Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

lieu commun

1 avril 2008

Andrée Sodenkamp

Andrée Sodenkamp (1906-2004). Poète belge de langue française.

Le printemps

Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Les loups

C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Je suis ton grain pesé

Je suis ton grain pesé, ta paille remuée
Ton pain sorti du four et la lampe allumée
Qui marque ta maison.

Pourquoi chercher ailleurs l'oubli qui me ressemble ?
L'amour est sans repos.
Si tu meurs avant moi, nous partirons ensemble,
Mon plaisir dans tes os.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La fenêtre est un livre d'images

La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.

Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.

Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.

Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.

T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Je suis du temps ...

Je suis du temps des lents et vieux romans d'amour,
des Grands Meaulnes poussant des portes solennelles.
On se mangeait le coeur en guettant sur la tour
un pays balancé de bois et d'hirondelles.

C'étaient les temps heureux des grandes fautes tendres
des confessionnaux pleins de voix murmurées,
et de chagrins si beaux qu'on ne pouvait attendre
pour les souffrir déjà de n'être plus aimée.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Attention, les deux textes qui suivent sont destinés aux très grandes classes  :

Don Juan
 
Tu ne fus rien, pas même un cœur de peu de temps.
Un jeu de femmes nues sur ta pensée d’amant
Mêle de lourds cheveux ouverts comme un automne
La roue du paon qui tourne en ton cœur monotone.
 
On te respire comme un lit. Tu crois qu’on t’aime.
On te boit, ô Juan, sur ta bouche d’oubli.
On se couche sur toi pour rêver à soi-même,
On te perd, on te gagne aux dés, comme un pari.
 
Tu es tout ocellé de tristes bouches peintes,
Tu es tout traversé d’appels et sourd de plaintes
Qui ont crié sur toi comme à travers la mer.
Un jour, tu seras vieux, ta chair sera la terre
Où dorment trop de mortes.
Tu seras ce hochet du plaisir qu’on emporte ...
 
Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,
Que des femmes sont nées dont tu n’es pas l’amant,
Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,
Tu t’en iras, Juan, juste avant la plus belle.

Andrée Sodenkamp

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Femmes des longs matins

Femmes des longs matins, mes belles amoureuses
Dont le nom s'attardait à la bouche des morts
Qui faisiez du malheur une brûlante rose
Et déchiriez le temps entre vos ongles d'or.

Est-ce la Nonne ardente et que Juan oublie
Ou dans ses jupons fous, l'innocente Manon,
Cléopâtre tapie au creux des pierreries
Qui retient son amant, au poing, comme un faucon ?

Voici celle qui vint de la France en Écosse,
Éblouie comme l'aigle au soleil des plaisirs,
L'abeille qui foudroie en son plein ciel des noces
Et met le goût du sang aux saveurs du désir.

Nous sommes belles par vos seins levés dans l'ombre *
Par vos hanches donnant le merveilleux danger
Et dans l'odeur d'amour ouverte sur vos tombes
Nous régnons sur l'amant qui a les yeux fermés.

Andrée Sodenkamp - * "vos" est bien le pronom exact



Publicité
1 avril 2008

Lucie Spède

Lucie Spède est née en 1936. C'est une poétesse belge de langue française.

Quelques recueils : Volte-face, 1973 ; Inventaire, 1974 ; Comme on plonge en la mer, 1984 -  ; Chansons de l'oiseau, 1993 ; J'ados, 2002 ...

"Tu penses que la vie est grise,
Mais ce sont tes lunettes qui sont sales".

Lucie Spède

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Définition

 L'humour ?
C'est l'humeur
qui devient jaune soleil
les yeux
qui se font champagne
le visage
qui se fend d'un sourire
les poumons
qui ouvrent leurs pétales
la voix
qui cascade son rire.
C'est un regard
un mot
un dessin
une musique
en tenues de fête
une façon
de porter en toutes saisons
ses lunettes solaires
pour regarder
la vie
.

Lucie Spède 

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le mille-pattes

 Un mille-pattes à un mariage invité
n'y est jamais arrivé
car il n'a pas pu achever
de lacer tous ses souliers.

Lucie Spède

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Oh dodo

L'édredon
et ron et ron
est le bidon
dodu et rebondi
du lit.

Lucie Spède

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Météo

Les escargots
sont de sortie :
sortons nos parapluies.
Les limaces
sont sur le chemin :
ouvrons larges nos pépins.

