Michel BUTOR - PRINT POÈTES 11 : Butor Depestre Velter White
Michel
Butor, homme d'expériences
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quelques-unes des différentes "Modifications" apportées au roman de Michel Butor
"... Butor sait manier le langage comme un peintre sa palette ou un musicien son instrument, il veut tout signifier, tout suggérer, tout recréer, qu’il s’agisse d’un tableau, d’une mélodie ou d’un périple en eaux profondes..." (André Velter)
Michel Butor, né en 1926, a connu le succès littéraire et obtenu le prix Renaudot en 1957 avec son troisième roman, "La Modification" (éditions de Minuit), ouvrage qui implique le lecteur (voir le lien interview ci-dessous) et fait entrer son auteur dans la catégorie des écrivains du "nouveau roman" (en compagnie d'Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon ...) Mais les étiquettes glissent sur Michel Butor, perpétuel aventurier de la littérature, ouvert à toutes les expériences, et "Degrés", roman publié en 1960, est sa dernière contribution à l'écriture linéaire.
Il s'évade, si on peut dire, de la forme romanesque avec des collages (Mobiles, 1962), des livres-objets poétiques, manuscrits, en collaboration avec d'autres artistes, plasticiens, peintres, photographes, renouvelant ainsi en toute liberté la symbiose écriture-graphisme expérimentée par les Surréalistes (Paul Éluard, Max Ernst). Il écrit aussi, toujours en collaboration avec des artistes, sur la peinture et les peintres
(Alechinsky, Rembrandt, Giacometti, Paul Delvaux ...).
Son œuvre poétique se caractérise par l'inventivité du langage et l'évolution vers d'autres univers
artistiques dans lesquels elle s'inscrit. Michel Butor n'écrit pas des poèmes à illustrer, mais on pourrait pratiquement dire qu'il illustre de ses textes les créations artistiques ("Travaux d'approche", Poésie/Gallimard, 1972) ; "Lectures transatlantiques" (avec toile peinte de
Pierre
Leloup,1991). L'humour, et l'auto-dérision sont prégnants dans l'observation des comportements sociaux. On est bien embarrassé pour classer les œuvres manuscrites de Michel Butor (ah, cette manie des étiquettes !) dans la catégorie "poésie" ou "art plastique" ou toute autre (peut-être "tout-autre" ?).
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Voici comment Michel Butor termine sa propre biographie, pour Le
Dictionnaire de littérature française contemporaine, en 1988
actualisée pour la réédition (Éditions Mille et une nuits, 2004) :
"Tout en continuant à courir le monde, il
s’efforce de mettre un peu
d’ordre dans ses papiers et dans sa tête".
"Zoo", de Michel Butor, pour les enfants, illustrations d'Olivier Tallec (Rue du Monde, 2001)
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Petite bibliographie poétique
- Anthologie nomade (Poésie/Gallimard, 2004) ; L’horticulteur itinérant (Éditions Léo Scheer, 2004) ; Collation (édité par "L'Instant perpétuel", 1991, avec 15 encres de Michel Sicard, et réédité plus simplement par Seghers en 2003), Travaux d'approche (Poésie/Gallimard, 1972) ; À la frontière, (éditions de La Différence 1996) ...
- D'autres ouvrages mêlant textes poétiques, peintures, collages... ont été édités par "L'Instant perpétuel", ainsi en 2008, Sous les yeux des blockhaus désaffectés, dont on trouvera plus loin un passage.
- Une auto-biographie augmentée de textes : Michel Butor par Michel Butor, présentation et anthologie - Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 2003). Le livre Michel Butor par François Aubral (dans la même collection Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1973) n'est plus disponible, mais on peut le trouver encore en occasion.
- Après plusieurs ouvrages, les éditions de La Différence entreprennent en 2004 la publication des Œuvres complètes de Michel Butor. Douze volumes sont prévus, au rythme de deux par an. Le XIIe tome, le dernier selon le projet (mais Michel Butor se porte bien, il en faudra davantage !) vient de paraître, en octobre 2010 (Œuvres complètes de Michel Butor, sous la direction de Mireille Calle-Gruber, Poésie 3, éditions de La Différence, 2010 -1120 pages, 49 €). Il regroupe des textes poétiques de l'auteur de 2004 à 2009. Voici le résumé de présentation de l'éditeur : Ce volume XII des oeuvres complètes est un recueil de livres eux-mêmes recueils de textes différents, où Butor voyage selon plusieurs moyens de locomotion : tantôt avec l’alphabet, tantôt avec les images des peintres et celles des paysages, tantôt encore avec les légendes et les monuments archéologiques. Il invente ainsi une façon poétique de « cultiver son jardin » et d’acclimater tout ce qui fleurit sur la terre et dans la rhétorique des langues. Des textes poétiques étaient déjà parus dans les Oeuvres Complètes : le volume IV (Poésie - Tome 1, 1948-1983) et le volume IX (Poésie - Tome 2, 1984-2003).
