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lieu commun
29 avril 2007

"L'autre" - Abdellatif Laâbi

Abdellatif Laâbi, né au Maroc en 1942, est un poète d'expression française. Il vit en France depuis 1985.

Voici deux "autres" à qui il s'adresse :

Jardinier de l’âme (titre proposé)

Ô jardinier de l’âme
as-tu prévu pour la nouvelle année
un carré de terre humaine
où planter encore quelques rêves ?
As-tu sélectionné les graines
ensoleillé les outils
consulté le vol des oiseaux
observé les astres, les visages
les cailloux et les vagues ?
L’amour t’a-t-il parlé ces jours-ci
dans sa langue étrangère ?
As-tu allumé une autre bougie
pour blesser la nuit dans son orgueil ?
Mais parle
si tu es toujours là
Dis-moi au moins :
qu’as-tu mangé et qu’as-tu bu ?

Abdellatif Laâbi (texte inédit, janvier 2007) Ce texte a été emprunté sur le site de l'auteur (clic)


Il y a un cannibale qui me lit

Il y a un cannibale qui me lit
C’est un lecteur férocement intelligent
un lecteur de rêve
Il ne laisse passer aucun mot
sans en soupeser le poids de sang
Il soulève même les virgules
pour découvrir les morceaux de choix
Il sait lui que la page vibre
d’une splendide respiration
Ah ! cet émoi qui rend la proie
alléchante et déjà soumise
Il attend la fatigue
qui descend sur le visage
comme un masque de sacrifice
Il cherche la faille pour bondir :
l’adjectif de trop
la répétition qui ne pardonne pas
Il y a un cannibale qui me lit
pour se nourrir.

Abdellatif Laâbi (dans "Poètes du Monde", revue "Vagabondages - Poésie 1")


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29 avril 2007

"L'autre" - Jean de La Fontaine

On trouvera la présentation de l'auteur, Jean de La Fontaine ( (1621-1695), et d'autres fables pour la classe, sur ce blog, dans cette catégorie : FABLES de LA FONTAINE

Les deux amis

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien dit-on ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du Soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme :
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme
À mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
15 En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?
— Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux, que t'en semble, Lecteur ?
25 Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose.
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Jean de La Fontaine ("Fables" - 1678) Un commentaire de cette fable peut être consulté ici (clic)


29 avril 2007

"L'autre" - Armand Lanoux

Armand Lanoux est né en 1913.

Quelqu'un

De l'autre côté du miroir
Quelqu'un nous épie
Quelqu'un compte nos fils d'argent
un à un.
Quelqu'un regarde se serrer
l'épervier des rides
Quelqu'un nous garde
Quelqu'un nous emporte
Quelqu'un ouvre et ferme des portes
à l'envers.
Quelqu'un nous oublie
Quelqu'un vend de l'espoir
Quelqu'un au visage vert
ou gris
de l'autre côté du miroir
sur le tain de la nuit.
Quelqu'un quelqu'un quelqu'un mais qui?

Armand Lanoux ("La tulipe orageuse " Seghers 1959)


29 avril 2007

Europe - Espagne - Federico García Lorca

Federico García Lorca (1898- 1936) est un poète et auteur de pièces de théâtre espagnol. Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí.
Il est mort fusillé au début de la Guerre civile par les troupes du Général Franco.

" Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses".

Le Romancero Gitano (1928) est son recueil de poèmes le plus connu.

Verde que te quiero verde. Vert, que je t’aime vert.


Petits poèmes de Federico García Lorca qu'on retrouvera dans les comptines et chansons en espagnol (page 1) avec leur traduction en français 

Los niños

Salen los niños.
Salen los niños alegres de la escuela,
poniendo en el aire tibio
de abril, canciones nuevas.
¡Qué alegría tiene
el hondo silencio de la calleja!

Federico García Lorca


Naranja y limón

Naranja y limón
¡Ay de la niña
del mal amor!
Limón y naranja
¡Ay de la niña
de la niña blanca!
Limón
(Cómo brillaba el sol).
Naranja
(En las chinas del agua).

Federico García Lorca


Agua, ¿dónde vas ?

Agua, ¿dónde vas ?
Riendo voy por el río
a las orillas del mar.
Mar, ¿a dónde vas ?
Río arriba voy buscando
fuente donde descansar.
Chopo, y tú ¿qué harás ?
No quiero decirte nada
yo… ¡temblar!
¿Qué deseo, qué no deseo,
por el río, por el mar ?
¡Cuatro pájaros sin rumbo
en el alto chopo están!

Federico García Lorca


Divers poèmes de Federico García Lorca

Août

Contrastes de pêche et de sucre,
et le soleil dans l'après-midi
comme le noyau dans un fruit.
L'épi de maïs garde intact
son rire jaune et dur.
Août.
Les enfants mangent
le pain brun et la délicieuse lune.

Federico García Lorca
(Traduction proposée par Lieucommun)

Agosto

Contraponientes de melocotón y azucar,
y el sol dentro de la tarde,
come el hueso en una fruta.
La panocha guarda intacta
su risa amarilla y dura.
Agosto.
Los niños comen
pan moreno y rica luna.

Federico García Lorca


Paysage

Le champ d’oliviers
s’ouvre et se ferme
comme un éventail.

Sur l’olivier,
un ciel écroulé
et une pluie obscure
d’étoiles froides.

Au bord de la rivière
tremblent jonc et pénombre.
L’air gris se froisse.
Les oliviers sont lourds de cris :

une troupe
d’oiseaux captifs,
qui remuent leurs très longues
queues dans l’obscurité.

Federico García Lorca (Poème de la séguidille gitane dans "Poèmes du Cante Jondo" - Gallimard 1966)
(Traduction proposée par Lieucommun)

Paisaje

El campo de olivos
se abre y se cierra
como un abanico.

Sobre el olivar
hay un cielo hundido
y una lluvia oscura
de luceros fríos.

Tiembla junco y penumbra
a la orilla del río.
Se riza el aire gris.

Los olivos
están cargados
de gritos.

Una bandada
de pájaros cautivos,
que mueven sus larguísimas
colas en lo sombrío.

