Poètes d'OUTRE-MER - Martinique
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Antilles - Martinique
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La Martinique est une île faisant partie, avec la Guadeloupe (voir plus haut), des Antilles, dans la mer des Caraïbes, au sud-est de la Floride.
- Comme en Guadeloupe, la langue officielle est le français, mais le créole martiniquais (il existe différentes déclinaisons du créole dans les différentes régions caraïbes), qui a empunté syntaxe et lexique à des langues locales et au français, en est la langue porteuse de la culture et de traditions la plus ancienne. Le G.E.R.E.C (Groupe d'études et de recherches en espace créolophone), tente depuis plus de 30 ans de codifier le créole martiniquais. Les défenseurs de la langue créole en Martinique sont incontestablement les écrivains du mouvement littéraire la créolité, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, et Jean Bernabé. (d'après source Wikipédia)
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"Aimé
Césaire a rendu nos réalités plus intelligibles, en recourant à des
thèmes à la fois spécifiques et universels. Son intelligence théorique,
et sa force d'invention poétique, donnent toujours, dans l'essai comme
sur la scène, une analyse approfondie des dynamiques complexes de la
décolonisation". René Depestre (site "La République des Lettres", 1994)
Aimé Césaire, (1913-2008) écrivain, poète et homme politique, est né en Martinique à Basse-Pointe et il est mort à Fort-de-France, après avoir vécu une grande partie de son existence en métropole. Il est l'inventeur du concept de négritude et le principal fondateur et animateur du mouvement littéraire : Mouvement de la Négritude . Parmi ses œuvres majeures, bien connues des lycéens d'aujourd'hui : "Cahier d'un retour au pays natal" (1939) ; "Discours sur le colonialisme" (1950) ; et "Moi, Laminaire" (1982). Il est le fondateur de la revue Tropiques. Membre actif du Parti communiste français, il s'en sépare en 1956 pour fonder plus tard le Parti progressiste martiniquais.
Voici le poème paru dans le quotidien "Libération" au lendemain de la disparition d'Aimé Césaire :
d'autres textes :
Tam-Tam II (court extrait)
pour Wifredo (Wilfredo Lam)
à petits pas de pluie de chenilles
à petits pas de gorgée de lait
à petits pas de rouleurs à billes
à petits pas de secousse sismique
les ignames dans le sol marchent à grands pas de trouées d'étoiles
[...]
Aimé Césaire ("Tam-Tam II", in "Colombes et minfenils", inclus dans "Les Armes miraculeuses", Gallimard, 1946)
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Soleil serpent
Soleil serpent œil fascinant mon œil
et la mer pouilleuse d'îles craquant aux doigts des roses
lance-flamme et mon corps intact de foudroyé
l'eau exhausse les carcasses de lumière perdues dans le couloir sans pompe
des tourbillons de glaçons auréolent le cœur fumant des corbeaux
nos cœurs
c'est la voix des foudres apprivoisées tournant sur leurs gonds de lézarde
transmission d'anolis au paysage de verres cassés
c'est les fleurs vampires à la relève des orchidées
élixir du feu central
feu juste feu manguier de nuit couvert d'abeilles
mon désir un hasard de tigres surpris aux soufres
mais l'éveil stanneux se dore des gisements enfantins
et mon corps de galet mangeant poisson mangeant
colombes et sommeils
le sucre du mot Brésil au fond du marécage.
Aimé Césaire ("Les Armes miraculeuses", éditions Gallimard, 1946)
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Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen
N’y eût-il dans le désert
qu’une seule goutte d’eau qui rêve tout bas,
dans le désert n’y eût-il
qu’une graine volante qui rêve tout haut,
c’est assez
rouillure des armes, fissures des pierres, vrac des ténèbres
désert, désert, j’endure ton défi
blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen.