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Une interview de Michel Butor par Pierre Dumayet, en 1957, à propos de La modification est visible sur le site de l'INA (copier-coller le lien) : http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I00013072/michel-butor-a-propos-de-la-modification.fr.html
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Quelques-uns des poèmes qui suivent sont empruntés au site fabuleux qu'Henri Desoubeaux a dédié à Michel Butor, et où il a rassemblé, avec le "dictionnaire Butor", bien d'autres textes (copier-coller le lien) : http://henri.desoubeaux.pagesperso-orange.fr
Mais les deux premiers textes ("Dé" et "Jour de cafard") ont été empruntés sur le site que Michel Butor gère lui-même, et où il poste des poésies "au jour le jour".
On peut y prendre, avec modération, de bonnes nouvelles de l'auteur ;-) - copier-coller le lien pour une visite : http://michel.butor.pagesperso-orange.fr/Poesie_au_jour_le_jour_1.html
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DÉ
pour Julius B.
Un Toi
Deux Nous
Trois Ciel
Quatre Couleurs
Cinq Main
Six Dé Jouez
Michel
Butor (Livre Baltazar*)
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Jour de cafard
pour Henri Maccheroni
D'abord on n'a pas entendu le réveil et se levant en toute hâte
on se meurtrit le gros orteil contre un outil oublié
En se rattrapant au mur on fait tomber une gravure précieuse
dont la vitre vole en éclats les plombs sautent
Dès qu'ils sont enfin réparés le facteur sonne
apportant un avis recommandé du contrôleur des contributions
Alors on voit qu'un bouton manque au col de la chemise qu'on vient d'enfiler
c'est le moment que choisit la dent creuse pour vous rappeler
qu'il est urgent de la faire soigner
Michel
Butor (Livre Maccheroni*) *les mentions mises ici entre parenthèses suivent le texte
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Lectures transatlantiques
pour Pierre Leloup (1)
Ramper avec le serpent
se glisser parmi les lignes
rugir avec la panthère
interpréter moindre signe
se prélasser dans les sables
se conjuguer dans les herbes
fleurir de toute sa peau
Plonger avec le dauphin
naviguer de phrase en phrase
goûter le sel dans les voiles
aspirer dans le grand vent
la guérison des malaises
interroger l'horizon
sur la piste d'Atlantides
Se sentir pousser des ailes
adapter masques et rôles
planer avec le condor
se faufiler dans les ruines
caresser des chevelures
brûler dans tous les héros
s'éveiller s'émerveiller
(1) Le peintre Pierre Leloup a illustré cet ouvrage dans l'édition de 1991.
Michel Butor, 1991 ("Lectures transatlantiques" dans "À la
frontière" - éditions de La Différence 1996)
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Outre-Harrar (1)
encore in memoriam A. R. (2)
Frère au très loin je tourne
depuis des années sournoisement
autour de ton ombre gardée
farouchement par des spécialistes
dont tu aurais détesté la plupart
Ce qui m'a mené en maint continent
déserts ou forêts villes ou sargasses
nullement à la recherche de tes traces
mais d'un lieu pluriel d'écoute et vision
d'où poursuivre ta tentative
Stoppée par le sort après tant d'avatars
malgré tous les soins et préparations
communique-moi ta force d'écart
et ce silence à l'intérieur de tous les mots
dont la mort ne pourra qu'augmenter le pouvoir
(1) Harrar est le lieu où le poète (2) Arthur Rimbaud a vécu en Éthiopie, à la fin de sa vie.
