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lieu commun

29 avril 2007

Amérique du Nord - Indiens - Poèmes traditionnels

Crowfoot (1830-1890) est le principal chef de tribu Pieds-Noirs (Blackfeet). C'est à ce titre qu'il a négocié et signé le Traité qui assure la survie des Indiens au prix de la confiscation de la presque totalité de leur territoire.

Qu'est-ce que la vie ?

C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.
C'est le souffle d'un bison en hiver.
C'est la petite ombre qui court dans l'herbe
et se perd au coucher du soleil.

Crowfoot, chef Blackfeet, en 1880


Chanson pour les arbres et les rivières

Noire sur le ciel,
Cette lointaine ligne là-bas s'étire devant nos yeux.
Nous voyons des arbres, une longue rangée d'arbres
Qui s'inclinent et balancent à la brise.
Claire d'éclats lumineux,
Cette lointaine ligne là-bas court devant nos yeux,
Court prestement, preste court la rivière
Qui parcourt le pays en sinuant.

Écoutez ! Écoutez plutôt !

Un son, ce son lointain là-bas,
Qui vient nous saluer, en chantant vient,
Douce chanson de la rivière
Qui doucement murmure sous les arbres.

Chanson de la tribu Pawnee


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29 avril 2007

Amérique du Nord - Québec - France Bonneau

France Bonneau est une poétesse du Québec, née en 1949. Engagée pour la défense de l'identité québécoise, combattante des droits de l'Homme, elle a publié des textes et des poèmes dans différentes revues littéraires (Estuaire, Exit, Brèves Littéraires, Les Saisons littéraires, etc.), participé à des lectures publiques et écrit des spectacles de théâtre poétiques ("Au bout de l'exil", en mai 2006).

"Je viens de mille survivances" ...

De quel feu ?

De quel amour, de quel visage
De quelle fatigue es-tu ?
De quel fracas est ton œil
De quelle étoile viens-tu ?

Je viens de mille survivances
De mille peines
De mille chemins
Je viens d'une seule aurore
D'un seul matin

Mais de quelle ville, de quelle montagne
De quelle patience es-tu ?
De quel feu est ton œil
De quel astre viens-tu ?

Je viens de mille côtes
De mille sites
De mille partages

Je viens du désir enfin !

Quand dans l'avant-jour, je largue les amarres
C'est que j'espère encore !

France Bonneau


29 avril 2007

Amérique du Nord - Québec - Gilles Vigneault

Gilles Vigneault est né en 1928. C'est un poète et un chanteur (auteur-compositeur-interprète). Voir ici sur le blog un autre texte : J'ai pour toi un lac.
Certains termes ou expressions sont particulières au français du Québec, on les reconnaîtra au passage.

Mon pays

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m'en vais être fidèle
A sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
A tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
A préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers

Gilles Vigneault


Les gens de mon pays

Les gens de mon pays
Ce sont gens de paroles
Et gens de causerie
Qui parlent pour s'entendre
Et parlent pour parler
Il faut les écouter
C'est parfois vérité
Et c'est parfois mensonge
Mais la plupart du temps
C'est le bonheur qui dit
Comme il faudrait de temps
Pour saisir le bonheur
A travers la misère
Emmaillée au plaisir
Tant d'en rêver tout haut
Que d'en parler à l'aise

Parlant de mon pays
Je vous entends parler
Et j'en ai danse aux pieds
Et musique aux oreilles
Et du loin au plus loin
De ce neigeux désert
Où vous vous entêtez
A jeter des villages
Je vous répéterai
Vos parlers et vos dires
Vos propos et parlures
Jusqu'à perdre mon nom
O voix tant écoutées
Pour qu'il ne reste plus
De moi-même qu'un peu
De votre écho sonore

