passé,
dans les grands arbres et dans les roses blanches.

Personne ne devait l’habiter plus...
Dans ce grand parc, sans doute, on avait lu...
Et maintenant, comme s’il avait plu,
les ébéniers luisaient au soleil cru.

Ah ! des enfants des autrefois, sans doute,
s’amusèrent dans ce parc si ombreux...
On avait fait venir des plantes rouges
des pays loin, aux fruits très dangereux.

Et les parents, en leur montrant les plantes,
leur expliquaient : celle-ci n’est pas bonne...
c’est du poison... elle arrive de l’Inde...
et celle-là est de la belladone.

Et ils disaient encore : cet arbre-ci
vient du Japon où fut votre vieil oncle...
Il l’apporta tout petit, tout petit,
avec des feuilles grandes comme l’ongle.

Ils disaient encore : nous nous souvenons
du jour où l’oncle revint d’un voyage aux Indes ;
il arriva à cheval, par le fond
du village, avec un manteau et des armes...

C’était un soir d’été. Des jeunes filles
couraient au parc où étaient de grands arbres,
des noyers noirs avec des roses blanches,
et des rires sous les noires charmilles.

Et les enfants couraient, criant : c’est l’oncle !
Lui descendait avec son grand chapeau,
du grand cheval, avec son grand manteau...
Sa mère pleurait : ô mon fils... Dieu est bon...

Lui, répondait : nous avons eu tempête...
L’eau douce a bien failli manquer à bord.
Et la vieille mère le baisait sur la tête
en lui disant : mon fils tu n’es pas mort...

Mais à présent où est cette famille ?
A-t-elle existé ? A-t-elle existé ?
Il n’y a plus que des feuilles qui luisent,
aux arbres drôles, comme empoisonnés...

Et tout s’endort dans la grande chaleur...
Les noyers noirs pleins de grande froideur...
Personne là n’habite plus...
Les ébéniers luisent au soleil cru.

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

----------------------------------------

Le texte qui suit n'est pas situé dans l'œuvre de l'auteur. Il est emprunté au site de Tournay (Pyrénées Atlantiques), la ville natale de Francis Jammes. On enquête ... adresse (cliquer ensuite sur "patrimoine") : http://www.ville-tournay.fr/accueil.html

Le pays natal (titre proposé)

Non loin de mon pays natal, les Pyrénées,
Qui jusque-là mêlaient leurs ailes tourmentées,
Se posent comme un vol d’outardes sur les prés.

Elles ont la couleur même des minerais
Qu’elles portent, avec quelques filets de neige.

Cantaoü-Tuzaguet (1) ! Combien mon cœur s’allège
Quand je vois que ta plaine est mêlée à tes cieux,
Et qu’il me suffirait pour arriver chez Dieu,
D’être comme l’enfant que j’étais au village
Et qui touchait du doigt les monts et les nuages.

Francis Jammes - (1) "Cantaoü-Tuzaguet" est le nom occitan de ce village du Pays Basque proche de Lannemezan. On l'écrit en français "Cantaous-Tuzaguet"

----------------------------------------

Un autre poème du même recueil, le même village peut-être :

Le village à midi

Le village à midi. La mouche d'or bourdonne
    entre les cornes des bœufs.
    Nous irons, si tu le veux,
si tu le veux, dans la campagne monotone.

Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon...
    Entends là-bas, là-bas, l'âne...
    L'hirondelle noire plane.
Les peupliers au loin s'en vont comme un ruban.

Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
    qui grince, qui grince encor,
    car la fille aux cheveux d'or
tient le vieux seau tout noir d'où l'argent tombe en pluie.

La fillette s'en va d'un pas qui fait pencher
    sur sa tête d'or la cruche,
    sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.

Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
    au ciel bleu des flocons bleus ;
    et les arbres paresseux
à l'horizon qui vibre à peine se balancent. 

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

ajout mai 2012 : un internaute nous fait parvenir cette superbe traduction en espagnol du poème. On se presse de le remercier et de le mettre en ligne :

El pueblo a mediodía

El pueblo a mediodía. La mosca de oro zumba
entre los cuernos de los bueyes.
Iremos si lo quieres,
si lo quieres, por el campo que retumba.

Oye al gallo... Oye la campana... Oye al pavo...
Escucha allí, allí al burro...
La golondrina negra en vuelo duro,
los álamos a lo lejos se van como en desmayo.

El pozo roído de espuma! Escucha la polea
que chirría, que chirría en coro,
pues la chica con cabellos de oro
sostiene el viejo balde negro donde la plata alea.

La chiquilla se va de un paso que tambalea
en su cabeza de oro al cántaro,
su cabeza como un relámpago,
que se enreda en el sol bajo la flor inquieta.

Y en el burgo los tejados ennegrecidos tiran
al cielo azul copos azules;
y los árboles gandules
del horizonte que vibra apenas si suspiran. 

(traduit en espagnol par Robín García)

Francis Jammes ("De l'angélus de l'aube à l'angélus du soir" - Mercure de France, 1898)

----------------------------------------

On clôturera ce paragraphe Francis Jammes par un poème dont il n'est pas l'auteur, mais qui lui est chaleureusement adressé par son ami poète Charles Guérin (1873-1907), disparu prématurément bien avant lui. Le poète est ici partie prenante de son paysage natal, ou est-ce l'inverse ? 