Michel Butor ("Lectures transatlantiques" dans "À la
frontière" - éditions de La Différence 1996)
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Terres africaines
L'épaisse peau du ventre tendu vibrant comme un arc
l'épaisse pluie sur les ténèbres de la case
l'épaisse nuit marbrée d'éclairs et de grondements
l'épaisse chaleur dégoulinant de sueur et de sève
d'épaisses larmes de lait de sang d'urine et de sperme
l'épaisse foule de solitudes croisant leurs jambes dans la danse
l'épaisse rumeur de l'épaisse forêt dans un infime coin de l'espace désert
Michel Butor ("Lectures transatlantiques" dans "À la
frontière" - éditions de La Différence 1996)
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Regards regards
Ouvrez les yeux
tournez autour
des yeux d’autrui
des feux de joie
d’amour ou de mélancolie
des jeux d’autrui
des feux de bois
des yeux des roses
des iris au bord des étangs
de rage ou de divination
des yeux des choses
du bois d’autrui
des feux d’iris
des yeux des murs
des jeux des rois
ouvrez les bois
tournez autour
des feux d’autrui
de leurs étangs
de rage ou de mélancolie
plongez au fond
des yeux des roses
iris d’autrui
feux des étangs
ouvrez les murs
autour des yeux
d’amour ou de divination
réchauffez-vous
éclairez-vous
enivrez-vous
aux rois des jeux
aux feux des choses
Michel Butor ("L’horticulteur itinérant", Éditions Léo Scheer, 2004)
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Les textes de Michel Butor ci-dessous sont, parmi d'autres, proposés par le site du Printemps des Poètes à l'adresse: http://www.printempsdespoetes.com (copier-coller le lien)
On peut en lire beaucoup d'autres sur le site que l'auteur gère lui-même, et où il poste ces "poésies au jour le jour" : http://michel.butor.pagesperso-orange.fr/Poesie_au_jour_le_jour_1.html (copier-coller le lien)
La fontaine de jouvence
pour Claude Viallat
1
Ruissellement
Nuages dans le ciel
vagues sur la mer
torses dans les plis
oiseaux dans les bois
Ce sont des gouttes
Nuages sur la mer
torses dans les bois
promesses des livres
caravelles sous le vent
Ce sont des sables
qui glissent
Nuages sur les bois
promesses du vent
sargasses dans la tourmente
vitraux sur la ville
Ce sont des gouttes
et des sables
qui glissent entre mes lèvres
Nuages dans le vent
sargasses de flammes
îles sur le fleuve
poissons dans la nuit
Ruissellement de sable
Michel Butor (extrait de "poésie au jour le jour 2", site de l'auteur)
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Le bourgeonnement du désert
pour Mona Saudi
1
Dans la nuit des temps
il y eut l'errance
avec les pierres dans l'attente
Dans le lointain
il y eut les premiers feux
avec la patience des pierres
Dans la distance
il y eut les peuples qu'on ne sait pas nommer
avec la taille des pierres
Dans l'oubli
il y eut les cavernes
avec l'érosion des pierres
2
Dans le silence et dans la nuit
il y eut les premières tombes
avec l'éclatement des pierres
Dans la hantise et le lointain
il y eut les premiers outils
avec le façonnement des pierres
Dans la transparence et la distance
il y eut les premiers villages
avec la solitude des pierres
Dans la mémoire et l'oubli
il y eut les premiers tissages
avec la permanence des pierres
Michel Butor (extrait de "poésie au jour le jour 5", site de l'auteur)
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Drapés de laques
pour Béatrice Mazzuri
C'est l'enveloppement d'un ciel du soir
autour des épaules de l'horizon
puis l'ombre se cristallise en braises
d'où germe un rosier de flammes
qui lèchent et carbonisent la forêt
C'est une agitation de bannières
devant les sillons qui se tordent
sous la fumée des feuilles mortes
roulement de vagues mouillées
dans le chuchotement de l'automne
C'est une rafale de neige
douce comme une caresse
au long des jambes du paysage
qui se blottit au creux du lac
entre les portes des glaciers
C'est une étole de cristaux
taillés en écailles si fines
qu'elles ruissellent sur les yeux
au moindre pas le long des falaises
dans le vertige des embruns
Michel Butor ("poésie au jour le jour 3", site de l'auteur)
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Textes manuscrits et collages composent l'ouvrage "Géographie parallèle", édité à peu d'exemplaires en 1998. Cette œuvre comprend 50 textes. Elle est l'objet d'expositions, et de textes d'accompagnements supplémentaires, tous lisibles sur le site de Michel Butor. Parmi ces textes, celui-ci a été retenu par le Printemps des Poètes :
Arborescences
pour Joël Leick
Les poussières
de l'Afrique
se sont fourrées
sous nos ongles
entre nos orteils
nos paupières
nos cheveux
et nos dents
à l'intérieur
de nos oreilles
de nos narines
où elles germent
en minuscules
radicelles
qui s'allongent
au long de nos veines
et de nos nerfs
Ainsi la brousse
et la savane
ont envahi
notre poitrine
une rauque fêlure
transforme notre voix
des baobabs
encore nains
décorent nos paumes
métamorphosant
nos lignes de vie
et de chance
il suffit maintenant
de les appliquer
à nos tempes
et nous entendons
le feulement des hyènes
Tout notre corps
est tatoué de lianes
creusées çà et là
de bassins boueux
où viennent boire
gnous et koudous
soucis et hantises
courant sur nos ventres
pour se faufiler
entre les branches
de nos genoux
notre Zambèze intérieur
quand il déborde
transfigure les vallées
qui nous entourent
en l'arbre interdit
de notre royaume perdu
Michel Butor ("Géographie parallèle", Coaraze, Amourier, collection "Carnets", 1998)
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