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15 mai 2009

Paul VALÉRY, Charles VAN LERBERGUE - Angèle VANNIER - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Valéry (1871-1945), est né et repose à Sète, comme Georges Brassens, dans le cimetière marin que l'un et l'autre ont mis en vers :

Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi, l'humble troubadour, sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne,
Et qu'au moins, si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien,
Et n'en déplaise aux autochtones.
Georges Brassens ("Supplique pour être enterré sur la plage de Sète")


Et le cimetière marin de Sète est le sujet d'un long poème, difficile, dont on ne trouvera ici qu'un court extrait .
la première strophe et la dernière sont les plus connues, et restent dans le thème du paysage :

Le cimetière marin (extrait)
 
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.
[...]
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

Paul Valéry ("Charmes", 1922)



Charles Van Lerberghe (1861-1907) est un poète et romancier belge de langue française. Le recueil le plus remarquable peut-être : La chanson d'Ève, 1904

Image 

Belle faucheuse, la nuit passe
Dans les champs du ciel, lentement.
Elle va, distraite et songeuse.
La lune est sa faucille d'argent,
Sa moisson blonde sont les étoiles.
Mais la faucheuse marche dans l'ombre ;
Seule, là-haut, sa claire faucille
Se voit qui court, éclate et brille,
Dans les champs,
Et de longs épis d'or tombent
Sur le terre, de temps en temps.

Charles Van Lerberghe ("Entrevisions, suivi de Poèmes posthumes" - éditions Crès et Cie, 1923)



Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



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15 mai 2009

Émile VERHAEREN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Émile Verhaeren (1855-1916), poète belge flamand, est (très) présent sur le blog ICI. Si la page est déplacée (aléas du blog), c'est dans la catégorie Des POÈTES et de la POÉSIE. sa poésie lyrique est tour née vers la nature, et la défense des plaines de son pays, défigurées par "les villes tentaculaires" (voir ci-dessous le poème "la plaine" en fin de présentation).

Comme pour les autres textes qui suivent celui-ci, les passages en italique ne sont en principe pas proposés aux élèves d'élémentaire, mais comme toujours, à vous de voir...

Le chant de l'eau

L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.

Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa.

Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Écoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.

[...]

Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l'automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.
 

Émile Verhaeren ("Les blés mouvants", 1912) 

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Le port

Toute la mer va vers la ville !

Son port est surmonté d'un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.

Son port est pluvieux et suie à travers brumes,
Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.

Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie.

Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d'amarres.

Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tournant dans l'air leurs tintamarres.

Toute la mer va vers la ville !

Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l'absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en leurs navires.
Les Orients et les Midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous les nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s'invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est le brasier d'or des humaines disputes,
Elle est le réservoir des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
A l'heure où l'ombre emplit les soirs océaniques.

Toute la mer va vers la ville !

Ô les Babels enfin réalisées !
Et cent peuples fondus dans la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigts ouverts,
Se refermant sur l'univers !

Dites ! les docks bondés jusques au faite
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites ! leurs blocs d'éternité : marbres et bois,
Que l'on achète,
Et que l'on vend au poids ;
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu'il a fallu pour ces conquêtes.

Toute la mer va vers la ville !
La mer pesante, ardente et libre,
Qui tient la terre en équilibre;
La mer que domine la loi des multitudes,
La mer où les courants tracent les certitudes ;
La mer et ses vagues coalisées,
Comme un désir multiple et fou,
Qui renversent les rocs depuis mille ans debout
Et retombent et s'effacent, égalisées;
La mer dont chaque lame ébauche une tendresse
Ou voile une fureur ; la mer plane ou sauvage ;
La mer qui inquiète et angoisse et oppresse
De l'ivresse de son image.

Toute la mer va vers la ville !

Son port est parsemé et scintillant de feux
Et sillonné de rails fuyants et lumineux.

Son port est ceint de tours rouges dont les murs sonnent
D'un bruit souterrain d'eau qui s'enfle et ronfle en elles.

Son port est lourd d'odeurs de naphte et de carbone
Qui s'épandent, au long des quais, par des ruelles.
Son port est fabuleux de déesses sculptées
A l'avant des vaisseaux dont les mâts d'or s'exaltent.

Son port est solennel de tempêtes domptées
Et des havres d'airain, de grès et de basalte.
 

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895) - * "le bruit de l'eau" ou "s'en aller l'eau"  ? (cette variante, trouvée dans une anthologie, est en cours de vérification).

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À la gloire du vent

- Toi qui t'en vas là-bas,
Par toutes les routes de la terre,
Homme tenace et solitaire,
Vers où vas-tu, toi qui t'en vas ?

- J'aime le vent, l'air et l'espace ;
Et je m'en vais sans savoir où,
Avec mon coeur fervent et fou,
Dans l'air qui luit et dans le vent qui passe.

- Le vent est clair dans le soleil,
Le vent est frais sur les maisons,
Le vent incline, avec ses bras vermeils,
De l'un à l'autre bout des horizons,
Les fleurs rouges et les fauves moissons.

- Le Sud, l'Ouest, l'Est, le Nord,
Avec leurs paumes d'or,
Avec leurs poings de glace,
Se rejettent le vent qui passe.

- Voici qu'il vient des mers de Naple et de Messine
Dont le geste des dieux illuminait les flots ;
Il a creusé les vieux déserts où se dessinent
Les blancs festons de sable autour des verts îlots.
Son souffle est fatigué, son haleine timide,
L'herbe se courbe à peine aux pentes du fossé ;
Il a touché pourtant le front des pyramides
Et le grand sphinx l'a vu passer.

- La saison change, et lentement le vent s'exhume
Vêtu de pluie immense et de loques de brume.

- Voici qu'il vient vers nous des horizons blafards,
Angleterre, Jersey, Bretagne, Ecosse, Irlande,
Où novembre suspend les torpides guirlandes
De ses astres noyés, en de pâles brouillards ;
Il est parti, le vent sans joie et sans lumière :
Comme un aveugle, il erre au loin sur l'océan
Et, dès qu'il touche un cap ou qu'il heurte une pierre,
L'abîme érige un cri géant.

- Printemps, quand tu parais sur les plaines désertes,
Le vent froidit et gerce encor ta beauté verte.

- Voici qu'il vient des longs pays où luit Moscou,
Où le Kremlin et ses dômes en or qui bouge
Mirent et rejettent au ciel les soleils rouges ;
Le vent se cabre ardent, rugueux, terrible et fou,
Mord la steppe, bondit d'Ukraine en Allemagne,
Roule sur la bruyère avec un bruit d'airain
Et fait pleurer les légendes, sous les montagnes,
De grotte en grotte, au long du Rhin.

- Le vent, le vent pendant les nuits d'hiver lucides
Pâlit les cieux et les lointains comme un acide.

- Voici qu'il vient du Pôle où de hauts glaciers blancs
Alignent leurs palais de gel et de silence ;
Apre, tranquille et continu dans ses élans,
Il aiguise les rocs comme un faisceau de lances ;
Son vol gagne les Sunds et les Ourals déserts,
S'attarde aux fiords des Suèdes et des Norvèges
Et secoue, à travers l'immensité des mers,
Toutes les plumes de la neige.

- D'où que vienne le vent,
Il rapporte de ses voyages,
A travers l'infini des champs et des villages,
On ne sait quoi de sain, de clair et de fervent.
Avec ses lèvres d'or frôlant le sol des plaines,
Il a baisé la joie et la douleur humaines
Partout ;
Les beaux orgueils, les vieux espoirs, les désirs fous,
Tout ce qui met dans l'âme une attente immortelle,
Il l'attisa de ses quatre ailes ;
Il porte en lui comme un grand coeur sacré
Qui bat, tressaille, exulte ou pleure
Et qu'il disperse, au gré des saisons et des heures,
Vers les bonheurs brandis ou les deuils ignorés.

- Si j'aime, admire et chante avec folie
Le vent,
Et si j'en bois le vin fluide et vivant
Jusqu'à la lie,
C'est qu'il grandit mon être entier et c'est qu'avant
De s'infiltrer, par mes poumons et par mes pores,
Jusques au sang dont vit mon corps,
Avec sa force rude ou sa douceur profonde,
Immensément il a étreint le monde.
 

Émile Verhaeren (La multiple splendeur, 1906)

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Voici un des nombreux plaidoyers de Verhaeren pour la nature. De ce long poème tiré du recueil "les villes tentaculaires", on pourra proposer tout ou partie des passages qui ne sont pas en italique, ou le poème entier suivant le niveau de la classe et le projet (étude, récitation, commentaire...), en considérant que ce texte est "exploitable" de préférence au collège ou au lycée.

La plaine

La plaine est morne, avec ses clos, avec ses granges
Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,
La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,
La plaine est morne et morte - et la ville la mange.

Formidables et criminels,
Les bras des machines diaboliques,
Fauchant les blés évangéliques,
Ont effrayé le vieux semeur mélancolique
Dont le geste semblait d'accord avec le ciel.

L'orde fumée et ses haillons de suie
Ont traversé le vent et l'ont sali :
Un soleil pauvre et avili
S'est comme usé en de la pluie.


Et maintenant, où s'étageaient les maisons claires
Et les vergers et les arbres parsemés d'or,
On aperçoit, à l'infini, du sud au nord,
La noire immensité des usines rectangulaires.

Telle une bête énorme et taciturne
Qui bourdonne derrière un mur,
Le ronflement s'entend, rythmique et dur,
Des chaudières et des meules nocturnes ;

Le sol vibre, comme s'il fermentait,
Le travail bout comme un forfait,
L'égout charrie une fange velue
Vers la rivière qu'il pollue ;
Un supplice d'arbres écorchés vifs
Se tord, bras convulsifs,
En façade, sur le bois proche ;

L'ortie épuise au coeur les sablons et les oches,
Et des fumiers, toujours plus hauts, de résidus
- Ciments huileux, plâtras pourris, moellons fendus -
Au long de vieux fossés et de berges obscures
Lèvent, le soir, des monuments de pourriture.

Sous les hangars tonnants et lourds,
Les nuits, les jours,
Sans air ni sans sommeil,
Des gens peinent loin du soleil :
Morceaux de vie en l'énorme engrenage,
Morceaux de chair fixée, ingénieusement,
Pièce par pièce, étage par étage,
De l'un à l'autre bout du vaste tournoiement.
Leurs yeux sont devenus les yeux de la machine ;
Leur corps entier : front, col, torse, épaules, échine,
Se plie aux jeux réglés du fer et de l'acier ;
Leurs mains et leurs dix doigts courent sur des claviers
Où cent fuseaux de fil tournent et se dévident ;
Et mains promptes et doigts rapides
S'usent si fort,
Dans leur effort

Sur la matière carnassière,
Qu'ils y laissent, à tout moment,
Des empreintes de rage et des gouttes de sang.

Dites ! L'ancien labeur pacifique, dans l'Août
Des seigles mûrs et des avoines rousses,
Avec les bras au clair, le front debout,
Quand l'or des blés ondule et se retrousse
Vers l'horizon torride où le silence bout.

