La Comtesse Anna
de Noailles (1876-1933) est une
romancière française, mais c'est surtout par sa
poésie sensible et lyrique qu'elle est connue.
"Soyez bénis, porteurs d'infinis paysages,
Esprits pleins de saisons, d'espace et de soupirs."
(extrait d'un poème d'Anna de Noailles adressé aux "Poètes romantiques")
On propose
souvent le texte suivant aux élèves du Cycle 2, sans la dernière
strophe.
Chaleur
Tout luit,
tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que
le soleil fendille et cuit.
Chaque
petite feuille est chaude
Et miroite dans l’air où rôde
Comme un
parfum de reine-claude.
Du soleil
comme de l’eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille
et oscille un peu.
Un infini
plaisir de vivre
S’élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme
du cuivre.
Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions
Calmann-Lévy, 1902)
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Autre poème, plus long, du même recueil, ici, on ne propose
généralement à la classe que les strophes colorées :
Le
jardin et la maison (parfois intitulé Crépuscule)
Voici
l’heure où le pré, les arbres et les fleurs
Dans l’air dolent et
doux soupirent leurs odeurs.
Les baies du lierre obscur où l’ombre se
recueille
Sentant venir le soir se couchent sur leurs
feuilles,
Le jet d’eau du jardin, qui monte et redescend,
Fait
dans le bassin clair son bruit rafraîchissant;
La paisible maison respire au jour qui
baisse
Les petits orangers fleurissent dans leurs caisses.
Le
feuillage qui boit les vapeurs de l’étang
Lassé des feux du jour
s’apaise et se détend.
Peu à
peu la maison entr’ouvre ses fenêtres
Où tout le soir
vivant et parfumé pénètre,
Et comme elle, penché sur l’horizon, mon coeur
S’emplit
d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur …
Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions
Calmann-Lévy, 1902)
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Il
fera longtemps clair ce soir ...
Il fera longtemps clair ce soir, les jours
allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les
arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le
soir blanc, et songent...
Les marronniers, dans l'air plein d'or
et de splendeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre;
On
n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le
sommeil des odeurs.
De lointains roulements arrivent de la
ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant
l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les
chemins tranquilles.
Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette
route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est
changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir.
Anna de Noailles ("L'offrande lyrique", 1912)
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On a découpé ce poème (dont le texte original ne comporte deux parties nettement séparées, marquées ici par des pointillés) en strophes, pour en faciliter l'utilisation en classe :
Matin de printemps
La pluie, enveloppante, ombrage
L'espace, les bois, la prairie,
Et forme sur le paysage
Une cage en verroterie.
C'est la pluie allègre d'avril,
Elle est mince, dansante et lâche
Comme des perles sur un fil.
Elle est joyeuse ! C'est sa tâche
De descendre en jets allongés,
De se glisser, de se loger
Dans les fentes et les entailles
Des bourgeons aux vertes écailles,
Acérés comme un dur métal.
Soudain la voici qui s'arrête
Et qui suspend ses gouttelettes
Comme une glycine en cristal.
...
Déchaînant son étourderie,
Le vent, trébuchant et dansant,
Éparpille sur la prairie
Ses lambeaux d'air réjouissants.
Le soleil renaît, résolu.
Que l'air est bon quand il a plu !
Le sol, que l'onde pénétrait,
Délivre ses parfums secrets :
Odeur de résines, de graines,
Fines essences souterraines,
Secs effluves des minéraux...
La vrille du chant d'un oiseau
Fouille le ciel et le perfore.
L'azur est peinturé d'aurore.
Jamais midi n'a tant brillé.
Tout éclate de bonne chance !
Un jardin, respirant, élance
Ses mois arômes vanillés.
Une poule, ivre de jactance.
Lasse, heureuse, les yeux cillés.
Adresse au poudroyant silence
Son long hoquet ensoleillé...
Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)
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Mêmes raisons pour le découpage à postériori de ce poème, dont on retrouvera la forme originale en supprimant les sauts de paragraphe :
Matin d'été
Le chaud velours de l'air offre à la rêverie
Un divan duveteux où mon esprit s'ébat,
La verte crudité de la jeune prairie
Est pour l'œil ébloui un exaltant repas.
L'ombrage et le soleil quadrillent la pelouse
Où le brûlant matin se repose, encagé ;
Il semble qu'en volant, une guêpe recouse
Le merveilleux éther par ses jeux dérangé.
Mon immobile rêve a l'ampleur d'un voyage ;
J'entends le bruit mouvant et lointain de l'été :
Murmure énigmatique où tout est volupté.
Le ciel, aride et pur, est comme un bleu dallage,
Mon cœur calme bénit les dieux aériens,
Et je croise les mains, n'ayant besoin de rien
Que de penser à toi dans un clair paysage....
Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)
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Les bords de la Marne
La Marne, lente et molle, en glissant accompagne
Un paysage ouvert, éventé, spacieux.
On voit dans l'herbe éclore, ainsi qu'un astre aux cieux,
Les villages légers et dormants de Champagne.
La Nature a repris son rêve négligent.
Attaché à la herse un blanc cheval travaille.
Les vignobles jaspés ont des teintes d'écaille
À travers quoi l'on voit rôder de vieilles gens.
Un automnal buisson porte encor quelques roses.
Une chèvre s'enlace au roncier qu'elle mord.
Les raisins sont cueillis, le coteau se repose,
Rien ne témoigne plus d'un surhumain effort
Qu'un tertre soulevé par la forme d'un corps.
Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)
Marie Noël (1883-1967) est une poète d'inspiration religieuse, à la poésie souvent mélancolique et triste. On lui a décerné le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1962.
Chant
de rouge-gorge
Au mois de
mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant
l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on
prend …
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des
sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste
encore ?
L’hiver vient …
J’allais, j’allais. Où trouver de
l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois,
au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ? ...
Rouge-gorge,
au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De
l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …
Quand
je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une
avance ;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense …
Il n’est tombé
qu’une goutte dedans …
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au
bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en
reste encore ?
L’hiver vient …
Est-ce là tout, cette goutte,
est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte
d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup …
Rouge-gorge,
au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des
feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …
Est-ce
bien tout ? ... Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être
avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être
ici, peut-être un peu plus loin…
Rouge-gorge, au fond du bois
incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur,
sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient ...
Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et
Cie, 1930 et Stock, 1948)
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L'île
Solitude
au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent
d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon
lieu sans port, ni quai, ni ville,
Mon Île où s’élance en secret
la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô
Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.
Temps
où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla
sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où
les vols se brisent, Solitude.
Solitude, Aire en émoi de Cœur
immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse
au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse
recommence.
Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme
entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge
en vain la houle des paroles.
Marie Noël ("Chants et Psaumes d'automne" - Éditions Stock,
1947)
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Chant
de nourrice
pour endormir
Madeleine
Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui
finisse.
Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,
Aujourd’hui, ce
vieux long jour,
Ce soir durera toujours.
Dors, mon petit,
pour que demain arrive.
Si tu ne dors pas, petite âme vive,
Demain,
le jour le plus gai,
Demain ne viendra jamais.
Dors, mon
petit, afin que l’herbe pousse,
Ferme les yeux, les herbes et la
mousse
N’aiment pas dans le fossé
Qu’on les regarde pousser.
Dors,
mon petit, pour que les fleurs fleurissent.
Les fleurs qui, la nuit,
se parent, se lissent,
Si l’enfant reste éveillé,
N’oseront pas
s’habiller.
Mais s’il dort, les fleurs en la nuit profonde,
N’entendant
plus du tout bouger le monde,
Tout doucement, à tâtons,
Sortiront
de leurs boutons.