Federico García Lorca (Poema de la seguidilla gitana en "Poemas del Cante Jondo"  1966)


Papillon du ciel

Papillon du ciel
comme tu es beau,
papillon du ciel
couleur or et vert.
Lumière des lampes,
papillon du ciel,
reste là, reste là !
Tu ne t'arrêtes pas,
Tu ne veux pas t'arrêter.

Papillon du ciel
couleur or et vert.
Lumière des lampes,
papillon du ciel,
reste là, reste là !
reste là !
Papillon, tu es là ?

Federico García Lorca
(Traduction et adaptation proposées par Lieucommun)


Mariposa

Mariposa del aire,
qué hermosa eres,
mariposa del aire
dorada y verde.
Luz del candil,
mariposa del aire,
¡quédate ahí, ahí, ahí!
No te quieres parar,
pararte no quieres.

Mariposa del aire
dorada y verde.
Luz de candil,
mariposa del aire,
¡quédate ahí, ahí, ahí !
¡Quédate ahí!
Mariposa, ¿estás ahí?

Federico García Lorca (Extrait de la pièce de théâtre "la savetière prodigieuse"  ["La zapatera prodigiosa"] )


La Guitare

Commencent les lamentations
de la guitare.
les coupes de l'aube se brisent.
Commencent les lamentations
de la guitare.
Il est inutile
de la faire taire.
Il est impossible
de la faire taire.
C'est une plainte monotone,
comme la plainte de l'eau,
comme la plainte du vent
sur la neige.
Il est impossible
de la faire taire.
Elle pleure sur des choses
lointaines.
Sable du Sud brûlant
qui veut des camélias blancs.
Elle pleure la flèche sans but,
le soir sans lendemain,
et le premier oiseau mort
sur la branche.
Oh guitare !
Coeur blessé à mort
par cinq épées.

Federico García Lorca

La Guitarra

Empieza el llanto
de la guitarra.
Se rompen las copas
de la madrugada.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Es inútil callarla.
Es imposible
callarla.
Llora monótona
como llora el agua,
como llora el viento
sobre la nevada
Es imposible
callarla,
Llora por cosas
lejanas.
Arena del Sur caliente
que pide camelias blancas.
Llora flecha sin blanco,
la tarde sin mañana,
y el primer pájaro muerto
sobre la rama
¡ Oh guitarra !
Corazón malherido
por cinco espadas.

Federico García Lorca  (Poema del cante jondo - 1921).
Traduction proposée par Lieucommun


Chanson bête

Maman,
Je voudrais être en argent.

Mon fils,
Tu auras bien froid.

Maman,
Je voudrais être de l'eau.

Mon fils,
Tu auras bien froid.

Maman,
Brode-moi sur ton oreiller.

Ah, ça oui  !
tout de suite !

 Federico García Lorca
(Traduction proposée par Lieucommun)

Canción tonta
          
Mamá.
Yo quiero ser de plata.

Hijo,
tendrás mucho frío.

Mamá.
Yo quiero ser de agua.

Hijo,
tendrás mucho frío.

Mamá.
Bórdame en tu almohada.

¡Eso sí!
¡Ahora mismo!

Federico García Lorca (" Canciones" - 1928)


Romance de la lune lune

La lune vient à la forge
avec ses volants de nards.
l'enfant, les yeux grand ouverts,
la regarde, la regarde.

Dans la brise qui s'émeut
la lune bouge les bras,
dévoilant, lascive et pure,
ses seins blancs de dur métal.

Va-t-en lune, lune, lune.
Si les gitans arrivaient,
ils feraient avec ton cœur
bagues et colliers blancs.

Petit, laisse-moi danser.
Quand viendront les cavaliers,
ils te verront sur l'enclume
tu auras les yeux fermés.

Va-t'en lune, lune, lune.
j'entends déjà leurs chevaux.

Laisse-moi, petit, tu froisses
ma blancheur amidonnée.

Battant le tambour des plaines
approchait le cavalier.
Dans la forge silencieuse
gît l'enfant, les yeux fermés.

Par l'olivette venaient,
bronze et rêve, les gitans,
chevauchant la tête haute
et le regard somnolent.

Comme chante la zumaya*,
Ay, comme elle chante dans son arbre !
Dans le ciel marche la lune
tenant l'enfant par la main.

Autour de l'enclume pleurent
les gitans désespérés.
la brise veille, veille,
la brise fait la veillée.

Federico García Lorca
(Traduction proposée par Lieucommun)

Romance de la luna luna 

La luna vino a la fragua
con su polisón de nardos.
El niño la mira, mira.
El niño la está mirando.

En el aire conmovido
mueve la luna sus brazos
y enseña, lúbrica y pura,
sus senos de duro estaño.

Huye luna, luna, luna.
Si vinieran los gitanos,
harían con tu corazón
collares y anillos blancos.

Niño, déjame que baile.
Cuando vengan los gitanos,
te encontrarán sobre el yunque
con los ojillos cerrados.

Huye luna, luna, luna,
que ya siento sus caballos.

Niño, déjame, no pises
mi blancor almidonado.

El jinete se acercaba
tocando el tambor del llano.
Dentro de la fragua el niño,
tiene los ojos cerrados.

Por el olivar venían,
bronce y sueño, los gitanos.
Las cabezas levantadas
y los ojos entornados.

Cómo canta la zumaya,
¡ay, cómo canta en el árbol!
Por el cielo va la luna
con un niño de la mano.

Dentro de la fragua lloran,
dando gritos, los gitanos.
El aire la vela, vela.
El aire la está velando.

Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)
*chat-huant


Romance somnambule (deux premières strophes)

Vert, que je t’aime vert.
Le vent vert. Les vertes branches.
Le bateau sur la mer
et le cheval dans la montagne.
Avec l’ombre à la ceinture,
elle rêve à son balcon
verte chair, cheveux verts,
les yeux d’argent glacé.
Vert que je t’aime vert.
Sous la lune gitane
les choses la regardent
et elle, elle ne peut pas les regarder.

Vert que je t’aime vert.
De grandes étoiles de givre,
viennent avec le poisson d’ombre
qui ouvre le chemin de l’aube.
Le figuier frotte son vent
avec la lime de ses branches,
et la colline, chat sauvage
hérisse ses dures agaves .
Mais qui viendra ? Et d’où … ?
Elle est toujours à son balcon
verte chair, chevelure verte,
rêvant de la mer amère.

