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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de PAUL VAILLANT-COUTURIER

Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) était journaliste, écrivain, et poète mais l'Histoire a surtout retenu son engagement pacifiste et sa carrière politique. Il contribue à la diffusion de la « chanson de Craonne » pensant la guerre de 14-18. Journaliste au "Canard Enchaîné", en 1917, il crée en 1919 la revue pacifiste et artistique Clarté, avec Henri Barbusse.
Après le Congrès de Tours (1920), il participe à la fondation du Parti communiste français .

recueils de poésie : La Visite du berger (1913) et  Trains rouges (1922).

L'alphabet (première version)

Le A majuscule monte dans le ciel comme une Tour Eiffel.
Le B est un monsieur à gros ventre.
Le C fait la révérence.
Le D est le dernier quartier de lune.
Le E a faim de toutes ses dents.
Le F est une grue dressée sur un chantier.
Le G ouvre sa bouche pour vous avaler.
Le H dresse ses deux poteaux sur le terrain de rugby.
Le I est un monsieur très maigre qui se tient droit.
Le J a le profil d'une louche à soupe.
Le K est un képi très haut.
Le L me servira d'équerre.
Le M est deux ponts dans la plaine.
Le N nous avertit d'un virage dangereux.
Le O est une belle pomme.
Le P pourrait servir de parapluie.
Le Q a le profil d'une raquette.
Le R est une pieuvre sur ses gardes.
Le S se tortille comme un serpent.
Le T est perché comme une antenne sur le toit.
Le U est un trapèze.
Le V est comme un oiseau dans le ciel.
Le W est comme les racines d'une molaire.
Le X présente deux épées qui se croisent.
Le Y est une baguette de sourcier.
Le Z est le signe de Zorro.

Paul-Vaillant Couturier

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L' alphabet (deuxième version)

"Paul se plaisait à imaginer les lettres un peu comme se les imaginaient les enlumineurs de manuscrit...
II y avait l'A, gendarme campé sur ses bottes,
le B, gros monsieur sans fesses roulant sur son ventre,
le C qui fait la révérence,
le D qui est assis derrière son comptoir,
le E qui a faim de toutes ses dents,
le F qui indique la sortie,
le G, menuisier des lettres avec son étau,
le H avec ses duellistes qui s'enferrent
le I monsieur maigre qui salue,
le J qui saute
et le K petit bossu,
le L qui envoie son coup de pied,
le M, la plus assise des lettres,
le N, montagne russe pour aller au ciel,
le O à qui on n'a qu'à dessiner une figure comme à la lune,
le P, initiale de Paul, ce qui suffit,
le Q dont on fait un rat en lui mettant deux oreilles,
le R mousquetaire, la plus noble et la plus majestueuse des lettres,
l'anguille du S,
la balance du T,
l'U tête sans crâne,
le V de vipère et le mystère de son identification
avec l'U sur les affiches,
le W qui n'est nulle part que sur les cabinets
et les parents lointains des lettres qui offrent avec le W une évocation d'exotisme et de voyage : X, Y, Z."

Paul Vaillant-Couturier ("Enfance" - Editions  Messidor, 1987)

logo_cr_ation_po_tiqueLa forme des lettres, évocation poétique

L'observation des lettres de l'alphabet permet l'évocation poétique. On imaginera d'autres correspondances (cf aussi "Voyelles", le poème d'Arthur Rimbaud, en formes et couleurs :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes ...

Autres matériaux : les chiffres : 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9, les signes d'écriture  : , ; . ! ? ... ( " ¨^@ + - X

Dans la nouvelle "L'alphabet de Mondo", ci-dessous, Le Clézio, auteur contemporain, livre d'autres visions de l'alphabet : [...]

L'homme avait pris dans son sac de plage un vieux canif à manche rouge et il avait commencé à graver les signes des lettres sur des galets bien plats. En même temps, il parlait à Mondo de tout ce qu'il y a dans les lettres, de tout ce qu'on peut y voir quand on les regarde et quand on les écoute.