Dites ! Le repos tiède et les midis élus,
Tressant de l'ombre pour les siestes,
Sous les branches, dont les vents prestes
Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus.
Dites, la plaine entière ainsi qu'un jardin gras,
Toute folle d'oiseaux éparpillés dans la lumière,
Qui la chantent, avec leurs voix plénières,
Si près du ciel qu'on ne les entend pas.

Mais aujourd'hui, la plaine ? - Elle est finie ;
La plaine est morne et ne se défend plus :
Le flux des ruines et leur reflux
L'ont submergée, avec monotonie.


On ne rencontre, au loin, qu'enclos rapiécés
Et chemins noirs de houille et de scories
Et squelettes de métairies
Et trains coupant soudain les villages en deux.

Les Madones ont tu leurs voix d'oracle
Au coin du bois, parmi les arbres ;

Et les vieux saints et leurs socles de marbre
Ont chu dans les fontaines à miracles.

Et tout est là, comme des cercueils vides,
- Seuils et murs lézardés et toitures fendues -
Et tout se plaint ainsi que les âmes perdues
Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide.


Hélas ! La plaine, hélas! Elle est finie!
Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus.
La plaine, hélas ! Elle a toussé son agonie
Dans les derniers hoquets d'un angélus.

Émile Verhaeren ("Les villes tentaculaires", 1895)



15 mai 2009

Paul VERLAINE, Anne VERNON, Gabriel VICAIRE - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. On pourra consulter ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Dans l'interminable ennui de la plaine
 
Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l'interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable
.

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
 
Ô bien-aimée.
 
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
 
Rêvons, c'est l'heure.
 
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...
 
C'est l'heure exquise
.

Paul Verlaine ("La bonne chanson", 1872)

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Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si beau, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
 
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte,
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
 
-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine ("Sagesse", 1880)

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Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.

La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.

Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,

Défilent sans trêve,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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 Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres
.

Paul Verlaine ("Fêtes galantes", 1869)

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L'heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S'endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles ;
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrés, leur spectres incertains ;
Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit
Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)

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L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,
Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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Promenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars, entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ces ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux
.

Paul Verlaine ("Poèmes Saturniens", 1866)



Anne Vernon, poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars, paysages intimes :

 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

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Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Gabriel Vicaire (1848-1900), poète du plaisir de vivre, a passé son enfance dans la Bresse. Il se souvient ici d'un matin de neige dans cette région de l'est de la France :

Matin de neige

Quand j'ouvris ma fenêtre, oh ! quel enchantement !
De la neige partout avec un soleil rose !
Une indicible paix était en toute chose ;
On eût cru voir rêver la Belle au bois dormant.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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Paysage

Il est charmant ce paysage,
Peu compliqué, mais que veux-tu ?
Ce n'est qu'une mer de feuillage,
Où, timide, à peine surnage
Un tout petit clocher pointu.
Au premier plan, toujours tranquille,
La Saône reluit au matin.
Par instants, de l'herbe immobile
Un bœuf se détache et profile
Ses cornes sur le ciel lointain.
Et moi, distrait à la fenêtre,
Je regarde et n'ose parler.
À quoi je pense ? A rien peut-être.
Je regarde les vaches paître
Et la rivière s'écouler
.


Gabriel Vicaire ("Émaux Bressans" - 1884 ; et éditions Ferroud, 1929)

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La Mer

(passages)

I

Entre les durs rochers qui bordent le ravin
J’ai vu monter au ciel l’éblouissante aurore ;
La face de la mer était d’un bleu divin.

D’une brume idéale enveloppée encore,
La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant,
Au soleil matinal dont le feu la colore.

[…]

II

[…]

Au large resplendit le splendide parterre,
Le jardin sans pareil qui s’émaille, au matin,
D’éblouissantes fleurs qu’on ne voit pas sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin
Glisse nonchalamment la flotille des fées ;
Leurs rames que j’entends font un bruit argentin.

Elles s’en vont sur l’eau, d’algues vertes coiffées.
Elles vont. Leur gaité s’éparpille dans l’air,
L’odeur de leurs bouquets m’arrive par bouffées.

Plus loin, à l’horizon, les nymphes de la mer
Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches
Et jamais bataillon ne me parut si fer ;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,
Une lueur de brume illumine leurs yeux ;
Sur l’azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux
D’où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante
Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante
Monte comme un appel au ciel en floraison,
Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

[…]

III

[…]

IV

Ô mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune,
Chercheuse d’infini par delà les grands monts,
Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons,
Nous savons le secret de la tendresse brève,
Et tes yeux sont pareils à ceux que nous aimons.

[…]


Gabriel Vicaire ("Au pays des ajoncs", Librairie H. Leclerc, 1901 - publication postume)

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Clairs de lune

(première partie)

I

Ô perle du monde,
Délices des cieux !
Lune aux jolis yeux,
Lune rose et blonde,

Belle au cœur changeant,
Dame de mon rêve,
Dont le vent soulève
Les tresses d’argent,

Par delà les saules
A demi dans l’eau,
Derrière un bouleau
J’ai vu tes épaules,

Dans un halo d’or,
Ta forme hautaine
Apparaît lointaine,
Indécise encor.

Et puis elle passe,
Lente, sur les prés.
Tes cheveux cendrés
Parfument l’espace.

En sa douce fleur,
Ta gorge ressemble
A l’oiseau qui tremble
Devant l’oiseleur.

Où ton doigt se pose,
Frêle papillon,
S’envole un rayon,
S’entr’ouvre une rose.

Ta beauté soudain
Resplendit sans voiles.
Des claires étoiles
Pâlit le jardin.

L’étang qui s’allume
Berce ton corps blanc,
Ton corps nonchalant,
Tout fleuri d’écume.

Est-ce le grand four
Ou la jeune aurore
Qui charme et colore
Les blés d’alentour ?

Ô nuit toute blanche,
Nuit d’enchantements !
De purs diamants
Sont à chaque branche !


Gabriel Vicaire ("L'Heure enchantée" - 1884 ; éditions A Lemerre, 1890)



15 mai 2009

Gilles VIGNEAULT - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gilles Vigneault est né en 1928. C'est un poète et un chanteur (auteur-compositeur-interprète). Voir ici sur le blog un autre texte : J'ai pour toi un lac. On lira aussi le texte de la chanson : "Les gens de mon pays", ici : PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde).
Certains termes ou expressions sont particulières au français du Québec, on les reconnaîtra au passage.

Mon pays

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m'en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers

Gilles Vigneault (paroles et musique, 1964) - chanson écrite, paroles et musique, pour le film "La Neige a fondu sur la Manicouagan" (1965).



15 mai 2009

Charles VILDRAC - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Charles Vildrac (1882-1971), a écrit des pièces de théâtre, des contes pour enfants (avec des personnages que de nombreuses générations d'élèves ont forcément rencontré dans les manuels de lecture scolaire, du CE1 au CM2 : Bridinette, 1935 ; Poucette, 1936 ; Amadou le Bouquillon, 1951). C'est également un poète (son premier ouvrage est "Livre d’amour", 1910. Il a présidé le jury du Prix Jeunesse et un prix de poésie porte son nom.

On aimerait que cette "petite maison" ne soit pas seulement le souvenir nostalgique d'une époque révolue :

La petite maison

Sur le versant de la montagne,
À mi-hauteur, on aperçoit
Une petite maison toute seule.
D'ici, elle semble accrochée
À un pan de muraille nue,
Et le soir, on voit sa lumière
Agoniser sous le poids de la nuit.

- Ah ! comment peut-on vivre là ?
T'exclames-tu en frissonnant.
Moi, je ne connais pas l'endroit
Mais je sais bien que la montagne
N'a pas, pour qui gravit ses pentes,
Ce visage fermé qu'on voit de loin.

Moi, je sais bien qu'elle est vêtue
De fenouil, de myrte et de menthe,
De romarin, de lavande et de thym ;
Et que sa cime se recule
À mesure qu'on va vers elle
Et que son flanc parfois se creuse
Offrant un sûr et calme asile.

Je sais qu'il y a un mûrier,
Des amandiers, des pins, des chênes,
Un tapis d'herbe et deux chevrettes
Derrière la petite maison.

Et devant elle, une terrasse
Avec son banc et sa table de pierre
Où des gens, après leur travail,
Dans l'air doré du crépuscule,
Boivent frais le vin de leur vigne.

Charles Vildrac ("Le livre d’amour", Nouvelle Revue Française, 1910 - réédité chez Seghers en partenariat avec les Éditions le Temps des Cerises, 1979)



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15 mai 2009

Paul VINCENSINI, Renée VIVIEN, Alexandre VOISARD - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Paul Vincensini, qui se disait archiviste du vent, est né en 1930. Il a disparu en 1985, mais vous le trouverez encore à cette adresse .

"Quand je dis "archiviste du vent", je parle non de titre honirifique mais de fonction.
Il me faut préciser cependant qu'étant déjà - et de longue date - affecté à la Poussière, les multiples tâches que cela implique font que je ne suis mis à la disposition du vent qu'à titre de vacataire
 [...].  Je m'y suis formé à l'École des Mouches. [...] "

Paul Vincensini

Ses recueils sont pour la plupart aujourd'hui épuisés, mais la presque totalité de ses textes est rassemblée dans l'ouvrage qui reprend le titre de l'un de ses recueils : "Archiviste du vent", au cherche midi éditeur (première parution en 1986).

L'humour de Paul Vincensini est souvent noir, voire désespéré, et grinçant, mais toujours proche et imagé. Les quelques textes choisis ici nous semblent parmi les plus adaptés au thème et aux élèves. "Archiviste du vent" est à se procurer (autour de 10 € en librairie, et 160 pages de poèmes), pour dénicher d'autres textes selon vos projets et mesurer la diversité de l'humour de son auteur.

La plupart des poèmes qui suivent ne sont pas titrés. Les titres sont proposés par le blog :

Le champ de blé

Ne réveillez pas ce grand champ de blé né de mon souffle.