Lucie Spède (dans "L'almanach de la poésie", anthologie rassemblée par Jacques Charpentreau - Éditions Ouvrières, 1983)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le monde à l'envers

Un jour où je dormais les yeux ouverts,
J'ai rêvé qu’après un grand tremblement de mer,
Le monde entier fonctionnait à l'envers,
Les Esquimaux se retrouvèrent en paréos et
Les Hawaïens dans des igloos,
Les libellules rampaient comme des limaces,
Les tortues fendaient l'air de leur carapace,
Les escargots filaient à toutes pattes et
Les zèbres pesants laissaient passer les mille-pattes,
Les poissons perchaient dans les bois,
Les oiseaux nageant chantaient sous l'eau à pleine voix,
Les crabes marchaient droit,
Les arbres plantaient leurs racines dans l'espace,
Les nuages se roulaient dans la mer et
Les vagues bruissaient dans le ciel,
Et moi, je marchais à travers tout cela,
La tête en bas, et tout émerveillée,
Je souriais de tous mes orteils.

Lucie Spède 



1 avril 2008

PP 09 - L'humour de PAUL VINCENSINI

livre_Vincensini_je_dors_parfois_couv

- Paul Vincensini -

 

 

Paul Vincensini, qui se disait archiviste du vent, est né en 1930. Il a disparu en 1985, mais vous le trouverez encore à cette adresse .

"Quand je dis " archiviste du vent", je parle non de titre honirifique mais de fonction.
Il me faut préciser cependant qu'étant déjà - et de longue date - affecté à la Poussière, les multiples tâches que cela implique font que je ne suis mis à la disposition du vent qu'à titre de vacataire
 [...].  Je m'y suis formé à l'École des Mouches. [...] "

Paul Vincensini

Ses recueils sont pour la plupart aujourd'hui épuisés. On trouve malgré tout une grande partie de ses textes dans l'ouvrage qui reprend le titre de l'un de ses recueils : "Archiviste du vent", au cherche midi éditeur (première parution en 1986). L'humour de Paul Vincensini est souvent noir, voire désespéré, et grinçant, mais toujours très imagé. Les quelques textes choisis ici nous semblent parmi les plus adaptés au thème et aux élèves. "Archiviste du vent" est à se procurer (autour de 10 € en librairie), pour dénicher d'autres textes selon vos projets et mesurer la diversité de l'humour de son auteur.

L'ouvrage dont la couverture est reproduite ci-dessus est paru en 2007. Vincensini en aurait aimé les illustrations (Galeron).

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Moi j'ai toujours peur du vent

Me voici
Mes poches
Bourrées de cailloux
Pour rester avec vous
Ne pas m'envoler dans les arbres

Paul Vincensini (recueil "Toujours et jamais" - édition Culture et pédagogie - 1982)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le petit grillon

Le petit grillon qui garde la montagne
A bien du mérite croyez-moi
Quand de partout
Coucous et hiboux font ou
Coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
A d'autres coucous
ou d'autres hiboux
qui font à tout coup
ou coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
Toute toute toute la nuit
Le petit grillon vaillant
a bien du mérite
Et qu'est-ce qui le retient
Dites-le moi
Messieurs
De se croiser les bras
et de dormir longtemps
Sa tête
Entre ses deux yeux.

Paul Vincensini (recueil "Qu'est-ce qu'il n'y a ? " - éditions Saint-Germain-des-Prés - 1975)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le parapluie

Un paparapluie
Prit le train pour Paris
En compagnie d'une mamanrapluie.

Il pleuvait beaucoup ce soir-là
Mais dans le train
Il n'y avait personne

Elle pleura un peu
Puis ils se plurent beaucoup

Au retour tout le ciel était bleu

Paul Vincensini (recueil "Toujours et jamais" - édition Culture et pédagogie - 1982)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le poème qui suit, le plus connu de l'auteur, avait été initialement publié en 1975 dans le recueil "Qu'est-ce qu'il n'y a ? ". Il est rangé pour "Archiviste du vent" (1986) avec les textes d'un recueil postérieur auquel Paul Vincensini avait donné ce même titre : "Toujours et Jamais" (1982). Simple, non ?

Toujours et Jamais

Toujours et Jamais étaient toujours ensemble
Ne se quittaient jamais
On les rencontrait dans toutes les foires
On les voyait le soir traverser le village
Sur un tandem
Toujours guidait
Jamais pédalait
C'est du moins ce qu'on supposait...
Ils avaient tous les deux une jolie casquette
L'une était noire à carreaux blancs
L'autre blanche à carreaux noirs
A cela on aurait pu les reconnaître
Mais ils passaient toujours le soir
Et avec la vitesse...
Certains d'ailleurs les soupçonnaient
Non sans raison peut-être
D'échanger certains soirs leur casquette
Une autre particularité
Aurait dû les distinguer
L'un disait toujours bonjour
L'autre toujours bonsoir
Mais on ne sut jamais
Si c'était Toujours qui disait bonjour
Ou Jamais qui disait bonsoir
Car entre eux ils s'appelaient toujours
Monsieur Albert Monsieur Octave.