Il parlait de A qui est comme une grande mouche avec ses ailes repliées en arrière ;  de B qui est drôle, avec ses deux ventres, de C et D qui sont comme la lune, en croissant et à moitié pleine, et O qui est la lune tout entière dans le ciel noir. Le H est haut, c'est une échelle pour monter aux arbres et sur le toit des maisons ; E et F, qui ressemblent à un râteau et à une pelle, et G, un gros homme assis dans un fauteuil ; I danse sur la pointe de ses pieds, avec sa petite tête qui se détache à chaque bond, pendant que J se balance ; mais K est cassé comme un vieillard, R marche à grandes enjambées comme un soldat, et Y est debout, les bras en l'air et crie : au secours ! L est un arbre au bord de la rivière, M est une montagne ; N est pour les noms et les gens saluent de la main, P dort sur une patte et Q est assis sur sa queue ; S, c'est toujours un serpent, Z toujours un éclair ; T est beau, c'est comme le mât d'un bateau, U est comme un vase. V,W, ce sont des oiseaux, des vols d'oiseaux ; X est une croix pour se souvenir.
Avec la pointe de son canif, le vieil homme traçait les signes sur les galets et les disposait devant Mondo.


Jean-Marie Gustave Le Clézio ("Mondo et autres histoires" - éditions Gallimard, 1978).

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1 avril 2008

Constance-Marie de Salm-Dyck, George Sand

Constance-Marie de Salm-Dyck (1767-1845)

L’épitre aux femmes

Ô femmes, c'est pour vous que j'accorde ma lyre ;
Ô femmes, c'est pour vous qu'en mon brûlant délire,
D'un usage orgueilleux, bravant les vains efforts,
Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports.
Assez et trop longtemps la honteuse ignorance
A jusqu'en vos vieux jours prolongé votre enfance ;
Assez et trop longtemps les hommes, égarés,
Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ;
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :
Femmes éveillez-vous et soyez dignes d'elle.

L'homme injuste pourtant, oubliant sa faiblesse,
Outrageant à la fois l'amour et la sagesse,
L'homme injuste, jaloux de tout assujettir,
Sous la loi du plus fort prétend nous asservir ;
Il feint, dans sa compagne et sa consolatrice,
De ne voir qu'un objet créé pour son caprice ;
Il trouve dans nos bras le bonheur qui le fuit :
Son orgueil s'en étonne, et son front en rougit.
Esclave révolté des lois de la nature,
Il ne peut, il est vrai, consommer son injure ;
Mais que, par les mépris dont il veut nous couvrir,
Il nous vend cher les droits qu'il ne peut nous ravir

Nos talents, nos vertus, nos grâces séduisantes,
Deviennent à ses yeux des armes dégradantes,
Dont nous devons chercher à nous faire un appui,
Pour mériter l'honneur d'arriver jusqu'à lui ;
Il étouffe en nos cœurs le germe de la gloire ;
Il nous fait une loi de craindre la victoire ;
Pour exercer en paix un empire absolu,
Il fait de la douceur notre seule vertu.

 

Constance-Marie de Salm-Dyck



George Sand (1804-1876). Son oeuvre littéraire, poésies, romans, contes, pièces de théâtre, critiques et nouvelles est considérable. Femme émancipée pour son époque, elle a entretenu une relation (pas seulement épistolmaire) avec le poète Alfred de Musset et le musicien Frédéric Chopin. Elle s'engage politiquement et socialement dans les luttes populaires contre la monarchie.

À Aurore*

La nature est tout ce qu’on voit,
Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.
Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,
Tout ce que l’on sent en soi-même.
Elle est belle pour qui la voit,
Elle est bonne à celui qui l’aime,
Elle est juste quand on y croit
Et qu’on la respecte en soi-même.
Regarde le ciel, il te voit,
Embrasse la terre, elle t’aime.
La vérité c’est ce qu’on croit
En la nature c’est toi-même.

George Sand   -   *Aurore est la petite fille de George Sand.



1 avril 2008

PP 09 - L'humour de CHARLES VAN LERBERGHE

- Charles Van Lerberghe -

Charles Van Lerberghe (1861-1907) est un poète et romancier belge de langue française. Le recueil le plus remarquable peut-être : La chanson d'Ève, 1904

Mon rire

Mon rire chante dans les oiseaux.
Il danse avec les eaux
Que mène la lune.
Il est ici, il est ailleurs,
Il est mon jeu : c'est une fleur,
C'est une plume.

Et voici qu'il est un rayon.
Et voici qu'il est un son.
Ou encore c'est une pomme
D'or, que je lance avec mon cri,
Et qui retombe dans la paume
De ma main rose, en des bris d'or.

Charles Van Lerberghe ("La chanson d'Ève" - Mercure de France, 1904)

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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de PAUL VERLAINE

- Paul Verlaine -

Paul Verlaine (1844-1896)  est un des poètes français les plus connus. Voir ici une biographie et une bibliographie détaillées :
http://pagesperso-orange.fr/paul-verlaine/paul-verlaine/

Impression fausse

Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.

