Vénus Khoury-Ghata est une poète libanaise francophone contemporaine.
À Yasmine
Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante
Tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune apprivoisé
Tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers
Tes cils épis de blé
Tes gestes moulin à vent
et l'on pétrit le rire
Dans la cuve de ta bouche
Tu es mon pain dodu
mon nid
Vénus Khoury-Ghata ("Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)
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La forêt a peur
Une forêt peureuse
panique à la vue du soir
Tout l'angoisse
les cris des chouettes
leur silence
Le regard froid de la Lune
et l'ombre de son sourcil sur le lac
Le bouleau claque des dents
en se cachant derrière le garde-champêtre
Le frêne s'emmitoufle dans son écorce
et retient sa respiration jusqu'au matin
Le pin essuie sa sueur
et appelle son père le pin parasol
La tête entre les jambes
le saule pleure à chaudes feuilles
et fait déborder le ruisseau
Le roseau qui ne le quitte pas des yeux
L'entend supplier le ver luisant
d'éclairer les ténèbres
Seul le chêne garde sa dignité
à genoux dans son tronc
il prie le dieu de la forêt
de hâter l'arrivée du jour
Vénus Khoury-Ghata ("La voix des arbres" - Le Cherche-midi, 1999)
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La surface d'un automne
La surface d'un automne
est inversement proportionnelle à la hauteur de sa tristesse
le nuage interrogé multiplie sans difficulté le basilic par le safran.
Répète après moi :
la distance entre deux pluies se mesure par arpents de silence
et le périmètre d'un mois est divisible par son rayon de lune.
Cela va de soi.
Vénus Khoury-Ghata ("Quelle est la nuit parmi les nuits" - Mercure de France, 2004)
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Ma mère au tronc creux
Ma mère au tronc creux
Aux mains qui se ramifient dans la terre
Ma mère rapiéçait le feu
Mon père chargé de porter le silence
Était devenu pilier
Et la guerre lâchait ses chevaux à nos portes
La mer dans nos lits hennissait
Il y a pleins d'océans vides à louer ...
Vénus Khoury-Ghata
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Source des textes de Vénus Khoury-Ghata reproduits ci-dessous : http://www.printempsdespoetes.com/
La voie lactée ...
La voie lactée mène à l'école
Les enfants l'empruntent soir et matin
Les tabliers au passage frôlent une étoile dormante
Qui crie dans son sommeil
Et jette des étincelles
La Grande Ourse rêve d'une couette
La Petite Ourse rêve d'un jardin
Et de trèfles à quatre feuilles
Le temps est à la somnolence et à la paresse
L'instituteur dort en marchant
Les élèves sont en papier
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À quoi sert l'école ?
À enfermer entre les mêmes murs livres et enfants
À chaque chose son temps et sa couleur
Dit le peintre
Et il ajoute une aile jaune à l'écureuil
Le cyprès qu'il peint en noir
Fait des grimaces derrière son dos
La vache est très contente
Elle aime le nuage rose dessiné sur son dos
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À quoi sert un nuage ?
À fondre en pluie dés qu'on l'essore de travers
Vénus Khoury-Ghata ("À quoi sert la neige" - Le cherche midi éditeur - Recueil sélectionné pour le prix poésie jeunesse 2010 Lire et Faire Lire)
Anise Koltz est une poète luxembourgeoise née en 1928. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes, les premiers en allemand. Ses textes sont souvent très courts. Le thème central, en particulier dans le recueil "Le porteur d'ombre" en est souvent la poésie, l'écriture, le (la) poète et son rapport au monde.