Paul Vincensini (recueil "Qu'est-ce qu'il n'y a ? " - éditions Saint-Germain-des-Prés - 1975)

logo_cr_ation_po_tique Création poétique : Voir  Monsieur, Monsieur de Jean Tardieu, pour des situations similaires.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Moi dans l'arbre

T'es fou !
Tire pas !

C'est pas des corbeaux,
C'est mes souliers !

Je dors parfois dans les arbres.

Paul Vincensini (recueil "Le point mort" - éditions Chambelland - 1969)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Les papillons

Les papillons
sont renseignés
sur toutes les fleurs.

Ils portent leur courrier
sans jamais se tromper.

C'est pas qu'ils y voient clair
Mais ils ont du nez.

Paul Vincensini (recueil "De bleu et d'ombre" - éditions Roche Sauve - 1977)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Un texte pour la mauvaise saison, où l'humour noir et la familiarité ne parviennent pas à cacher la tendresse de l'auteur :

Moi l'hiver je pense

Moi l'hiver je pense
Aux petits oiseaux
Qui couvent des œufs glacés
Dans les arbres

Moi l'hiver je pense
Aux petits poissons
Qui se gèlent les bonbons
La nuit
Dans les rivières.

Paul Vincensini (recueil "Qu'est-ce qu'il n'y a ? " - éditions Saint-Germain-des-Prés - 1975)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Qu'est-ce qu'ils bouffent

Les noiseaux mangent des noisettes
Les crapauds des pâquerettes
Les chats des chalumettes
Quand il fait frais
Des chalumeaux
Quand il fait chaud.

Paul Vincensini (publié initialement dans la revue Poésie 1 n° 28-29,  "L'enfant et la poésie" (1973) , dans "Archiviste du vent" et dans le recueil "Je dors parfois dans les arbres" - éditions Motus 2007, posthume)

bandeau_retour_sommaire



1 avril 2008

Angèle Vannier, Anne Vernon, Louise de Vilmorin

Angèle Vannier (1917-1980) est une romancière et poétesse française de Bretagne (elle écrit ses poèmes en français).

Pierre

Pierre je compatis à ta vie lente et dure
Même le saule en pleurs ne me déchire pas
Comme le verbe d’or caché sous ton armure.

J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël
Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même
Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime
Et se souvient d’avoir été semblable à toi.

Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu
Que je vous ai donné sans détourner la tête
Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut
Traduire pour Jésus sa prière muette.

Règne du minéral ouvre-moi ton église
Et travaillons ensemble à refuser l’hiver
Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer
Le diable et ses petits ricanent dans la brise
Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs
Qui durent lentement debout face à la mer.

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Forêt sans muguet (début du poème)

Au mois de mai
quand les forêts
sont frustrées de fleurs de muguet
elles ressemblent trait pour trait
aux églises désaffectées ...

Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La lavandière (première et dernière strophes du poème)

La lavandière est mon amie
Ses cheveux roux sont des ruisseaux
Ses cheveux mènent à l'amour.
La lavandière est jeune fille
Elle a volé ma chanson d'eau
Pour laver le seuil de l'auberge.



Lavandière lavant la vie
Nous suivons le même chemin
Celui de l'eau celui des mains.
La lavandière est mon amie.

Angèle Vannier ("Songes de la lumière et de la brume" - éditions Savel, 1947)



Anne Vernon , poète contemporaine, publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.

En voici quelques fragments épars :

Est-ce moi qui choisis le creuset ?...

Est-ce moi qui choisis le creuset
ou le creuset qui me choisit ?

Allez savoir
et faut-il d'ailleurs
le savoir ?
Ca creuse pareillement.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 La plage ...

La plage
l'océan la roule sous ses vagues
et s'en retourne, pareil.

Seuls les récifs provoquent au large des remous.

C'est du moins
ce qu'on croit.

Mais que sait-on des pas perdus
que la plage achemine

sous prétexte de ressac
vers les grands fonds,

avec l'infinie lenteur
de qui peut toujours recommencer ?

Elle n'a pas à compter
elle aura toujours assez

pour qu'au moins quelques-uns parviennent

là où l'océan
fait sa mue d'eau limpide.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Certains jours ...

Certains jours
j'entends
je vois
les odeurs se souviennent de moi.

Je suis l'arbre et le ciel

j'ai des racines qui comprennent
les grouillements obscurs

une écorce pour
les bleus les plus rugueux

des feuilles qui ne craignent pas la chute
elles savent leurs saisons

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Parfois ...

