René DEPESTRE - PRINT POÈTES 11 : Butor Depestre Velter White
René Depestre, l'éternel dissident
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"... j'avance les pieds nus
dans l'herbe de ma négritude" ...
(René Depestre, extrait du poème "Prélude" dans le recueil "Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien", 1967)
René Depestre - Rage de vivre (Œuvres poétiques complètes, Seghers, 2006) - Cet ouvrage rassemble ses écrits poétiques, en vers et en prose, jusqu'en 2006 . Le titre "Rage de vivre", inscrit comme une devise sur le front de l'auteur, résume plutôt bien son parcours de poète et d'homme libre.
"Rage de vivre", expression qui revient souvent dans les écrits de René Depestre, est aussi le titre d'un poème :
Rage de vivre
Seuls les oiseaux confiants de l’enfance peuvent
aider un homme en exil à voyager jusqu’aux
premières années de sa vie. Ce matin d'août
le sûr radar d'un colibri guide mon sang
dans l'espace le plus secret d'un amandier
où je découvre enfin la rage et l'art de vivre
tout près de l'ordre esthétique des grands arbres.
René Depestre ("En état de poésie" - Éditeurs Français Réunis, 1980)
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René Depestre est né en Haïti en 1926 (la même année que Michel Butor). Son premier recueil de poésie, Étincelles, paraît en 1945 et le fait connaître bien au-delà des rivages de son île. Avec d'autres auteurs haïtiens, il fonde l'hebdomadaire La Ruche, à la fois revue poétique et journal contestataire, qui appelle à résister au gouvernement dictatorial d'Elie Lescot. Cette prise de position a pour conséquence l'interdiction de la revue et vaut à René Depestre un séjour en prison, mais le dictateur est renversé peu de temps après par la révolte des Haïtiens.
René Depestre participe à la création du Parti marxiste haïtien et publie un second recueil, Gerbe de sang (1946), avant d'être expulsé du pays par un nouveau régime militaire.
Il séjourne en France jusqu'en 1950, et côtoie d'autres artistes, notamment poètes et proches de ses idées : Louis Aragon, Tristan Tzara, Guillevic, Pierre Seghers, Paul Éluard, Blaise Cendrars, Édouard Glissant, Claude Roy ...
Expulsé de France pour ses prises de position contre la colonisation (fondation de la revue Présence africaine), il trouve refuge dans divers pays de l'Est, dont il critique les régimes staliniens.
Le Cuba du dictateur Battista l'attire, sans doute pour sa grande proximité avec Haïti, son île natale, mais là encore, il est banni du territoire. Après un périple qui le conduit dans divers territoires d'Amérique du Sud, où il recontre Pablo Neruda (au Chili), puis à nouveau en France, il poursuit son oeuvre poétique, plus que jamais engagée, politiquement et socialement. "Minerai noir" paraît en 1956, avec pour thème l'esclavage. C'est aussi cette année-là qu'il rompt définitivement avec le stalinisme.
Son retour à Haïti en 1957 n'est évidemment pas un heureux événement, puisque le pays vit alors sous la dictature de François Duvalier, (appelé "Papa Doc", d'où la "papadocratie", que maintiennent les tristement célèbres "Tontons Macoutes"). En 1959, séduit par l'aventure révolutionnaire cubaine, et à l'invitation du poète Nicolas Guillèn, René Depestre rejoint Fidel Castro et Che Guevara à Cuba.
Mais cet éternel dissident finira par rompre avec le régime castriste. René Depestre vit aujourd'hui dans le sud-ouest de la France ("... très loin du désert cubain qui pipait les dés du fond de mon âme"... "7 poèmes d'adieu à la révolution cubaine", 1992).
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"... Moi, je n'ai jamais connu cette sorte de malaise existentiel dû à l'exil, parce que j'emporte avec moi partout où je vais Haïti, mon chez-soi haïtien; mon chez-soi insulaire m'a toujours accompagné, mon natif natal fait parti de mon nomadisme si je peux dire" ... (René Depestre, dans un entretien avec Frantz Leconte, en 1995 - voir plus bas dans cette page).
"Haïti, il y a des centaines d'années que j'écris ce nom sur le sable, et la mer toujours l'efface."
René Depestre ("Étincelles", 1945)
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petite bibliographie
- Poésie : Étincelles, (Port-au-Prince,Haïti, Imprimerie de l'État, 1945) ; Gerbe de sang (1946) ; Végétations de clarté (1951) ; Traduit du grand large (1952) ; Minerai noir (dans la revue Présence africaine, 1956) ; Journal d'un animal marin (1964, réédité sous le même titre en 1990, augmenté d'autres recueils) ; Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien (1967) ; Cantate d'octobre (1968) ; Un poète à Cuba (1976) ; En état de poésie (1980) ; Au matin de la négritude (1990) ; Anthologie personnelle (1993, Prix Apollinaire) ; Un été indien de la parole (2001) ; Non-assistance à poètes en danger (2005) ; Rage de vivre (sous titré "Œuvres poétiques complètes", Seghers, 2006).