On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez.

Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !

Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté.
Le grand clair de lune
En réalité !

Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four.
Un nuage passe.
Tiens, le petit jour !

Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !

Paul Verlaine ("Parallèlement", paru aux éditions Messein, 1889, suivi de nombreuses autres éditions)

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1 avril 2008

Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin (1937-1967) est une romancière et poète. Emprisonnée 8 années pour délinquance et prostitution, elle a écrit ses romans et ses poèmes derrière les barreaux. Ils racontent sa vie et portent la marque de la prison, de ses rêves de liberté et de son amour pour Julien Sarrazin.

Comme dans presque tous les poèmes de son recueil, l'auteure s'est affranchie de toute ponctuation et ne titre pas les textes (les titres sont proposés par le blog). Il faudra choisir sa diction :

Paris  (titre proposé pour ces deux textes qui se suivent dans le recueil)

Ton pied bute et rôde
Par la chambre chaude
Où l'aube maraude
L'adieu sans pleurer
À l'heure d'errer
Dans Paris doré

Moi très peu bavarde
Au lit qui me garde
Moi qui nous regarde
pauvres coeurs cachés
Toujours arrachés
Vers d'autres péchés

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Paris aux yeux tristes
Ciel inimité
En vain tourmenté
Des méchants artistes

Comme alors la reine
Je cours sans souliers
Aux blancs escaliers
Qu'a noyés la Seine

Richesse complète
Avoir mon tombeau
Au fin fond de l'eau
Où Paris reflète

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le soleil voudrait saigner sans arrêt ...

Le soleil voudrait saigner sans arrêt
Il coupe mon corps de longues aiguilles
Mais l'aube naîtra d'ici partirai
Un jour n'est pas loin nous reconnaîtrons
Ta voix en liberté franchit mes grilles
Tes cheveux encor dansent tes chansons
je voudrais tant dire et ne parle pas
Car la nuit est froide où sans fin tu brilles
Chut j'écoute en moi l'écho de tes pas

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en mal du mal que j'aime ...

Je suis en mal du mal que j'aime
Du ciel fauve où bat sans arrêt
Appel rythmé la forêt
Pour l'impossible poème

Dans nos courses d'enfant pas sage
Sous le dôme d'air et de lait
Comme la fontaine volait
Légèrement au visage

Le vent bruni couleur de flûte
Dans le sable nous effaçait
Et douce pluie dansait
Mêlant nos pas en sa chute

Doullens, 1956

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Rêve du 7 avril

Les hommes m’ont condamnée
À demeurer loin d’eux
Dans le calme ils m’ont enfermée
Seule à seule
Avec la vierge
Avec la cierge
Et le crochet
Moins puissant que symbolique
Dont ma porte est fermée
La religieuse
M’a percé la main de ce crochet
Symboliquement
Je rêve vers celui
Dont on m’a éloignée
Pour lui j’ai renversé les tiroirs
Du souvenir
De l’avenir
Du revenir
L’homme est revenu
Il a jugé ma révolte enfantine
Et lui aussi s’est détourné
J’ai monté par les escaliers sanglants
Nue encore sous la robe noire
Ma mère pour la première fois souriant
La fille relevée me contant son histoire

Désormais j’étais
Déchue à la terre
Refusée au ciel
On ressortit tout mon courrier d’enfance
Tout ce magique
Toute cette amitié
Tour ce profané
J’ai fait mal aux enfants
Par ce courrier d’enfance
Et me suis renfermée
Ni l’amour
Ni l’amant
Ni l’ami
Ne viennent me délivrer
La moitié de moi qui rôde autour des murs
Me prend par la main
Et franchit le ravin
Et rampe le long des frontières d’Europe
Alors sept coups de feu font éclater le rêve.

Fresnes, 1955

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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La jacasse dans son nœud de ramures


La jacasse dans son nœud de ramures
N’entendit la clé toucher les serrures
Et la prison fuir en un long respir
Parce que la vie ici est soupir
Les carillonneurs regardaient peut-être
Passer le convoi lent de nos fenêtres
Piquées très haut sur l’obscurité
Papillons morts des rondes sans été

Ah tant que la nuit neige sur la chambre
Que je sois cristal et toi mon Décembre
Soumis au ciel nous ne saurions mourir
Ni l’errant désir nous ensevelir

Je suis riche parmi les mendiantes
Et peux bien laisser ma part des enfances
Miséricordieusement leurrer
Tous ces hommes que Noël fait pleurer
Mon amitié chaude cheminée
Garde-leur ce soir le rêve à portée
Et que le beau feu danseur des hivers
Les réconcilie aux froides hiers