Paul Vincensini ("Le point mort" - Éditions Chambelland, 1969)

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On se reconnaîtra peut-être dans les paysages de Paul Vincensini, familiers et vivants :

Le vent

Le vent seul
Fait ce qu'il est
Ce qu'il veut
Le vent qui fait commerce à la criée
D'herbes noires
Et de pierres brûlées

Paul Vincensini ("Archiviste du vent" poème inédit - Le cherche midi éditeur, 1986)

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L'ombre est bleue (c'est le titre du recueil)

Ce chemin bleu dans l'ombre
Etait si beau
Que je t'ai gardée en souvenir de lui

Paul Vincensini ("L'ombre est bleue", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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Le chemin 

Attention Promeneurs Danger
Le chemin se tourne sur le côté
Et dort à poings fermés

Contre le flanc de la colline

Paul Vincensini ("Le chemin des oiseaux", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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L'arbre

Par la violence de son vertige
L'arbre a jailli du sol vaincu
Dans l'air où les oiseaux pleuraient

Une fleur au travail
Une abeille au galop
Un couteau dans son poitrail
Le sang du cheval blanc coule au trot

La chaleur arrondit la montagne
Mais glisse sur le tronc de l'arbre
Les feuilles et les tiges
Comme caillou dans la main

Une rivière suffit au rocher
Pour qu'il devienne enfant

La nuit le vent peuple l'arbre
De vieilles femmes aux dessous blancs
Mais à l'aurore ce sont déjà des fleurs
Qui se travaillent en fruits

Tout oiseau qui a touché à l'arbre
Doit mourir de son chant
Ses poussières et son chant
restent propriété de l'arbre

Paul Vincensini ("Des paniers pour les sourds" - Éditions Chambelland, 1969)

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Moisson

Dans un champ de blé
Avance une chevelure
Qui lui ressemble
Celle qui la porte
N'a d'yeux que pour les oiseaux
Qui fuient à son approche
Et moi
Je ne vois qu'elle

Paul Vincensini ("De bleu et d'ombre" - Éditions St-Germain-des-Prés)

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Petite nuit

Quand il fait nuit
La nuit se prend dans ses bras
Et dort sur son épaule
Comme un lilas

Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" - Collection "L'enfant la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)

Le vent

La nuit
Il y a des arbres
Où le vent s'arrête
Sans bruit, se déshabille
Et au matin les gens de la vallée
Disent avec un sourire
Cette nuit le vent s'est calmé

Paul Vincensini ("Qu'est-ce qu'il n'y a ?" - Collection "L'enfant la Poésie", éd. Saint-Germain-des-Prés,1975)

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Plein ciel

L'oiseau seul
A tout le ciel
Pour s'étirer dans tous les sens

Paul Vincensini ("Quand même", dans le recueil "Quand même suivi de L'ombre est bleue et de Le chemin des oiseaux", Éditions St-Germain-des-Prés, 1976)

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Moi au printemps j'ai tout 

Moi j'ai tout en même temps
A ma petite fenêtre
Les genêts les oiseaux

 
Les coquelicots
 
Et la lune
 

Paul Vincensini ("Toujours et Jamais", Culture et pédagogie, Grignan, 1982)

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Hiver

Le vent d’hiver dérange tout
Les Poisseaux
Les Oisons
La rivière dans les arbres
Le froid fait peur à tout le monde
Mais au coeur de la pierre
Il fait chaud
Et on entend une musique

Paul Vincensini ("Pour un musée des amusettes" - L'École des Loisirs, 1976)



Renée Vivien (1877-1909), née de mère américaine et de père anglais, a écrit toute son oeuvre en français. C'est une poète parnassienne (théorie de l'art pour l'art excluant à priori tout lyrisme et sentimantalisme excessif). Théorie avec laquelle elle aura pris ses distances, en femme libre et amoureuse.

Ses paysages sensuels s'habillent de couleurs et adoptent les formes féminines des amoureuses, présentes ou évoquées dans chacun des poèmes de ses recueils  :

Roses du soir

Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses poussières roses...

Des roses sur la mer, des roses dans le soir.

Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...

Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !

Renée Vivien ("Évocations", 1903 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)

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Chanson

Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des jacinthes,
Des iris et des cyclamens.

Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L’effleurement blanc de tes doigts.

Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Renée Vivien - Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007) 

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Les Arbres

Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.

Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s'incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne.

Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,
S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.

Renée Vivien ("Études et préludes", 1901 - réédition dans "Œuvres poétiques, 1901-1903", éditions Paléo, 2007)

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À la bien-aimée
 
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys,
Ma cassolette d’or et ma blanche colonne,
Mon parc et mon étang de roseaux et d’iris.

Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma palme
Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air,
Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme,
Et mes algues et mes paysages de mer.

Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,
Mon île fraîche et ma secourable oasis …
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys.

Renée Vivien ("À l’heure des mains jointes", éditions Alphonse Lemerre,1906)



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Charles-Ferdinand Ramuz, et Alexandre Voisard ci-dessous.

Alexandre Voisard, poète et écrivain, est né en 1930 à Porrentruy, dans le Jura suisse. Il vit aujourd'hui dans le Jura français, juste de l'autre côté de la frontière. Il a obtenu le Prix de poésie Max Jacob en 1996 pour son recueil Le repentir du peintre (éditions Empreintes). L'un des derniers ouvrages en date est Fables des orées et des rues, (éditions Bernard Campiche, 2003).

Écrit sur un mur (titre du recueil, début et passages)

L’amour a les cheveux du monde, la voix de tous les jours, et les flèches du soleil. Il court quand il veut, si les saisons de miel s’arrêtent de tourner ou si la folie monte la garde aux carrefours. L’amour s’as- sied où il peut, sur les murs de la mélancolie ou sur les chevaux maigres de la pluie. L’amour ne voit pas ce qu’il fait, il caresse les rivières et bâtit son aurore à midi. L’amour s’endort sur les clous des étoiles. L’amour n’a pas de nom.

[...]

L’amour fera le tour de la terre sur un grand cheval en roses rouges, apprendra à connaître la flore de chaque pays et ouvrira les brèches dans les murailles du vent. Des petits oiseaux gris et curieux le suivront sur les océans avec de la douceur au coin de l’œil. L’amour descendra lentement hors des jour- nées d’avril et il fera le tour du monde sur une rose rouge.

[...]

Je n’ai pas chanté les rivières et les épines du monde pour qu’on croie à ma folie. J’ai souffert quelque fois de l’atrocité de mes mains pâles en face du soleil. J’ai crié souvent à cause de la solitude qui ne m’apportait pas le fruit tant attendu de l’amour et du temps. J’ai chanté pour qu’on me reconnaisse entre les millions d’amoureux. Ce que je chante et que je cherche, je le trouverai peut-être pendant la fête humide du sommeil.

Je marcherai longtemps sous les rues des étoiles, avec des pas serrés sur la croix de la nuit. Je ne pourrai pas croire à la multiplication des jours et les anges glacés de la solitude glisseront doucement contre les parois du vent. Mon regard naîtra comme une perle avec l’habitude de l’aube. Que de jours sans blessure à jeter encore à la mer !

Le printemps n’est pas ce jeu de hasard et d’amour où le soleil exerce ses ongles sur l’ardoise. Pourquoi faut-il tant de courage pour s’abaisser vers le rosier maigre des secrets? Le printemps n’entre pas dans la forêt des hommes, il marche très lentement entre les ruisseaux ouverts. Que se dresse enfin l’ombre, faisant crier l’écorce, qu’une main plonge au profond du printemps, où gît tant d’or timide et sans raison.

Que ferons-nous si le printemps s’arrête de tourner autour de nous et si l’oiseau du temps quitte soudain nos épaules ? Comme tout serait facile si les rideaux s’ouvraient sur une cage toute neuve au coin du paysage de verre. Un seul pas à marquer dans le sable délicat. Un seul pas, et ce n’est pas le pire de nos jeux d’enfants tristes.

[...]

Tous ils viennent s’accouder à cette fenêtre rose. Les paysages qu’on voit de là-haut n’ont aucune histoire et ne ressemblent à aucun paradis: on ne voit que les arbres du silence, debout et pantelants de solitude, à bout de souffle. Quelquefois aussi on voit les oiseaux de la mer qui cherchent les petites îles où mourir.

[...]

Plus qu’un seul oiseau à attendre dans la haie. Celui-là aura le plus beau chant et viendra se poser à côté de la dernière rose. Il aura traversé tous les déserts et connu toutes les sortes de sable. Il ne craindra pas les grèves déchirées où nos rêves prenaient contact avec l’océan et les parfums des îles. Tous les chèvrefeuilles le salueront et la pluie n’aura plus à se baisser pour rencontrer son front.
[...]

Alexandre Voisard ("Écrit sur un mur", Éditions du Provincial, Porrentruy - Suisse, 1954)

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La quasi totalité des extraits proposés ci-dessous, jusqu'à la fin du paragraphe consacré à Alexandre Voisard, ont été empruntés au site de son éditeur, qui a la générosité de les mettre en ligne. D'autres textes non reproduits sur ce blog sont visibles ici (copier-coller le lien dans un navigateur) :

http://www.campiche.ch/

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Le muguet perdu  (première partie)

Nous avions arpenté la forêt insoucieusement tout l'après-midi, sur des sentiers de framboisiers, quand à l'orée d'une clairière la présence odorante d'une touffe de muguet nous étreignit. Nous fîmes un petit bouquet de cette fleur si belle, que nous connaissions un peu pour l'avoir rencontrée une seule fois dans quelque jardin très châtié. Quelle surprise heureuse nous réservions à maman et quelle joie en nous aussitôt tandis que, vautrés parmi les aspérules et grisés de tant de parfums, nous dévorions notre part de brioche ! Plus tard, à l'instant de pousser la lourde porte d'entrée de la demeure familiale, l'un de nous s'écria : "On a oublié le bouquet..." Consternés, nous retournâmes sur nos pas jusqu'à la haie qui avait hébergé notre agape. Nous eûmes beau fouiller et refouiller le sous-bois en tous sens avec des yeux d'épervier, le muguet resta introuvable. S'était-il enfui ?

[...] 

Alexandre Voisard (recueil "Le Muguet perdu", inclus dans "Sauver sa trace", Éditions Bernard Campiche, 2000)

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Certaines des "Fables des orées et des rues", qui suivent, surprendront le lecteur par l'audace du propos, et au détour d'une phrase par la rencontre abrupte d'un terme choisi. Il faudra veiller à la présentation de ces petites histoires, mais d'évidence, elles ne sont pas destinées à un trop jeune public :

L'artiste à l'œuvre 

De bas en haut
celui qu'on nommait l'Artiste
a léché l'étendard de la survie
de long en large
il en a baisé tous les ourlets
dans le désarroi des oiseaux migrants
il s'en remet pour l'avenir
aux liturgies de la flore
aux jurisprudences de la faune
grâce auxquelles le papier ne tremblera
plus sous le crayon insurgé. 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Légende des ingénieurs

Ils effacent les montagnes
ils enfouissent les collines
ils exilent fleuves et ruisseaux
à chacun ils assignent son lit
ils n’entendent que d’une oreille
et ne parlent que leur jargon lourd
ils ne sont pas innombrables
et pourtant on ne les recense pas
comme les honnêtes trafiquants de foire
adressez-leur un compliment
ils vous tendent l’autre joue
ils ont refait le monde.
 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Le pasteur égaré

Tandis que son troupeau halète
aux abords de ruisseaux en déroute
le bon pasteur qui n’est saint qu’en légende
s’enivre à même le pin de parfums de résine
perd son chemin comme le firent les eaux
on ne s’étonne guère de voir dans les villes
errer toujours plus d’orphelins et de hères
toquer de la corne à la lucarne de nos livres
inondés de larmes anonymes.
 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Un goûter à l'orée

Nous voici réfugiés sous les sapins
piquant le lard avec la mie
pendant que nous pensons à toute autre chose
par exemple à ce qui se passe
en haut dans le bordel des nids
et que récompense la foudre
jusqu’en bas dans la débâcle des racines
tandis que nous frottons la graisse sur nos dents
non nous ne songeons à rien d’autre
n’imaginant même pas le prochain orage
se levant dans nos ventres surpris
. 