- Romans : Le Mât de cocagne, 1979 ; Hadriana dans tous mes rêves (Gallimard, 1988, Prix Théophraste Renaudot) ; L'oeillet ensorcelé, 2006.
- Essais : Pour la révolution pour la poésie, 1974 ; Bonjour et adieu à la négritude (1989) ; Le Métier à métisser, 1998 ; Ainsi parle le fleuve noir, 1998.
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Non-assistance à poètes en danger
La tendresse des poètes voyage
en baleine bleue autour du monde :
aidez-nous à sauver cette espèce
en voie de disparition.
René Depestre (dans le chapitre "Mythes en perdition du recueil "Non-assistance à poètes en danger" - Seghers, 2005)
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C'est pour avoir contribué, comme René Depestre, au soulèvement de 1946 contre la dictature de Lescot que le déjà poète, peintre, écrivain et futur reporter-photographe engagé Gérald Bloncourt est expulsé d'Haïti, à l'âge de vingt ans. C'est en France qu'il développera ses talents :
"J’ai vécu une bonne partie de ma vie en France, j’y ai vécu des aventures, j’y ai vécu l’amour... mais Haïti, je l’ai toujours gardée dans les entrailles". (Gérald Bloncourt)
Hasta la vista ...
à mon camarade Gérald Bloncourt
Bourreaux rendez-moi mon ami
bourreaux rendez-moi la colère de ses yeux
entre mille trahisons
vous avez choisi un lourd matin d'exil !
Mais là-bas aussi il luttera contre vous.
Que savez-vous des lèvres qui s'entendent
que savez-vous de lui, que savez-vous de la Révolution
pour vous le monde a des limites
pour vous la vie est un petit cercle
mais les buts sont pareils sur la terre de France !
Vous n'avez pas détruit nos foyers
vous n'avez pas coupé notre entente
bien haut par-dessus vos têtes d'assassins
bien haut par-dessus tant de crimes
nos mains sont soudées par l'unique espérance.
Qu'importe la distance qu'importent les vagues
qu'importe ce départ qu'importe l'au revoir
le même soleil nous éclaire
la même colère nous soulève
la Révolution est toute notre vie !
Il y eut des hommes à Guernica
il y a des hommes dans mon pays
il y a des hommes sur la terre de France
le même sang, le même espoir, le même amour.
Que ce soit ici que ce soit Paris
que ce soit Rio que ce soit Boston
le seul soir qui compte,
est celui de la Révolution !
Bourreaux rendez-moi mon ami !
Vous ne l'avez pas tué
vous ne l'avez pas brisé
Bourreaux rendez-moi son âge
que vous avez trahi !
Mais déjà il y a des feux sur les rivages
de France
mille visages attendent mille espoirs renaissent
debout, soldats de la Révolution
Voici venir Gérald BLONCOURT.
René Depestre (dans la revue hebdomadaire qu'il a fondée, "La Ruche", février 1946)
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Le temps des loups
(…)
Nous vivons un temps mal défendu contre la strangulation
demain quand je serai Roi de mes créations
quand je serai roi de chaque goutte de ma sueur
j'inventerai une morale pour les hommes
une vertu pour les femmes
une conduite pour les gosses
quand on sera tous ensemble sur la terre
comme des dents d'une même bouche.
O quel temps de chacals !
René Depestre ("Gerbe de sang" - Imprimerie de l'État, Port-au-Prince, Haïti, 1946)
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Le temps des flamboyants
Le poète a enfin choisi sa route
par ce matin où
il y a des flamboyants dans tous les yeux
il a pris sa revanche contre la tête hideuse du monde
De toute sa colère empruntée au vent d’août
il a fracassé la boîte osseuse de ce siècle fou
Ô délices du poète devant ce rouge réveil des hommes
toutes les rumeurs ensemble qui se lèvent
et font penser au petit matin de la prison
le chant du coq et la voix enrouée d’une gaillarde
le frottement d’un balai et des amours qui se meurent
d’autres métamorphoses Ô la chance de vivre
et de tenir son pouls là comme une bille qui bouge
et ces monstres qui reviennent Filles de mes dégoûts
et toi infernale Enfant Notre-Dame de la diablesse
de rude écorce et si souvent câline
moi je ne sors ni d’un hôtel ni d’un château
bas-fonds-des-villes abris-sans-lumière
je lance mon pus dans le jeu et le chaos
comme le seul espoir que mes mains tiennent avec amour
Voici que je reviens plus féroce de tous mes éreintements
je reviens avec comme ressources vingt ans de sorcellerie
je reviens avec dans mes veines la foudre noire de l’innocence
je reviens et j’ai choisi d’être tigre quand tous les hommes sont loups
ce matin il y a des flamboyants autour de mes pensées
il y a des flamboyants partout où l’on peut aimer
et je redis encore pour ceux dont les oreilles sont dures
Voici le temps maudit où le poète a choisi de vivre.
