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1 août 2007

L'hiver d'Émile Verhaeren

Émile Verhaeren (1855-1916) est présenté dans d'autres catégories sur ce blog.
Il habille de mots à lui ce classique paysage de neige :

La neige

La neige tombe, indiscontinûment,
Comme une lente et longue et pauvre laine,
Parmi la morne et longue et pauvre plaine,
Froide d'amour, chaude de haine.

La neige tombe, infiniment,
Comme un moment -
Monotone - dans un moment ;
La neige choit, la neige tombe,
Monotone, sur les maisons
Et les granges et leurs cloisons ;
La neige tombe et tombe
Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes.

Le tablier des mauvaises saisons,
Violemment, là-haut, est dénoué ;
Le tablier des maux est secoué
A coups de vent, sur les hameaux des horizons.

Le gel descend, au fond des os,
Et la misère, au fond des clos,
La neige et la misère, au fond des âmes ;
La neige lourde et diaphane,
Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme,
Qui se fanent, dans les cabanes.

Aux carrefours des chemins tors,
Les villages sont seuls, comme la mort ;
Les grands arbres, cristallisés de gel,
Au long de leur cortège par la neige,
Entrecroisent leurs branchages de sel.

Les vieux moulins, où la mousse blanche s'agrège,
Apparaissent, comme des pièges,
Tout à coup droits, sur une butte ;
En bas, les toits et les auvents
Dans la bourrasque, à contre vent,
Depuis Novembre, luttent ;
Tandis qu' infiniment la neige lourde et pleine
Choit, par la morne et longue et pauvre plaine.

Ainsi s'en va la neige au loin,
En chaque sente, en chaque coin,
Toujours la neige et son suaire,
La neige pâle et inféconde,
En folles loques vagabondes,
Par à travers l'hiver illimité monde.

Émile Verhaeren ("Les villages illusoires")


Neige

Viens jusqu’à notre seuil, répandre
Ta blanche cendre,
Ô neige pacifique et lentement tombée !
Le tilleul du jardin tient ses branches courbées
Et plus ne fuse au ciel la légère calandre.

Ô neige
Qui réchauffes et qui protèges
Le blé qui lève à peine
Avec la mousse, avec la laine
Que tu répands de plaine en plaine !

Neige silencieuse et doucement amie
Des maisons, au matin dans le calme endormies,
Recouvre notre toit et frôle nos fenêtres

Et soudain par le seuil et la porte pénètre
Avec tes flocons purs et tes dansantes flammes,
Ô neige lumineuse au travers de notre âme,

Neige, qui réchauffes
Encor nos derniers rêves

Comme du blé qui lève !

Émile Verhaeren ("Les villages illusoires")


 


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