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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La première partie des "Carnets & chroniques" d'Alexandre Voisard porte un joli titre : "Au rendez-vous des alluvions", brèves notes datées d'observation, de poésie et d'humour, qui se rapprochent des poèmes courts, tankas et haïkus. Le découpage est en principe celui des textes originaux. En voici un choix difficile (il n'y a dans ce livre rien à jeter), pour rester dans le thème : 

Au rendez-vous des alluvions (extraits choisis par le blog)

Première neige dans le voisinage, petite tache jaune
timide. Surprise : une renoncule, qui n’est tout de
même jamais précoce, égarée dans le temps, prenant
dans l’almanach champêtre la place de la pâquerette.
9/3/87

Neige sur les arbres en fleurs. Dans la giboulée, on
ne distingue plus les pétales blancs qui se confondent
avec la neige, tout étant emporté d’un seul
mouvement par le vent.
3/5/87

Passage de grives auxquelles la contrée convient.
Mauvis et litornes campent depuis près de deux
semaines. Éclairs blancs, éclats roux dans la grisaille
des brumes et des haies.
27/12/89

Les fautes d’accord du merle, sur le coup de trois
heures, font sursauter les feuilles du cerisier. Même
si la brise ne s’y mêle qu’à peine…
27/6/92

Le bai tout frais du chevreuil ranime dans mon oeil
une gamme oubliée.
28/6/92

Débusquée, arrachée à son humus, la chanterelle ne
chante plus. Oh mais comme ses lamelles d’or irradient
dans ma paume…
29/6/92

Le rouge du sureau, au-dessus de la mer des orties,
braille et fait tache.
30/6/92

L’épervier au fond de la forêt se fait ermite. Mangera-t-il ?

Je l’ai vu sombre et impassible.
1/7/92

Si le coudrier te gifle au passage, garde ton sangfroid,
n’insulte pas la forêt. Fais comme si le nuage
venait te souhaiter le bonjour.
6/7/92

Quoi qu’insinue l’ombre de l’épervier, l’alouette ne
choisit pas entre la terre et le ciel.
7/7/92

La transparence d’un chant d’oiseau à elle seule fait
la légèreté du ciel et la liberté de l’air.
11/7/92

Le soir s’ankylose jusqu’à s’empourprer de confusion :
c’est ainsi qu’il te raille.
17/7/92

Que de chemins perdus sous l’entêtement des
feuilles mortes. Que d’allées et venues niées par les
tassements !
31/7/92

Une bonne bise (ici on la dit bonne par antiphrase,
pour signifier son intensité) fait taire les rumeurs les
plus têtues, dans les fourrés comme dans les cimes.
5/8/92

Plus la mûre se fait belle, plus l’épine est méchante …
24/8/92

L’arbre en plein champ
qui si longtemps
nous dansa sur le ventre
n’est plus qu’une tache
dans la brume
tempi passati.
7/10/92

J’avais appris à parler au pré. Je parlais herbe comme
une langue vivante. Aujourd’hui c’est la bise qui me
répond, par vociférations et huées.
12/10/92

Plus son ombre s’amoindrit, plus le chêne me tance,
infiniment. Qu’y puis-je, ô roi de la forêt ?
15/10/92

Merle aux rameaux
prend des airs
merle et demi
fait des trous
dans les pommes.
16/10/92

La sirène de midi
jusqu’au fond des bois
au fond de toi
réveille des tumultes
rabroue les oiseaux plaintifs.
1/11/92

Alexandre Voisard ("Fables des orées et des rues", Éditions Bernard Campiche, 2003)

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Dans le tome IV des Poésies d'Alexandre Voisard, toujours aux Éditions Bernard Campiche, qui édite ainsi l'œuvre complète de l'auteur, on trouve le recueil "Le Déjeu", dont voici deux passages :

[...]

La longue nuit soupçonneuse
en a fini de dévorer
toute pensée hivernale
l’ancêtre n’ira plus aux bois
que pour peser les dernières ramilles
à l’aune de ce filet de mémoire
qui le tient encore d’aplomb
prêt à inaugurer chaque renouveau
d’un coup de langue leste
à l’arête du bourgeon échoué
en sa main
.

[...]

L’arbre que terrasse la tempête
ne dit ni hélas ni merci
il s’allonge sur son secret
à son mystère il donne congé
l’au-delà convient aux fuyards
tout est bien.

Alexandre Voisard ("Le Déjeu", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 

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Encore dans le tome IV des Poésies, le recueil "Louange à qui rêve debout" :

Solitaire au bout du rameau
tremble la tendre feuille
elle est à la fois
le commencement
et l’achèvement
et c’est pourquoi
elle ne se dérobera pas
à l’insulte et aux morsures
de qui se croit
immortel
.

[...]

Une fois le jour
accoudé à la colline
tu deviseras avec le merle
tu verras l’air
s’empourprer de mots rares.

[...]

Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.

[...]

Si dans ta main la plume de geai
se rebelle autant qu’au bonnet du chasseur
rapproche-toi du chemin des écoliers
pour te remémorer comment
l’encre chantait dans l’encrier
ce chant qui te guérit
à jamais des limaces arithmétiques
ne t’étonne pas d’avoir enfant déjà
souffert ce qu’endure
un poète aujourd’hui.

Alexandre Voisard ("Louange à qui rêve debout", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 

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Et toujours dans ce tome IV des Poésies, des passages de "Papiers dans la fente du mur" :

(avant l’orage, après des vocalises)

À peine l’homme sauvage
a-t-il tourné la tête
que le vent d’occident
revient sur ses pas
insultant le sable et la paille
raillant les joyeux présages
d’une saison qui tourne à l’aigre
comme l’amanite sous ses masques.
 

[...]

L’ombre et la lumière
ne jouent pas l’une contre l’autre
fortune et infortune
il suffit d’un nuage prédateur
pour que s’allume
au noir du noyau de charbon
l’intuition astrale
d’une possible parole.

[...]

(Marcher à côté du chêne
n’accélère pas la course
du lierre sur l’écorce
mais la sandale s’use
de sabbat en sabbat
sous la verdure débordante.)

Alexandre Voisard ("Papiers dans la fente du mur", dans l'intégrale "Poésie IV", Éditions Bernard Campiche, 1997) 


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11 mars 2009

11 mars 2009, poème du jour : Mario Benedetti / ¿Qué pasaría?

 Ce superbe texte de Mario Benedetti était en attente de traduction. Un autre poème, Défense de la joie (Defensa de la alegría) du même auteur est sur le blog, toujours dans la catégorie Poème du jour, où vous en trouverez un autre, Tactica y Estrategia, en commentaires du poème précédent, récemment posté.

Qu'arriverait-il ?

Qu'arriverait-il si nous nous réveillons un jour
en réalisant que nous sommes la majorité ?
Qu'arriverait-il si tout à coup une injustice,
une seule, est rejetée par tous,
tous autant que nous sommes, pas quelques-uns,
ni certains, mais tous ?
Qu'arriverait-il si au lieu de rester divisés
nous nous multiplions, nous nous additionnons,
affaiblissant l'ennemi qui veut arrêter notre marche en avant ?

Qu'arriverait-il si nous nous organisons
et si nous affrontons nos oppresseurs sans armes,
silencieux, nombreux,
avec nos millions de regards,
sans vivats, sans applaudissements,
sans sourires, sans tapes sur l'épaule,
sans hymnes partisans,
sans cantiques ?

Qu'arriverait-il si je le fais pour toi, qui es si loin,
et toi pour moi, qui suis si loin,
et nous deux pour les autres, qui sont très loin,
et les autres pour nous, qui sommes si loin ?
Qu'arriverait-il si les cris d'un continent
deviennent les cris de tous les continents ?
Qu'arriverait-il si nous nous prenons en main
au lieu de nous lamenter ?
Qu'arriverait-il si nous brisons les frontières
et que nous avançons et avançons,
et avançons, et avançons encore ?

Qu'arriverait-il si nous brûlons tous les drapeaux
pour n'en garder qu'un seul, le nôtre,
celui de tous, ou mieux,
parce que nous n'en avons nul besoin,
aucun drapeau ?
Qu'arriverait-il si nous cessons brusquement d'être des patriotes
pour devenir des humains ?
Je ne sais pas. Je me le demande.
Qu'arriverait-il ?

Mario Benedetti

Traduction proposée par Lieucommun (texte modifié le 18 mars).
L'adaptation présentée ici n'est certes pas satisfaisante, ni de loin la meilleure possible - Tous les imparfaits liés aux conditionnels sont passés au présent pour des questions de phonétique mais aussi pour renforcer les actes. dans le texte original, les deux temps coexistent.
Merci de poster en commentaire d'éventuelles suggestions. Texte original ci-dessous :

¿Qué pasaría?

¿Qué pasaría si un día despertamos
dándonos cuenta de que somos mayoría?
¿Qué pasaría si de pronto una injusticia,
sólo una, es repudiada por todos,
todos que somos todos, no unos,
no algunos, sino todos?
¿Qué pasaría si en vez de seguir divididos
nos multiplicamos, nos sumamos
restamos al enemigo que interrumpe nuestro paso,

Qué pasaría si nos organizáramos
y al mismo tiempo enfrentáramos sin armas,
en silencio, en multitudes,
en millones de miradas la cara de los opresores,
sin vivas, sin aplausos,
sin sonrisas, sin palmadas en ¡os hombros,
sin cánticos partidistas,
sin cánticos?

¿Qué pasaría si yo pidiese por vos que estás tan lejos
y vos por mí que estoy tan lejos,
y ambos por los otros que están muy lejos,
y los otros por nosotros aunque estemos lejos?
¿Qué pasaría si el grito de un continente
fuese el grito de todos los continentes?
¿Qué pasaría si pusiésemos el cuerpo en vez
de lamentarnos?
¿Qué pasaría si rompemos las fronteras
y avanzamos, y avanzamos,
y avanzamos, y avanzamos?

¿Quépasaría si quemamos todas las banderas
para tener sólo una, la nuestra,
la de todos, o mejor ninguna
porque no la necesitamos.
¿Qué pasaría si de pronto dejamos de ser patriotas
para ser humanos?
No sé. Me pregunto yo,
¿qué pasaría?