Quand il dormira, toutes les racines
Descendront
sous terre au fond de leurs mines
Chercher pour toutes les fleurs
Des
parfums et des couleurs.
Les roses alors et les églantines,
Vite,
fronceront avec leurs épines
Leurs beaux jupons à volants
Rouges,
roses, jaunes, blancs.
Les nielles feront en secret des pinces
À
leur jupe étroite et les bleuets minces
Serreront leur vert corset
Avec
un petit lacet.
Les lys du jardin si nul ne les gêne
Iront
laver leur robe à la fontaine,
Et le lin qui fit un vœu
Passera la
sienne au bleu.
Les gueules du loup et les clématites
Monteront
leur coiffe et les marguerites
Habiles repasseront
Leurs bonnets
et leur col rond.
Et quand à la fin toutes seront prêtes,
En
robes de noce, en habits de fête,
Alors d’un pays lointain
Arrivera
le matin.
Et saluant toute la confrérie,
Le matin pour voir
la terre fleurie,
Du bout de son doigt vermeil
Rallumera le
soleil.
Et pour que l’enfant, mon bel enfant sage,
Voie aussi
la terre et son bel ouvrage,
Il enverra le soleil
Le chercher dans
son sommeil.
Viens, mon petit, viens voir, chère prunelle,
Pendant
ton somme, écoute la nouvelle,
Notre jardin s’est levé …
Aujourd’hui
est arrivé !
Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et
Cie, 1930 et Stock, 1948)
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Si j'étais
plante ... (extrait)
Si j'étais
plante, je ne voudrais pas être de ces plantes qui ont trop affaire à
l'homme. Ni avoine, ni blé, ni orge parqués, sans pouvoir en sortir,
dans un champ en règle (et on ne laisse même pas aux blés leurs bleuets
pour se distraire) ni surtout ces légumes soumis et rangés, ces carottes
alignées, ces haricots qu'on dirige à la baguette, ces salades qu'on
force à pâlir en leur serrant le cœur quand il fait si beau alentour et
qu'elles voudraient bien être grandes ouvertes.
J'accepterais encore d'être herbe à tisane,
serpolet ou mauve, ou sauge, pourvu que ce fût dans un de ces hauts
battus des vents où ne vont les cueillir que les bergers. Mais
j'aimerais mieux être bruyère, gentiane bleue, ajonc, chardon au besoin,
sur une lande abandonnée, ou même un champignon pas vénéneux, mais pas
non plus trop comestible, qui naît dans la mousse, un matin, au creux le
plus noir du bois, qui devient rose sans qu'on le voie et meurt tout
seul le lendemain sans que personne s'en mêle ...
Marie Noël ("Notes intimes" - Éditions Stock, 1959)
Germain Nouveau (1851-1920) a fréquenté Mallarmé, Jean Richepin et Charles Cros, puis Arthur Rimbaud avec qui il travaille à l'édition des Illuminations . Il sera aussi proche de Verlaine. Après avoir été interné en asile psychiatrique, Germain Nouveau termine son existence dans l'errance et le mysticisme.
En forêt
Dans la forêt étrange, c’est la nuit;
C’est comme un noir silence qui bruit;
Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.
Un vent d’été, qui souffle on ne sait d’où,
Erre en rêvant comme une âme de fou;
Et, sous des yeux d’étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.
Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d’oiseaux et de loups;
Il vient aussi des senteurs de repaires;
C’est l’heure froide où dorment les vipères,
L’heure où l’amour s’épeure au fond du nid,
Où s’élabore en secret l’aconit;
Où l’être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.
- Pourtant la lune est bonne dans le ciel,
Qui verse, avec un sourire de miel,
Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.
Germain Nouveau ("Premiers vers", 1872-1878 - réédité avec d'autres recueils : "Oeuvres Poétiques violume I - Premiers vers - Dixains réalistes - Notes parisiennes - La doctrine de l' amour", avec une préface de Jacques Brenner, Gallimard 1953)