J’avance sans filet
J’avance sans filet
d’une étoile à l’autre
glissant à travers les trous noirs
je saute de lunes en soleils
Je me balance aux bords
de la terre
déjà je ne lui appartiens plus
Parce que ce poème est un mensonge
il a le droit d’être beau
Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)
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Le mot change
Le mot change
une fois posé
sur le blanc de la page
La lumière ne l’atteint plus
coupées de leur environnement
les tempêtes tourbillonnent sans lui
Dans le recueil fermé
sa solitude
est sans nom
Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)
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Dans ce monde
Dans ce monde
démuni de sens
la langage est notre ultime refuge
C’est lui qui appelle notre présent
à exister
J’appâte le papier
pour qu’il se couche
sous mon écriture
Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)
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Couchée dans le désert
Couchée dans le désert
je suis insomniaque
sous des milliards d'étoiles
Etant de la même matière
je commence à émettre de la lumière
Anise Koltz ("Béni soit le serpent" - éditions Phi, 2004)
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J'écris les yeux grand ouverts
J'écris les yeux grand ouverts
souvent je fais fausse route
je me perds dans mon poème
je m'enlise avec ses mots
dans le marécage de l'alphabet
Anise Koltz ("Béni soit le serpent" - éditions Phi, 2004)
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Le mur du son (c'est le titre du recueil dont voici quelques poèmes)
Dépassant le mur du son
je me libère de toute mesure
la voix perd la parole
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Mes poèmes
des fourmilières
parmi les paroles noires
et grouillantes
des reines fécondes
des milliers d'ouvrières sans ailes
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Je t'offre un poème
comme un verre d'eau
Il ne désaltère pas
Il te présente un lac
où tu couleras à pic
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Je n'invente pas le poème
il existe quelque part
dans l'univers
ou pend hors d'un rêve
tel un micro cassé
Anise Koltz ("Le mur du son" - éditions Phi, 1997) - Ce recueil a obtenu le prix Apollinaire en 1998.
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L'ailleurs des mots (c'est le titre du recueil dont voici quelques poèmes)
Comment supporter
de vivre et de mourir
dans cette boucherie anonyme
où nos membres deviendront
des cierges pour l’éternité
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Les sables dévorent le désert
Je lègue ma carcasse aux rapaces
au vent qui léchera mes os
au soleil qui les croquera
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Pour moi
ma mère a marqué
de pierres blanches
son parcours dans l’au-delà
M’appellera-t-elle
comme jadis
pour me faire rentrer
sous son toit ?
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Des rapaces
je revendique
ailes
serres
becs pointus
Comme eux
je fonce sur ma proie
d’une violence
qui risque de me tuer
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À ma mère
Cachée dans tes entrailles
comme dans une tranchée
j’étais prête à me lancer
dans la bataille
La mort dévalait
derrière nous
tandis que je subissais
la fatigue de ton sang
Tu devenais de plus en plus lente
Mais moi je voulais durer
être éternelle
Anise Koltz ("L'ailleurs des mots" - Éditions Arfuyen, 2007)
Marie Krysinska (1864-1908).
"Elle devient la seule femme membre actif des
cercles littéraires des Zutistes, des « Hirsutes » et des «
Jemenfoutistes » qui se réunissaient au cabaret du Chat noir. Elle
accompagne au piano les chansons et les poèmes qu'on y déclame. Dès la
première année de parution de La Revue du Chat noir, elle y publie ses
propres poèmes." (source Wikipédia)
"Marie Krysinska fut peut-être chronologiquement la
première à faire publier des vers libres, aux alentours de 1882 et
1883" ... (source : "Naissance du vers libre" -
Mémoire de Master I - Université Stendhal (Grenoble III)– Lettres et
Arts, présenté par Sabine Garcia en juin 2009)
La gigue
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer,
Sur le sable blond,
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer
Implacablement
Et rythmiquement,
Avec une méthode d’enfer,
Les Talons
Vont.
Cependant le corps,
Sans nul désarroi,
Se tient tout droit,
Comme appréhendé au collet
Par les
Recors
La danseuse exhibe ses bas noirs
Sur des jambes dures
Comme du bois.
Mais le visage reste coi
Et l’oeil vert,
Comme les bois,
Ne trahit nul émoi.
Puis d’un coup sec
Comme du bois,
Le danseur, la danseuse
Retombent droits
D’un parfait accord,
Les bras le long
Du corps.
Et dans une attitude aussi sereine
Que si l’on portait
La santé
De la Reine.