Mario Benedetti



18 février 2009

Poème du jour - 22 février 2009 - Ernest Pépin : Dis-leur

Ernest Pépin, écrivain et poète est né  en Guadeloupe en 1950

livre_Ernest_P_pin_BabilDIS-LEUR

Un oiseau passe
éclair de plumes
dans le courrier du crépuscule
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que tu viens d'un pays
formé dans une poignée de main
un pays simple comme bonjour
où les nuits chantent
pour conjurer la peur des lendemains
dis-leur
que nous sommes une bouchée
répartie sur sept îles
comme les sept couleurs de la semaine
mais que jamais ne vient
le dimanche de nous-mêmes
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que les marées
ouvrent la serrure de nos mémoires
que parfois le passé souffle
pour attiser nos flammes
car un peuple qui oublie
ne connaît plus la couleur des jours
il va comme un aveugle dans la nuit du présent
dis-leur que nous passons d'île en île
sur le pont du soleil
mais qu'il n'y aura jamais assez de lumière
pour éclairer
nos morts
dis-leur que nos mots vont de créole en créole
sur les épaules de la mer
mais qu'il n'y aura jamais assez de sel
pour brûler notre langue
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur qu'à force d'aimer les hommes
nous avons appris à aimer l'arc-en-ciel
et surtout dis-leur
qu'il nous suffit d'avoir un pays à aimer
qu'il nous suffit d'avoir des contes à raconter
pour ne pas avoir peur de la nuit
qu'il nous suffit d'avoir un chant d'oiseau
pour ouvrir nos ailes d'hommes libres
VA
VOLE
ET DIS-LEUR...

Ernest Pépin ("Babil du songer" - éditions Ibis Rouge, 1997)

4 janvier 2009

PRINT POÈTES 2011 - POÈTES d'OUTRE-MER - sommaire

 

 sens_interdit_sourire_et_tristeLes textes publiés n'ont pas tous fait l'objet d'une demande d' autorisation.
  Les ayants droit peuvent nous en demander le retrait.


 

paysage_palette_3


"d'infinis paysages"

  • dans cette page
    et la suivante (clic sur le numéro dans le sommaire),
    des textes de poètes d'Outre-mer 

  Quelques pistes pour la création poétique accompagnent les textes
Beaucoup d'autres sont rangées dans les catégories précédentes
du Printemps des Poètes, et en particulier
>> PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes

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[...] la langue véhiculaire de la Caraïbe, insulaire en tout cas, et cela dès le 19è siècle, n’est autre que le créole. Il n’y a guère, de Cuba à Trinidad, qu’à Barbade qu’on n’entend pas le créole. Partout ailleurs, soit il existe des poches de créole soit le créole est la langue principale soit le créole coexiste, en situation d’infériorité, face à d’autres langues. Rien qu’à Cuba, il y a 1,5 millions de créolophones d’origine haïtienne et, tout en bas de l’archipel, à Trinidad, notre langue est encore parlée dans des poches telles que Paramine, Morne Coco ou Maraval. Et au Venezuela, dans la Péninsule de Paria tout comme à Colon, au Panama, où vivent les descendants des Martiniquais et des Guadeloupéens venus construire le canal de Panama au début du 20è siècle. Sans compter que l’immigration haïtienne tous azimuts partout à travers la Caraïbe et en Floride renforce la diffusion du créole". (Raphaël Confiant, à une des conférences du Club-UNESCO  de Saint-Barthélemy, à l'invitation de l'écrivain Jean-Marie Lédée. cette intervention en août 2008 avait pour thème "la Place de la littérature caribéenne dans le monde")

Les Départements d'Outre-mer :

  • dans la mer des Caraïbes, aux Antilles : la Guadeloupe et la Martinique
  • en Amérique du sud, proche des Antilles : la Guyane
  • dans l'Océan Indien, à l'est de Madagascar :  La Réunion
  • dans l'Océan Indien, entre le continent Africain et Madagascar :  Mayotte (qui devient cette année 2011 un département d'Outre-mer).

Les Territoires d'Outre-mer :

  • dans l'Océan Atlantique nord, au sud de Terre-Neuve (Canada) :  Saint-Pierre-et-Miquelon
  • en Polynésie, dans l'Océan Pacifique, entre la Nouvelle-Calédonie et Tahiti :  Wallis-et-Futuna
  • Mayotte devient cette année 2011 un département d'Outre-mer, voir ci-dessus
  • dans la mer des Caraïbes, aux Antilles, au nord-ouest de la Guadeloupe et proche de Saint-Martin :  Saint-Barthélemy
  • dans la mer des Caraïbes, aux Antilles, au nord-ouest de la Guadeloupe et proche de Saint-Barth :  Saint-Martin
  • dans l'Océan Pacifique, à l'est de l'Australie :  Les îles de la Polynésie française (Tahiti ...) 
  • dans l'Océan Pacifique, à l'est de l'Australie :  La Nouvelle-Calédonie
  • les Terres Australes et Antarctiques françaises comprennent :
  • au sud de l'océan Indien : Kerguelen, Crozet et les îles Saint-Paul et Amsterdam, dans le canal du Mozambique : les îles Éparses, et sur le continent antarctique : la Terre-Adélie 

D'autres territoires, anciennes possessions ou colonies françaises, aujourd'hui territoires indépendants, abritent ou ont abrité des poètes francophones. On en présentera quelques-uns :

Haïti ; L'île Maurice ; Grande-Comore ; Madagascar, Les Seychelles

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sommaire

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Auteurs et textes

lieucommun présente ici un choix de textes, qui ne peut rendre compte de l'importante production poétique francophone des îles - se reporter aux liens à copier-coller dans la barre d'adresses de votre navigateur, pour d'autres sites

(page 1 - vous y êtes, déroulez ...)

  • Guadeloupe - Casimir Létang ; Saint-John Perse ; Paul Niger ; Ernest Pépin ; Daniel Maximin ; Guy Tirolien ; Florette Morand ; Roger Toumson ; Gerty Dambury ; Jude Lanimarac ; Hector Poullet ; Max Rippon 
  • Martinique - Aimé Césaire ; Édouard Glissant ; Daniel Thaly ; Étienne Lero ; Georges Desportes
  • Haïti - René Depestre ; Jean Métellus, Frankétienne ; Gérard Chenet
  • Guyane - Léon-Gontran Damas ; Serge Patient ; Assunta Renau-Ferrer
  • La Réunion - Leconte de L'Isle ; Auguste Lacaussade ; Rosemay Nivard
  • Île Maurice - Paul-Jean Toulet ; Charles Baudelaire ; Malcom de Chazal ; Michel Ducasse ; Édouard J. Maunick ; Jean Fanchette
  • Saint-Pierre - Miquelon - Henri Lafitte
  • Wallis ; Futuna - Virginie Tafilagi
  • Mayotte - Yazidou Maandhui ; René Joomun
  • Madagascar - Esther Razanadrasoa ; Jean-Joseph Rabearivelo  ; Samuel Ratany ; Jacques Rabemananjara

(page 2 - cliquez pour y accéder ...)

  • Grande-Comore - Salim Hatubou ; Mahamoud M’Saidié ; Soeuf Elbadawi
  • Les Seychelles -  Paul-Jean Toulet ; Antoine Abel  ; Magie Fauré-Vidot (Maggie Vijay-Kumar)
  • Saint-Barthélémy - Jean-Marie Lédée
  • Saint-Martin - Georges Cooks

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4 janvier 2009

Poètes d'OUTRE-MER - Guadeloupe

Poètes d'Outre-mer

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Antilles - Guadeloupe 

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carte_Guadeloupe

La Guadeloupe est un archipel faisant partie, avec la Martinique (voir plus bas), des Antilles, dans la mer des Caraïbes, au sud-est de la Floride. Elle compte cinq îles,  : Grande-Terre, Basse-Terre, Marie-Galante, Les Saintes  (Terre-de-Haut et Terre-de-Bas) et la Désirade.

  • Si la langue officielle est le français (forcément !), le créole guadeloupéen (il existe différentes déclinaisons du créole dans les différentes régions caraïbes), qui a empunté syntaxe et lexique à des langues locales et au français, en est la langue porteuse de la culture et de traditions la plus ancienne.

On découvrira une mine d'informations sur les poètes de Guadeloupe dans le document : "Lyannaj d'une île-passion", 145 pages à travers des auteurs souvent ignorés. Cette étude est présentée ainsi : "Lyannaj n'est pas une anthologie dans le sens que l'on lui donne, puisque axée sur un thème: parler de la Guadeloupe au travers, dans la mesure du possible, de ses poètes.
Lyannaj est soumise à des servitudes dépendant, certes des goûts de l'auteur, mais celui de refléter une vue générale d'une
littérature propre : la poésie. Comme il existe une forêt de Mille Poètes, nous avons ici, sous le frémissement des cannes, une Île de Mille Poètes , mieux une Cannaie de Mille Poètes ! Malgré ses écarts de conduite, pour les Poètes, l’Île reste et restera Karukéra, l’Île aux belles eaux ..."
.

Certains textes, qui sont présentés sur le blog ici, y ont été empruntés (adresse rappelée à chaque emprunt direct, à copier-coller d'urgence dans votre navigateur pour accéder au PDF) : http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf.

Un premier auteur :

Casimir Létang (1935-1996), est un auteur de chansons en langue créole, dont il a composé parfois la musique et qu"il a interprètées, ou qui ont été (et sont encore) chantées par d'autres artistes.
Un exemple avec ce texte de 1963 (éditions Tchou), cité dans
"Lyannaj d'une île-passion", repris par Robert Charlebois en 1981 dans l'album "Heureux en amour ?" . Bon, maintenant, il va falloir vous atteler, (pas toujours facile pour un "métro"*) à la traduction ...

* Les Antillais désignent parfois sous le nom de "métro" les français de métropole

Matouba, lieu-dit de la commune de Saint-Claude est un des hauts-lieux en Guadeloupe de la lutte pour l'abolition de l'esclavage, siège de résistance héroïque commémorée. Il possède aussi une source d'eau minérale importante. Mais l'auteur n'évoque dans la chanson que son "ti jadin" à lui.

      On ti jadin à Matouba (Mon petit jardin à Matouba)
 
Oui çé à Matouba et çé té on jou au soi
A dans on ti jadin ki pli bel ki ta lè roi
Nous lié dé què en nous avé on lot serments
Nous fé beaucoup dè promesses et nous bo tout doucement.
Lhé moin di vous moin ainmé vous, on ti rose souri
Miguet la soupiré : Est-ce çé vré ça y ka di !
On lila réponne : Moin pé lanmou çé on sigré…
Violette ni expérience y dit : Couté pas parlé !
Pou on rose cayenne, on sicrié té ka sifflé.
Nous di Bon Diéu, jè lanmou la toujours existé !
La vie tini on maudi Destin ki sans pitié !
Hélas ! Nons en nous éffacé si "Live à lanmou"
Pas ni la joie… adié souvêni… adié doudou
Zenfants ki ka grandi, sonjé flé tini parfin,
Min y pas ka diré, lanmou aussi minme bitin.