Ô Jammes ... (passages)

Ô Jammes, ta maison ressemble à ton visage.
Une barbe de lierre y grimpe ; un cèdre ombrage
de ses larges rameaux les pentes de ton toit,
et comme lui ton coeur est sombre, fier et droit.
Le mur bas de ta cour est habillé de mousse.
La maison n'a qu'un humble étage. L'herbe pousse
dans le jardin autour du puits et du laurier.
Quand j'entendis, comme un oiseau mourant, crier
ta grille, un tendre émoi me fit défaillir l'âme.
Je m'en venais vers toi depuis longtemps, ô Jammes,
et je t'ai trouvé tel que je t'avais rêvé.
[...]
Ta fenêtre pensive encadre l'horizon ;
une vitrine, ouverte auprès d'elle, reflète
la campagne parmi tes livres de poète.
Ami, puisqu'ils sont nés, les livres vieilliront ;
où nous avons pleuré d'autres hommes riront :
mais que nul de nous deux, malgré l'âge, n'oublie
le jour où fortement nos mains se sont unies.
Jour égal en douceur à l'arrière-saison;
nous écoutions chanter les mésanges des haies,
les cloches bourdonnaient, les voitures passaient...
[...]
Jammes, quand on se met à ta fenêtre, on voit
des villas et des champs, la montagne et ses neiges ;
au-dessous c'est la place où ta mère s'assoit.
Demeure harmonieuse, ami, vous reverrai-je ?
[...]
Ce soir, un des plus lourds des soirs où j'ai souffert,
tandis que, de leur flamme éparse sur la mer,
les rayons du soleil couchant doraient la grève,
les cheveux trempés d'air et d'écume, j'allais,
roulé comme un caillou par la force du rêve.
La terrible rumeur des vagues m'appelait,
voix des pays brûlés, des volcans et des îles ;
et, le cœur plein de toi, j'ai marqué d'un galet,
veiné comme un bras pur et blanc comme du lait,
le jour où je passai ton seuil, fils de Virgile.

Charles Guérin ("Le Cœur solitaire", Mercure de France, 1904)



 

 

15 mai 2009

Georges JEAN, Vénus KHOURY-GHATA - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Georges Jean, poète et enseignant, est né à Besançon en 1920. Il est l'auteur de recueils de poésie et d'anthologies poétiques pour les enfants.

Paysage urbain où passent des ombres :

Ville inconnue

Dans la ville des murmures
Traînent dans l'ombre
Les gens n'ont pas de visage
Les fenêtres sont fermées
Dans la gorge des passants
Le passé noue ses yeux profonds
Et la rivière des songes
Plonge au puits de solitude
Piétinements Habitudes
Un chat passe dans son ombre
Des enfants traversent la lune
Paumes ouvertes de la nuit
Derrière brûlent les étoiles
Le plâtre tombe des façades
Saga de la ville inconnue
Le vent construit l'espace
Et le Temps

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)

----------------------------------------

Dans un bistrot ...

Dans un bistrot rue de Buci
Plus près de mon cœur est la ville
Une femme sans âge me regarde
Avec des yeux de porcelaine
Puis dans la saveur du matin
Les passants plus lointains que les étoiles
Marchent dans les sandales de l'aube.

Georges Jean ("Parcours immobiles" - éditions Le dé bleu, 1995)



Vénus Khoury-Ghata est une poète libanaise francophone contemporaine.

À Yasmine

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

Tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune apprivoisé

Tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers

Tes cils épis de blé
Tes gestes moulin à vent
et l'on pétrit le rire
Dans la cuve de ta bouche

Tu es mon pain dodu
mon nid

Vénus Khoury-Ghata ("Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La forêt a peur

Une forêt peureuse
panique à la vue du soir
Tout l'angoisse
les cris des chouettes
leur silence
Le regard froid de la Lune
et l'ombre de son sourcil sur le lac
Le bouleau claque des dents
en se cachant derrière le garde-champêtre
Le frêne s'emmitoufle dans son écorce
et retient sa respiration jusqu'au matin
Le pin essuie sa sueur
et appelle son père le pin parasol
La tête entre les jambes
le saule pleure à chaudes feuilles
et fait déborder le ruisseau
Le roseau qui ne le quitte pas des yeux
L'entend supplier le ver luisant
d'éclairer les ténèbres
Seul le chêne garde sa dignité
à genoux dans son tronc
il prie le dieu de la forêt
de hâter l'arrivée du jour

Vénus Khoury-Ghata ("La voix des arbres" - Le Cherche-midi, 1999)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La surface d'un automne

La surface d'un automne
est inversement proportionnelle à la hauteur de sa tristesse
le nuage interrogé multiplie sans difficulté le basilic par le safran.

Répète après moi :
la distance entre deux pluies se mesure par arpents de silence
et le périmètre d'un mois est divisible par son rayon de lune.
Cela va de soi.

Vénus Khoury-Ghata ("Quelle est la nuit parmi les nuits" - Mercure de France, 2004)

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Source des textes de Vénus Khoury-Ghata reproduits ci-dessous : http://www.printempsdespoetes.com/

La voie lactée ...

La voie lactée mène à l'école
Les enfants l'empruntent soir et matin
Les tabliers au passage frôlent une étoile dormante
Qui crie dans son sommeil
Et jette des étincelles
La Grande Ourse rêve d'une couette
La Petite Ourse rêve d'un jardin
Et de trèfles à quatre feuilles
Le temps est à la somnolence et à la paresse
L'instituteur dort en marchant
Les élèves sont en papier

- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

À quoi sert l'école ?
À enfermer entre les mêmes murs livres et enfants

À chaque chose son temps et sa couleur
Dit le peintre
Et il ajoute une aile jaune à l'écureuil
Le cyprès qu'il peint en noir
Fait des grimaces derrière son dos
La vache est très contente
Elle aime le nuage rose dessiné sur son dos


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -

À quoi sert un nuage ?