Noël, 1959

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le merle

Revenu
Gavé des solfèges
Des pièges des neiges
Des grains sacrilèges
Revenu

Petit corps
Chante-primevère
Ou bien c'est ton frère
Dont le rire espère
Là-dehors

La douceur
de croire autre chose
Epuise et repose
Vague l'on suppose
La douceur

Nuit de mars
Qui laisse grisée
D'une aile posée
Au toit de rosée
L'oiseau noir

Qui s'enfuit
Vers l'avant-aurore
Où tombe incolore
L'aujourd'hui

Soissons, 1960

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en partance

Je suis en partance
Aux jours de l'exil
Aucune importance
Je tiens le bon fil

J'ai lu le grand Meaulnes
Je dors si je veux
Mes doigts restent jaunes
Et noirs mes cheveux

Dehors me murmure
À travers le toit
Et chaque voiture
Va passant pour moi

Comme en ta couchette
Rêvant sur le bois
M'abreuve en cachette
À l'eau que tu bois

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Amiens, 1958

Véronique Pestel interprète ce poème, devenu chanson, en 2000, sur une musique d'Alain Poirier.

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)



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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de BORIS VIAN

- Boris Vian -

Boris Vian (1920-1959) est un "touche-à-tout de génie".
Diplômé de l'École centrale, il entre comme ingénieur à l'Afnor (Association française de normalisation !) où il sévira quand même quatre années, avant de devenir trompettiste, car il est passionné de musique et de "culture jazz" (il signe des critiques pour des revues spécialisées).
Il écrit parallèlement(1) des poésies et des textes de chansons, qu'il interprètera plus tard, des nouvelles et des romans.

Lire la suite dans la catégorie du blog qui lui est consacrée, à gauche...

livre_Boris_Vian_poisson_d_avril

Un poisson d'avril

Un poisson d'avril
Est venu me raconter
Qu'on lui avait pris
Sa jolie corde à sauter

C'était un cheval
Qui l'emportait sur son cœur
Le long du canal
Où valsaient les remorqueurs

Et alors un serpent
S'est offert comme remplaçant
Le poisson très content
Est parti à travers champs

Il saute si haut
Qu'il s'est envolé dans l'air
Il saute si haut
Qu'il est retombé dans l'eau

Boris Vian ("Un poisson d'avril" - Rue du Monde, collection Petits Géants, 2001)

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Si les poètes étaient moins bêtes 

Si les poètes étaient moins bêtes
Et s'ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s'occuper en paix
De leurs souffrances littéraires
Ils construiraient des maisons jaunes
Avec des grands jardins devant
Et des arbres pleins de zoizeaux
De mirliflûtes et de lizeaux
Des mésongres et des feuvertes
Des plumuches, des picassiettes
Et des petits corbeaux tout rouges
Qui diraient la bonne aventure
Il y aurait de grands jets d'eau
Avec des lumières dedans
Il y aurait deux cents poissons
Depuis le croûsque au ramusson
De la libelle au pépamule
De l'orphie au rara curule
Et de l'avoile au canisson
Il y aurait de l'air tout neuf
Parfumé de l'odeur des feuilles
On mangerait quand on voudrait
Et l'on travaillerait sans hâte
A construire des escaliers
De formes encor jamais vues
Avec des bois veinés de mauve
Lisses comme elle sous les doigts

Mais les poètes sont très bêtes
Ils écrivent pour commencer
Au lieu de s'mettre à travailler
Et ça leur donne des remords
Qu'ils conservent jusqu'à la mort
Ravis d'avoir tellement souffert
On leur donne des grands discours
Et on les oublie en un jour
Mais s'ils étaient moins paresseux
On ne les oublierait qu'en deux.

Boris Vian ("Je voudrais pas crever", éditions Jean-Jacques Pauvert, 1962)

logo_cr_ation_po_tique Inventer des mots

Voir Guillevic, Henri Michaux et Boby Lapointe.

