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1 avril 2008

Albertine Sarrazin

Albertine Sarrazin (1937-1967) est une romancière et poète. Emprisonnée 8 années pour délinquance et prostitution, elle a écrit ses romans et ses poèmes derrière les barreaux. Ils racontent sa vie et portent la marque de la prison, de ses rêves de liberté et de son amour pour Julien Sarrazin.

Comme dans presque tous les poèmes de son recueil, l'auteure s'est affranchie de toute ponctuation et ne titre pas les textes (les titres sont proposés par le blog). Il faudra choisir sa diction :

Paris  (titre proposé pour ces deux textes qui se suivent dans le recueil)

Ton pied bute et rôde
Par la chambre chaude
Où l'aube maraude
L'adieu sans pleurer
À l'heure d'errer
Dans Paris doré

Moi très peu bavarde
Au lit qui me garde
Moi qui nous regarde
pauvres coeurs cachés
Toujours arrachés
Vers d'autres péchés

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Paris aux yeux tristes
Ciel inimité
En vain tourmenté
Des méchants artistes

Comme alors la reine
Je cours sans souliers
Aux blancs escaliers
Qu'a noyés la Seine

Richesse complète
Avoir mon tombeau
Au fin fond de l'eau
Où Paris reflète

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le soleil voudrait saigner sans arrêt ...

Le soleil voudrait saigner sans arrêt
Il coupe mon corps de longues aiguilles
Mais l'aube naîtra d'ici partirai
Un jour n'est pas loin nous reconnaîtrons
Ta voix en liberté franchit mes grilles
Tes cheveux encor dansent tes chansons
je voudrais tant dire et ne parle pas
Car la nuit est froide où sans fin tu brilles
Chut j'écoute en moi l'écho de tes pas

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en mal du mal que j'aime ...

Je suis en mal du mal que j'aime
Du ciel fauve où bat sans arrêt
Appel rythmé la forêt
Pour l'impossible poème

Dans nos courses d'enfant pas sage
Sous le dôme d'air et de lait
Comme la fontaine volait
Légèrement au visage

Le vent bruni couleur de flûte
Dans le sable nous effaçait
Et douce pluie dansait
Mêlant nos pas en sa chute

Doullens, 1956

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Rêve du 7 avril

Les hommes m’ont condamnée
À demeurer loin d’eux
Dans le calme ils m’ont enfermée
Seule à seule
Avec la vierge
Avec la cierge
Et le crochet
Moins puissant que symbolique
Dont ma porte est fermée
La religieuse
M’a percé la main de ce crochet
Symboliquement
Je rêve vers celui
Dont on m’a éloignée
Pour lui j’ai renversé les tiroirs
Du souvenir
De l’avenir
Du revenir
L’homme est revenu
Il a jugé ma révolte enfantine
Et lui aussi s’est détourné
J’ai monté par les escaliers sanglants
Nue encore sous la robe noire
Ma mère pour la première fois souriant
La fille relevée me contant son histoire

Désormais j’étais
Déchue à la terre
Refusée au ciel
On ressortit tout mon courrier d’enfance
Tout ce magique
Toute cette amitié
Tour ce profané
J’ai fait mal aux enfants
Par ce courrier d’enfance
Et me suis renfermée
Ni l’amour
Ni l’amant
Ni l’ami
Ne viennent me délivrer
La moitié de moi qui rôde autour des murs
Me prend par la main
Et franchit le ravin
Et rampe le long des frontières d’Europe
Alors sept coups de feu font éclater le rêve.

Fresnes, 1955

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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La jacasse dans son nœud de ramures


La jacasse dans son nœud de ramures
N’entendit la clé toucher les serrures
Et la prison fuir en un long respir
Parce que la vie ici est soupir
Les carillonneurs regardaient peut-être
Passer le convoi lent de nos fenêtres
Piquées très haut sur l’obscurité
Papillons morts des rondes sans été

Ah tant que la nuit neige sur la chambre
Que je sois cristal et toi mon Décembre
Soumis au ciel nous ne saurions mourir
Ni l’errant désir nous ensevelir

Je suis riche parmi les mendiantes
Et peux bien laisser ma part des enfances
Miséricordieusement leurrer
Tous ces hommes que Noël fait pleurer
Mon amitié chaude cheminée
Garde-leur ce soir le rêve à portée
Et que le beau feu danseur des hivers
Les réconcilie aux froides hiers

Noël, 1959

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Le merle

Revenu
Gavé des solfèges
Des pièges des neiges
Des grains sacrilèges
Revenu

Petit corps
Chante-primevère
Ou bien c'est ton frère
Dont le rire espère
Là-dehors

La douceur
de croire autre chose
Epuise et repose
Vague l'on suppose
La douceur

Nuit de mars
Qui laisse grisée
D'une aile posée
Au toit de rosée
L'oiseau noir

Qui s'enfuit
Vers l'avant-aurore
Où tombe incolore
L'aujourd'hui

Soissons, 1960

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)

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Je suis en partance

Je suis en partance
Aux jours de l'exil
Aucune importance
Je tiens le bon fil

J'ai lu le grand Meaulnes
Je dors si je veux
Mes doigts restent jaunes
Et noirs mes cheveux

Dehors me murmure
À travers le toit
Et chaque voiture
Va passant pour moi

Comme en ta couchette
Rêvant sur le bois
M'abreuve en cachette
À l'eau que tu bois

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier

Amiens, 1958

Véronique Pestel interprète ce poème, devenu chanson, en 2000, sur une musique d'Alain Poirier.

Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)



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