Federico García Lorca
(Traduction proposée par Lieucommun)

Romance sonámbulo 

Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Con la sombra en la cintura
ella sueña en su baranda,
verde carne, pelo verde,
con ojos de fría plata.
Verde que te quiero verde.
Bajo la luna gitana,
las cosas la están mirando
y ella no puede mirarlas.

Verde que te quiero verde.
Grandes estrellas de escarcha
vienen con el pez de sombra
que abre el camino del alba.
La higuera frota su viento
con la lija de sus ramas,
y el monte, gato garduño,
eriza sus pitas agrias.
¿Pero quién vendra? ¿Y por dónde...?
Ella sigue en su baranda,
Verde came, pelo verde,
soñando en la mar amarga.

Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)


Cancíon de jinete

Córdoba.
Lejana y sola.

Jaca negra, luna grande,
y aceitunas en mi alforja.
Aunque sepa los caminos
yo nunca llegaré a Córdoba.

Por el llano, por el viento,
jaca negra, luna roja.
La muerte me está mirando
desde las torres de Córdoba.

¡Ay qué camino tan largo!
¡Ay mi jaca valerosa!
¡Ay que la muerte me espera,
antes de llegar a Córdoba!

Córdoba.
Lejana y sola.

Chanson de cavalier

Cordoue
Lointaine et seule.

Jument noire, lune grande,
Olives dans ma besace.
Bien que je sache la route
Je n’atteindrai pas Cordoue.

Par la plaine, par le vent,
Jument noire, lune rouge.
La mort approche, me guette,
Depuis les tours de Cordoue.

Ah, que le chemin est long !
Ah, que ma jument a du courage !
Ah, que la mort m’attend
Avant d’atteindre Cordoue !

Cordoue.
Lointaine et seule.

Federico García Lorca (texte traduit par Catherine Réault-Crosnier*)

*on trouvera des textes de Catherine Réault-Crosnier et d'autres poèmes présentés sur le "mur de poésie" de Tours, auquel nous avons emprunté celui-ci [source : http://www.crcrosnier.fr/]



29 avril 2007

"L'autre" - Robert Lohro

Robert Lohro - Lionel Ray

Robert Lohro, parfois orthographié Lorho, est né en 1935 à Mantes-La-Ville (Yvelines).
Il a d'abord publié des poèmes sous son vrai nom (le recueil "Légendaire" a obtenu le prix Apollinaire en 1965, il a été édité par les éditions Pierre Seghers), et à partir de 1970 sous le pseudonyme de Lionel Ray : ("Le corps obscur", 1981, aux éditions Gallimard, lui vaut le prix de poésie Mallarmé).
Lionel Ray est lauréat du prix Goncourt de Poésie en 1995 et du Grand prix de poésie de la Société des Gens de Lettres en 2001.

Voici quelques poèmes sans titre, sur le thème de "l'autre" qui habite l'auteur. Ces passages sont tous extraits(1) du recueil "Comme un château défait", paru aux éditions Gallimard en 1993  :

Ce qui parle dans le bois, ce qui parle au bord
du gouffre et dans l'horloge et dans l'effondrement
des heures, te ressemble.

Ce qui parle dans le feuillage des consonnes,
dans l'encre des nuages, te ressemble.

Ce qui parle dans les plaies et les fusils sanglants,
dans les crimes et les branches brisées
de la forêt humaine, te ressemble.


Avec la pluie qui n'appartient à personne
(c'est du ciel qui descend à petit bruit,
comme invisiblement)

Aimer encore forêts et falaises,
le mûrissement du silence,

s'enfermer jusqu'au centre du bruit,
dans cette interminable fin du monde
du siècle pourrissant,

Écrire dans l'imparfait un chant
mobile pour te réconcilier
avec ton sang.


Sur ton épaule un dieu fluide
se pose, papillon qui s'affaiblit,
oublie l'être, se dissout.

Celui qui est dans ces pages, dis-tu,
est un autre, il traverse un ciel mal rédigé

Où s'accumulent nuages et sommeils,
et la nuit revient avec des oiseaux de fête.
Est un autre, disais-tu.


Il y a toutes sortes de vies dans ta vie
et toutes sortes de mots dans tes mots,
mais qu'est-ce à la fin que ce brouillard ?

Même la lampe des morts s'éteint,
il n'y a plus où ils sont de langage.

Qu'est-ce à la fin que cette nuit
d'où tu viens, et cette nuit finale
où ni les mots ni les morts ne font signe ?


Comme on glisse hors de soi
aux confins de la veille et du songe,
on regarde une autre demeure, un corps chantant.

Qui est cet homme proche de toi
si peu semblable et pourtant ressemblant,

Dans le tumulte des soifs et des mondes,
broyant le grain des paroles,
cherchant la source brève, la présence sans nom ?


Tu parles aussi pour toi hors du temps
dans ce grand désordre couleur d'ivresse
des routes des heures des paysages.

Tu parles parmi les ombres finales de la nuit
au bord de l'inimaginable absence.

Tu ne dis rien, tu es en proie à toi-même,
tu cherches la place d'être
un autre ou personne.


Dans la géométrie du soleil mobile,
ailes ouvertes sur tant de plaines,
de décombres et de scintillements,

Tu t'éloignes et te rejoins,
tu te rassembles,

Tu es toi-même chaque mot que tu dis
et chacun te conduit en ce lieu
où tu es plus toi-même que toi.

Lionel Ray (Robert Lohro) (Comme un château défait - Gallimard, 1993, et Comme un château défait suivi de Syllabes de sable, collection Poésie/Gallimard, 2004)
(1) Références électroniques pour les textes et les éléments de biographie :
Lionel Ray, « Poèmes », Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994, [En ligne], mis en ligne le 31 mai 2007. URL : http://semen.revues.org/document2998.html. et
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2007/12/lionel-ray.html



 

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29 avril 2007

Europe - Espagne - José Agustín Goytisolo

José Agustín Goytisolo (1928-1999) était un écrivain, traducteur et poète  de Catalogne, de langue castillane (espagnol) et catalane.
Poète humaniste, engagé, nombre de ses textes sont chantés par Paco Ibáñez, (l'album  2004 s'intitule Paco Ibáñez canta a José Agustín Goytisolo). Source : Wikipedia

Érase una vez

Érase una vez
un lobito bueno
al que maltrataban
todos los corderos.

