Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.
Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.
Voici un premier texte :
Où ferons-nous la ronde ?
Où ferons-nous la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.
Gabriela Mistral ( "Désolation" - 1922) (traduction proposée par Lieucommun)
¿En dónde tejemos la ronda?
¿En dónde tejemos la ronda?
¿La haremos a orillas del mar?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿La haremos al pie de los montes?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !
Gabriela Mistral ("Desolación" - 1922)
Dans ce deuxième texte, l'auteur décrit "trois arbres" de Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans), avec à l'ouest des forêts millénaires.
C'est en Patagonie que se trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant" dans la langue des indiens).
Trois arbres
Trois arbres tombés
sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.
Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum
de leur flanc ouvert.
L'un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l'autre
et ses blessures sont pareilles
à des yeux pleins de prière.
Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de douleur**.
Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation" - 1922).
* dans le sens de converser - ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil". J'ai préféré "douleur".
Traduction de Mathilde Pomès, auteur de "Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)
Tres árboles
Tres árboles caídos
quedaron a la orilla del sendero.
El leñador los olvidó, y conversan
apretados de amor, como tres ciegos.
El sol de ocaso pone
su sangre viva en los hendidos leños
¡y se llevan los vientos la fragancia
de su costado abierto!
Uno torcido, tiende
su brazo inmenso y de follaje trémulo
hacia el otro, y sus heridas
como dos ojos son, llenos de ruego.
El leñador los olvidó. La noche
vendrá. Estaré con ellos.
Recibiré en mi corazón sus mansas
resinas. Me serán como de fuego.
¡Y mudos y ceñidos,
nos halle el día en un montón de duelo !
Gabriela Mistral ("Paisajes de la Patagonia" en "Desolación" - 1922)
Ce texte a été chanté (en espagnol) par le chilien Angel Parra (en 1995 dans "Gabriela Mistral: "amado, apresura el paso")