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Les autres textes de Boris Vian qui suivent ne sont pas moins inventifs :

Je veux une vie en forme d'arête

Je veux une vie en forme d'arête
Sur une assiette bleue
Je veux une vie en forme de chose
Au fond d'un machin tout seul
Je veux une vie en forme de sable dans des mains
En forme de pain vert ou de cruche
En forme de savate molle
En forme de faridondaine
De ramoneur ou de lilas
De terre pleine de cailloux
De coiffeur sauvage ou d'édredon fou
Je veux une vie en forme de toi
Et je l'ai, mais ça ne me suffit pas encore
Je ne suis jamais content

Boris Vian ("Je voudrais pas crever", éditions Jean-Jacques Pauvert, 1962)

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Y en a qui ont des trompinettes

Y en a qui ont des trompinettes
Et des bugles
Et des serpents
Y en a qui ont des clarinettes
Et des ophicléides géants
Y en a qu'ont des gros tambours
Bourre Bourre Bourre
Et ran plan plan
Mais moi j'ai qu'un mirliton
Et je mirlitonne
Du soir au matin
Moi je n'ai qu'un mirliton
Mais ça m'est égal si j'en joue bien.

Oui mais voilà, est-ce que j'en joue bien ?

Boris Vian ("Je voudrais pas crever", éditions Jean-Jacques Pauvert, 1962)

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Une chanson pour terminer :

La complainte du progrès

Autrefois pour faire sa cour
On parlait d'amour
Pour mieux prouver son ardeur
On offrait son cœur
Maintenant c'est plus pareil
Ça change ça change
Pour séduire le cher ange
On lui glisse à l'oreille

Ah Gudule, viens m'embrasser, et je te donnerai...

Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer
Et du Dunlopillo
Une cuisinière, avec un four en verre
Des tas de couverts et des pelles à gâteau!
Une tourniquette pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres
Un avion pour deux...
Et nous serons heureux!

Autrefois s'il arrivait
Que l'on se querelle
L'air lugubre on s'en allait
En laissant la vaisselle
Maintenant que voulez-vous
La vie est si chère
On dit: "rentre chez ta mère"
Et on se garde tout

Ah Gudule, excuse-toi, ou je reprends tout ça...

Mon frigidaire, mon armoire à cuillers
Mon évier en fer, et mon poêle à mazout
Mon cire-godasses, mon repasse-limaces
Mon tabouret-à-glace et mon chasse-filous !
La tourniquette, à faire la vinaigrette
Le ratatine-ordures et le coupe-friture

Et si la belle se montre encore rebelle
On la ficelle dehors, pour confier son sort...

Au frigidaire, à l'efface-poussière
A la cuisinière, au lit qu'est toujours fait
Au chauffe-savates, au canon à patates
A l'éventre-tomate, à l'écorche-poulet !

...
Boris Vian ( sur une musique d'Alain Goraguer, éditions Tutti, 1955)

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1 avril 2008

Cécile Sauvage, Anne Schwarz-Henrich, Madeleine de Scudéry

Cécile Sauvage (1883-1927).

Je t'ai écrit au clair de lune

Je t'ai écrit au clair de lune
Sur la petite table ovale,
D'une écriture toute pâle,
Mots tremblés, à peine irisés
Et qui dessinent des baisers.
Car je veux pour toi des baisers
Muets comme l'ombre et légers
Et qu'il y ait le clair de lune
Et le bruit des branches penchées
Sur cette page détachée.

Cécile Sauvage ("Primevère")

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Le jour (début du poème)

Levons-nous, le jour bleu colle son front aux vitres,
La note du coucou réveille le printemps,
Les rameaux folichons ont des gestes de pitres,
Les cloches de l'aurore agitent leurs battants.
La nuit laisse en fuyant sa pantoufle lunaire
Traîner dans l'air mouillé plein de sommeil encor
Et derrière les monts cachant sa face claire
Le soleil indécis darde trois flèches d'or.

Cécile Sauvage ("Tandis que la terre tourne")

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Peut-être serai-je plus gaie ...

Peut-être serai-je plus gaie
Quand, dédaigneuse du bonheur,
Je m'en irai vieille et fanée,
La neige au front et sur le coeur :

Quand la joie ou les cris des autres
Seront mon seul étonnement
Et que des pleurs qui furent nôtres
Je n'aurai que le bavement.

Alors, on me verra sourire
Sur un brin d'herbe comme au temps
Où sans souci d'apprendre à lire
Je courais avec le printemps.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Mais je suis belle d'être aimée ...

Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe.

Cécile Sauvage ("Primevère")

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Souvent le coeur qu'on croyait mort ... (La lune blanche)

Souvent le coeur qu'on croyait mort
N'est qu'un animal endormi ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.

Cécile Sauvage ("Mélancolie")

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Fumées (début et passages du poème)

Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.

Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d’eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s’étend
À toutes les branches.
…...