Y había también
un príncipe malo,
una bruja hermosa
y un pirata honrado.

Todas estas cosas
había una vez
cuando yo soñaba
un mundo al revés.

José Agustín Goytisolo

Il était une fois

Il était une fois
un petit loup gentil
qui était maltraité
par tous les moutons.

Et il y avait aussi
un mauvais prince,
une jolie sorcière
et un pirate honnête.

Il était une fois
toutes ces choses-là
quand je rêvais
d’un monde à l’envers.

José Agustín Goytisolo 


29 avril 2007

Europe - Espagne - Antonio Machado

Antonio Machado (1875-1939) est un poète espagnol de la Génération de 98, mouvement "Moderniste" initié par le poète espagnol Rubén Darío. C'est d'ailleurs après sa rencontre avec Rubén Darío et d'autres poètes comme Verlaine et Paul Fort, que Machado publie son premier livre de poésies en 1903 : Soledades (Solitudes).
Il soutient par ses écrits la jeune République Espagnole de 1936, mais La Guerre civile d'Espagne se termine en 1939 par la victoire des Nationalistes et la dictature du Général Franco. Contraint de s'exiler en France, comme des milliers de ses compatriotes, c'est à Collioure (Pyrénées-Orientales), qu'il meurt, à "trois pas" de la frontière. Là se trouve sa tombe.

Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Et le ciel pour lui se fît lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours
.

Louis Aragon (extrait de "Les poètes") - Texte mis en musique et chanté par Jean Ferrat


Petits poèmes d'Antonio Machado  qu'on retrouvera dans les comptines et chansons en espagnol (page 1) :

La plaza

La plaza tiene una torre,
la torre tiene un balcón,
el balcón tiene una dama
la dama tiene una flor.

Antonio Machado

La place (adaptation en français : lieucommun)

La place a une tour,
la tour a un balcon,
le balcon a une dame,
la dame a une fleur.


La primavera

La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.
Ha despertado la rama
el almendro ha florecido.
En el campo se escuchaba
el gri del grillo.
La primavera ha venido
nadie sabe cómo ha sido.

Antonio Machado

Le printemps (adaptation en français : lieucommun)

Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.
Il a réveillé les branches
l'amandier a fleuri.
Dans les champs on écoutait
le gri-gri du grillon.
Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.


 Autres poèmes d'Antonio Machado :

Tout passe et tout demeure

Tout passe et tout demeure
mais nous, nous devons passer
passer en traçant des chemins
des chemins sur la mer.

Voyageur, c'est la trace de tes pas
qui est le chemin, et rien d'autre ;
voyageur, il n'y a pas de chemin,
tu fais le chemin en marchant.

...

C'est en marchant que tu fais le chemin
et si tu regardes en arrière
tu vois le sentier
que jamais tu ne fouleras à nouveau.

Voyageur ! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous

Todo pasa y todo queda (court extrait)

Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre el mar.
...
Caminante son tus huellas
el camino y nada más;
caminante, no hay camino
se hace camino al andar.

Al andar se hace camino
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.

Caminante no hay camino
sino estelas en la mar...

Antonio Machado ("Proverbios y Cantares" - XIV)


Un autre passage du même long poème :

J'aime les mondes fragiles* (titre proposé : subtils, délicats, fragiles ... )

Je n'ai jamais recherché la gloire
Ni voulu laisser ma chanson
dans la mémoire des hommes ;
Mais j'aime les mondes fragiles,
légers et gracieux
Comme bulles de savon.

J'aime les voir se colorer
de soleil et de pourpre, voler
sous le ciel bleu, trembler
tout-à-coup, et puis éclater.

Antonio Machado ("Proverbes et Chansons" - XIV)

* sutiles : subtils, délicats, fragiles ...
Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous :

Yo amo los mundos sutiles

Nunca perseguí la gloria
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y gentiles
como pompas de jabón.

Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul, temblar
súbitamente y quebrarse

Antonio Machado ("Proverbios y Cantares" - XIV)


Le soleil est une boule de feu

Le soleil est une boule de feu,
La lune est un disque violet.

Une blanche palombe se pose
Au sommet du cyprès centenaire.

Les parterres de myrtes semblent
fanés et couverts de poussière

Le jardin et le calme de l'après-midi ! ...
L'eau chante à la fontaine de marbre.

Antonio Machado

Traduction et adaptation Lieucommun  du texte original ci-dessous

El sol es un globo de fuego

El sol es un globo de fuego,
la luna es un disco morado.

Una blanca paloma se posa
en el alto ciprés centenario.

Los cuadros de mirtos parecen
de marchito velludo empolvado.

¡El jardín y la tarde tranquila!...
Suena el agua en la fuente de mármol.

Antonio Machado


29 avril 2007

"L'autre" - Bernard Lorraine

Bernard Lorraine (1933-2002) a publié 27 recueils  (Vitriol, Voilà, Provocation, Sentences, Burlesques ...) et 10 anthologies poétiques (Trésors des épigrammes satiriques ; Une Europe des poètes ; Le cœur à l'ouvrage : anthologie de la poésie du travail ; Un poème, un pays, un enfant ...) ainsi que des essais et des pièces de théâtre.

(...)
"Je te porte en mes pas dans le jour des trottoirs
Flânant aveugle et sourd sans ta voix ni tes yeux".

(hommage de Robert Vigneau à Bernard Lorraine)

Au début ...

Il y avait un ciel
il y eut un nuage
Il y avait la boue
il y eut une plage
Il y avait une eau
il y eut un poisson
Il y avait un arbre
il y eut un oiseau
Il y avait la nuit
il y eut une femme
Il y avait le jour
et il y eut un homme
Il y avait l'amour
il y eut un silence
Mais il y eut un cri
et c'était un enfant
Et ce fut un poète
puisqu'il y eut un chant

Bernard Lorraine


Le tapissier et le pâtissier

Un pâtissier faisait de la pâtisserie,
Son voisin tapissier de la tapisserie.
Lorsque le pâtissier fait sa pâtisserie
Sa pâtissière fait de la tapisserie,
Quand le tapissier vaque à sa tapisserie
Sa tapissière cuit de la pâtisserie.