À fondre en pluie dès qu'on l'essore de travers

Vénus Khoury-Ghata ("À quoi sert la neige" - Le cherche midi éditeur - Recueil sélectionné pour le prix poésie jeunesse 2010 Lire et Faire Lire)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



Publicité
15 mai 2009

Alphonse de LAMARTINE, Jules LAFORGUE, Guy LAVAUD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jules Laforgue (1860-1887), est né à Montevideo (Uruguay), de parents français. C'est en France, dans les Pyrénées-Atlantiques, qu'il a passé sa courte vie.

Poète "lunaire" (Il a consacré à notre satellite de nombreux textes), Jules Laforgue n'a vécu que le temps de quelques recueils.

Chanson d'automne (début du poème)

Voici venir l'automne aux averses moroses
Noyant l'été banal béni des amoureux
Qui stupides et lents vont par les chemins creux
Complotant l'héritier de leurs sales névroses.
Adieu lilas, blés d'or, poussière, robes roses.
Dans le spleen désolé des orgues douloureux,
Prés du feu tisonnant aux regrets des jours heureux,
Nous sauvons la tristesse incurable des choses...

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986)  

----------------------------------------

Couchant d'hiver (début du poème) 

Quel couchant douloureux nous avons eu ce soir !
Dans les arbres pleurait un vent de désespoir,
Abattant du bois mort dans les feuilles rouillées.
À travers le lacis des branches dépouillées
Dont l'eau-forte sabrait le ciel bleu-clair et froid,
Solitaire et navrant, descendait l'astre-roi.
Ô Soleil ! l'autre été, magnifique en ta gloire,
Tu sombrais, radieux comme un grand Saint-Ciboire,
Incendiant l'azur ! À présent, nous voyons
Un disque safrané, malade, sans rayons,
Qui meurt à l'horizon balayé de cinabre,
Tout seul, dans un décor poitrinaire et macabre,
Colorant faiblement les nuages frileux
En blanc morne et livide, en verdâtre fielleux,
Vieil or, rose-fané, gris de plomb, lilas pâle.
Oh! c'est fini, fini ! longuement le vent râle,
Tout est jaune et poussif ; les jours sont révolus,
La Terre a fait son temps ; ses reins n'en peuvent plus.

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986) 

Crépuscule de dimanche d'été (début et passage du poème)

Une belle journée, un calme crépuscule
Dans l'odeur des rôtis les promeneurs heureux
Rentrent, sans se douter que tout est ridicule,
Et fouettent du mouchoir leurs beaux souliers poudreux.

[...]

Par l'azur tendre et fin tournoient les hirondelles
Dont je traduis pour moi les mille petits cris,
Et peu à peu je songe aux choses éternelles,
Au-dessus des rumeurs stupides de Paris.

[...]

Jules Laforgue ("Œuvres Complètes Tome I ", éditions L'Âge d'Homme, 1986)



Alphonse de Lamartine (1790-1869), est un grand poète romantique et lyrique, ainsi qu'un écrivain et un homme politique français.

Milly ou la terre natale (I)

Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.
Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,
Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour,
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? ... 

Alphonse de Lamartine ("Harmonies poétiques et religieuses", 1830)

----------------------------------------

Milly ou la terre natale (II)  (passages)

[...]

Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes soeurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux !
Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne,
je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards !

[...]

Alphonse de Lamartine ("Harmonies poétiques et religieuses", 1830)

----------------------------------------

Le vallon
  (3 strophes de début et 2 strophes de la dernière partie du poème)

Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance,
N'ira plus de ses voeux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d'un jour pour attendre la mort.

Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.

Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon ;
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

[...]

Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure,
D'un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux.

J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :
L'oubli seul désormais est ma félicité.
 

Alphonse de Lamartine ("Méditations poétiques", 1820)



Guy Lavaud (1883-1958), a publié des textes dans "Le Divan" et "La Muse Française", revues du début du XXe siècle, et quelques recueils. Une anthologie : "Les poètes du Divan"‎ (présentation de Pierre Lièvre, n° 92 de la revue "Le Divan", 1923) rend compte de cette époque.‎

Paysage de lumières, la nuit, où glissent les mots comme les choses :

Nocturne

Pareille à ces bateaux qui, sur l’océan, glissent,
Chaque soir appareille, au ras de l’eau, la lune.
Et sa clarté la suit,comme un filet tranquille
Où les étoiles bleues se prennent une à une.

Guy Lavaud ("Sous le signe de l'eau" édité par "La Muse Française", Garnier, 1927)
O
n retrouve ce petit poème dans le recueil "Poèmes de partout et de toujours pour les enfants de 2 à 8 ans", anthologie de textes recueillis par Paulette Lequeux*, Armand Colin, 1978) - * la même auteure dont nombre d'enseignants connaissent les "Jeux de parole de L'école maternelle au CP et au CE" (Colin - Bourrelier, 1979), pas si obsolètes ...

----------------------------------------

Un pin

Un pin large, arrondi en une sombre masse
Est comme une île dans l’eau vive de l’espace.
Chaque branche étendue verte sur cet azur
Y jette de longs caps et de sombres presqu’îles
Et ses courbes rameaux captent d’un geste pur
Dans leurs récifs menus des golfes d’air tranquille.

Guy Lavaud ("Art poétique" Editions Émile-Paul frères, 1956)

----------------------------------------

Combats

Ainsi que des taureaux, d'un convulsif effort
heurtent leurs fronts brutaux qui s'emmêlent et penchent,
Deux vagues sur la mer, combattent corps à corps
Au souffle furieux de quelque vague blanche !