Aimé Césaire ("Ferrements", éditions du Seuil, 1960 - réédition : "Ferrements et autres poèmes", Points, 2006 )
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Le titre du recueil "Soleil
cou coupé", d'où sont extraits les deux poèmes qui suivent, marque bien
l'engagement surréaliste de l'auteur (référence au dernier vers du
poème éponyme d'Apollinaire) :
La roue
La roue est la plus belle découverte de l'homme et la seule
il y a le soleil qui tourne
il y a la terre qui tourne
il y a ton visage qui tourne sur l'essieu de ton cou quand
tu pleures
mais vous minutes n'enroulerez-vous pas sur la bobine à vivre le sang lapé
l'art de souffrir aiguisé comme des moignons d'arbre par les couteaux de l'hiver
la biche saoule de ne pas boire
qui me pose sur la margelle inattendue ton
visage de goélette démâtée
ton visage
comme un village endormi au fond d'un lac
et qui renaît au jour de l'herbe et de l'année
germe
Aimé Césaire ("Soleil cou coupé", éditions K., 1948)
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Autre horizon
Nuit stigmate fourchu
nuit buisson télégraphique planté dans l'océan
pour minutieuses amours de cétacés
nuit fermée
pourrissoir splendide
où de toutes ses forces de tous ses fauves se ramasse
le muscle violet de l'aconit napel* de notre soleil.
Aimé Césaire ("Ferrements", éditions du Seuil, 1960 - réédition : "Ferrements et autres poèmes", Points, 2006) - * L'aconit napel, ou casque de Jupiter (entre-autres noms communs), est une plante toxique, voire mortelle, des forêts d'altitude.
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Algues
La relance ici se fait
par le vent qui d’Afrique vient
par la poussière d’alizé
par la vertu de l’écume
et la force de la terre
nu
l’essentiel est de se sentir nu
de penser nu
la poussière d’alizé
la vertu de l’écume
et la force de la terre
la relance ici se fait par l’influx
plus encore que par l’afflux
la relance
se fait
algue laminaire
Aimé Césaire ("Moi, Laminaire", éditions du Seuil, 1982 )
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Ce jeudi 3 février 2011 disparaît Édouard Glissant
- Hommage d'un "coureur d'horizons" à un "passeur d'univers"
"Passeur d'univers, capteur de tous les chants de toutes les rumeurs, Edouard Glissant ne cesse d'inventer son espace, sa langue et ses envoûtements. Il est ce créateur qui impose sa création et ses échos au monde. Il accueille le rythme tellurique des âges,la scansion des légendes et des mythes... Il dit la connaissance en abîme et l'éclosion des mots." André Velter (pour le CD "Le Grand chaos", enregistré en 1995 au théâtre du Rond-Point par André Velter et Claude Guerre - textes d'Édouard Glissant - éditions Les Poétiques)
Édouard Glissant (1928-2011), romancier (La Lézarde,
prix Renaudot 1958), essayiste et poète, vient de mourir. Il était avec
Aimé Césaire, disparu il y a trois ans, l'un des écrivains majeurs
martiniquais. Se démarquant du concept de négritude (Senghor, Césaire), il est le combattant de la créolité, et avant tout de l'antillanité, la recherche de l'identité antillaise ,
perdue dans l'esclavagisme, l'exploitation des ressources sucrières
(canne à sucre) de la période coloniale. Il a fondé avec Aimé Césaire le
Cercle international des intellectuels révolutionnaires. Son
engagement politique radical lui vaudra d'être assigné à résidence en
métropole (sous la première présidence du Général de Gaulle).
Dans
ses textes difficiles, toute la sensualité de l'île, dans la révolte
d'un citoyen revendiquant ses racines, n'ayant rien oublié de l'Histoire
obscure des Antilles, esclavage et servitude. On attend pour le mois
d'avril prochain son dernier ouvrage : "10 mai : l'esclavage au fond des déserts et des océans" (éditions Galaade).
Matin
Vos champs meurent, vos champs sans fin :
De branche en branche vers l’écho
Le rêve à peine est dans la fleur
Déjà le vent court au matin.
Un homme pleure à pleines dents
Humble des chiens badauds le flairent
Il médite corps en dérive
Dans la clairière de la foule.
Est-il, à l’orée des épaves
Un lieu de laves où l’aube neige
Par ses oiseaux démesurés,
Comme on voit les clartés en mai
Comme apaisement de marées
Ou comme un bouquet devient gué.