Aussi retrouve-t-on des clous de tapissier
Dans la pâtisserie du voisin pâtissier,
Aussi retrouve-t-on les choux du pâtissier
Sur la tapisserie du voisin tapissier.
Et comme leurs moitiés sabotent leurs métiers,
Leur industrie et leur commerce en pâtissaient.

Moralité

Pâtissiers, pâtissez ! Tapissez, tapissiers !
À chacun son métier ! À chacun sa moitié.

Bernard Lorraine ("Jouer avec les poètes"  - Hachette, 1999)


29 avril 2007

France - Bretagne

Anjela Duval (1905-1981) n'a pas un nom à consonance celte, certes, mais ...
"Anjela Duval est cette femme qui pendant le jour cultive la terre de sa petite ferme, Traoñ an Dour, et qui le soir sort ses cahiers et écrit des poèmes, devenus parmi les plus aimés de la langue bretonne. Le breton est sa langue de tous les jours, et elle a appris la langue littéraire, qu'elle enrichit de ses mots, de sa sensibilité. Ses poèmes révèlent son amour lucide de la nature, sa rage contre le déclin organisé du breton, ses angoisses, son humour..."
source : http://www.breizh.net/anjela/barzhonegou.php ou on trouvera ses poèmes en breton et certains traduits en français.

Voici deux poèmes dans les deux langues, traduits par Paol Keineg (adresse ci-dessus) :

Lagad an Heol

— Heol ! Perak out ken diwezhat o tiblouz ?
Ha perak eo ken ruz da lagad ?
Ha bet ac’h eus en noz-mañ ur gwall-hunvre, en deus graet dit leñvañ dre da hun ?
— Na hun na hunvre na fall na mat.
Beilhet am eus an noz-pad…
Tra ma kouske ar c’hornôg dibled war ludu louet e lore me ’m eus graet tro an Douar.
Ha gwelet am eus tud o vervel gant an naon.
Gwelet ’m eus tud o vervel gant ar riv.
Gwelet tud o vervel gant an dic’hoanag.
Gwelet am eus tud o lazhañ tud, breudeur o ’n em dagañ.
Gwelet ’m eus pobloù mac’het.
Gwelet ur penntiern meur o kouezhañ dindan boled ur foll.
Gwelet forzh tud o leñvañ :
Ha chomet on bepred digas…
Gwelet ’m eus, avat, tud o c’hoarzhin goap ouzh ar re zo er boan, ouzh ar re zo en dienez
Ouzh ar re zo dindan ar yev.
Ha neuze am eus ranket leñvañ,
Ma ’z eo ruz c’hoazh va lagad.
— Heol ! Sec’h bremañ da zaeroù !
Mor-Breizh, emberr, a vo dous
D’az lagad ruz hag entanet…

Anjela Duval (Ur beure goañv 1964)

traduction : L’œil du Soleil

— Soleil ! Pourquoi te lèves-tu si tard ?
Et pourquoi as-tu l’œil si rouge ?
As-tu fait cette nuit un cauchemar, qui t’a fait pleurer dans ton
sommeil ?
— Ni sommeil ni rêve ni bon ni mauvais.
J’ai veillé toute la nuit…
Tandis que l’occident frivole dormait sur les cendres grises de ses lauriers j’ai fait le tour de la Terre.
Et j’ai vu des gens mourir de faim.
J’ai vu des gens mourir de froid.
J’ai vu des gens mourir de désespoir.
J’ai vu des gens s’entre-tuer, des frères s’étrangler.
J’ai vu des peuples opprimés.
J’ai vu un grand dirigeant tomber sous la balle d’un dément.
J’en ai vu beaucoup qui pleuraient :

Et j’ai continué, indifférent…

J’en ai vu cependant qui se moquaient des gens dans la peine, des gens dans la misère
Des gens sous le joug.

C’est alors que j’ai pleuré,
C’est pourquoi mon œil est rouge.

— Soleil ! sèche tout de suite tes larmes !
La mer de Bretagne adoucira bientôt
Ton œil rouge et enflammé …

Anjela Duval (Un matin d’hiver 1964)


Balafenn ha Gwenanenn

— Ma vez hinon
Eme ar valafenn hedro
Ma vez hinon
Emberr me ’z ay da vale bro
— Ha me, eme ar wenanenn
D’ar valafenn skañvbenn
Me ’gaso va labour en-dro
            Ma vez hinon

Anjela Duval (Miz Mezheven 1967)

traduction : Papillon et Abeille

— S’il fait beau
Dit le papillon volage
S’il fait beau
Je battrai bientôt la campagne.
— Et moi, dit l’abeille
Au papillon écervelé
Je me mettrai au travail
         S’il fait beau.

Anjela Duval (Juin 1967)


Jean-Pierre Calloc'h, Yann-Ber Kalloc'h en breton, est un barde. Il publie ses poèmes sous le pseudonyme de Pen men (Tête de pierre) puis de Bleimor (loup de mer). source : http://calloch.jp.free.fr/Pages/fspoete.htm


La tristesse du Celte

...
Je suis arrivé à l'âge où l'on aime à vivre,
A courir dans les champs, à s'amuser, à chanter,
A l'âge où l'on ne songe ni à tombe ni à pierre,
Ni à fleuve de la vie qui va si vite...
Au milieu de mon plaisir pourtant je suis inquiet :
Dieu mit la tristesse dans le coeur du Breton.
...

traduction : Tristedigeh er Helt
...
Dégouéhet on én oed é vourrér é véùein,
E rédeg ér parkeu, é hoari, é kanein,
En oed ha ne chonja nag é bé nag é mén,
Nag é stér er vuhé ken fonnuz é tremén...
E kreiz me 'flijadur, neoah, ankinet on;
Doué 'lakas en dristé é kalon er Breton.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1904


Pédenn evid Breih
...
Noz du er baianeh, ur baianeh méhuz,
E léd ar er bed koh hé mantell blaoahuz :
Eid hé ambroug én hent téoél,
Jézuz, chomet ged Breih-Izél !
...