Casimir Létang (éditions Tchou, 1963)

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Saint-John Perse (1887-1975), c'est le nom de plume, entre-autres pseudonymes, de l'écrivain, poète et diplomate Alexis Leger (prononcer "Leuger"). Il quitte la Guadeloupe avec ses parents à l'adolescence et vit en métropole, où il rencontre des écrivains et des poètes : Francis Jammes, Paul Claude, André Gide ... Parallèlement à son parcours de poète, il mène une carrière de diplomate de premier plan (Secrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères, de 1933 à 1940), compromise, dans cette période de montée du nazisme et du fascisme, par ses positions politiques, plutôt hostiles aux entreprises d'Hitler en Europe. Il s'exile aux Etats-Unis en 1940, où sont publiés la quasi totalité de ses ouvrages, après le recueil "Anabase" (1925). le Prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1960. On trouvera ici de nombreuses informations sur la vie de l'auteur et sur son œuvre considérable : http://www.fondationsaintjohnperse.fr/

Amers (passage)

"Poème composé entre 1947 et 1956 aux États-Unis et aux petites Antilles (Iles Vierges, Trinité et Tobago, Saint Kitts et Nevis)". - source : http://www.fondationsaintjohnperse.fr/

[…]

Entre l’Été, qui vient de mer. À la mer seule, nous dirons
Quels étrangers nous fûmes aux fêtes de la Ville, et quel astre montant des fêtes sous-marines
S’en vint un soir, sur notre couche, flairer la couche du divin.
En vain la terre proche nous trace sa frontière. Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie Roule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin de nous fut imprimé jadis ce souffle.

[…] 

Saint-John Perse - écrit entre 1953 et 1956 - ("Amers", éditions Gallimard, 1957)

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Vents (passage)

[…]
 
Quand la violence eut renouvelé le lit des hommes sur la terre,
Un très vieil arbre, à sec de feuilles, reprit le fil de ses maximes...
Et un autre arbre de haut rang montait déjà des grandes Indes
souterraines,
Avec sa feuille magnétique et son chargement de fruits nouveaux.
 

[…] 

Saint-John Perse ("Vents", IV, éditions Gallimard, 1960)

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Le poème "Oiseaux" a été publié dans l'ouvrage "L'Ordre des oiseaux", pour accompagner les oeuvres du peintre Georges Braque. Saint-John Perse a répondu avec enthousiasme à une demande du peintre.

Oiseaux (passage)

[…]
 
  Oiseaux, et qu’une longue affinité tient aux confins de l’homme… Les voici, pour l’action, armés comme filles de l’esprit. Les voici pour la transe et l’avant-création, plus nocturnes qu’à l’homme la grande nuit du songe clair où s’exerce la logique du songe.

Dans la maturité d’un texte immense en voie toujours de formation, ils ont mûri comme des fruits, ou mieux comme des mots : à même la sève et la substance originelle. Et bien sont-ils comme des mots sous leur charge magique : noyaux de force et d’action, foyers d’éclairs et d’émissions, portant au loin l’initiative et la prémonition.

Sur la page blanche aux marges infinies, l’espace qu’ils mesurent n’est plus qu’incantation. Ils sont, comme dans le mètre, quantités syllabiques. Et procédant, comme les mots, de lointaine ascendance, ils perdent, comme les mots, leur sens à la limite de la félicité.
 

[…] 

Saint-John Perse ("L'Ordre des oiseaux ", éditions Au Vent d'Arles, 1962)

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Le recueil Anabase a été initialement publié aux éditions Gallimard (NRF) en 1924. L'auteur l'avait écrit entre 1917 et 1923, en partie en Chine, dans un petit temple taoïste. - sources : http://www.fondationsaintjohnperse.fr/ et http://www.fondationsaintjohnperse.fr/ 

Anabase (passages)

[…]
 
  Nous n’habiterons pas toujours ces terres jaunes, notre délice...
L’Eté plus vaste que l’Empire suspend aux tables de l’espace plusieurs étages de climats. La terre vaste sur son aire roule à pleins bords sa braise pâle sous les cendres. — Couleur de soufre, de miel, couleur de choses immortelles, toute la terre aux herbes s’allumant aux pailles de l’autre hiver — et de l’éponge verte d’un seul arbre le ciel tire son suc violet. Un lieu de pierres à mica ! Pas une graine pure dans les barbes du vent. Et la lumière comme une huile. — De la fissure des paupières au fil des cimes m’unissant, je sais la pierre tachée d’ouïes, les essaims du silence aux ruches de lumière ; et mon cœur prend souci d’une famille d’acridiens...
Chamelles douces sous la tonte, cousues de mauves cicatrices, que les collines s’acheminent sous les données du ciel agraire — qu’elles cheminent en silence sur les incandescences pâles de la plaine ; et s’agenouillent à la fin, dans la fumée des songes, là où les peuples s’abolissent aux poudres mortes de la terre.

[…]

 (autres passages)

[…]

ha ! toutes sortes d'hommes dans leurs voies et façons : mangeurs d'insectes, de fruits d'eau ; porteurs d'emplâtres, de richesses ! l'agriculteur et l'adalingue, l'acupuncteur et le saunier ; le péager, le forgeron ; marchands de sucre, de cannelle, de coupes à boire en métal blanc et de lampes de corne ; celui qui taille un vêtement de cuir, des sandales dans le bois et des boutons en forme d'olives ; celui qui donne à la terre ses façons ; et l'homme de nul métier : homme au faucon, homme à la flûte, homme aux abeilles ; celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix, celui qui trouve son emploi dans la contemplation d'une pierre verte ; qui fait brûler pour son plaisir un feu d'écorces sur son toit, et celui qui a fait des voyages et songe à repartir ; qui a vécu dans un pays de grandes pluies ; qui joue aux dés, aux osselets, au jeu des gobelets ; ou qui a déployé sur le sol ses tables à calcul ; celui qui a des vues sur l'emploi d'une calebasse ; celui qui mange des beignets, des vers de palme, des framboises ; celui qui aime le goût de l'estragon ; celui qui rêve d'un poivron ; ou bien encore celui qui mâche d'une gomme fossile, qui porte une conque à son oreille, et celui qui épie le parfum de génie aux cassures fraîches de la pierre ; celui qui pense au corps de femme, homme libidineux ; celui qui voit son âme au reflet d'une lame ; l'homme versé dans les sciences, dans l'onomastique ; l'homme en faveur dans les conseils, celui qui nomme les fontaines, qui fait un don de sièges sous les arbres, de laines teintes pour les sages ; et fait sceller aux carrefours de très grands bols de bronze pour la soif… ha ! toutes sortes d'hommes dans leurs vies et façons et, soudain, apparu dans ses vêtements du soir et tranchant à la ronde toutes questions de préséance, le Conteur qui prend place au pied du térébinthe…

[…]
 

mais par-dessus les actions des hommes sur la terre, beaucoup de signes en voyage, beaucoup de graines en voyage, et sous l'azyme du beau temps, dans un grand souffle de la terre, toute la plume des moissons ! ...

jusqu'à l'heure du soir où l'étoile femelle, chose pure et gagée dans les hauteurs du ciel ...

[…]

Saint-John Perse ("Anabase" VII, éditions Gallimard, 1924) - réédition : "Éloges suivi de La gloire des Rois, Anabase, Exil", Gallimard/Poésie, 1967)

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Le poème "Neiges" a été écrit aux États-Unis .

Neiges (passage)

[…]
 
Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l'absence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraîcheur de linge à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le sel gris de l'aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l'essaim des grandes odes du silence.

Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige et charge d'âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d'insectes lumineux n'avaient cessé de croître et d'exceller, dans l'oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l'esprit à ces choses insignes, nous l'ignorons.
 

[…] 

Saint-John Perse ("Neiges", éditions Gallimard, 1960)

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Paul Niger (1915-1962) est le pseudonyme d'Albert Béville, romancier, essayiste, poète et administrateur, né à Basse-Terre, en Guadeloupe. Militant anti-colonialiste,il fonde en 1961, avec Édouard Glissant (voir ci-dessus), Cosnay Marie-Joseph et Marcel Manville, le Front des Antilles-Guyane pour l'Autonomie. Il est aussi, avec Léopold Sédar Senghor et d'autres écrivains, l'un des fondateurs de la revue Présence africaine. Un recueil de poésie : Initiation (éditions Seghers, 1954), des poèmes dans lesquels Paul Niger exprime sa révolte contre le colonialisme et  les injustices sociales.

"… J’ai voulu une terre où les hommes soient hommes. J’ai
voulu une terre où la moisson soit faite avec la faux de
l’âme. Un sol de tiges vertes et de troncs droits où l’homme
porte sans faiblir la gravité des étoiles."

Paul Niger - source : http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf

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Initiation (passage)

[…]

... O peuples fraternels, moi qui vous apporte l’Europe
mais qui ne suis pas l’Europe
Je vous apporte aussi les querelles des blancs.
Les travaux sans espoir et sans âme pour d’autres
entrepris, par d’autres rémunérés
L’emphysème du discours !
L’impatience d’aujourd’hui et l’inquiétude de demain
Je vous enlève à vos siècles, à vos fétiches, à vos
ancêtres, à vos chefs,
A vos cases.
Vos maîtres m’ont envoyé vous dire que vous n’avez
rien à dire
Mais moi qui suis l’esclave de vos maîtres
Je cherche
Cheminant à travers les savanes
Une vérité plus vraie qui serait cachée au coin des cases...

[…]

Paul Niger ("Initiation", éditions Seghers, 1954 et éditions Tchou, 1979) - passage emprunté au document "LYANNAJ D’UNE ÎLE-P ASSION" cité plus haut, à cette adresse http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf.

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Petit oiseau (titre proposé - autre passage du recueil)

Petit oiseau
Petit oiseau qui me chantes
L’amour du pays natal
Je te porterai à manger les graines que je choisirai
Et qu’il te plaira de croquer.
Petit oiseau qui me chantes
L’amour du pays natal.
Petit oiseau qui m’amuses
Je t’enseignerai la musique
Et toutes phrases que tu diras
Tu les auras apprises de moi.
Petit oiseau qui m’amuses,
Je t’enseignerai la musique.
Petit oiseau qui te tourmentes,
Je consolerai tes chagrins
Et t’apprendrai la vraie sagesse,
La sagesse de mes anciens.
Petit oiseau qui te tourmentes,
Je consolerai tes chagrins.

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Ernest Pépin, écrivain et poète est né en Guadeloupe en 1950

livre_Ernest_P_pin_BabilDIS-LEUR

Un oiseau passe
éclair de plumes
dans le courrier du crépuscule
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que tu viens d'un pays
formé dans une poignée de main
un pays simple comme bonjour
où les nuits chantent
pour conjurer la peur des lendemains
dis-leur
que nous sommes une bouchée
répartie sur sept îles
comme les sept couleurs de la semaine
mais que jamais ne vient
le dimanche de nous-mêmes
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que les marées
ouvrent la serrure de nos mémoires
que parfois le passé souffle
pour attiser nos flammes
car un peuple qui oublie
ne connaît plus la couleur des jours
il va comme un aveugle dans la nuit du présent
dis-leur que nous passons d'île en île
sur le pont du soleil
mais qu'il n'y aura jamais assez de lumière
pour éclairer
nos morts
dis-leur que nos mots vont de créole en créole
sur les épaules de la mer
mais qu'il n'y aura jamais assez de sel
pour brûler notre langue
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur qu'à force d'aimer les hommes
nous avons appris à aimer l'arc-en-ciel
et surtout dis-leur
qu'il nous suffit d'avoir un pays à aimer
qu'il nous suffit d'avoir des contes à raconter
pour ne pas avoir peur de la nuit
qu'il nous suffit d'avoir un chant d'oiseau
pour ouvrir nos ailes d'hommes libres
VA
VOLE
ET DIS-LEUR...