Guy Lavaud ("Imageries des mers" Editions Émile-Paul frères, 1919)



15 mai 2009

Luce LAURAND, Philéas LEBESGUE, LECONTE DE L'ISLE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Luce Laurand a vécu au XXe siècle. C'est sous ce nom de plume, parfois aussi sous le pseudonyme Luce Laurand-Dupin, que Lucie Dupin, romancière et poète native de Saint-Flour mais résidant au Pays-Basque, a publié ses ouvrages. En particulier des romans, des poésies, et  des biographies de poètes et de religieux, ainsi que des ouvrages d'histoire religieuse. Deux recueils de poèmes parmi d'autres écrits : "Le Jardin vert", en 1935 et "L'Herbe au vent " en 1937. références : anthologie d'Armand Got, "Poétes du Béarn et du Pays Basque", 1961.

Le chemin
 
  Chemin, capricieux chemin
Natté de grosses ronces,
Tu remplis ma bouche et mes mains
De mûres sombres ;
Voici que tu offres, sournois,
Ce beau noyer
Plein de jeunes et vertes noix
Et ce talus mauve d'œillets.
Puis une fontaine
Où trois petits oiseaux se baignent …
Et dans le grand air bleu qui palpite,
Toute la vallée pleine de paix
Qui s'étend de Luz à Pierrefitte
(*)
Chemin, nous n'arriverons jamais !

Luce Laurand ("Le Jardin vert", éditions Corymbe, 1935) - (*) Il s'agit du trajet de montagne qui mène de Luz-Saint-Sauveur à Pierrefitte-Nestalas, dans les Hautes-Pyrénées, environ 13 ou 14 kilomètres de chemins de montagne, d'où l'exclamation !



Philéas Lebesgue (1869-1958), poète et paysan, a beaucoup écrit sur le Picardie (cf "Mon pays de Bray") où il est né.

Le même village sans doute, pour deux poèmes d'amour et de nostalgie dans lesquels Philéas Lebesgue montre son attachement à la terre natale, sur le cours entier d'une vie déjà inscrite.

On ne propose pas en principe, (ça se discute) aux classes d'élémentaire, la dernière partie, quand même bien sombre, de ces textes.

 Petit village

Petit village au bord des bois,
Petit village au bord des plaines,
Parmi les pommiers, non loin des grands chênes,
Lorsque j'aperçois
Le coq et la croix
De ton clocher d'ardoises grises,
De ton clocher fin,
A travers ormes et sapins,
D'étranges musiques me grisent ;
Je vois des yeux dans le soir étoilé :
Là je suis né...

Petit village au bord des champs,
Petit village entre les haies,
Tour à tour paré de fleurs et de baies,
Lorsque les doux chants
De ton frais printemps,
Quand l'odeur de tes violettes,
De tes blancs muguets
Pénètrent mon cœur inquiet,
J'oublie et tumulte et tempêtes ;
J'entends des voix dans le soir parfumé :
Là j'ai aimé...

Petit village de hasard
Petit village aux toits de tuiles,
Où rit le mystère aux rêves tranquilles,
Lorsqu’à mon regard
L’horizon picard
Fait ondoyer ses nobles lignes
Ou que la forêt
Qui moutonne aux coteaux de Bray,
De ses bras tendus me fait signe,
Je goûte en paix l’amour et la beauté :
Là j’ai chanté...

Petit village aux courtils verts,
Petit village de silence,
Où la cloche sonne un vieil air de France,
J'aime les éclairs
De tes cieux couverts,
Ton soleil fin entre les arbres,
Les feux de tes nuits,
L'oeil fixe et profond de tes puits,
Ton doux cimetière sans marbres,
Plein d'oiseaux fous et luisant comme pré :
Là je viendrai ...

Philéas Lebesgue ("Œuvres Poétiques" en trois volumes, Tome II, éditions Du Thelle, 1950)

----------------------------------------

Le village

Petit village sous les branches, quel est ton nom ?
Tout paré de ta paisible ignorance,
Tu resonges les vieux rêves de l’enfance
Au doux chant des angélus du vallon.

Tu n’as point de hauts frontons de cheminées,
De rails bruyants ;
Tu n’as  que tes courtils pleins d’oiseaux au printemps,
Et de fleurs satinées ;

Tu n’as que ta vieille église
Avec son clocher branlant
Et son toit de tuiles grises ;
Mais tu gardes, solitaire et têtue
Contre l’assaut du vent,
Tout au bout de ta grand’ rue,
La maison que j’aime
Et qui domine les champs !

Ton nom obscur tu l’as donné, petit village
Au sol que je laboure, aux glèbes où je sème,
Au cimetière un peu sauvage
Où mon père
Est endormi pour toujours sous sa pierre
Et, vers plus d’un fourré,
Tu conserves des recoins d’ombre où j’ai pleuré.

Philéas Lebesgue ("Les Servitudes", Mercure De France, 1913)

----------------------------------------

D'autres poèmes, et toujours le pays de Bray pour unique terroir.

Terre d'amour

Ô mon pays de Bray picard, peuplé de haies
Quelle âme aromatique, irrésistible et douce
Habite en toi, parmi les myrtils et la mousse
Parmi les prés en fleurs et les hautes futaies !

Parce que nous goûtons la rouille de tes sources,
Le pain de tes froments, le cidre de tes pommes,
Ta glèbe a pénétré dans la chair que nous sommes,
Et tes fils, loin de toi, perdent toutes ressources.