Parfois
plus de traces sur le sable

toutes effacées
surtout les tiennes.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Mes questions frangent le silence ...

Mes questions frangent le silence
de la plus sûre lumière

Elles font de mon chemin
un arbre
qui ne craint pas
la brûlure de la sève.

Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)



Louise de Vilmorin (1902-1969) est une romancière et poétesse française.
Son oeuvre est empreinte d'humour et de fantaisie, avec des regards vers l'Oulipo (cf Raymond Queneau dans la catégorie "L'humour des poètes").
Quelques recueils :  Le Sable du Sablier, l'Alphabet des aveux.

Récitez-moi votre leçon

Récitez-moi votre leçon
"L'oiseau se prend à l'hameçon
Le poisson s'apprivoise et chante
Le papillon est une plante
L'été ramène les grands froids."
Je vous l'ai redit mille fois.

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Dans le ciel mauve ...

Dans le ciel mauve
La lune est ronde,
C’est une blonde
Mais elle est chauve.

Louise de Vilmorin ("L'heure malicieuse", 1967)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Vers olorimes*

Étonnamment monotone et lasse,
Est ton âme en mon automne, hélas !

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Les vers holorimes (voir Alphonse Allais) sont identiques à l'oreille. L'auteure orthographie ce mot : "olorimes".

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Palindromes*

Lune de ma dame d’été
Été de ma dame de nul.

- - - - - - - - - -
L’âme sûre ruse mal.

- - - - - - - - - -

Suce ses écus

- - - - - - - - - -
Eh! Ça va la vache?
- - - - - - - - - -
Ta bête te bat
- - - - - - - - - -
À l’étape épate-la

- - - - - - - - - -
Rue : Verte fenêtre
Verte nef
Et rêveur
   

Louise de Vilmorin ("L'alphabet des aveux")
* Un palindrome est un écrit qu'on peut lire dans les deux sens avec le même résultat.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ce poème phonétique n'est-il pas précurseur du SMS ?

Poème phonétique (titre suggéré)

Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
J’ai assez cédé, aimé, obéi,                                      G  AC  CD  ME  OBI
Et double vécu et rêvé et fui                                     E  WQ   REV  FUI

Ogive et émaux et miel et mer                                  OJVMO   MIL  MR
Abbaye, abbaye                                                        ABI  ABI
Hélène aima et fit grec et la chair et l’été.               LN  MA  FY  LHR  LET

Louise de Vilmorin (dans "L'alphabet des aveux", 1954, illustrations de Jean Hugo - rééédition Le Promeneur, 2004)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La solitude est verte

Chasseresse ou dévote ou porteuse de dons
La solitude est verte en des landes hantées,
Comme chansons du vent aux provinces chantées
Comme le souvenir lié à l’abandon.

La solitude est verte.

Verte comme verveine au parfum jardinier
Comme mousse crépue au bord de la fontaine
Et comme le poisson messager des sirènes,
Verte comme la science au front de l’écolier.

La solitude est verte.

Verte comme la pomme en sa simplicité,
Comme la grenouille, cœur glacé des vacances,
Verte comme tes yeux de désobéissance,
Verte comme l’exil où l’amour m’a jeté.

La solitude est verte.

Louise de Vilmorin ("Le sable du sablier" - Gallimard, 1945)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L’île

L’île a des lis
Et des lilas
Pour les délices il y a des lits là.
Pas de soucis,
Cent liserons
Viens tes soucis vite s’enliseront.
Un cycle amène
Cycle centaure,
Sous les lilas où j’oublie tes cent torts,
Un cyclamen
Des centaurées
Et des pensées pour le temps dépensé.
L’île à délices
A des lilas,
Avec des lis j’ai porté ton lit là.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Fado*

L’ami docile a mis là
Fade au sol ciré la sole
Ah ! si facile à dorer.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

L’art est docile à l’ami.
La sole adorée dort et
L’ami l’a cirée, dorée.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Sire et fade au sol ciré,
L’adoré, do raide aussi,
L’ami dort hélas ici.

Récit d’eau
Récit las
Fado
L’âme, île amie
S’y mire effarée.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire" - Gallimard, 1939)
* Le fado est une musique du Brésil et du Portugal.

- -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La Reine

La Reine en moi bercée
Me donne sa grandeur
Je suis la tour hantée
Dont les hommes ont peur.

Bouche de Reine
Sans un baiser,
Tour sur la plaine
Sans escalier.

Mes yeux sont les fenêtres
Où brillent ses beaux yeux,
La Reine va paraître
Chassant les amoureux.