Édouard Glissant ("La terre inquiète", éditions du Dragon, 1955)
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On trouvera ici l'intégralité du texte, en suivant (copier-coller) ce lien déjà cité qui ouvre sur la poésie des îles : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/glissant_champ.html
Un champ d'îles (passages)
Savoir ce qui dans vos yeux berce
Une baie de ciel un oiseau
La mer, une caresse dévolue
Le soleil ici revenu
Beauté de l'espace ou otage
De l'avenir tentaculaire
Toute parole s'y confond
Avec le silence des Eaux
Beauté des temps pour un mirage
Le temps qui demeure est d'attente
Le temps qui vole est un cyclone
Où c'est la route éparpillée
L'après-midi s'est voilé
De lianes d'emphase et fureur
Glacée, de volcans amenés
Par la main à côté des sables
Le soir à son tour germera
Dans le pays de la douleur
Une main qui fuse le Soir
À son tour doucement tombera
[...]
Chaque mot vient sans qu'on fasse
À peine bouger l'horizon
Le paysage est un tamis soudain
De mots poussés sous la lune
[...]
Apitoyée cette île et pitoyable
Elle vit de mots dérivés
Comme un halo de naufragés
À la rencontre des rochers
Elle a besoin de mots qui durent
Et font le ciel et l'horizon
Plus brouillés que les yeux de femmes
Plus nets que regards d'homme seul
Ce sont les mots de la Mesure
Et le tambour à peine tu
Au tréfonds désormais remue
Son attente d'autres rivages
L'après-midi le Soir les masures
Le poing calé dans le bois dur
La main qui fleurit la douleur
La main qui leva l'horizon
Sur vos chemins quelle chanson
A pu défendre la clarté
Sur vos yeux que l'amour brûla
Quelle terre s'est déposée
Outre mer est la chasteté
Des incendiaires dans les livres
Mais le feu dans le réel et le jour
C'est ce courage des vivants
Ils font l'oiseau ils font l'écume
Et la maison des laves parfois
Ils font la richesse des douves
Et la récolte du passé
Ils obéissent à leurs mains
Fabriquant des échos sans nombre
Et le ciel et sa pureté fuient
Cette pureté de rocailles
Ils font les terres qui les font
Les avenirs qui les épargnent
Ô les filaos les grandissent
Sur les crêtes du souvenir
Mulets serpents et mangoustes
Font ces hommes violents et doux
Et la lumière les aveugle
La nuit au bord des routes coloniales
Toute parole est une terre
Il est de fouiller son sous-sol
Où un espace meuble est gardé
Brûlant, pour ce que l'arbre dit
C'est là que dorment les tam-tams
Dormant ils rêvent de flambeaux
Leur rêve bruit en marée
Dans le sous-sol des mots mesurés
[...]
Beauté de ce peuple d'aimants
Dans la limaille végétale et vous
Je vous cerne comme la mer
Avec ses fumures d'épaves
Beauté des routes multicolores
Dans la savane que rumine
L'autan plein de mots à éclore
Je vous mène à votre seuil
Écoutant ruisseler mes tambours
Attendant l'éclat brusque des lames
L'éveil sur l'eau des danseurs
Et des chiens qui entre les jambes regardent
Dans ce bruit de fraternité
La pierre et son lichen ma parole
Juste mais vive demain pour vous
Telle fureur dans la douceur marine,
Je me fais mer où l'enfant va rêver.
Édouard Glissant ("Un champ d'îles", éditions du Seuil, 1965)
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Soleil de la Conscience (court extrait)
Quand je possèderai vraiment ma terre, je l’organiserai selon
mon ordre de clartés, selon mon temps appris. Cela veut dire
que la quête du vent libre (l’apprentissage de la terre) est chaos
et démesure, paysage forcené, forêt sans clairière aménagée ;
mais que c’est la mesure (labours, semailles, récoltes) qui est liberté.
Édouard Glissant ("Soleil de la conscience", éditions du Seuil, 1956)
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Daniel Thaly (1879-1950) est un poète Martiniquais (blanc) de style parnassien, qualifié péjorativement de "doudouïste" (il décrit une Martinique de carte postale ... on en jugera).
Cliché de carte postale, images
d'Épinal sur Martinique ? En tous cas, ce poème lyrique et nostalgique a
bien mérité sa place dans le thème du paysage :
L’île lointaine
Je suis né dans une île amoureuse du vent
Où l'air a des senteurs de sucre et de vanille
Et que berce au soleil du tropique mouvant
Le flot tiède et bleu de la mer des Antilles.
Sous les brises, au chant des arbres familiers,
J'ai vu les horizons où planent les frégates
Et respiré l'encens sauvage des halliers
Dans ses forêts pleines de fleurs et d'aromates.