Mais de nouveau
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer
Sur le plancher clair.
Marie Krysinska ("Rythmes pittoresques" - Alphonse Lemerre, 1890)
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Villanelle
À E. Mesplés
Vous êtes la grâce jeune des matins
Et le clair rire des flûtes pastorales
Roses fleuries !
Mais le charme des tristesses très chères est en vous
Et, notes de clavecins, s’évanouissent vos pétales
Roses fanées !
Vous êtes revêtues des robes d’aurore
Et, des tendres nuées d’Avril s’illuminent vos seins
Roses fleuries !
L’or mélancolique des couchants d’Automne
A mis sa beauté dans vos cœurs mourants
Roses fanées !
Vos parfums sont l’ivresse neuve des étreintes
L’allégresse de vivre et l’extatique encens
Roses fleuries !
Mais, dans les Urnes pieuses de vos défunts calices
Repose l’immortel arôme du Souvenir
Roses fanées !
Marie Krysinska ("Rythmes pittoresques" - Alphonse Lemerre, 1890)
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Reprise (sonnet renversé)
Restons ainsi, ne disons rien,
La main seulement liée à la main
D’une faible étreinte attendrie.
Entends ces vagues de mélancolie,
Les douleurs souffertes, se briser
Dans nos coeurs d’un baiser.
Je ne veux de toi ni serments, ni même
Que tu me dises si tu m’aimes ;
Ne me demande pas, non plus — ce serait mal —
Où mon coeur tenta d’apaiser son mal !
Goûtons cette minute éperdue,
Grisés, comme d’un vin vermeil,
De nos pleurs pareils à la neige fondue
Par le Soleil.
Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)
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Devant le miroir
Cette grave entrevue
Est fertile en émois,
L’image, pourtant connue,
Surprend toujours ; — est-ce bien soi
Cette soudaine apparue ?
Et les petites mines d’aller
Pour calmer l’inquiétude qui vient
De n’être pas — il se peut — aussi bien
Que l’on voudrait ;
Mais, bientôt, une distribution de récompenses
Généreuses, commence.
Les cheveux ? ah ! les cheveux, parfait !
Surtout de profil ; on dirait
De telle peinture d’artiste admiré ;
Puis on retrouve à des détails menus,
Le souvenir du même visage des jours révolus
Des jours enfantins si vite — en somme — disparus.
Et l’on songe à cet autre miroir enchanté
Si impressionnant pour nos jeunes coeurs :
L’eau de l’étang que l’on croyait
Un morceau de ciel tombé
Où poussaient aussi des herbes et des fleurs.
Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)
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Le sabbat
À Jean Lorain
Par la clairière,
Blême de lumière
De lune,
La folle ronde
Tournoie et gronde —
Comme la rafale
Chevauchant la pâle
Lagune.
C’est la gaieté — combien morose ! —
C’est la peur et la soif de l’oubli guérisseur,
De l’oubli destructeur
De toute chose,
Qui enlace : riant et criant,
Ces pauvres êtres en proie
À la pire joie ;
Et fait ces fulgurantes étreintes d’amour —
Sans Amour.
Mais, de cette ivresse, triste comme la Mort,
Où les vivants damnés veulent fuir la Vie
— Ses deuils, ses crève-coeur, ses crimes, ses remords —
D’autres êtres vont naître — et l’odieuse Vie
Germera triomphante en ces baisers de Mort.
Par la clairière,
Blême de lumière
De lune,
La folle ronde
Tournoie et gronde ...
Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)
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Marion
À Steinlen
Marion cueille des fleurs dans les prés
Et les fleurs la voyant si belle
— C’est notre soeur — disent-elles ;
Ah ! Ah !
Marion va promener au bois
Et les oiseaux l’entendant chanter
Se taisent pour l’écouter ;
Ah ! Ah !
Marion rencontre un chevalier
Qui prend son coeur tout entier
Et puis s’en va.
Ah ! Ah !
Maintenant le joli bois est muet
Et se fanent les fleurs dans les prés
À voir Marion pleurer.
Ah ! Ah !
Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)