Nul ne me dit :
"Viens ma maîtresse
Il est minuit
Dénoue tes tresses."

Une Reine est en moi
Qui défie l’aventure,
Sa main est en mes doigts
Mon corps est son armure.

Et nul ne veut
De ma personne
Car je suis deux
Quand je me donne.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire", 1939)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Dame des courants

Peu m’importent vos noms Dame des courants
Seules vos mains comptent
Vos sourires au bord de vos mains
Sont les oiseaux sans lendemains
Que le vent emporte
Fiancés à la dérive
Qui frappez aux portes des rives
Vos écharpes sont d’herbes et de petits papiers.

Louise de Vilmorin ("Fiançailles pour rire", 1939)



1 avril 2008

Renée Vivien, Chantal Vuillod, Liliane Wouters

Renée Vivien (1877-1909)

Roses du soir

Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui viens de loin, les mains lourdes de roses !
J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses poussières roses...

Des roses sur la mer, des roses dans le soir.

Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...

Ô roses dans le ciel et le soir ! Ô mes roses !

Renée Vivien ("Évocations")

 

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Sommeil

Ô Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette !
Ton visage s'incline éternellement las,
Et le songe fleurit à l'ombre de tes pas,
Ainsi qu'une nocturne et sombre violette.

Les parfums affaiblis et les astres décrus
Revivent dans tes mains aux pâles transparences
Évocateur d'espoirs et vainqueur de souffrances
Qui nous rends la beauté des êtres disparus.

Renée Vivien ("Cendres et poussières")

 



Chantal Vuillod est une poète contemporaine.

Maison de la Culture, 1990

Maison de la Culture
dans la petite salle
bétonnée
moquetée
les lettrés s'exercent
à la lecture à haute voix
tandis que derrière les vitres passent
les femmes de ménage
entre deux gerbes de balais
elles balancent leurs belles hanches
sur un air de l'Opéra de Pékin

Chantal Vuillod ("Humus"- éditions Watel,1982)

 



 

Liliane Wouters, née en 1930, est une auteure belge de poésies, essais et romans.

À l'enfant que je n'ai pas eu ...

À l'enfant que je n'ai pas eu
mais que d'un homme je reçus
septante fois sept fois et davantage, à l'enfant sage
dont je formai le souffle et le visage...
enfant conçu, toujours inachevé,
qu'on me fait, que je fais, à chaque fois que j'aime,
qui se défait en moi pour donner un poème...

Liliane Wouters

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Ma tête dans le vent ...

Ma tête dans le vent, mes pieds dans leurs chaussures,
mon âme dans son corps.
J'ignore où je m'en vais, la route n'est pas sûre,
au bout m'attend la mort.

Liliane Wouters

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le bois sec

Brûler Je songe à ma cendre
Quand m’appellent des forêts
Ô feux Mais à leur voix tendre
répond votre chant secret

Je suis né pour cette fête


barbare ces rites purs
ce mortel assaut de bêtes
contre le défi des murs

J’aime la gloire soudaine
des flammes j’aime le bref

sursaut de passion de haine
du feu saluant son chef

Brûler Mon sang me calcine
Pas un coin de chair ombreux

Et si pourtant mes racines
Trouvaient un sol généreux

un peu d’eau et de sel Le sable
d’où je sors verrait des fruits
Non De cette paix durable


la fin seule me séduit

Je ne porte ni lumière
ni chaleur en mon corps mais
ce n’est qu’au centre des pierres
qu’on trouve un feu qui dormait

Verdoyez branches dociles
aux commandements des dieux
Je montre mon bois fossile
C’est lui qui flambe le mieux

Liliane Wouters

- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Que m'importent lieu, durée ...

Que m'importent lieu, durée,
si je demeure assurée
de garder toujours l'instant.
Seconde ou siècles, autant
Le vent sur sa route emporte.
Lieu, durée, ah, que m'importe,
tout défile au même train.
je ne saisirai qu'un grain
du sable des destinées,
Pour le cueillir, je suis née.

Liliane Wouters



Publicité
20 mars 2008

POÉSIES sur le thème du PRINTEMPS

for_t_avant_printemps
Avant-printemps dans le Vexin (photo Lieucommun)

Joie du printemps

Au printemps, on est un peu fou,
Toutes les fenêtres sont claires,
Les prés sont pleins de primevères,
On voit des nouveautés partout.
Oh! regarde, une branche verte!
Ses feuilles sortent de l'étui!
Une tulipe s'est ouverte...
Ce soir, il ne fera pas nuit,
Les oiseaux chantent à tue-tête,
Et tous les enfants sont contents
On dirait que c'est une fête...
Ah ! que c'est joli le printemps !