Ernest Pépin ("Babil du songer" - éditions Ibis Rouge, 1997)

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Daniel Maximin, romancier, nouvellite, essayiste et poète est né en Guadeloupe en 1947. Il a été directeur littéraire aux Éditions Présence Africaine. Daniel Maximin est maintenant installé en métropole.
Un recueil de poésie : "L'Invention des Désirades" (éditions Présence Africaine, 2000).

On notera dans ce poème, au lexique riche et difficile, la similitude de forme avec le poème d'Ernest pépin précédent (dont le dernier vers en capitales) :

Natale

Îles-désert,
ailes améries *
pour ascendance.
Quatre continents pour se créer une île,
trois âmes caraïbes,
blancheur sauvage,
ébène saigné,
ponchée colombo.
La peau plus neuve de mémoire nue

Ici,
Les résidents semblent de passage,
la foule désertée,
la servitude splendide,
le paysage plus beau que le pays.
Terreau d'excès-d'abus,
de révoltes fauchées, de récoltes sans semer,
de persiennes trop étroites, de sèves effeuillées,
le destin bien caché derrière le fatalisme.

Mais la noirceur lucide du soleil
en bouclier d'écorce protège nos chairs à vie.
Esclaves en surface,
nous avons gagné en profondeur
la cale, et, les grands-fonds s'ancrent les dérives
trop neuves pour le bonheur. Nos jouissances improvisent
sauvant l'amour, même sans le partager.
Gardant le rythme même sans tambours.
Le Carême démasque les cendres d'hivernage
en réserve de rires pour l'avenir blessé,
et, les filles-mer émergent en îles caraïbes,
la clé de l'une entre les mains de l'autre,
le soleil battant, fier, sous la dentelle des jours.
Sorcières et sourciers,
sans sources ni boussoles,
nous avons raciné
l'illégale plantation de nos cœurs légitimes
en flèches de canne dressées contre les balles de coton.

Nous avons recouvert l'Amérique,
déshabillé les conquérants,
domestiqué le déracinement.
Nous avons inventé la révolte sans le ressentiment.
La patience volcanique, la puissance sans pouvoir, le marronage sans
chien.

Et
par nature sans faune sauvage,
nous cultivons à
cœur le colibri,
pour édifier au monde son nid fragile et sûr:
Les Antilles
Îles battues
Îles combattues
Très belles
et
BÂTIES.

Daniel Maximin (initialement paru dans la revue Autrement : "la Guadeloupe, série Memoires 1875-1914", éditions Autrement 1994”) - ("L'Invention des Désirades", éditions Présence Africaine, 2000)

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Le poème qui suit a été écrit par Daniel Maximin pour Haïti, l'île voisine, après le séïsme de 2010. On le trouve dans le recueil "Pour Haïti". "Cet ouvrage collectif réunit des textes inédits en prose et en poésie d’écrivains et poètes du monde entier en solidarité avec Haïti. Le bénéfice des ventes est reversé à l’association œuvrant à la reconstruction des bibliothèques en Haïti, BIBLIOTHÈQUES SANS FRONTIÈRES (BSF)."
Source : http://www.potomitan.info/ayiti/seisme_2010zs.php
On ne peut qu'en conseiller l'achat, étant donné la diversité et la qualité des textes (près de 130 auteurs d’Europe, d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes, des États-Unis, du Canada, de l’Océan Pacifique, de l’Amérique latine).


Par toi-même, Haïti

Le temps a suffi au séisme
Le temps d’un cillement de terre
Pour faire l’état de ton non-lieu
Une petite corruption de plaque dans tes grands fonds

Le temps a suffi au séisme
pour chavirer les dieux de leurs hôtels
une étrange cathédrale dans la graisse des ténèbres
pour enterrer les morts sans garde-Samedi
et les majors sans protocole
les fourmis sermentées de mourir sans sirop
lambis-sonneurs trop tard tambours-rara trop tôt


Le temps a manqué au séisme
pour déraciner tes arbres musiciens
- car c’est le fruit qui porte l’arbre –
Le temps a manqué au séisme
pour effondrer le ciel et voler tes oiseaux


Le temps te suffit Haïti
Lance à la haine l’injure de ton sourire
entre fuite et encrage, errance d’ex-île, le dit de désertion
solitudes descellées des discordes sans voies
du gravat, terre et chaume, le bousillage désassemblé
pour ériger tes montagnes captives des citadelles
te bâtir
avec des fouets arrachés
avec des drapeaux et des tombes dépareillées
...

L’avenir te suffit Haïti
Pour rapiécer tes ailes de malfini
Abreuver tes couis d’or à la source des femmes
Senteurs d’orange magique, rosée de citronnelle et corossol de nuit
La plante ne peut mourir de la transplantation
Ton âme plus grande que le spectacle de ta désolation

Une seule une seule
Miyan miyan
Une seule passion
Miyan miyan

Ti-poulain en tes bras
À nouveau premier-né

Un seul un seul
miyan miyan
Un seul espoir
miyan miyan
 

Daniel Maximin (dans "Pour Haïti", ouvrage collectif coordonné par Suzanne Dracius, Éditions Desnel, 2010)

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Guy Tirolien, (1917-1988) est né à Pointe-à Pître et mort à Marie-Galante*, son île de résidence. Il est, avec Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, l'un des animateurs du Mouvement de la Négritude. Il a participé à la création des éditions Présence Africaine, où il a publié ses deux recueils. * Marie-Galante; appelée l'île aux cent moulins, se trouve à 30 km sud-est, au large des côtes de l'île de La Guadeloupe (voir la carte ci-dessus). Elle fait partie de l'archipel de La Guadeloupe.

Ce n'est pas son île Marie-Galante * que le poète décrit, mais une partie sud de de Grande-terre, sur l'île de la Guadeloupe.

* Une lectrice attentive, et que je remercie, Éléonore Bade, rectifie :
C'est bien de Marie -Galante dont l'auteur fait la description et non du sud de la Guadeloupe : Les Trois ilets et Grande Anse sont deux des nombreuses plages de Marie-Galante et se situent à mi-chemin entre Grand -Bourg et Saint-Louis de Marie-Galante, pas très loin de la maison où a vécu l'auteur.

Redécouverte


Je reconnais mon île plate, et qui n'a pas bougé
Voici les Trois-Ilets, et voici la Grande Anse
Voici derrière le Fort, les bombardes rouillées.
Je suis comme l'anguille flairant les vents sales
Et qui tâte le pouls des courants

Salut île ! C'est moi. Voici ton enfant qui revient.
Par delà la ligne blanche des brisants
Et plus loin que les vagues aux paupières de feu
Je reconnais ton corps brûlé par les embruns.

J'ai souvent évoqué la douceur de tes plages
Tandis que sous mes pas
Crissait le sable du désert
Et tous les fleuves du Sahel ne me sont rien
Auprès de l'étang frais ou je lave ma peine

Salut terre matée, terre dématée !
Ce n'est pas le limon que l'on cultive ici,
ni les fécondes alluvions.

C'est un sol sec, que mon sang même
N'a pas pu attendrir,
Et qui geint sous le soc comme une femme éventrée.

Le salaire de l'homme ici,
Ce n'est pas l'argent qui tinte clair, un soir de paye,
C'est le soir qui flotte incertain au sommet des cannes
Saoûles de sucre.
Car rien n'a changé,

Les mouches sont toujours lourdes de vesou*,
Et l'air chargé de sueur.
 

Guy Tirolien ("Balles d’or" Editions Présence Africaine, 1961 ) - *Le vesou est le liquide sucré de la canne à sucre. Quand on l'écrase pour en extraire la cassonade, les mouches sont attirées.

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Credo

moi aussi j'ai mon credo de poche
mais n'allez pas le répéter aux vents bavards
et à la foule qui passe
on vous rirait au nez

je crois
que le soleil est un oeuf de lumière
pondu par la nuit
que la prière retombe en pluie de fruits
dans la corbeille des mains offertes
que les étoiles sont des âmes qui brûlent
que la terre est une orange pour la soif de Dieu
que la fleur grimpe aux fenêtres
pour consoler l'enfant qui pleure
que la pierre est un arbre
qui n'a pas voulu croître
que la bonté est ce pays où l'on n'accède
qu'après avoir laissé tous ses bagages
à la douane de la douleur
que et un font un
même dans les luttes du plaisir
que le parfum du sacrifice
nourrit les fleurs de l'art
et qu'à force d'amour
demain il fera jour.
 

Guy Tirolien ("Feuilles vivantes au matin", Editions Présence Africaine, 1977)

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Florette Morand est née en Guadeloupe en 1937, elle vit aujourd'hui en Italie. Elle est lauréate de l'Académie française. Ses recueils de poésie aux jolis titres ont été préfacés par de grands auteurs : Feu de brousse ; Chanson de ma savane (préface de Pierre Mac Orlan) ; Mon cœur est un oiseau des îles (préface de Paul Fort) - source : http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf

La route est longue

Vois la lumière ardente
Du soleil tropical
Sur la mer aveuglante

Tendre son trait brutal...

La futaie immobile,
Egoïste à midi
De son ombre, est hostile.
Le roseau se raidit

Le volcan se profile
Sur le ciel de satin
Et des bœufs, vont, en file,
Boire au marais lointain.

Le plumeau du palmiste
Ne brasse plus le vent ;
Il jalonne la piste
Où Roussit le chiendent.

Tout se tait, nulle haleine
Ne s'exhale, ou la peine
Leur a brisé la voix.

Mais sur la cime verte
D'un fier corossolier
Ton refrain monte, alerte,
Chante, beau sucrier !

À mon coeur qui t'écoute
Veux-tu donner ta voix ?
Petit oiseau, la route
Est longue devant moi !

La route est longue, longue
Sous le soleil de feu.
Ma route est longue, longue,
Mais ton ciel est si bleu !
 

Florette Morand

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Un poème de nostalgie lyrique :

Sur deux notes

J’ai laissé là-bas l’odeur des muscades,
L’ananas royal mûri dans le champ,
La rivière rouge avec ses cascades,
Le basalte bleu de ses lits de camp.
J’ai laissé là-bas l’ambre des cythéres,
Le vol de la grive et du bengali,
Sous le calumet de la Soufrière
Les bois couleur de lapis-lazuli,
Le paysan noir, son patois créole,
Nostalgique au loin la voix du tambour,
Le lumignon vert de la luciole
Et le nonchaloir des chansons d’amour.

