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lieu commun
1 mai 2008

le féminin des autres - Neruda, Mistral - Chili - Amérique du Sud

Pablo Neruda (1904-1973) est le poète chilien le plus connu dans le monde.
Dans le recueil "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée" les poèmes ne portent aucun titre, ils sont numérotés de I à XX.

(Passages de 3 poèmes consécutifs du recueil)

XIV

"Juegas todos los días con la luz del universo" ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers ...

Tu joues tous les jours avec la lumière de l'univers.
Subtile visiteuse, tu viens sur la fleur et dans l'eau.
Tu es plus que cette blanche et petite tête que je presse
Comme une grappe entre mes mains chaque jour.

Tu ne ressembles à personne depuis que je t'aime.
Laisse-moi t'étendre parmi les guirlandes jaunes.
Qui inscrit ton nom avec des lettres de fumée parmi les étoiles du sud ?
Ah laisse-moi me souvenir comment tu étais alors, quand tu n'existais pas encore.

(...)

Je te crois même reine de l'univers.
Je t'apporterai des fleurs joyeuses des montagnes, des copihues,
des noisettes foncées, et des paniers sylvestres de baisers.

Je veux faire avec toi
ce que le printemps fait avec les cerisiers.

XV

"Me gustas cuando callas porque estas como ausente" ...

Je t'aime quand tu te tais ...

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas.
On dirait que tes yeux se sont envolés,
et on dirait qu'un baiser t'a clos la bouche

(...)

Je t'aime quand tu te tais et que tu es comme distante.
Et tu es comme plaintive, papillon que l'on berce.
Et tu m'entends au loin, et ma voix ne t'atteint pas :
laisse-moi me taire avec ton silence.

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence,
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, silencieuse et constellée.
Ton silence est d'étoile, si lointain et si simple.

Je t'aime quand tu te tais, parce que tu es comme absente,
distante et dolente, comme si tu étais morte.
Un mot alors, un sourire suffisent,
et je suis heureux, heureux que ce ne soit pas vrai.

XVI

"En mi cielo al crepúsculo, eres como una nube" ...

Tu es au crépuscule ...

Tu es au crépuscule un nuage dans mon ciel,
ta forme, ta couleur sont comme je les veux.
Tu es mienne, tu es mienne, ma femme à la lèvre douce
et mon songe infini s'établit dans ta vie.

(...)

Tu es prise au filet de ma musique, amour,
aux mailles de mon chant larges comme le ciel.
Sur les bords de tes yeux de deuil mon âme est née.
Et le pays du songe avec ces yeux commence.

Pablo Neruda ("Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée", 1998 - paru en Poésie/Gallimard)

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Gabriela Mistral (1889-1957), est une poètesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.

Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.

¿ En dónde tejemos la ronda ?

¿ En dónde tejemos la ronda ?
¿ La haremos a orillas del mar ?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿ La haremos al pie de los montes ?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿ La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡ La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !

Gabriela Mistral

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Où ferons-nous la ronde ?

Où ferons-nous* la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.

Gabriela Mistral ("Désolation"  - 1922) - (traduction proposée par le blog lieucommun) -  * traduction littérale : "où tresserons-nous ..."

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Tout n'est que ronde

Les astres sont ronde
de garçons qui jouent
à voir sur la terre.
Les blés sont des tailles
de petites filles
qui jouent à ployer.

Les fleuves sont ronde
de garçons qui jouent
à se retrouver
dans la mer. Les vagues
sont ronde de filles
qui jouent à serrer
dans leurs bras la Terre.

Gabriela Mistral (source : site officiel du Printemps des Poètes - "Couleur femme")

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Dans le texte suivant, l'auteur décrit "trois arbres" de Patagonie, cette région à l'extrème pointe de l'Amérique du Sud, à la frontière du Pôle sud. Terre de glace et "terre de feu" (les volcans), avec à l'ouest des forêts millénaires.
C'est en Patagonie que se trouve la ville d' Ushuaïa (l'émission de télévision sur la nature sauvage lui a emprunté son nom : "baie qui pénètre vers le couchant" dans la langue des indiens).

Trois arbres

Trois arbres tombés
sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s'entretiennent*,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.

Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum
de leur flanc ouvert.

L'un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l'autre
et ses blessures sont pareilles
à des yeux pleins de prière.

Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.
Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de douleur**.

Gabriela Mistral ("Paysages de Patagonie, dans le recueil "Désolation"  - 1922).

* dans le sens de converser     -   ** traduction de Mathilde Pomès : "deuil" - lieucommun a préféré traduire par "douleur".
Traduction de Mathilde Pomès, auteure de "
Gabriela Mistral" (collection Poètes d'aujourd'hui - éd Pierre Seghers - 1963)



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