Lucie Delarue-Mardrus

  voyez  UNE SAISON en POÉSIE - printemps  et   HAÏKUS - poésies des saisons

mais n'oubliez pas l'éloge de l'autre (liens ci-dessous)

" La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido " ...
Antonio Machado

suite et traduction : PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde)

Les textes publiés n'ont pas tous fait l'objet d'une demande d' autorisation . Les ayants droit peuvent nous en demander le retrait.



dess_V_enfant < Photo Lieucommun - Le thème "ÉLOGE DE L'AUTRE" est décliné en trois mots :
carrefours, croisements, métissages, avec ce passage d'un texte d'Andrée Chedid :
"Toi / Qui que tu sois / Je te suis bien plus proche qu'étranger"

et le Printemps des Poètes rend hommage à Guillevic né en 1907.

Textes de France   PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (France)
Textes "d'ailleurs"  > PRINT POÈTES 2008 : L'AUTRE (Monde)

Textes de Guillevic > PRINTEMPS des POÈTES 2008 : GUILLEVIC
- - - - - - - - - - - - - - - - - - derniers textes ajoutés le 12 mars 2008   
Poésies pour la classe sur d'autres thèmes (rangement en cours) : 
POÉSIES pour la CLASSE - CYCLES 2 et 3   et    POÉSIES pour la CLASSE - CYCLE 3 et COLLÈGE

12 mars 2008

Printemps des Poètes 2009 : l'humour de JEAN TARDIEU

 sens_interdit_sourire_et_tristeLes textes publiés n'ont pas tous fait l'objet d'une demande d' autorisation.
  Les ayants droit peuvent nous en demander le retrait. 

bandeau_no_pub_ligne


Jean_Tardieu_portrait_NB

Autour du thème de l'humour, intitulé "En rires", Le Printemps des Poètes 2009 a rendu hommage à Jean Tardieu (1903-1995), écrivain français né dans le Jura, poète, auteur de théâtre et romancier.
<< Jean Tardieu à 20 ans (Photo Nadar fils).

"L'humour permet d'exprimer une drôlerie alliée à l'étrangeté, même terrifiante.
C'est ce qu' [André] Breton a fait : le surréalisme réunit les deux."

 J. Tardieu

voir aussi la catégorie PRINT POÈTES 2009 : L'HUMOUR des poètes

livre_Tardieu_le_fleuve_cach_En 1933, Jean Tardieu publie une plaquette de poèmes lyriques intitulés "Le fleuve caché".

En 1968 est paru dans la collection Poésie-Gallimard, Le fleuve caché (Poésies 1938-1961), qui comprend les recueils : Accents (1939 et 1966) ; Le Témoin invisible (1943) ; Jours pétrifiés (1947) ; Monsieur monsieur* (1951) ; Une Voix sans personne (1954) ;  Histoires obscures (1961). Bizarrement, le livre ne reprend pas la plaquette de 1933.
*
Sur la couverture de l''ouvrage original, pas de majuscules, les références bibliographiques en mettent une au premier "Monsieur", et dans ses textes, Jean Tardieu écrit les deux "Monsieur" avec une majuscule. Quoi de plus simple ?...

Un autre volume a été édité dans la même collection de poche Poésie-Gallimard en 1986 sous le titre "L'accent grave et l'accent aigu". Il rassemble les recueils originaux Formeries (1976), Comme ceci comme cela (1979) et Les tours de Trébizonde (1983).
Les ouvrages de la collection Poésie-Gallimard sont vendus neufs à environ 8 €.

 La plupart des textes proposés ci-dessous sont extraits de "Monsieur monsieur" paru initialement en 1951 chez Gallimard. Pour des questions de droits d'auteur, le choix est limité. On se reportera aux anthologies et aux recueils de Jean Tardieu.

Jean Tardieu est aussi l'auteur de petites comédies (La Comédie du langage, La Comédie de la comédie, La Comédie du drame, Poèmes à jouer ...)


 

12 mars 2008

JEAN TARDIEU - Sélection de textes

- SOMMAIRE -

Monsieur monsieur

  • Les difficultés essentielles [+ création poétique]
  • Monsieur interroge Monsieur
  • Voyage avec Monsieur Monsieur
  • Le tombeau de Monsieur Monsieur

Monsieur monsieur - Colloques et interpellations"

  • Les erreurs
  • La môme néant
  • Conversation
  • Conseils donnés par une sorcière

Monsieur monsieur - Metaphysical poetry

  • Le dilemme

Monsieur monsieur - Chansons avec ou sans musique

  • Rengaine à pleurer
  • Comptine
  • Chœur d'enfants
  • La place de la Concorde