Ici, j’ai trouvé la neige, l’automne,
L’or de la moisson, l’if et le sapin,
Les ceps mordorés près de la Garonne,
L’esprit de Paris, la rive du Rhin…
Mais vous me hantez, magiques Antilles !
Quand résonnera le gong du retour
Sous les gommiers, dans l’encens des vanilles,
Ce vieux continent, l’oublierai-je un jour ?
Enfin, je comprends combien je vous aime,
O terre de France et sol tropical !
En moi confondus, vous êtes la gemme
Dont le feu m’éclaire ainsi qu’un fanal.
 

Florette Morand ("Chanson de ma savane", préface de Pierre Mac-Orlan, Librairie de l'Escalier,1959)

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Roger Toumson est né en Guadeloupe en 1946. Chercheur universitaire en littérature, c'est un essayiste et un poète. Les deux derniers recueils en date : la Lyre et l’Archet (Édition Ibis Rouge, 2001) ; Estuaires (Éditions Mémoires d'Encrier, 2008). 

site de l'auteur : http://www.rogertoumson.com/

"S’agissant de l’écrivain antillais, cette double question s’engage : qui et quel est-il ? En la posant, l’on est conduit à aborder l’embarrassant problème de l’identité culturelle, eu égard au processus si complexe de la colonisation et du peuplement des îles concernées". ("Transgression des couleurs, littérature et langage des Antilles, XVIIIe, XIXe et XXe siècles, Éditions caribéennes, 1989) - source de la citation : Wikipédia

(préface de Paul Fort) - source : http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf

Aurore

À l’extrémité de la pointe
des châteaux
l’Anse des Colibris
au sommet d’un éperon de la falaise
se dresse une croix
qui fut édifiée par les soins de l’évêché
-
À la gloire éternelle de la vierge du Grand Retour -
au pied de la croix
une table d’orientation où se lisent
gravés dans le basalte
des vers anciens
au nord prochain
la Désirade que sépare de l’extrémité crayeuse du
promontoire
- curiosité géologique sans égale dans cet univers
pourtant coutumier des exceptions
entre l’océan Atlantique et la mer Caraïbe -
le canal écumant
on imagine plus loin
la porte d’Enfer
et la Pointe de la Grande Vigie
où nichent
revenues* du Groenland
on ne sait par quelles voies
impénétrables comme une ténèbre

les sternes. 

Roger Toumson ("la Lyre et l’Archet", Édition Ibis Rouge, 2001) - * revenues s'accorde au féminin : la sterne est un oiseau marin

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Antilia
L’oiseau prend son envol
la pierre retombe
- la mangrove littorale
l’arrière-mangrove des coupantes
les mangles
le col de l’échelle
les clusias
les latanes
les nuées sulfureuse
les moulins
les palans
les ridelles
l’acacia
le menfenil
la digue -

pour solde de tout compte.

Roger Toumson ("la Lyre et l’Archet", Édition Ibis Rouge, 2001) - * revenues s'accorde au féminin : la sterne est un oiseau marin

 

 

 

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Gerty Dambury , romancière, nouvelliste, poète, actrice et dramaturge, est née en 1957 à Pointe-à-Pitre.

Le texte qui suit est extrait de Rabordaille, recueil de poésie adapté à la mise en scène théâtrale (Festival d’Avignon 1989) :

"Je n’ai pas essayé de rendre théâtrale la poésie, je l’ai dite et elle est restée finalement un domaine accessible à ceux à qui elle aurait été accessible de toute façon, même simplement écrite". (entretien avec Stéphanie Bérard, mis en ligne sur "d'île en île", à cette adrese : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/dambury_entretien.html#2)

Evulsion* (extrait)

Mon Île disloquée
Exhumant
Dans la douceur moite de ses renoncements
une flèche de canne velours
l’odeur des prunes café dans la fraîcheur des mornes
l’obsédante et lourde exhalaison marine
des mangroves
qui se font
se défont
dans l’immobilité des fanges frissonnantes
explosion silencieuse
qui sema l’aboulie dans mon corps
éloigné
de la source, de la chaleur
de mon premier regard
ouvert
à la romance des voix cassées d’humidité
Schisme silencieux
Défait,
le simple de ma vie
laine fragile effilochée
déjà...
déjà...
cette évulsion *

Gerty Dambury (“Rabordaille“, 1989) - *évulsion : terme du lexique médical, arrachement, extirpation, extraction

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Un poème de Judes Lanimarac (aucun élément de biographie, mais il semble bien que le prénom Judes se termine par "s"), a été emprunté à l'adresse déjà citée (à copier-coller dans votre navigateur pour accéder au PDF) : http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf.

Il nous a paru intéressant de présenter ce poème, comme un modèle de création poétique sur le thème du paysage
En acrostiche (lecture verticale de la première lettre de chaque vers), Jude Lanimarac dessine la géographie, île après île,des villages et des villes de sa Guadeloupe : 

L’arôme

Surplombant l’océan, aux eaux tumultueuses,
Aucun autre parfum, ne peut te surpasser,
Instigateur du bien, dont les ondes chaleureuses,
Naviguent sereinement, sans jamais se lasser,
Toujours pour apaiser, les âmes très malheureuses.
Fraternité et paix, sont pour toi les habits,
Resplendissants et beaux, qui font de toi une fée,
Admirée et sensible, à l’instar d’une brebis,
Nouvellement arrivée à sa maturité.
Ça et là, en ton sein, parsemé d’un arôme,
Oxygénant ton air, se voit un grand amour,
Illuminé de joie, tel un objet en chrome,
Sous l’effet du soleil, survolant son contour.

Jude Lanimarac (recueil : "Et si la Guadeloupe vous était dévoilée" )

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Hector Poullet est présenté à la même adresse (http://www.bookandyou.com/chapters/F508_1031.pdf.), orthographié par erreur "Poulet". On le retrouve ailleurs, sur la toile, avec les ouvrages des éditions Art, entre-autres. Professeur de créole, ardent défenseur et propagateur de "la créolité", il est l'auteur de divers ouvrages linguistiques, dont un lexique français-créole* ("Zakari : Mil mo kréyòl bòkaz = Mille mots du créole guadeloupéen de tous les jours", éditions Art, 2006). hector Poullet est également poète, conteur fabuliste, adepte donc de pawòl-fonnkè (voir ci-après).

* L'éditeur présente de cet ouvrage quelques savoureux extraits :

frousse : latranblad
gueule de bois, état des lendemains de beuverie
: malmakak
libellule
:  zing-zing
luciole
: klendenden
poésie, paroles sincères (du fond du cœur)
: pawòl-fonnkè

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Poème évoquant La Guadeloupe, et la sagesse du poète, dans  l'acceptation des caprices de son île changeante :

Un jour de colère

Un jour de colère
tu te gonfles comme un poisson-lune
un jour de douceur
ta bouche est en fleur
Il ne faut pas espérer
téter sans cesse
le lait de la vie
il faut savoir marier
le soleil avec la pluie
Un jour de couleur
l’enfer embrasse ton coeur
mais un jour de miel
comme tu es suave !
Il ne faut pas espérer
téter sans cesse
le lait de la vie
il faut savoir marier
Douleur avec Plaisir
Un de tes amis meurt
tu es brisé de chagrin
un enfant naît
ton coeur est en fête
Il ne faut pas espérer
téter sans cesse
le lait de la vie
il faut savoir marier
la Mort avec la Vie
 

Hector Poullet ("Paroles en l’air" , éditions Desormeaux, 1978)

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Max Rippon est né en 1944 à Marie-Galante, "l'île aux cent moulins", qui appartient à l'archipel de la Guadeloupe. Il vit aujourd'hui sur l'île Guadeloupe.

Marie-Galante et l'île bretonne de Belle-Île-en-mer sont liées par un jumelage officiel (initié en 2007 à l'occasion du départ de la course transatlantique en solitaire Trophée BPE, avec un concert de Laurent Voulzy pour cet événement).

Belle-Île-en-Mer
Marie-Galante
Saint-Vincent
Loin Singapour
Seymour Ceylan
Vous c'est l'eau, c'est l'eau
Qui vous sépare
Et vous laisse à part
....

- refrain de la chanson "Belle-Île-en-mer, de Laurent Voulzy -

Poème de Max Rippon sur Belle-Île-en-mer,

Début du poème, écrit par l'auteur en créole :

 

Gungu-henna fattaroo

A ga goro karga guusaa ra kaŋ fansandi tondi baana game irkoy-woyoo Saaraa Beernar se
Teekoo ga cenda ganda here, nga bondayzey ga hooray, k'ay cewiizey logu
Bonday-tufa firsantey g'ay mumusuroo ciiri-ciirandi
Sõyante, de ay ga hongu
Jiirey kaŋ a goo nda fellaa ra
Serrante nga kanje yuttey ra
Ne ya haya kul g'ay hundoo noo baani kaŋ si nda adadaw...
A ga mooru denji jerantaa naarumi barikoyey ceroo
Hari game da nungu moora koyne
Kaŋ i dere ka maawoo daŋ kawoo

[...]

et la traduction du poème complet en français par "Berandikaa : M Houssouba". On trouvera sur la page référencée, le texte intégral dans les deux langues (source : www.songhay.org/documents/SortirBelleIle.pdf) 

Traduction :

Au sortir de Belle-Île

Assis au fond du fauteuil creusé dans la roche tendre pour la divine Sarah Bernard
La mer en bas s’étire et les vaguelettes jouent à me lécher les orteils
Les embruns salent mon sourire
Et je songe en silence
Au fort de ses années de gloire
Rigide dans ses angles purs
Tout ici procure à mon âme une paix incommensurable…
Au loin le phare levé l’ami des coursiers au long cours
Et plus au large dans le lointain
Improprement nommé le continent
Où nos rêves vont s’échouer…
Un chemin balisé libre de son ivresse
Une pousse imprudente qui meurt sous nos pas
Un faisan fait la cour à sa poule convoitée
Et le lièvre espiègle pointe l’oreille
Tout est calme en ce lieu
La brise fraîche fait son chant susurré…
Quand de la berge la mer se retire dénudant les récifs
Les pêcheurs à pieds occupent les lieux où se prélassent les coquillages variés

Je retournerai à Belle-Île 
Voir la mer revenir saluer les prés
Où paissent les moutons par milliers
Blanches boules de laine dominant les falaises de la Port Coton
Voilà au pied des vagues les cierges dressés dans leur bougeoir d’azur
Voilà les lames argentées  concassant les phalanges des falaises
Où nichent les cormorans capricieux au vol indécis
Voilà l’autre phare altier pareil à une vigie qui prend le quart 
De Belle-Ile je garde ces instants de ces enfants
Qui vous embrassent pour dire merci
De cette saline reconvertie
Sans donner la fleur au sel
Du far que l’on déguste à table
Pour emporter le pays dans son cœur
Et ces dents qui manquent aux enfants rencontrés
Et leurs mains tendues qu’on à peine à quitter…
Tout ici me parle d‘amour de paix et de volupté
 

Max Rippon



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