Je vous entends jaser
Sur les perrons des portes
Et de chaque côté
Des cléons des clôtures
Je vous entends chanter
Dans ma demi-saison
Votre trop court été
Et mon hiver si longue
Je vous entends rêver
Dans les soirs de doux temps
Il est question de vents
De vente et de gréements
De labours à finir
D'espoirs et de récolte
D'amour et du voisin
Qui veut marier sa fille

Voix noires et voix durcies
D'écorce et de cordage
Voix des pays plain-chant
Et voix des amoureux
Douces voix attendries
Des amours de village
Voix des beaux airs anciens
Dont on s'ennuie en ville
Piailleries d'écoles
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts les quais les gares
Tous vos cris maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m'arrachent l'oreille

Est-ce vous que j'appelle
Ou vous qui m'appelez
Langage de mon père
Et patois dix-septième
Vous me faites voyage
Mal et mélancolie
Vous me faites plaisir
Et sagesse et folie
Il n'est coin de la terre
Où je ne vous entende
Il n'est coin de ma vie
A l'abri de vos bruits
Il n'est chanson de moi
Qui ne soit toute faite
Avec vos mots vos pas
Avec votre musique

Je vous entends rêver
Douce comme rivière
Je vous entends claquer
Comme voile du large
Je vous entends gronder
Comme chute en montagne
Je vous entends rouler
Comme baril de poudre
Je vous entends monter
Comme grain de quatre heures
Je vous entends cogner
Comme mer en falaise
Je vous entends passer
Comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté

Gilles Vigneault


29 avril 2007

Amérique du Sud - Chili - Gabriela Mistral

Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.
Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.

Voici un premier texte :

Où ferons-nous la ronde ?

Où ferons-nous la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.

Gabriela Mistral ( "Désolation"  - 1922) (traduction proposée par  Lieucommun) 

¿En dónde tejemos la ronda?

¿En dónde tejemos la ronda?
¿La haremos a orillas del mar?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿La haremos al pie de los montes?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !

Gabriela Mistral ("Desolación"  - 1922) 


Dans ce deuxième texte, l'auteur décrit "trois arbres" de Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans), avec à l'ouest des forêts millénaires.
C'est en Patagonie que se trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant" dans la langue des indiens).

Trois arbres

Trois arbres tombés
sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.

Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum
de leur flanc ouvert.

L'un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l'autre
et ses blessures sont pareilles
à des yeux pleins de prière.

Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de douleur**.

Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation"  - 1922).

* dans le sens de converser     -   ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil". J'ai préféré "douleur".
Traduction de Mathilde Pomès, auteur de "Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)

Tres árboles

Tres árboles caídos
quedaron a la orilla del sendero.
El leñador los olvidó, y conversan
apretados de amor, como tres ciegos.

El sol de ocaso pone
su sangre viva en los hendidos leños
¡y se llevan los vientos la fragancia
de su costado abierto!

Uno torcido, tiende
su brazo inmenso y de follaje trémulo
hacia el otro, y sus heridas
como dos ojos son, llenos de ruego.

El leñador los olvidó. La noche
vendrá. Estaré con ellos.

Recibiré en mi corazón sus mansas
resinas. Me serán como de fuego.
¡Y mudos y ceñidos,
nos halle el día en un montón de duelo !

Gabriela Mistral ("Paisajes de la Patagonia" en "Desolación"  - 1922)
Ce texte a été chanté (en espagnol) par le chilien Angel Parra (en 1995 dans "Gabriela Mistral: "amado, apresura el paso")


29 avril 2007

"L'autre" - Alain Bosquet

Anatole Bisk (1919-1998) a pris Alain Bosquet comme nom d'auteur. C'est un écrivain et poète français d'origine russe.
D'Alain Bosquet, on trouvera le texte "Le cheval chante" dans la catégorie poésies Cycle 2.

Passage d'un poète

Le poète est passé : un remous dans l'argile
se dresse en monument,
avec soudain le bras qui se profile,
la lèvre et l'oeil aimants.