Prière pour la Bretagne

...
La sombre nuit du paganisme, d'un paganisme honteux,
Etend sur le vieil univers son effroyable manteau :
Pour la guider dans cette route sombre,
Jésus, restez avec la Bretagne.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1909


Me halon zo é Breih-Izél

Me halon zo é Breih-Izél
Ne vern 'men 'ma er horv-man,
Me horv skuih énnoñ peb ezél.
Tro 'n dé, tro 'n noz é harman :
Me halon zo é Breih-Izél
Me halon n'é ket aman.
...
Mon coeur est en Basse -Bretagne

Mon coeur est en Basse-Bretagne
N'importe où est ce corps-ci
Mon corps dont chaque membre est lassé.
Tout le jour, toute la nuit je crie :
Mon coeur est en Basse-Bretagne
Mon coeur n' est pas ici.
...

Jean Pierre Calloc'h, à Paris, 1913


Kartér-noz ér hléieu
...
" Me zo er Gédour braz én é saù ar er hleu.
Goud e hran petra on ha me oér petra hran :
Iné Kornog, hé douar, hé merhed hag hé bleu,
Oll kened er bed é, en noz-man, e viran.
...

Quart de nuit aux tranchées
...
Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée,
Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais :
L'âme de l' Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs,
C'est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit.
...

Jean Pierre Calloc'h, 1916


Le poème qui suit, Me zo ganet e-kreiz ar mor a été mis en musique  par Jef Le Penven et est devenu une chanson traditionnelle bretonne :

Me zo ganet é kreiz er mor (trois premières strophes)

Me zo ganet é kreiz er mor
Tèr lèu ér méz;
Un tiig gwenn duhont em-es,
Er benal 'gresk etal en nor
Hag el lann e hol en anvez.
Me zo ganet é kreiz er mor,
E bro Arvor

Me zad e oé, èl é dadeu,
Ur matelod;
Béùet en-des kuh ha diglod
- Er peur ne gan dén é glodeu -
Bamdé-bamnoz ar er mor blod.
Me zad e oé, el e dadeu,
Stleijour-rouédeu.

Me mamm eùé e laboura
- Ha gwenn hé blèu -;
Geti, en hwéz ar on taleu,
Disket em-es bihannig tra,
Médein ha tennein avaleu.
Me mamm eùè e laboura
D'hounid bara...

...

Jean Pierre Calloc'h (extrait de "Prière dans les ténèbres", dans le recueil "A genoux", Paris 1914)

Je suis né au milieu de la mer

Je suis né au milieu de la mer
Trois lieues au large;
J'ai une petite maison blanche là-bas,
Le genêt croît près de la porte,
Et la lande couvre les alentours.
Je suis né au milieu de la mer,
Au pays d' Armor.

Mon père était comme ses pères
Un matelot.
Il a vécu obscur et sans gloire,
- Le pauvre, personne ne chante ses gloires -
Tous les jours, toutes les nuits sur la mer souple
Mon père était comme ses pères,
Traîneur de filets.

Ma mère aussi travaille,
- Malgré ses cheveux blancs -;
Avec elle, la sueur à nos fronts,
J'ai appris, tout petit,
A moissonner et à arracher les pommes de terre;
Ma mère aussi travaille
Pour gagner du pain ...

...

Jean Pierre Calloc'h ("Ar en deulin", Paris 1914)


Xavier Grall (1930-1981) est un journaliste et poète breton d'expression française, mais avec quelle force il revendique son identité ! Sa poésie est toute entière de roc, de lande et d'océan, et d'humanité. Voici quelques éloges de sa Bretagne.   

"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance."


Les vieux de chez moi

Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frêles brigantines

Les vieux de chez moi ont vaincu les récifs d'Irlande
Retraités, usant les bancs au levant des chaumières
Leurs dents mâchonnant des refrains de Marie Galante
Ils lorgnent l'horizon blanc des provendes hauturières

Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
leurs crânes pensifs roulent les trésors inouïs
des voiliers brisés dans les goémons rageurs
et luisent leurs regards comme des louis !

Les vieux de chez moi n'attendent rien de la vie
ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
mangé la cotriade et siroté l'eau-de-vie
La mort peut les prendre, noire comme pinasse

Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l'hortensia
Ils diront simplement aux Jeannie, aux Maria
"Adieu les belles, c'est le branle-bas"

Et les femmes des marins fermeront leurs volets

Xavier Grall ("La Sône des pluies et des tombes", 1976)


Allez dire à la ville

Terre dure de dunes et de pluies
c'est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c'est ici, c'est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c'est ici que je m'invente
j'ai l'âge des légendes
j'ai deux mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes
0 rebelles, mes frères
dans les mares les méduses assassinent les algues
on ne s'invente jamais qu'au fond des querelles

Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville qu'à Raguénuès et Kersidan
la mer conteste la rive
que les chardons accrochent la chair des enfants
que l'auroch bleu des marées
défonce le front des brandes

Allez dire à la ville
que c'est ici que je perdure
roulé aux temps anciens
des misaines et des haubans
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas

Poètes et forbans ont même masure
les chaumes sont pleins de trésors et de rats
on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle avec leur âme sans l'être avec la loi
les amis des grands vents
et les oiseaux perdus
Allez dire la ville
que je ne reviendrai pas

Terre dure de dunes et de pluies
pierres levées sur l'épiphanie des maïs
chemins tordus comme des croix
Cornouaille
tous les chemins vont à la mer
entre les songes des tamaris
les paradis gisent au large
Aven
Eden
ria des passereaux
on met le cap sur la lampe des auberges
les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc
O pays du sel et du lait
Allez dire à la ville
Que c'en est fini
je ne reviendrai pas
Le Verbe s'est fait voile et varech
bruyère et chapelle
rivage des Gaëls
en toi, je demeure.

Allez dire à la ville
Je ne reviendrai pas.

Xavier Grall ("Les vents m'ont dit" - éditions Calligrammes, Quimper)


Viens avec moi

Viens avec moi
je te dirai le cri des sternes
et le psaume des pierres levées
(...)
Viens avec moi
je te dirai les dieux fraternels
dans les chapelles bleues
Viens
nous inventerons un pays mystique
violentes seront les femmes comme des solstices
il y aura des nids chantants dans les poutres
les nefs seront pleines d'hirondelles.

