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1 avril 2008

Marceline Desbordes-Valmore, Anne-Marie Désert

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) publie à l'âge de 23 ans son premier recueil : Élégies, Marie et Romances. Sensible, romantique, lyrique, sa poésie humaniste et sociale invente de nouvelles formes dont se sont inspirés sans doute des poètes comme Verlaine et Rimbaud.

"Les séparés", témoignage d'une souffrance réelle, un texte que Julien Clerc a mis en musique :

N'écris pas

N'écris pas, je suis triste, et je voudrais m'éteindre
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau
N'écris pas !

N'écris pas, n'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes
Ne demande qu'à Dieu ... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais
N'écris pas !

N'écris pas, je te crains ; j'ai peur de ma mémoire;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire
Une chère écriture est un portrait vivant
N'écris pas !

N'écris pas ces mots doux que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Et que je les voix brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur
N'écris pas ! ...

Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")

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Ma fille

T'es ma fille ! T'es ma poule !
T'es le petit coeur qui roule
Tout à l'entour de mon coeur !
T'es le p'tit Jésus d'ta mère !
Tiens ! gnia pas d'souffrance amère
Que ma fill' n'en soit l'vainqueur.

Gnia pas à dir', faut qu'tu manges.
Quoiqu' tu vienn's d'avec les anges,
Faut manger pour bien grandir.
Mon enfant, j't'aim' tant qu'ça m'lasse;
C'est comme un' cord' qui m'enlace,
Qu' çà finit par m'étourdir.

Qué qu'ça m'fait si m' manqu' queuqu'chose,
Quand j'vois ton p'tit nez tout rose,
Tes dents blanch's comm' des jasmins ;
J'prends tes yeux pour mes étoiles,
Et quand j'te sors de tes toiles
J'tiens l'bon Dieu dans mes deux mains.

T'es ma fille ! T'es ma poule !
T'es le petit coeur qui roule
Tout à l'entour de mon coeur !
T'es le p'tit Jésus d'ta mère !
Tiens ! gnia pas d'souffrance amère
Que ma fill' n'en soit l'vainqueur !
 

Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies en patois")

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À mes enfants

Quand le soleil y passe, ouvrez votre fenêtre ;
Lui seul sait essuyer l’humide et sombre hiver.
Si le bonheur absent vient pour vous reconnaître,
Que votre cœur charmé, tout grand lui soit ouvert !

Gardez-vous de bouder, enfants, contre vous-mêmes.
Sachez : l’or est moins pur qu’un tendre et doux conseil.
Enfants : ne pas sourire à l’ami qui vous aime,
C’est tourner le dos au soleil.

Marceline Desbordes-Valmore

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Au revoir

Sous tes longs cheveux d'or, quand tu cours sur la grève
Au vent,
Si quelque prompt ramier touche ton front qui rêve
Souvent,
De cette aile d'oiseau ne prends pas, ô ma fille !
D'effroi :
Pour baiser son enfant** c'est une âme qui brille :
C'est moi !
Parmi d'autres enfants qui te font toute heureuse,
Le soir,
Quand tu vas au jardin, lasse d'être rieuse,
T'asseoir;
Si tu t'inquiétais comment je passe l'heure,
Sans toi,
Penche un peu ton oreille à cet oiseau qui pleure :
C'est moi !

Marceline Desbordes-Valmore

* "t'inqui-étais"
** Variante possible : "pour aimer son enfant "... Le sens du verbe baiser a évolué ... On peut, peut-être, garder  la version originale et l'expliquer ?

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Un nouveau-né (passage)

...
Toi, cher petit dormeur, notre monde te plaît :
Ton âme est toute blanche et n'a bu que du lait !
Depuis si peu d'instants descendu sur la terre,
Tes yeux nagent encor dans un divin mystère ;
Tu revois la maison d'où tu viens, ton beau ciel,
Et ton baiser qui s'ouvre en a gardé du miel !

Marceline Desbordes-Valmore

Une lettre de femme

Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire ;
J'écris pourtant,
Afin que dans mon coeur au loin tu puisses lire
Comme en partant.