C’est que les morts couchés au flanc de tes collines,
Ont haleté sur toi de toutes leurs poitrines
Et t’ont, le long des jours, baigné de sueurs lentes;

C’est que le ciel, soir et matin, mouille et féconde,
Du magique baiser de ses lèvres sanglantes,
Ton sol amer, où le fer brun gît sous la sonde.

Philéas Lebesgue ("Le Beffroi", revue, 1903)

----------------------------------------

Le plus beau pays du monde

Le plus beau pays du monde,
C’est la terre où je naquis ;
Au printemps, la rose abonde
Aux abords de ses courtils,
D’elle émane dans la brise
Un arôme sans pareil,
Au clocher de ses églises
Le coq guette le soleil.

On y parle un doux langage,
Le plus beau qu’on ait formé ;
L’étranger devient plus sage,
Quand il se met à l’aimer.
Heureux qui reçut la chance
De l’ouïr dès son berceau,
Car la langue de la France
Est un chant toujours nouveau.

Parfums de fleurs, chants de cloches,
Bruits d’eaux vives, gais frissons
Des tiges qui se rapprochent,
Quand mûrissent les moissons,
Étoiles dans un ciel tendre,
Sourires d’aubes en éveil :
Ah ! mon pays j’aime entendre
Ta chanson dans le soleil !
 

Philéas Lebesgue ("Les Servitudes", Mercure De France, 1913)



Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894) se passe de prénom pour signer ses poèmes. Il défend la cause républicaine contre la Monarchie lors des événements de 1848, mais c'est comme figure principale du mouvement parnassien qu'il se fait connaître et qu'il reste dans l'Histoire, avec le "tryptique" Poèmes antiques (1852), Poèmes barbares (1862) et Poèmes tragiques (1884).

Dans les paysages exotiques de Leconte de L'Isle, les héros sont les animaux sauvages :

Les éléphants (début du poème)
 
  Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit
L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus
Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues,
Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.

Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile
L'air épais, où circule un immense soleil.
Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil,
Fait onduler son dos dont l'écaille étincelle.

Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts.

D'un point de l' horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.

[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

----------------------------------------

La panthère noire (début du poème)
 
  Une rose lueur s' épand par les nuées ;
L'horizon se dentelle, à l'est, d'un vif éclair ;
Et le collier nocturne, en perles dénouées,
S'égrène et tombe dans la mer.

Toute une part du ciel se vêt de molles flammes
Qu' il agrafe à son faîte étincelant et bleu.
Un pan traîne et rougit l'émeraude des lames
D'une pluie aux gouttes de feu.

Des bambous éveillés où le vent bat des ailes,
Des letchis au fruit pourpre et des cannelliers
Pétille la rosée en gerbes d'étincelles,
Montent des bruits frais, par milliers.

Et des monts et des bois, des fleurs, des hautes mousses,
Dans l'air tiède et subtil, brusquement dilaté,
S' épanouit un flot d'odeurs fortes et douces,
Plein de fièvre et de volupté.

Par les sentiers perdus au creux des forêts vierges
Où l'herbe épaisse fume au soleil du matin ;
Le long des cours d'eau vive encaissés dans leurs berges,
Sous de verts arceaux de rotin ;

La reine de Java, la noire chasseresse,
Avec l'aube, revient au gîte où ses petits
Parmi les os luisants miaulent de détresse,
Les uns sous les autres blottis.

Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,
Elle ondule, épiant l'ombre des rameaux lourds.
Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,
Mouillent sa robe de velours.
 
[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

----------------------------------------

Le rêve du jaguar
 
  Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de Midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.

En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

----------------------------------------

La forêt vierge (début du poème)
 
  Depuis le jour antique où germa sa semence,
Cette forêt sans fin, aux feuillages houleux,
S'enfonce puissamment dans les horizons bleus
Comme une sombre mer qu'enfle un soupir immense.
   
Sur le sol convulsif l'homme n'était pas né
Qu'elle emplissait déjà, mille fois séculaire,
De son ombre, de son repos, de sa colère,
Un large pan du globe encore décharné.
   
Dans le vertigineux courant des heures brèves,
Du sein des grandes eaux, sous les cieux rayonnants,
Elle a vu tour à tour jaillir des continents
Et d'autres s' engloutir au loin, tels que des rêves.
   
Les étés flamboyants sur elle ont resplendi,
Les assauts furieux des vents l'ont secouée,
Et la foudre à ses troncs en lambeaux s' est nouée ;
Mais en vain : l'indomptable a toujours reverdi.
   
Elle roule, emportant ses gorges, ses cavernes,
Ses blocs moussus, ses lacs hérissés et fumants
Où, par les mornes nuits, geignent les caïmans
Dans les roseaux bourbeux où luisent leurs yeux ternes
...
 
[..
.]

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

----------------------------------------

De la forêt vierge au paysage blanc :

Paysage polaire
 
  Un monde mort, immense écume de la mer,
  Gouffre d'ombre stérile et de lueurs spectrales,
  Jets de pics convulsifs étirés en spirales
  Qui vont éperdument dans le brouillard amer.
 
  Un ciel rugueux roulant par blocs, un âpre enfer
  Où passent à plein vol les clameurs sépulcrales,
  Les rires, les sanglots, les cris aigus, les râles
  Qu'un vent sinistre arrache à son clairon de fer.
 
  Sur les hauts caps branlants, rongés des flots voraces,
  Se raidissent les dieux brumeux des vieilles races,
  Congelés dans leur rêve et leur lividité ;
 
  Et les grands ours, blanchis par les neiges antiques,
  Çà et là, balançant leurs cous épileptiques,
  Ivres et monstrueux, bavent de volupté.