Xavier Grall ("Les vents m'ont dit" - éditions Calligrammes, Quimper)


Pierre-Jakez Helias, Per-Jakez Helias en breton (1914-1995) est un romancier et poète de langue française et bretonne (il traduit lui-même ses textes), célèbre auteur du "Cheval d'Orgueil".

Ar men du (passage - titre du recueil )

Ho kared rin abaoe dec'h
Abaoe kenta deiz ar bed
Warc'hoaz ken stard em eus ho karet
Ma kollan alan hirio c'hoaz

Aze dalc'het, tu all ho karan
E lechiou n'ouzon netra outo
En ollved hag a chom da groui
Hag e pep tuiou a neblec'h

Hep ano deoc'h ho kared ris
Ho noz a lugernas em deiz
Re-bar d'un ehon ar men du
Ha neuze dres on deut er bed-mañ

traduction : La pierre noire

Je vous aimerai depuis hier,
Depuis le premier jour du monde.
Demain, je vous ai tant aimée
Que j'en perds le souffle aujourd'hui.

Là tenu, je vous aime ailleurs,
Dans des lieux inconnus de nous,
Dans l'univers encore à faire
Et les partout de nulle part.

Sans nom de vous, je vous aimai.
Votre nuit brilla dans mon jour
Comme une immense pierre noire
Et c'est alors que je suis né.

Pierre-Jakez Helias ("Ar men du / La pierre noire" - éditions Hallier, 1976 et P. J. Oswald, collection L'Exemplaire, 1976)


Victor Segalen (1878-1919) est d'abord un poète breton de langue française, médecin de marine, ethnographe et archéologue français. Ses attaches sont partout : grand voyageur et découvreur, c'est en Chine (mais en français) que paraît d'abor Stèles, en 1912, dans une édition très restreinte et non commerciale. Le texte qui suit en est tiré.

Conseils au bon voyageur

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.
Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la : plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches ; mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.
Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.
Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la, vertu d’une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.
Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles,
Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.

Victor Segalen (Stèles(*) - Presses du Pei-t’ang, Pékin, 1912 et éditions Crès, Paris, 1922)
(*)Les "stèles" sont des monuments chinois de forme rectangulaire et portant des inscriptions. L'édition de Pékin du recueil de Segalen s'en inspire : format et illustrations bien définis (image). Elle comprend 81 exemplaires hors commerce sur papier de Corée et environ 200 exemplaires sur vélin parcheminé. Elle est en 1914 augmentée de 16 nouveaux poèmes.
Stèles est paru en 1999 en collection Poésie / Gallimard, et on trouve exceptionnellement ici l'intégralité de l'ouvrage original : steles.net



29 avril 2007

Europe - France - Poètes de Provence et de Languedoc

La langue d'Oc, observeront les lecteurs attentifs, est différente à l'oral et à l'écrit selon les régions (et même à l'intérieur d'une même région). Témoin ces textes, de Provence et de Languedoc.

Frédéric Mistral (1830-1914) est un écrivain et poète provençal, prix Nobel de littérature en 1904.Il fonde en 1854 avec d'autres poètes provençaux, le Félibrige, pour défendre les cultures régionales traditionnelles et la langue occitane.

"Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut"
Frédéric Mistral

Voici une petite fable :

Lou gripo-roussignòutexte_Mistral_le_rossignol_orig

Au mes de mai, sus uno busco.
Lou roussignòu, plegant lis iue,
S'èro endourmi dedins la niue ;
Mai lou rejit d'uno lambrusco
Dins sa vediho l'arrapè
E lou vaqui pres pèr li ped.
... (suite du texte en cliquant sur l'image ci-contre >)

Frédéric Mistral ("Lis òulivado")

Le grippe-rossignoltexte_Mistral_le_rossignol

Au mois de mai, sur une branche,
Le rossignol, clignant des yeux,
S'était endormi dans la nuit ;
Mais le jet d'une vigne folle
Le saisit dans sa vrille,
Et le voilà pris par les pieds.
... (suite de la traduction en cliquant sur l'image ci-contre >)

Frédéric Mistral ("Les Olivades") en français par l'auteur.


Sextius Michel 1827-1906) est né à Sénas (Provence). Il "monté à Paris", avec ses premiers poèmes. Il sera président des félibres (voir ci-dessus Frédéric Mistral) de Paris et maire du XVe arrondissement, de 1871 à sa mort.
Il est le fondateur d'une des premières Caisses des écoles de Paris, pour financer les cantines scolaires, d'une colonie de vacances, ainsi que d'une mutualité scolaire (en 1900).

Les hirondelles (légende)texte_hirondelles_orig

Les hirondelles ont fait leur nid
dans la toiture ensoleillée
d'un petit château. L'aube rit
aux piaulements de la nichée.

Vivait dans ce paradis
une charmante dame adorée
d'un galant jouvenceau du pays.
Oh ! Quels tendres embrassements !

Un jour, crime ou folie,
on la trouva morte dans son lit,
la jeune dame, hélas ! toute seule.

L'amant avait disparu.
Revient l'été avec le ciel bleu,
mais ne reviennent pas les hirondelles.

Sextius Michel ("Le long du Rhône et de la mer") ("Long dóu Rose e de la mar" - Flammarion et Roumanillo 1892)

... (lire la traduction du poème  "Li dindouleto" en cliquant sur l'image ci-contre >)


"Max Rouquette est né en 1908 à Argelliers, près de Montpellier, dans un paysage inoubliable et jamais oublié de bois de chênes verts sombres, de garrigues colorées, de vignes tendrement odorantes et de figuiers bibliques. Ce paysage est la clé de son écriture. Parce que c'est en ce lieu, et en ce lieu seulement, que s'est effectuée la fusion des mots et du monde.
Max Rouquette a écrit en occitan (...)
Tous les textes de Max Rouquette résonnent de cette origine féconde. Ils en tirent probablement leur sève unique, et cette faculté d'éblouissement, tissée de beautés et d'angoisses, qui nous les rend communicables et si précieux."
(Philippe Gardy)

Los mots

Los mots son des sòus traucats.
Per jogar als osselets
ne vòle cafir ma pauma.
E ne faire gisclar son cant perdut,
ambe d’ulhauç de lusor nòva.
An delembrat çò que disián,
son tornats vèrges dins l’espandi.
Lo sòu traucat es vengut nòu.
Ne vòle faire de solelhs
e de lunas emai d’estèlas
qu’entre eles s’entrelusiràn.