René Depestre ("Gerbe de sang" - Imprimerie de l'État, Port-au-Prince, Haïti, 1946)
"Minerai noir marque un tournant dans ma poésie qui est devenue beaucoup plus diversifiée et qui ouvre, finalement, l'œuvre d'un poète de la négritude". (René Depestre, dans un entretien avec Frantz Leconte, en 1995) - Vous pourrez lire et écouter entièrement cet entretien de 85 minutes ici, après avoir copié-collé ce lien dans votre navigateur : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/depestre_entretien.html
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Minerai noir
Quand la sueur de l'Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
À des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l'extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayés leur chemin
À travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des pièces d'or
Dans le noir métal de ta colère en crue
René Depestre ("Minerai noir" - dans la revue Présence africaine, 1956)
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Hommage à la terre natale
Me voici
citoyen des Antilles
l’âme vibrante
je vole à la conquête des bastilles nouvelles.
Je glane dans les champs ensoleillés
des moissons d’humanité
j’interroge le passé
je mutile le présent
j’enguirlande l’avenir
tout mon être aspire au soleil!
Me voici
fils de l’Afrique lointaine
partisan des folles équipées.
Je cherche la lumière
je cherche la vérité
je suis amoureux de l’âme de ma patrie.
Me voici
nègre aux vastes espoirs
pour lancer ma vie
dans l’aventure cosmique du poème
j’ai mobilisé tous les volcans
que couvait la terre neuve de ma conscience
et j’ai renversé
par un pompeux coup d’État
toutes les disciplines nuageuses de mon enfance.
Me voici
prolétaire
je sens gronder en moi la respiration des foules
je sens vibrer en moi la rage des exploités
le sang de toute l’humanité noire
fait éclater mes veines bleues
j’ai fondu toutes les races
dans mon cœur ardent.
Me voici
poète
adolescent
poursuivant un rêve immense d’amour et de liberté.
René Depestre ("Étincelles" - Imprimerie de l'État, Port-au-Prince, Haïti, 1945)
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Nostalgie
Ce n’est pas encore l’aube dans la maison
La nostalgie est couchée à mes côtés.
Elle dort, elle reprend des forces,
Ça fatigue beaucoup la compagnie
D’un nègre rebelle et romantique.
Elle a quinze ans, ou mille ans,
Ou elle vient seulement de naître
Et c’est son premier sommeil
Sous le même toit que mon cœur.
Depuis quinze ans ou depuis des siècles
Je me lève sans pouvoir parler
La langue de mon peuple,
Sans le bonjour de ses dieux païens
Sans le goût de son pain de manioc
Sans l’odeur de son café du petit matin.
Je me réveille loin de mes racines,
Loin de mon enfance,
Loin de ma propre vie.
Depuis quinze ans ou depuis que mon sang
Traversa en pleurant la mer
La première vie que je salue à mon réveil
C’est cette inconnue au front très pur
Qui deviendra un jour aveugle
À force d’user ses yeux verts
À compter les trésors que j’ai perdus.
René Depestre ("Journal d'un animal marin", Seghers, 1964 - réédition Gallimard, 1990)
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Un mois avant la tempête du 31 décembre 1999 qui a mutilé les forêts françaises, d'importantes inondations dévastent plusieurs départements du sud-ouest, l'Aude en particulier. Lézignan-Corbières, où vit aujpurd'hui René Depestre, est une des communes les plus touchées. Pierre Tournier, décédé en juillet 1999 en était le Maire :
Intempéries 99
à Pierre Tournier
Au-delà des vignes naufragées
au-delà des maisons éventrées
et des rêves partis en fumée,
au-delà des yeux qui ont tout perdu,
au-delà des vies que la pluie a humiliées,
dans la blessure la plus vive de l'esprit
la cicatrice fait son oeuvre de tendresse :
des oiseaux innocents réapprennent
à chanter dans le silence des gens.
Lézignan-Corbières, novembre 1999
René Depestre ("Non-assistance à poètes en danger", Seghers, 2005)
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Libre éloge de la langue française
à Olivier Germain-Thomas
De temps à autre il est bon et juste
de conduire à la rivière
la langue française
et de lui frotter le corps
avec les herbes parfumées
qui poussent bien en amont
de nos vertiges d’ancien nègre marron.