Leconte de Lisle ("Poèmes Barbares", 1862)

----------------------------------------

Midi
 
  Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine :
La terre est assoupie en sa robe de feu.

L'étendue est immense et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil :
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre-eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.

Non loin quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si le coeur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! La nature est vide et le soleil consume :
Rien n' est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté ;

Viens, le soleil te parle en lumières sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin
.

Leconte de Lisle ("Poèmes Antiques", 1852)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



15 mai 2009

Jean LEBRAU, Madeleine LE FLOCH, Madeleine LEY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Lebrau, (1891-1983), contemporain de Francis Jammes, qu"il a rencontré, est, osons le terme, un "poète-paysan", puisqu'il était aussi viticulteur. Deux métiers, deux passions confondues, ses poésies célèbrent le terroir et le pays des Corbières (il est né et a vécu à Moux, dans l'Aude, au sud-ouest de la France).

Quelques titres de recueils : Sous le signe d'octobre (La Nouvelle Édition, 1943) ; Impasse du romarin (Gallimard, 1953) ;  Corbières (Gallimard, 1959) ; Au secret des pierres (Gallimard, 1962) ; Du cypès tourne l'ombre (éditions Aubanel, 1966). 

Dans les Corbières de Jean Lebrau, un village en novembre :

Dans les Corbières

La route tournait sous la pluie.
Novembre... Les eaux étaient grises.
Les enfants cueillaient des olives,
Le village sentait la suie.

L'église contre la montagne
N'était plus qu'une aile lassée,
Une bourrasque était passée,
Un troupeau regagnait l'Espagne

Sur un tapis de feuilles mortes,
Et la dernière rose blanche
S'ennuyait comme le dimanche
Dont le vent tourmentait les portes.

Jean Lebrau ("Corbières", éditions Gallimard, 1959)

----------------------------------------

Poème sur paysage de vigne, attention aux groupes de souffle pour la diction, le découpage n'est pas évident :

Octobre

Octobre a blanchi la montagne
mais de nouveau le jour est bleu
Sur la vigne, attisant le feu
Dont elle empourpre la campagne.
 
Que me font le feu, cet azur ?
Je ne sonde qu'à des villages
Pareils à de vieilles images
Fumant contre le ciel obscur.
 
Des soirs de neige. Le vignoble
Emerveille certes nos yeux,
Mais je préfère ces hauts lieux.
La châtaigne n'est pas moins noble
 
Que le raisin, repas frugal …
Tandis qu'il vente sur l'ardoise,
Que des bêtes se cherchent noise,
Vieillir ainsi, d'un cœur égal.

Jean Lebrau ("Sous le signe d'octobre", Prix de l'Académie Française - La Nouvelle Édition, 1943, et "Florilège poétique", L'Amitié par le livre, 1959)

----------------------------------------

La fleur rose (titre proposé)

Des pierres où le vent se pose
Et des cyprès qui font silence
Un fil brillant qui se balance
La fleur des garrigues est rose

Villages gris, villages fauves
Où le mirage d'un peu d'eau
Ne fait qu'altérer le troupeau
La fleur rose est la sœur des mauves

Fontcouverte * où grimpent les chèvres,
Moux * sous un mont couleur de mûre
Qui de son ombre en vain l'azure...
La fleur rose est la fleur des fièvres.
 

Jean Lebrau ("Du cyprès tourne l'ombre", éditions Aubanel, 1966) 

----------------------------------------

Fin d'octobre

Le tilleul nu et noir pleure au bout de ses branches,
La grille pleure au long de ses barreaux,
Et la maison pleure au bord de ses tuiles ;
Dans le pin mouillé un nid de chenilles
Brille
Comme un flocon d'argent ;
L'eau de la petite pluie.
En s'écoulant dans le zinc,
Fait un bruit de tambourin ;
L'âtre sent les jours frais, les sarments et la suie.

Jean Lebrau ("La voix de là-bas" - Éditions du Divan, 1914)

----------------------------------------

Le vent

Le vent superbe
Dont la caresse
Fait briller l'herbe
Aux cieux vous presse,
Agnelles folles,
Lourdes nuées
Ou fumerolles
D'azur trouées.

Le vent qui mène
Partout son branle,
Qui tout déchaîne
Et tout ébranle,
Les mers, la terre,
Vif comme flamme
Et salutaire,
Le vent est l'âme
De la montagne.

Il sonne aux pierres,
Il m'accompagne
De ses colères.

Jean Lebrau ("Sous le signe d'octobre", Prix de l'Académie Française - La Nouvelle Édition, 1943)



Madeleine Le Floch est une auteure contemporaine, qui a publié en 1975 "Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver". Un recueil dans lequel elle joue avec les différents sens, les à-peu-près et les homonymies du vert, pour l'écriture de (quand même !) soixante-treize petits poèmes. En voici un échantillon :

livre_Madeleine_Le_Floch_contes_vertsVers exclusif *

La mer
en s'en allant
écrivait sur le sable
un poème


que le vent
jaloux
effaçait.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

* Dans le recueil, ce texte porte le titre "Vert exclusif". Puisqu'il s'agit d'un poème que la mer écrit jalousement, il s'agit sans doute d'une coquille, et comme un poème comporte en général plus d'un vers, faudrait-il titrer "Vers exclusifs" ?



Madeleine Ley (1901-1981) est une romancière et poète belge.

Ici, la réparation du paysage, à la fin des vacances :

La fin des vacances

La nuit relèvera les gazons inusables.
Sur les berges de sable
Le ruisseau lavera la trace de vos pas,
Et aux trous de la haie la patiente araignée
Retissera les fils que vous avez brisés.