Cent fois je suis monté sur ses mornes en feu
Pour voir à l'infini la mer splendide et nue
Ainsi qu'un grand désert mouvant de sable bleu
Border la perspective immense de la nue.
Contre ces souvenirs en vain je me défends
Je me souviens des airs que les femmes créoles
Disent au crépuscule à leurs petits enfants,
Car ma mère autrefois m'en apprit les paroles.
Et c'est pourquoi toujours mes rêves reviendront
Vers ses plages en feu ceintes de coquillages
Vers les arbres heureux qui parfument ses monts
Dans le balancement des fleurs et des feuillages.
Et c'est pourquoi du temps des hivers lamentables
Où des orgues jouaient au fond des vieilles cours,
Dans les jardins de France où meurent les érables
J'ai chanté ses forêts qui verdissent toujours.
O charme d'évoquer sous le ciel de Paris
Le souvenir pieux d'une enfance sereine
Et dans un Luxembourg aux parterres flétris
De respirer l'odeur d'une Antille lointaine !
O charme d'aborder en rêve au sol natal
Où pleure la chanson des longs filaos tristes
Et de revoir au fond du soir occidental
Flotter la lune rose au faîte des palmistes !
Daniel Thaly ("Le jardin des Tropiques", La Nouvelle Revue Française N' 32, août 1911)
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Etienne Lero (ou Léro) (1909-1939) a peu publié dans sa courte vie. Il a fondé avec René Menil et Jules Monnerot le mouvement de la Légitime Défense, mouvement culturel proche du Surréalisme, revendiquant la prise de conscience de l'oppression du peuple.
Le ciel a ravi ...
Le Ciel a ravi l'éclat des lampes
Le Jour monte comme une passerelle
Les nuits et les jours de ton amour
Ce sont pièces de monnaie.
Où l'on ne voit plus la reine,
Histoire ancienne.
Etienne Lero (Parmi des textes réunis par Léopold Sédar Senghor dans son "Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache", collection Quadrige/PUF, 1948)
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Georges Desportes est né en 1921. Romancier, poète, essayiste, il a également écrit des critiques littéraires et des pièces de théâtre. Ami d'Aimé Césaire (disparu en 2008, voir en tête de ce paragraphe "Martinique"), il a croisé la route de Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas ou encore André Breton.
Quelques ouvrages : "Les Marches souveraines" (1956) ; Sous l'oeil fixe du soleil (1961) ; Cette île qui est la nôtre (1973) ; Le Patrimoine martiquais, souvenirs et réflexions" (2005)
La bonne chanson
Je suis celui qui va nu-pieds
Sur les rudes cailloux des chemins bétonnés,
La houe sur l'épaule et le coutelas sonnant :
Je suis le grand travailleur nègre.
Je suis celui qu'on voit penché
Aux plantations de cannes à sucre ;
Celui qu'on voit luisant de sueur
Au soleil cru, le dos courbé et les bras nus,
Les reins cassés ;
Et les mains crispés sur la houe !
Je suis le grand travailleur noir.
Dans la plaine et sur la montagne,
Sous la chaleur et sous la pluie
Je vais partout usant la force de mes muscles
En fredonnant nos chansons noires
Qui seules remplissent ma solitude,
Et l'excès de mon labeur.
Je ne crains pas la fatigue lourde,
Je suis le vieux travailleur nègre !
Et c'est pourquoi, sous le soleil,
Je vais pieds nus sur la grand-route,
La houe sur l'épaule et le coutelas sonnant,
Chantant mes peines, chantant mes joies...
- J'ai dans ma poche ma pipe en terre,
Ma boite d'allumettes et mon tabac
Et j'ai cinq sous pour boire mon rhum !
Je suis le bon travailleur noir.
Georges Desportes (dans l'anthologie poétique de Léon Gontran Damas "Poètes d’Expression française", Seuil, 1947)
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À la crinière du cyclone (début du poème)
Des terres
à même l'écume des vagues et des larmes
du soleil
Des terres fracturées comme des dalles
échelonnées sur le dos d'une allée sinueuse
d'un serpent de mer
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Georges Desportes (dans l'anthologie "12 poètes antillais contemporains", textes réunis par Liliane Fardin, éditions Perséides, 2008)