Ce beau travail me fait avancer à cheval
sur la grammaire à notre Maurice Grevisse :
la poésie y reprend du poil de la bête
mes mots de vieux nomade ne regrettent rien
ils galopent de cicatrice en cicatrice
jusqu’au bout de leur devoir de tendresse.
Debout sur les cendres de mes croyances
mes mots ont la vigueur d’un épi de maïs,
mes mots à l’aube ont le chant pur de l’oiseau
qui ne vend pas ses ailes à la raison d’État.
Mes mots sont seulement des matins de labours
éblouis de sève qui forcent avec amour
les portes du désert cubain qu’on leur a fait.
Ce sont les mots frais et nus d’un Français
qui vient de tomber du ventre de sa mère :
on y trouve un lit, un toit, un gîte
et un feu pour voyager librement
à la voile des mots de la real-utopie!
laissez-moi apporter les petites lampes
de la créolité qui brûle en aval
des fêtes et des jeux vaudous de mon enfance :
les mots créoles qui savent coudre les blessures
au ventre de la langue française,
les mots qui ont la logique du rossignol
et qui font des bonds de dauphin
au plus haut de mon raz-de-marée;
les mots sans machisme aucun qui savent grimper
toutefois à la saison bien lunée des femmes
mes mots de joie et d’ensemencement profond
au plus dru et au plus chaud du corps féminin,
tous les mots en moi qui se battent
pour un avenir heureux
oui je chante la langue française
qui défait joyeusement sa jupe
ses cheveux et son aventure
sous mes mains amoureuses de potier.
René Depestre ("Anthologie personnelle", Actes Sud, 1993)
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Ci-dessous, des textes, parmi ceux proposés pour ce thème 2011 du paysage, par le site du Printemps des Poètes à l'adresse (à copier-coller) : http://www.printempsdespoetes.com :
L'éclipse du 11 août 1999
La galaxie compte un nombre infini
de sphères au gaz incandescent.
L'étoile qui protège ma rage de vivre
est une inconnue entre des milliards d'autres :
aussi banale que la pluie d'août mon amie rouge
concède à ma vie trois minutes de douceur
lors d'un éphémère soir de tendresse.
René Depestre ("Non-assistance à poètes en danger", Seghers, 2005)
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La rivière
Voilà, c'est fait, je suis devenu une rivière.
Ce sera une grande aventure jusqu'à la mer.
Quel nom me donnera-t-on sur les cartes ?
D'où vient ce cours d'eau inconnu ?
Quel ciel reflète-t-il dans ses flots ?
Quelle paix, quelle faim, quelle douleur ?
Pardonnez-moi messieurs les géographes
Je ne l'ai pas fait exprès
J'aimais voir couler l'eau
Sur toutes les soifs
Il y a tant d'assoiffés dans le monde
Pour eux me voici changé en rivière !
Je n'aimais pas voir couler les larmes
Étant rivière je pourrai qui sait
Couler à leur place.
Je n'aimais pas voir verser le sang
Étant rivière je pourrai
Être versé partout à sa place.
Mon destin est peut-être d'emporter
À la mer toutes les peines !
René Depestre ("Journal d'un animal marin", Seghers, 1964 - réédition Gallimard, 1990)
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Une belle opportunité de visiter la flore et la faune d'Haïti, et peut-être de créer son propre jardin d'enfance avec des végétaux et des animaux réels ou imaginaires ...
Retour à un jardin de l'enfance
En ce temps-là mon foyer était un jardin
je suivais le seul feu de mes voisins-arbres
le goyavier imitait pour moi l'éléphant
je voyageais sur son dos aussi loin
que le permettait le manguier
qui se méfiait des animaux trop amicaux
l'oranger partageait avec moi les pastèques
le tamarinier était un oncle
qui racontait des histoires de cyclones fabuleux
le quenêpier pour me plaire
mettait un singe à chacune de ses branches
tandis que le bananier changeait son régime en volée de perroquets
l'acajou-enfant me révéla un matin :
- lorsque je serai grand je confierai mon bois
aux mains d'une fée qui fabrique des pianos.
René Depestre ("En état de poésie, Les Éditeurs Français Réunis, 1980)
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Cette simple identification parallèle à un élément du paysage ouvre aussi d'intéressantes pistes de création poétique...
Identité
à François Hébert
Un homme tendre du Québec
un jour d'été dans une forêt natale,
murmura : je suis un sapin.
Moi, loin de Jacmel, un soir d'hiver,
j'ai susurré* : je suis un cocotier.
Le monde entier en nous deux
a reconnu des fils jumeaux de sa beauté.
René Depestre ("En état de poésie, Les Éditeurs Français Réunis, 1980) - * susurrer prend bien deux "r" (attention à la faute de frappe sur le document du "Printemps" des Poètes")
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