Le poète est passé : le ruisseau qui hésite,
devient fleuve royal ;
il n'a plus de repos ni de limites :
il ressemble au cheval.

Le poète est passé ; au milieu du silence
s'organise un concert,
comme un lilas ; une pensée se pense,
le monde s'est ouvert.

Le poète est passé ; un océan consume
ses bateaux endormis.
La plage est d'or et tous les ors s'allument
pour s'offrir aux amis.

Le poète est passé : il n'est plus de délire
qui ne soit œuvre d'art.
Le vieux corbeau devient un oiseau-lyre.
Il n'est jamais trop tard

pour vivre quinze fois : si le poète hirsute
repasse avant l'été,
consultez-le car de chaque minute
il fait l'éternité.

Alain Bosquet ("Un jour après la vie" - éditions Gallimard, 1984)


Un enfant m’a dit

Un enfant m’a dit :
"La pierre est une grenouille endormie."
Un autre enfant m’a dit :
"Le ciel, c’est de la soie fragile."
Un troisième enfant m’a dit :
"L’océan, quand on lui fait peur, il crie."
Je ne dis rien, je souris.
Le rêve de l’enfant, c’est une loi.
Et puis, je sais que la pierre,
Vraiment, est une grenouille,
Mais au lieu de dormir
Elle me regarde.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)


La trompe de l'éléphant

La trompe de l'éléphant,
c'est pour ramasser les pistaches :
pas besoin de se baisser.

Le cou de la girafe,
c'est pour brouter les astres :
pas besoin de voler.

La peau du caméléon,
verte, bleue, mauve, blanche,
selon sa volonté,
c'est pour se cacher des animaux voraces :
pas besoin de fuir.

La carapace de la tortue,
c'est pour dormir à l'intérieur,
même l'hiver :
pas besoin de maison.

Le poème du poète,
c'est pour dire tout cela
et mille et mille et mille autres choses :
pas besoin de comprendre.

Alain Bosquet ("Le cheval applaudit" - Enfance heureuse, éditions Ouvrières, 1977)



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29 avril 2007

"L'autre" - Alain Boudet

Alain Boudet est né en 1950. Il exerce le matier de documentaliste et a publié une vingtaine de recueils de poésie, des textes de chansons pour des auteurs compositeurs-interprètes, etc (voir son site).

Pas de titre pour ces deux textes :

Elle souffle sur la lune
et fait tomber le ciel
dans la buée du soir.

Et quand la lune éclate
on voit soudain filer le rire des étoiles.

Alain Boudet ("Poèmes pour sourigoler" - Blanc Silex, 1999)


J'ai crabouillé mes pieds
J'ai cramoné mes mains
J'ai crapulé mes yeux
J'ai craboté mon nez
J'ai crapoussé mes joues
J'ai cralouché ma bouche.
J'ai cradoqué mes dents

Mon petit crapounet
je suis crafatigué !

Alain Boudet ("Poèmes pour sourigoler" - Blanc Silex, réédition 2001)


29 avril 2007

"L'autre" - Michel Bühler

Michel Bühler est auteur-compositeur-interprète, alors bien sûr, que c'est une chanson, mais lisez quand même ce texte, dont vous ignorez peut-être la mélodie, et dites-moi ce qu'il lui manque pour s'appeler poème ...
Il était déjà présent sur le blog.

Étranger

Si la pluie en torrents
Tombe sur les genêts,
Si le brouillard descend
A l'orée des forêts,
Si ta route se perd,
Si tu es fatigué,
Si le vent de l'hiver
Souffle dans la vallée,

Étranger, étranger,
Viens frapper à notre porte,
Nous ne demanderons pas
Qui tu es, ni où tu vas,
Nous ne demanderons rien,
Viens.