Entre dos sangluts de quitarra
s’estira un sègle de dolor.

Max Rouquette

Les mots

Les mots sont des sous troués.
Pour jouer aux osselets
je veux en remplir ma paume.
Et leur faire crier leur chant perdu
dans des éclairs de clarté neuve.
Ils ont oublié ce qu’ils disaient,
à nouveau vierges dans l’espace.
Le sou troué redevient neuf.
Je veux en faire des soleils
et des lunes et des étoiles,
qui s’illumineront entre elles.

Entre deux sanglots de guitare
s’étire un siècle de douleur.

Max Rouquette ("Lo maucor de l'unicorn") ("Le tourment de la licorne") - éditions Domens


Et du même auteur, cette jolie scène nocturne :

Lo sabaud

Perque sus uolhs s'enclausisson de luna
clara dins lo ceu escur
un sabaud de l'estiu, doçament nada
dins l'aiga plana, miralh pur.

Mai naut que la mai nauta branca
ela, que landa eternament
davala e dins l'aiga, un moment
dansa per el en rauba blanca.

Max Rouquette ("Los saumes de la nuoch" - éd Obsidiane -bilingue, 1984)

traduction de l'auteur :

Le crapaud

Parce que ses yeux s'enchantent de la lune
claire dans le ciel obscur
un crapaud de l'été doucement nage
dans l'eau plane, pur miroir.

Plus haut que la plus haute branche
elle, qui glisse éternellement,
descend, et dans l'eau un moment
danse pour lui en robe blanche.

Max Rouquette ("Les psaumes de la nuit" - éd Obsidiane -bilingue, 1984)


Alan Pelhon  (1946-1994) est né à Coaraze (Alpes-Maritimes), et c'est dans cette région qu"il a passé sa courte vie.

La jòia (titre proposé)

La jòia serà fuec
Cant dau gal
Parpalhon virolant d'aquí ailà
Lutz esclapant la nuech
Aiga fresca dau sorgent
Mar breçolada per li gabians
Solelh que s'escorre plan-plan
En la mieu boca
En una jòia que ren arresta

La joie

La joie sera feu
Chant du coq
Papillon pirouettant ça et là
Lumière brisant la nuit
Eau fraîche de la source
Mer bercée par les mouettes
Soleil qui ruisselle doucement
Dans ma bouche
Dans une joie que rien n'arrête

Alan Pelhon ("Vi devi parlar"/"Je dois parler") - éditions La Dralha, 2004.


Louisa Paulin (1888-1944) a vécu dans le Tarn (naissance à Réalmont), où elle a été institutrice. Elle écrit ses poèmes d'abord uniquement en français, puis en français et en occitan.
“Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”

On ne connaît généralement de Louisa Paulin que ses poèmes en français. Voici deux textes qu'elle a écrits dans les deux langues :

La cançon del silenci.

Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci,
la cançon que comença,
quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ;
la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta,
la cançon de l'aigueta
que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ;
la cançon de la branca
que fernís e que dança
desliurada del pes amorós d'un ausèl ;
la secreta conçon breçant l'ombra blavenca
del lir còrfondut de promessa maienca,
qu'espèra, per florir, un signe del azur.


La chanson du silence

Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence,
la chanson qui commence,
quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ;
la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe,
la chanson de l'eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ;
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d'un oiseau ;
la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière,
qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.

Louisa Paulin


Fum 

Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal !
Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps
Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas.
O fial de fum, vèni ligar un raive,
Un rave que m'escapa
– coma tu, lial de fum –
Per fugir cap a las estelas.

Louisa Paulin ("Sorgas")

Fumée

Non, non, ce soir je veux fuir la maison !
Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs
Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes.
Ô fil de fumée, viens lier un rêve,
Un rêve qui m'échappe
– comme toi, fil de fumée –
Pour fuir vers les étoiles.

Louisa Paulin ("Sources")


Jean Boudou ou Joan Bodon (1920-1975), instituteur aveyronnais, est considéré comme le plus grand des poètes du Languedoc. Il est l'auteur de romans et de poésies en occitan, exclusivement.

Recueil le plus connu : Sus la mar de las galèras (Sur la mer des galères), dont on peut trouver le texte intégral ici (format pdf mais non traduit)

Alba de Pigala

Cercavi fortuna, la trobèri lèu;
Aquela nuèch blanca tombava de nèu.
Canti çò que canti, plore lo que vòl...
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Gardèt los debasses e lo casabèc:
De què ne pensavas, Tolosa-Lautrèc ?
Sus una flaçada, sens cap de lençòl ...
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Qu’es aquela trèva que totjorn me sèc ?
Lautrèc es Tolosa: lo comte bufèc ...
Quand l’amor se paga per un blavairòl.
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Al fons de la prada sabi lo pibol,
Sabi la montanha ... Caminarai sol.
La fortuna vira que me ten pel còl.
Mas per cridar l’alba cal un rossinhòl.

Joan Bodon

L'aube de Pigala

Je cherchais fortune, la trouvai bientôt,
Cette nuit blanche où tombait la neige.
Je chante ce que je chante, pleure qui veut
Mais pour appeler l'aube il faut un rossignol ...

...

Au fond de la prairie je sais le peuplier,
Je sais la montagne ... seul, je marcherai
La fortune tourne qui me tient par le cou.
Mais pour appeler l'aube il faut un rossignol ...

Libre traduction des première et dernière strophes, lieucommun.
Ce texte est chanté en occitan par Mans de Breish, comme le suivant.


Alba d'Occitania (extrait)     Aube d'Occitanie

La nuèch e la pluèja e lo gèl  La nuit et la pluie et le gel
Pas una estela dins lo cèl       Pas une étoile dans le ciel
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?
Encara canta pas l'aucèl         L'oiseau ne chante pas encore
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?

Una nuèch longa sens amor    Une longue nuit sans amour
Lo rosal plora sus la flor        Le rosier pleure sur la fleur
Quora tornara l'alba ?            Quand viendra l'aube ?
S'entrevesiam una lusor ...     On entrevoit une lueur ...

Paraulas de Joan Bodon, Cantat per Mans de Breish
Paroles de Joan Bodon, Chanté par Mans de Breish  traduction Lieucommun


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