Je ne tracerai rien qui ne soit dans toi-même
Beaucoup plus beau ;
Mais le mot cent fois dit, venant de ce qu'on aime,
Semble nouveau.

Qu'il te porte au bonheur ! Moi, je reste à l'attendre,
Bien que, là-bas,
Je sens que je m'en vais, pour voir et pour entendre
Errer tes pas.

Ne te détourne point s'il passe une hirondelle
Par le chemin,
Car je crois que c'est moi qui passerai, fidèle,
Toucher ta main.

Tu t'en vas, tout s'en va ! Tout se met en voyage,
Lumière et fleurs,
Le bel été te suit, me laissant à l'orage,
Lourde de pleurs.

Mais si l'on ne vit plus que d'espoir et d'alarmes,
Cessant de voir,
Partageons pour le mieux : moi, je retiens les larmes,
Garde l'espoir.

Non, je ne voudrais pas, tant je te suis unie,
Te voir souffrir :
Souhaiter la douleur à sa moitié bénie,
C'est se haïr
.

Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")

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Les roses de Saadi

J'ai voulu, ce matin, te rapporter des roses;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrées n'ont pu les contenir.

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir;

La vague en a paru rouge et comme enflammée :
Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée…
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
 

Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")

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Qu'en avez-vous fait ?
   
Vous aviez mon cœur
Moi, j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur,
Bonheur pour bonheur !

Le v
ôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre;
Le v
ôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur,

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là
Dans ma vie amère,
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'Amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde
Vous appellerez,
Et vous songerez !…

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte,
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant,

Et l'on vous dira :
"Personne !… elle est morte."
On vous le dira,
Mais, qui vous plaindra ?
 

Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")

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Jours d'été

Pour regarder de près ces aurores nouvelles,
Mes six ans curieux battaient toutes leurs ailes ;
Marchant sur l'alphabet rangé sur mes genoux,
La mouche en bourdonnant me disait : "Venez-vous ? ..."
et mon nom qui teintait dans l'air ardent de joie,
les pigeons sans liens sous leur robe de soie,
Mollement envolés de maison en maison,
Dont le fluide essor entraînait ma raison,
Les arbres, hors des murs, poussant leurs têtes vertes,
jusqu'au fond des jardins les demeures ouvertes,
le rire de l'été sonnant de toutes parts,
Et le congé, sans livre ! errant aux vieux remparts :
Tout combattait ma soeur à l'aiguille attachée ;
tout passait en chantant sous ma tête penchée ;
Tout m'enlevait, boudeuse, et riante à la fois ;
Et l'alphabet toujours s'endormait dans ma voix.

Marceline Desbordes-Valmore ("Bouquets et prières")


Anne-Marie Désert est une auteure contemporaine. Elle a publié deux recueils : "L'arbre transparent", 1974, réédité en 1983, et le récent "Quatre saisons dans l'arbre transparent", éditions Books On Demand, juin 2010. On retrouve dans ce dernier, avec d'autres textes, les poèmes du premier recueil.

"j'ai ma maison dans un arbre ..."

Oubliée par le blog dans cette catégorie du Printemps des poètes 2010 (mais heureusement présente ailleurs), Anne-Marie Désert a publié son premier recueil en 1983, que des poètes ont salué (Norge, Guillevic ...). Elle nous donne à voir (août 2010) ce beau texte, qui peut ouvrir les chemins de la poésie sensible aux élèves dès l'élémentaire :

LES VACHES (titre proposé)

UN TEMPS J’AVAIS UN GRAND SAC
OÙ S’ÉGARAIENT PARFOIS LES VACHES.

J’AIMAIS OUVRIR MON SAC
POUR REGARDER LES TROUPEAUX.

SANS UN REGARD,
LEURS YEUX TROUVAIENT DES CHEMINS
DE TRAVERSE EN HAUT DES ARBRES.

ET DANS LE SILENCE
JE NE LAISSAIS RIEN ENTRER
QUE LEURS SABOTS
.

Anne-Marie Désert ("L'arbre transparent")


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