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)

----------------------------------------

En rentrant de l’école (ou Dans les bois noirs)

En rentrant de l’école
Par un chemin perdu,
J’ai rencontré la lune
Derrière les bois noirs.
Elle était ronde et claire
Et brillante dans l’air.

En rentrant de l’école
P
ar un chemin perdu,
A
vez-vous entendu
L
a chouette qui vole
Et le doux rossignol ?

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)



 

15 mai 2009

Bernard LORRAINE, Olivier de MAGNY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Bernard Lorraine (1933-2002) a publié 27 recueils  (Vitriol, Voilà, Provocation, Sentences, Burlesques ...) et 10 anthologies poétiques (Trésors des épigrammes satiriques ; Une Europe des poètes ; Le cœur à l'ouvrage : anthologie de la poésie du travail ; Un poème, un pays, un enfant ...) ainsi que des essais et des pièces de théâtre.

(...)
"Je te porte en mes pas dans le jour des trottoirs
Flânant aveugle et sourd sans ta voix ni tes yeux".

(hommage de Robert Vigneau à Bernard Lorraine)

Le paysage se construit, de l'inanimé au vivant :

Au début ...

Il y avait un ciel
il y eut un nuage
Il y avait la boue
il y eut une plage
Il y avait une eau
il y eut un poisson
Il y avait un arbre
il y eut un oiseau
Il y avait la nuit
il y eut une femme
Il y avait le jour
et il y eut un homme
Il y avait l'amour
il y eut un silence
Mais il y eut un cri
et c'était un enfant
Et ce fut un poète
puisqu'il y eut un chant

Bernard Lorraine



Olivier de Magny (1529-1561) est un poète contemporain de Louise labé (voir la catégorie du blog PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES ), dont il tombe amoureux, et de Joachim du Bellay (présenté quelques pages ci-avant). Il est l'auteur de recueils de sonnets, inspirés de Ronsard. (source Wikipédia, recoupée)

À sa demeure des champs

Petit jardin, petite plaine
Petit bois, petite fontaine,
Et petits coteaux d'alentour,
Qui voyez mon être si libre,
Combien serais-je heureux de vivre,
Et mourir en votre séjour !

Bien que vos fleurs, vos blés, vos arbres,
Et vos eaux ne soient près des marbres,
Ni des palais audacieux (1),
Tel plaisir pourtant j'y retire
Que mon heur, si je l'ose dire,
Je ne voudrais quitter aux dieux :

Car ou soit qu'un livre je tienne,
Ou qu'en rêvant je me souvienne
Des yeux qui m'enflamment le sein,
Ou qu'en chantant je me promène,
Toute sorte de dure peine
Et d'ennui me laisse soudain.

Toutes fois il faut que je parte,
Et faut qu'en partant je m'écarte
De vos solitaires détours,
Pour aller en pays étrange
Sous l'espoir de quelque louange
Mâlement travailler mes jours.

Ô chaste vierge Délienne,
De ces montagnes gardienne,
Si j'ai toujours paré ton dos
D'arc, de carquois et de sagettes,
Couronnant ton chef de fleurettes
Et sonnant sans cesse ton los
(2) :

Fais que longtemps je ne séjourne,
Ainçois
(3) que bien tôt je retourne,
En ces lieux à toi dédiés,
Revoir de tes nymphes la bande,
Afin qu'en ces autels j'appende
(4) 
Mille autres hymnes à tes pieds.

Mais soit qu'encore je revienne
Ou que bien loin on me retienne,
Il me ressouviendra toujours
De ce jardin, de cette plaine,
De ce bois, de cette fontaine
Et de ces coteaux d'alentour.

(1) sans doute un clin d'oeil à du Bellay en référence au poème "heureux qui, comme Ulysse" ? - (2) "ton los" : "tes louanges" - (3) "ainçois" peut avoir le sens de "plutôt que", "en attendant", "auparavant ...", on proposera ici, vu le sens général du passage:  "en attendant que", mais il peut y avoir des avis contraires !  - (4 ) "appendre" = suspendre, dans le sens d'accrocher 

Voici de ce poème lexte original en ancien français, juste pour le plaisir :

Petit jardin, petite plaide
Petit boys, petite fontaine,
Et petits coustaux d'alentour,
Qui voyez mon estre si libre,
Combien serois-je heureux de vivre,
Et mourir en vostre séjour I

Bien que vos fleurs, vos bleds, vos arbres.
Et vos eaux ne soyent près des marbres,
Ny des palais audacieux.
Tel plaisir pourtant j'y retire
Que mon heur, si je l'ose dire,
Je ne vouldroy quitter aux dieux :

Car ou soit qu'un livre je tienne.
Ou qu'en resvant il me souvienne
Des yeux qui m'enflamment le sein,
Ou qu'en cliantant je me promeine,
Toute sorte de dure peine
Et d'ennuy me laisse soubdain.

Toutes fois il fault que je parte,
Et fault qu'en partant je m'escarte
De vos solitaires destours,
Pour aller en pays estrange,
Sous l'espoir de quelque louenge
Malement travailler mes jours.

Chaste vierge Delienne,
De ces montagnes gardienne,
Si j'ay tousjours paré ton dos
D'arc, de carquois et de sagettes,
Couronnant ton chef de fleurettes
Et sonnant sans cesse ton los :

Fais que long temps je ne séjourne,
Ainçois que bien tost je retourne.
En ces lieux à toy dédiez.
Revoir de tes nymphes la bande.
Afin qu'en ces autels j'appende
Mille autres hymnes à tes pieds.