Monsieur monsieur - Six études pour la voix seule

  • Étude de voix d'enfant

Formeries - Les beaux métiers

  • L'éternel enfant

Comme ceci comme cela

  • Récatonpilu ou Le jeu du poulet
  • Au conditionnel

Il était une fois, deux fois, trois fois...  [+ création poétique] logo_cr_ation_po_tique

  • Les aventures d’une famille de chats
  • La nièce attentionnée
  • [avec deux exemples de comptines traditionnelles]
12 mars 2008

JEAN TARDIEU - Monsieur monsieur - chapitre Monsieur monsieur

1. recueil Monsieur monsieur

livre_Tardieu_monsieurMonsieur monsieur - chapitre Monsieur monsieur

En présentation cette première partie, Jean Tardieu précise :

"C'est au carrefour du Burlesque et du Lyrique (il faisait froid, le vent de l'espace agitait les haillons d'un épouvantail), c'est sur ce miteux théâtre de marionnettes où vont tout à l'heure apparaître deux Monsieur identiques dont chacun n'est que l'ombre de l'autre, des jocrisses jouant au philosophe, des éléments éternels réduits à des dimensions ridicules, des sentiments vrais représentés par leur propre parodie, — c'est là que je m'étais caché pour écrire ces poèmes.
On trouvera donc ici presque plus de pantomimes et de grimaces que de mots. Si le lecteur consent à devenir complice du
jeu, s'il parle et vit mes fantoches en les lisant, s'il entend sa propre voix intérieure moduler des accents grotesques, irréels à force de niaiserie, s'il sent son masque parcouru de tics nerveux, annonciateurs d'une gesticulation idiote et libératrice,
alors

MONSIEUR MONSIEUR

aura gagné."

Un passage du texte ci-dessous a été supprimé pour les élèves: [...]

Les difficultés essentielles

Monsieur met ses chaussures
Monsieur les lui retire,

Monsieur met sa culotte
Monsieur la lui déchire,

Monsieur met sa chemise
Monsieur met ses bretelles
Monsieur met son veston
Monsieur met ses chaussures :
au fur et à mesure
Monsieur les fait valser.

Quand Monsieur se promène
Monsieur reste au logis

quand Monsieur est ici
Monsieur n'est jamais là

[...]

s'il part pour la forêt
c'est qu'il s'installe en ville,

lorsqu'il reste tranquille
c'est qu'il est inquiet

il dort quand il s'éveille,
il pleure quand il rit

au lever du soleil
voici venir la nuit ;

Vrai ! c'est vertigineux
de le voir coup sur coup
tantôt seul tantôt deux
levé couché levé
debout assis debout!

Il ôte son chapeau
il remet son chapeau
chapeau pas de chapeau
pas de chapeau chapeau
et jamais de repos.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

logo_cr_ation_po_tique À la manière de Monsieur monsieur : On peut reprendre cette structure en imaginant d'autres péripéties pour le duo Monsieur monsieur. Les noms des personnages  pourront être adaptés aux situations. Voir aussi "Toujours et Jamais", de Paul Vincensini, sur le blog.
Et appréciez dans un CM1, (cliquer ici) le travail de création poétique à partir du poème de Jean Tardieu

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Monsieur interroge Monsieur (extrait, trois strophes ont été coupées : [...])

Monsieur pardonnez-moi
de vous importuner
quel bizarre chapeau
vous avez sur la tête !

- Monsieur vous vous trompez
car je n'ai plus de tête
comment voulez-vous donc
que je porte un chapeau !

- Et quel est cet habit
dont vous êtes vêtu ?

- Monsieur je le regrette
mais je n'ai plus de corps
et n'ayant plus de corps
je ne mets plus d'habit

- Pourtant lorsque je parle
Monsieur vous répondez
et cela m'encourage
à vous interroger :
Monsieur quels sont ces gens
que je vois rassemblés
et qui semblent attendre
avant de s'avancer ?

- Monsieur ce sont des arbres
dans une plaine immense
Ils ne peuvent bouger
car ils sont attachés

Monsieur Monsieur Monsieur
au-dessus de nos têtes
Quels sont ces yeux nombreux
qui dans la nuit regardent ?

- Monsieur ce sont des astres
Ils tournent sur eux-même
et ne regardent rien

[...]

- Monsieur soudain ceci
soudain ceci m'étonne
Il n'y a plus personne
pourtant moi je vous parle
et vous vous m'entendez
puisque vous répondez !

- Monsieur ce sont les choses
qui ne voient ni entendent
mais qui voudraient entendre
et qui voudraient parler

- Monsieur à travers tout
quelles sont ces images
tantôt en liberté
et tantôt enfermées
Cette énorme pensée
Où des figures passent
Où brillent des couleurs ?