L’azur d’un soir gris.
Un vague arc-en-ciel s’allonge et verdit
Sur la côte obscure ;
Sa courbe légère et rose grandit
De plus en plus pure.
À l’endroit où l’arc suave incliné
Rejoint la colline,
Les arbres d’hiver prennent sa clarté,
Dans leurs branches fines.

Un oiseau chante comme une eau
Sur des cailloux et des pervenches.
Quelle odeur de printemps s’épanche
De cette pure voix d’oiseau !

Le paysan vieux et cassé
Rejoint son obscure chaumine
Qui somnole sur la colline
Dans le velours tendre d’un pré.
Il voit d’en bas tourner le chien
Et la lueur d’un jeune pin
Se détacher doucement verte
Dans l’ombre de la porte ouverte.

……

La lune pâle, rêveuse
Et transparente à demi,
Glisse sur la vaporeuse
Douceur d’un ciel endormi.
Dans les branches dénudées
Et si grêles d’un bouleau
Une lueur irisée
Incline ses calmes eaux.
C’est l’hiver et sa tristesse
Avec de muets oiseaux
Se berçant à la sveltesse
Sans feuillage des rameaux.
……

Homme au grand chapeau tombant,
À la figure flétrie,
Quelle étrange horlogerie
Vous fait aller titubant ?
Quel cœur dans votre poitrine
Éveille des souvenirs ?
Voyez-vous l’ombre divine
De la lune revenir,
Ou bien n’êtes-vous qu’un rêve
Flottant en vagues habits
À travers les heures brèves
Et sous les ciels engourdis ?
……

J’ai vu ce matin la lune
Pâle dans les longs bouleaux
Et cette image importune
Reviendra dans mon cerveau.
Elle viendra persistante
Comme un avertissement
Dans un rêve qui me hante,
Et j’ai le bref sentiment
Qu’au jour de ma destinée
Dans un bouleau langoureux
Luiront nettement les feux
De cette lune obstinée.
……

La ville sous la fumée
Du soir et des cheminées
Flotte en un rêve étranger
Et s’efface. Son église
De fines colonnes grises,
Pareilles aux pins légers,
Sur le fond de la colline
Grandit, sans âge et divine
Dans le soir désespéré.

Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.
……

Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.

Cécile Sauvage ("Fumées")



Anne Schwarz-Henrich est une poète contemporaine, auteure de recueils pour les enfants : "Du coq à l'âne" (paru en 2005), "Au clair de ma plume"...

 L'autre monde

Quand je ferme les yeux,
J'allume les lumières
Des plafonds merveilleux
Que déploient mes paupières

Et qui m'éclairent les lieux
Où je viens, solitaire,
Glaner des rêves bleus
Dans la nuit, sur mes terres.

Anne Schwarz-Henrich

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Rêve-luisant

C'est le soir
au milieu du noir
un petit rêve s'est
allumé
Je monte chez lui
Et il me garde toute la nuit
 

Anne Schwarz-Henrich

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 Fleurs éternelles

Je sème des fleurs
Sur mon passage
Des fleurs d’instants,
Si parfumées
Que, même lorsque
J’avance en âge,
Elles me ramènent
Vers mon passé.

Anne Schwarz-Henrich

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La montre à remonter le temps

Ma montre a une tactique
Pour remonter le temps...
Elle ne fait pas « tic-tac »
Mais « tac-tic » tout le temps !

Anne Schwarz-Henrich



Madeleine de Scudéry (1607-1701) est une écrivaine, romancière et poète, adepte d'épigrammes, poèmes courtsà l'adresse de quelqu'un. En voici trois des plus connus :

Contre Job

Contre Job, autrefois, le démon révolté
Lui ravit ses enfants, ses biens et sa santé,
Mais pour mieux l’éprouver et déchirer son âme
Savez-vous ce qu’il fît ?... Il lui laissa sa femme.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)

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Impromptu sur des pots de fleur
que Monsieur le Prince de Condé cultiva lui-même


En voyant ces oeillets qu'un illustre guerrier
Arrosa d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon bâtissait des murailles
Et ne t'étonne point que Mars soit jardinier.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)

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Réponse au poème d'un de ses amis
qui la flattait d'immortalité.


Quand l'aveugle destin aurait fait une loi
Pour me faire vivre sans cesse,
J'y renoncerais par tendresse,
Si mes amis n'étaient immortels comme moi.