Si tu n'as pas trouvé
De ruisseau en chemin,
Si l'eau n'a pas coulé
Dans le creux de tes mains,
Si la faim te poursuit
Comme une louve avide,
Dans le froid et la nuit,
Si ta besace est vide,

Étranger, étranger,
Viens t'asseoir à notre table,
Nous ne demanderons pas
Qui tu es, ni où tu vas,
Nous ne demanderons rien,
Viens.

Si tu veux raconter
La douceur de chez toi,
Si ton coeur veut chanter
Des refrains de là-bas,
Ou si, plus simplement,
Tu ne veux que te taire,
Et regarder longtemps
Le feu et sa lumière,

Étranger, étranger,
Reste encore pour la veillée,
Nous ne demanderons pas
Qui tu es, ni où tu vas,
Nous ne demanderons rien,
Mais viens.

Nous ne demanderons pas
Qui tu es, ni où tu vas,
Nous ne demanderons rien,
Viens.

Michel Bühler (Paroles et musique) en 1971


29 avril 2007

"L'autre" - Michel Butor

Michel Butor, né en 1926, universitaire, est un écrivain (plus de 200 ouvrages, davantage si on considère toutes les collaborations) qui a expérimenté différentes formes de littérature (collages avec Mobiles en 1962),  Degrés en 1960. Son roman La Modification en 1957 lui a ouvert un large public.
Il est également auteur de textes sur la peinture et les peintres (Alechinsky, Rembrandt, Giacometti, Paul Delvaux ...), en collaboration avec des artistes.
C'est aussi un poète ("Travaux d'approche" Poésie - Gallimard poésie 1972) ; "Lectures transatlantiques" (avec toile peinte de Pierre Leloup,1991).
À consulter : Michel Butor par Michel Butor (Seghers, « Poètes d’aujourd’hui », 2003).

Voici comment Michel Butor termine sa propre biographie, pour Le Dictionnaire de littérature française contemporaine, en 1988 actualisée en 2003 pour la réédition (Éditions Mille et une nuits, 2004) :
"Tout en continuant à courir le monde, il s’efforce de mettre un peu d’ordre dans ses papiers et dans sa tête".

Lectures transatlantiques

                                 pour Pierre Leloup (1)

Ramper avec le serpent
se glisser parmi les lignes
rugir avec la panthère
interpréter moindre signe
se prélasser dans les sables
se conjuguer dans les herbes
fleurir de toute sa peau
Plonger avec le dauphin
naviguer de phrase en phrase
goûter le sel dans les voiles
aspirer dans le grand vent
la guérison des malaises
interroger l'horizon
sur la piste d'Atlantides

Se sentir pousser des ailes
adapter masques et rôles
planer avec le condor
se faufiler dans les ruines
caresser des chevelures
brûler dans tous les héros
s'éveiller s'émerveiller

(1) Le peintre Pierre Leloup a illustré cet ouvrage dans l'édition de 1991.
Michel Butor, 1991 ("Lectures transatlantiques" dans "À la frontière" - La Différence 1996)


Outre-Harrar  (1)

                  encore in memoriam A. R.  (2)

Frère au très loin je tourne
depuis des années sournoisement
autour de ton ombre gardée
farouchement par des spécialistes
dont tu aurais détesté la plupart
Ce qui m'a mené en maint continent
déserts ou forêts villes ou sargasses
nullement à la recherche de tes traces
mais d'un lieu pluriel d'écoute et vision
d'où poursuivre ta tentative

Stoppée par le sort après tant d'avatars
malgré tous les soins et préparations
communique-moi ta force d'écart
et ce silence à l'intérieur de tous les mots
dont la mort ne pourra qu'augmenter le pouvoir

(1) Harrar est le lieu où le poète (2) Arthur Rimbaud a vécu en  Éthiopie, à la fin de sa vie.  
Michel Butor, 1991 ("Lectures transatlantiques" dans "À la frontière" - La Différence 1996)