Mais soit qu'encore je revienne
Ou que bien loing on me retienne,
Il me resouviendra tousjours
De ce jardin, de ceste plaine,
De ce boys, de ceste fontaine
Et de ces coustaux d'alentour.

Olivier de Magny (textes à retrouver dans ses "Œuvres poétiques complètes", Textes de la Renaissance, 1999)



15 mai 2009

Jeanne MARVIG, Stéphane MALLARMÉ - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jeanne Marvig (1882-1956), romancière et poète française, est née en Haute-Garonne. De son nom Jeannne Mary, née Viguier, elle a fait un pseudonyme. Elle est l'auteure de nombreux recueils de poèmes, de pièces de théâtre, et d'une intéressante anthologie : "La Poésie méridionale" (paru en 1939). Le poème le plus connu de l'auteure, "Le petit lapin", est ailleurs sur ce blog.

Le ruisseau

Ce n'est qu'un tout petit ruisseau,
Un peu d'eau vive qui glougloute,
Une vasque fut son berceau,
On ne le voit pas, on l'écoute.

Il a des façons de gamin
Pour sautiller de pierre en pierre,
On y puise au creux de la main
En écartant un brin de lierre.

Il a des franges de roseaux
Sur ses bords fleuris de pervenches
Et des aulnes où les oiseaux
Font du trapèze sur les branches.

Si, dans son lit, le vent brutal
Penche un brin d'osier qui le borde,
Le petit ruisseau de cristal
S'amuse à sauter à la corde.

Puis sous les aulnes chevelus,
Caressant le cresson et l'ache,
Il s'enfonce...On ne l'entend plus...
Sans doute il joue à cache-cache.

Petit ruisseau, je voudrais bien,
Moi qui suis un rêve qui passe,
Que dans mon cœur ainsi qu'au tien
Se mirent le ciel et l'espace !

Jeanne Marvig ("Le jardin d'Isabélou", édité par l'auteure, 1947) et dans l'anthologie d'Armand Got * et de Charles Vildrac , "La Poèmeraie", Armand-Colin, 1963) - * On le trouve aussi dans la précédente anthologie d'Armand Got : "La Poèmeraie", première partie, La Souris verte" (Librairie Gedalge, 1928)

----------------------------------------

La voiture roulait

La voiture roulait doucement sous les arbres,
Platanes de novembre aux blondissants rameaux,
Aux fûts du blanc poli de l’ivoire ou des marbres,
Comme un cloître roman unissant leurs arceaux.

Nous nous sentions glisser sous la lente caresse
De la feuille, au matin, toute emperlée encor
Du vent, sur notre front agitant son ivresse
De l’automne accourant vers nous ruisselant d’or ! …

De l’or, de l’or, de l’or ! Or rougeoyant du cuivre,
Or des buires gardant de mystiques encens,
Or des fils de la vierge étincelants de givre,
Acajous mordorés ou chromes flavescents,

Tous les ors en suspens dans le jour et la flamme
Tourbillonnant au rythme lent des feuilles d’or,
Je les ai, frissonnants, recueillis dans mon âme,
Aux vestales du Temps ravissant leur trésor,

Pour qu’un jour très prochain où les corolles mortes
Auront livré leur corps fragile au vent brutal,
Je puisse, en vers dorés, rappeler leurs cohortes,
Et que mon cœur, pareil aux sources de cristal

Où, dans l’arbre penché, se mire tout l’automne,
Où la feuille, en glissant, dit tout le bois vermeil,
Te rende, aux jours éteints de l’hiver monotone,
Avec ses souvenirs émus, tout le soleil !

Jeanne Marvig ("Des riens …  tout l’infini ", Bibliothèque Internationale d'Édition, 1913)

----------------------------------------

Ce passage d'une poésie plus longue, ici titré "L'Arbre", est emprunté au site http://arbrealettres.wordpress.com, où on trouvera d'autres textes de l'auteure, (trouvés et mis en ligne par Jean-François Laffont) 

L'Arbre (strophe extraite d'un poème, titre proposé)

Je suis l’Arbre : un tronc droit substantiel et dur,
La lente ascension d’un assemblage pur
De fibres, de rayons, de silence et de sève,
Je suis l’Arbre,une force invincible qui rêve,
La colonne du temple où sans faste et sans bruit
Le firmament s’unit aux mousses dans la nuit.
Je suis l’Arbre porteur de vie et de lumière,
L’eau puisée au cœur sombre et poreux de la terre
Qui rejoint dans l’orgueil du feuillage nombreux
Cette eau vive échappée aux prunelles des dieux.

Jeanne Marvig ("Des riens …  tout l’infini ", Bibliothèque Internationale d'Édition, 1913)



Stéphane Mallarmé  (1842-1898), est identifié comme poète ayant renouvelé le symbolisme, dans un style fermé, "difficile", où la musique du vers prime sur la lisibilité du propos. Il a écrit également des pièces de théâtre et traduit Edgar Poë.

Renouveau (titre original : Vere novo)

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau,
Et, triste, j’erre après un Rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.

Puis je tombe, énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon Rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J’attends en m’abîmant que mon ennui s’élève…
— Cependant l’Azur rit sur la haie en éveil,
Où les oiseaux en fleur gazouillent au soleil.

Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain -Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)

----------------------------------------

De ce passage, où le poète voudrait, à la manière du "Chinois au coeur limpide et fin", peindre un paysage sur une tasse, on retiendra une étonnante image : "Un clair croissant perdu par une blanche nue / Trempe sa corne calme en la glace des eaux / Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux." :

Peindre un paysage (titre proposé)
   
(fin du poème  "Las de l'amer repos")

[...]

 Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux
.

Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain - Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



Publicité
Publicité