Madeleine de Scudéry (publié dans le "Recueil Sercy", 1653)



1 avril 2008

Colette Seghers

Colette Seghers (contemporaine). Moins connue que Pierre Seghers, son époux disparu, éditeur et poète, elle a plus mis en avant les textes de son mari, pour qui a écrit deux biographies ("Pierre Seghers, un homme couvert de noms" et "Nous étions de passage"), que ses propres poésies, un recueil sous son nom de jeune fille, Colette Peugniez ("Lointains") et plus tard, "10 poèmes pour un bébé" et "Dans l'estuaire des lendemains". Elle est aussi auteure de nouvelles et de romans " Martin Hanson", "Sarah Cortez" et "Belle ou l’Envers du temps". source (en partie) : site des éditions Seghers.

Berceuse pour Virginie

Dors, ma fille, ma gazelle,
ma rose du Doued et de la Laponie,
mon fruit d'Asie, ma tourterelle,
la nuit chantonne "Virginie ..."
Dors mon jasmin, mon Bagatelle,
mon poisson d'or, ma symphonie,
une étoile ouvre son ombrelle
sur le berceau de Virginie.

Dors mon oiseau, ma belle abeille
mon bébé de songe et de vie,
j'entends les chevaux du sommeil
attelés de rêve et de bruit.

Mon opéra, mon arabesque,
mon air de fable et d'infini
j'entends chanter au vent de sable
un air de fées pour Virginie.

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)

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Ses yeux

ses yeux sont pleins de lunes tranquilles
ses yeux sont pleins de malles perdues
par des corsaires aux fonds des creux marins !
ses yeux quand le sable est mouillé
qu'il y neige des mouettes,
que la terre est brûlée et que la nuit s'y jette
voilà ses yeux de nouveau-né !
Elle a des yeux de perce-neige et de poème hindou,
elle a parfois des yeux de prétentaine
qui rendent bleu l'oeil andalou,
elle a parfois des yeux pleins de lanternes,
des yeux de filets posés, de vol de nuit,
des yeux de charme, de devineresse
des yeux de certitude et de guerrier,
elle a des yeux de plomb pour amarrer les fées !

Colette Seghers ("Dix poèmes pour un bébé" - Seghers, 1969)

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Solitude

Il a perdu le fil des mots,
mais le fil du temps,
le fil conducteur des choses, il l'a trouvé …
Ciseaux vides des êtres mille fois rencontrés,
qui l'avez décousu, habité, comme un manteau vide,
Si le manteau peut vous servir, gardez-le
Si cet homme peut vous servir, gardez-le
Si le fil peut encore retenir un vieux secret qui s'est perdu
Laissez-le faire,
Mais si la nuit lui tombe de la tête
Ne vous baissez pas pour la ramasser,
S'il oublie qui vous êtes,
Pour s'asseoir seul, à la porte de n'importe quel endroit
S'il caresse dans son silence un cheval pur
Qui se souvient de moi
Si le cheval hennit, à la porte des villes où il passe
S'il frappe d'échos neufs le morne bruit des portes
A tout jamais fermées,
Si vous ne l'entendez pas, n'arrêtez pas le bruit
Pour le laisser passer,
Mais si cet homme voit à travers son image,
ressusciter le sens exact des choses
Si l'herbe haute pousse la porte des bars où il se trouve,
S'il se met à parler au col de son manteau
Comme à une trace vivante,
s'il sort dans la nuit seul …
laissez-le passer …

Colette Seghers ("Lointains" - Seghers, 1960)



1 avril 2008

PP 09 - L'humour de LOUISE DE VILMORIN

- Louise de Vilmorin -

Louise de Vilmorin (1902-1969) est une romancière et poétesse française.
Son oeuvre est empreinte d'humour et de fantaisie, avec des regards vers l'Oulipo (cf Raymond Queneau).
Quelques recueils :  Le Sable du Sablier, l'Alphabet des aveux.

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Récitez-moi votre leçon

Récitez-moi votre leçon
"L'oiseau se prend à l'hameçon
Le poisson s'apprivoise et chante
Le papillon est une plante
L'été ramène les grands froids."
Je vous l'ai redit mille fois.

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")

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Vers olorimes*

Étonnamment monotone et lasse,
Est ton âme en mon automne, hélas !

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Les vers holorimes (voir Alphonse Allais) sont identiques à l'oreille. L'auteure orthographie ce mot : "olorimes".

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Palindromes*

Lune de ma dame d’été
Été de ma dame de nul.

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L’âme sûre ruse mal.

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Suce ses écus

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Eh! Ça va la vache?
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Ta bête te bat
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À l’étape épate-la

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Rue : Verte fenêtre
Verte nef
Et rêveur
   

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Un palindrome est un écrit qu'on peut lire dans les deux sens avec le même résultat.