Terres africaines

L'épaisse peau du ventre tendu vibrant comme un arc
l'épaisse pluie sur les ténèbres de la case
l'épaisse nuit marbrée d'éclairs et de grondements
l'épaisse chaleur dégoulinant de sueur et de sève
d'épaisses larmes de lait de sang d'urine et de sperme
l'épaisse foule de solitudes croisant leurs jambes dans la danse
l'épaisse rumeur de l'épaisse forêt dans un infime coin de l'espace désert

Michel Butor, 1991 ("Lectures transatlantiques" dans "À la frontière" - La Différence 1996)



29 avril 2007

"L'autre" - René-Guy Cadou

René Guy Cadou (1920-1951) avait écrit, comme une prémonition : "Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre". À partir de 1943, Hélène, épousée en 1946, l'accompagne pour ce temps si court qu'il lui reste à vivre. Hélène Cadou, poète comme lui, pour qui il a écrit "Hélène ou le règne végétal", publié en février 1951 (Le poète est mort de maladie en mars de la même année, à 31 ans).

Je t'atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière...
René Guy Cadou


Son œuvre poétique complète, "
Poésie, la vie entière", est parue en 1976 chez l'éditeur Pierre Seghers (poète également).

Voir d'autres textes de l'auteur sur le blog ici : POÉSIES PAR THÈME : l'école

Le poème qui suit fait référence à l'exécution des otages de Chateaubriant (dont Guy Môquet), le 22 octobre 1941.

Les fusillés de Chateaubriant

Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d'étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d'amour
Ils n'ont pas de recommandations à se faire
Parce qu'ils ne se quitteront jamais plus
L'un d'eux pense à un petit village
Où il allait à l'école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n'entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu'ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.

René-Guy Cadou ("Pleine Poitrine" - 1946 ; texte emprunté à "Poèmes d'aujourd'hui pour les enfants de maintenant" - Jacques Charpentreau - éd Ouvrières)


Un homme

Un homme
Un seul un homme
Et rien que lui
Sans pipe sans rien
Un homme
Dans la nuit un homme sans rien
Quelque chose comme une âme sans son chien
La pluie
La pluie et l’homme
La nuit un homme qui va
Et pas un chien
Pas une carriole
Une flaque
Une flaque de nuit
Un homme.

René-Guy Cadou ("Le diable et son train" - 1949)
Le recueil "Le diable et son train" a été écrit et dessiné à la main par Yves Trévédy, Guy Bigo (peintres-illustrateurs) et René Guy Cadou, en  21 exemplaires.



29 avril 2007

"L'autre" - Maurice Carême

Maurice Carême, instituteur belge (1899-1978) est présent dans chaque cahier de poésie des élèves de France et de Navarre (et de Belgique bien sûr). voir dans POÉSIES pour la CLASSE - CYCLES 2 et 3 et dans POÉSIES PAR THÈME : l'école

Il porte un oiseau dans son cœur

Il porte un oiseau dans son cœur,
L'enfant qui joue des heures, seul,
Avec des couronnes de fleurs
Sous l'ombre étoilée du tilleul.
Il semble toujours étranger
À ce qu'on fait, à ce qu'on dit
Et n'aime vraiment regarder
Que le vent calme du verger.
Autour de lui, riant d'échos,
Le monde est rond comme un cerceau.

Maurice Carême


Belle de jour ...

Belle de jour, belle de nuit
Joue de velours, fleur de Paris,
A glisser, patins étincellent ;
Coeur, à roucouler s'enhardit
Et devient un jour tourterelle.
Est toujours belle qui sourit ...
Et douce glisse la souris.

Maurice Carême ("L'oiseleur")


Bonté

Il faut plus d'une pomme
Pour emplir un panier.
Il faut plus d'un pommier
Pour que chante un verger.
Mais il ne faut qu'un homme
Pour qu'un peu de bonté
Luise comme une pomme
Que l'on va partager.

Maurice Carême



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