- Monsieur c'était l'espace
et l'espace
se meurt

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Voyage avec Monsieur Monsieur

Avec Monsieur Monsieur
je m'en vais en voyage.
Bien qu'ils n'existent pas
je porte leurs bagages.
Je suis seul et ils sont deux.

Lorsque le train démarre
je vois sur leur visage
la satisfaction
de rester immobile
quand tout fuit autour d'eux.

Comme ils sont face à face
chacun a ses raisons.
L'un dit : les choses viennent
et l'autre : elles s'en vont;
quand le train les dépasse
est-ce que les maisons
subsistent ou s'effacent ?
moi je dis qu'après nous
ne reste rien du tout.

Voyez comme vous êtes !
lui répond le premier,
pour vous rien ne s'arrête
moi je vois l'horizon
de champs et de villages
longuement persister.
Nous sommes le passage
nous sommes la fumée ...

C'est ainsi qu'ils devisent
et la discussion
devient si difficile
qu'ils perdent la raison.
Alors le train s'arrête
avec le paysage
alors tout se confond.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Le tombeau de Monsieur Monsieur

Dans un silence épais
Monsieur et Monsieur parlent
c'est comme si Personne
avec Rien dialoguait.

L'un dit : Quand vient la mort
pour chacun d'entre nous
c'est comme si personne
n'avait jamais été.
Aussitôt disparu
qui vous dit que je fus ?

- Monsieur, répond Monsieur,
plus loin que vous j'irai :
aujourd'hui ou jamais
je ne sais si j'étais.
Le temps marche si vite
qu'au moment où je parle
(indicatif-présent)
je ne suis déjà plus
ce que j'étais avant.
Si je parle au passé
ce n'est pas même assez
il faudrait je le sens
l'indicatif-néant.

- C'est vrai, reprend Monsieur,
sur ce mode inconnu
je conterai ma vie
notre vie à tous deux :
À nous les souvenirs !
Nous ne sommes pas nés
nous n'avons pas grandi
nous n'avons pas rêvé
nous n'avons pas dormi
nous n'avons pas mangé
nous n'avons pas aimé.

Nous ne sommes personne
et rien n'est arrivé.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)


12 mars 2008

JEAN TARDIEU - Monsieur monsieur - Colloques et interpellations

Monsieur monsieur - chapitre Colloques et interpellations

Jean Tardieu donne des indications pour la diction théâtrale de ses textes, petites saynètes comiques aux dialogues décalés, autour de l'identité, quand il faut trouver sa place entre l'interrogation sur le néant et le dérisoire de l'existence.
Les indications de l'auteur sont portées sous le titre en italique.

Les erreurs
(La première voix est posée, polie, maniérée et prétentieuse; l’autre est rauque, méchante et dure.)

Je suis ravi de vous voir
bel enfant vêtu de noir.

- Je ne suis pas un enfant
je suis un gros éléphant.

Quelle est cette femme exquise
qui savoure des cerises ?

- C’est un marchand de charbon
qui s’achète du savon.

Ah! que j’aime entendre à l’aube
roucouler cette colombe !

- C’est un ivrogne qui boit
dans sa chambre sous le toit.

Mets ta main dans ma main tendre
je t’aime ô ma fiancée!

- Je n’suis point vot’ fiancée
je suis vieille et j’suis pressée
laissez-moi passer !

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

La môme néant
(Voix de marionnette, voix de fausset, aiguë, nasillarde, cassée, cassante, caquetante, édentée.)

Quoi qu’a dit* ?
- A dit rin.

Quoi qu’a fait ?
- A fait rin.

A quoi qu’a pense ?
- A pense à rin.

Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?

- A’xiste pas.

* Qu'est-ce qu'elle dit ? - Elle ne dit rien.
Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

On peut écouter ici l'auteur disant "La môme néant" : http://www.koikadit.net/Accueil/mmntacc.html

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Conversation
(sur le pas de la porte, avec bonhomie)

Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte.

Et les volcans ?
- Ça mijote.

Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.

Et le temps
- Ça se déroule.

Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Conseils donnés par une sorcière
(À voix basse , avec un air épouvanté, à l’oreille du lecteur.)

Retenez vous de rire
dans le petit matin !

N’écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins !

Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu’après minuit sonné !

À la neige, à la pluie
ne tendez pas la main !

N’ouvrez votre fenêtre
qu’aux petites planètes
que vous connaissez bien !

Confidence pour confidence :
vous qui venez me consulter,
méfiance, méfiance !
On ne sait pas ce qui peut arriver.

Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)


Publicité
Publicité