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Ce poème phonétique n'est-il pas précurseur du SMS ?

Poème phonétique (titre suggéré)

Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
J’ai assez cédé, aimé, obéi,                                      G  AC  CD  ME  OBI
Et double vécu et rêvé et fui                                     E  WQ   REV  FUI

Ogive et émaux et miel et mer                                  OJVMO   MIL  MR
Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
Hélène aima et fit grec et la chair et l’été.               LN  MA  FY  LHR  LET

Louise de Vilmorin (dans "L'alphabet des aveux", 1954, illustrations de Jean Hugo - rééédition Le Promeneur, 2004)

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L’île

L’île a des lis
Et des lilas
Pour les délices il y a des lits là.
Pas de soucis,
Cent liserons
Viens tes soucis vite s’enliseront.
Un cycle amène
Cycle centaure,
Sous les lilas où j’oublie tes cent torts,
Un cyclamen
Des centaurées
Et des pensées pour le temps dépensé.
L’île à délices
A des lilas,
Avec des lis j’ai porté ton lit là.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)

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Fado*

L’ami docile a mis là
Fade au sol ciré la sole
Ah ! si facile à dorer.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

L’art est docile à l’ami.
La sole adorée dort et
L’ami l’a cirée, dorée.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Sire et fade au sol ciré,
L’adoré, do raide aussi,
L’ami dort hélas ici.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)
* Le fado est une musique du Brésil et du Portugal.

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1 avril 2008

Sabine Sicaud

Sabine Sicaud (1913-1928). source Wikipedia : Elle est née et morte à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.
Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, avant de mourir à l'âge de 15 ans, elle écrit :

"Aux médecins qui viennent me voir :
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ses poisons de fakir, vert et or..."

Postée en commentaire, cette info : "On peut lire tous les poèmes de Sabine Sicaud et une foule de documents concernant son oeuvre poétique sur ce nouveau site" :
http://www.sabinesicaud.com

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Le chemin de l’amour

Amour, mon cher amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d’accent, de cœur et d’âge
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles,
De la nuit, de la mer, des îles sans escales.
Je ne crains rien si tu m’as reconnue
Mon amour, de bien loin, pour toi je suis venue.
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t’avais-je perdue ? Dans quelle vie ?
Et qu’oserait le ciel contre nous maintenant ?

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Les trois chansons

Entends la chanson de l'eau...
Comme il pleut, comme il pleut vite !
Il semble que des grelots
Dans la gouttière s'agitent.

A l'abri dans ton dodo
Entends la chanson de l'eau !

Entends la chanson du vent...
Comme les branches s'agitent !
Les nids d'oiseaux, bien souvent,
Sont bercés, bercés trop vite.

A l'abri des rideaux blancs
Entends la chanson du vent.

Entends la chanson du feu...
Comme les flammes s'agitent
Le feu jaune, rouge et bleu
Pour te chauffer brûle vite.

Quand tes yeux clignent un peu,
Entends la chanson du feu.

Ecoute les trois chansons
Qui se font toutes petites
Et douces comme un ronron
Pour que tu dormes plus vite.

Si tu veux, bébé, dormons
Au bruit léger des chansons.

Sabine Sicaud ("Poèmes d'enfant" - Les Cahiers de France, 1926) et "Premiers poèmes" ainsi que "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La vieille femme de la lune

On a beaucoup parlé dans la chambre, ce soir.
Couché, bordé, la lune entrant par la fenêtre,
On évoque à travers un somnolent bien-être,
La vieille qui, là-haut, porte son fagot noir.

Qu'elle doit être lasse et qu'on voudrait connaître
Le crime pour lequel nous pouvons tous la voir
Au long des claires nuits cheminer sans espoir !

Pauvre vieille si vieille, est-ce un vol de bois mort
Qui courbe son vieux dos sur la planète ronde ?
Elle a très froid, qui sait, quand le vent souffle fort.
Va-t-elle donc marcher jusqu'à la fin du monde?

Et pourquoi dans le ciel la traîner jusqu'au jour !
On dort ... Nous fermerons les yeux à double tour ...
Lune, laisse-la donc s'asseoir une seconde.

Sabine Sicaud ("Premiers poèmes" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.

Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends, comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet ...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ?  Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être ...

Sabine Sicaud ("Douleur, je vous déteste" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)

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La chanson du soleil (ou "Vassili")

N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil.

Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958) - Poème trouvé dans un de ses cahiers, après sa disparition.



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