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1 mai 2008

féminin des autres - Europe - Europe Centrale et Europe de l'Est

 EUROPE de l'EST et ORIENTALE 

POLOGNE

Isaïe Spiegel (1906-1990), Juif polonais survivant d'Auschwitz, n'a cessé de témoigner de l'holocauste.

La dernière fois
 
Je t'ai vue, la dernière fois, dans le wagon encore ouvert,
Parmi le troupeau effaré, les visages des enfants juifs,
Je n'ai pu te tendre la main même pour le dernier voyage
Déjà le camion fermé m'emportait vers la grande route.
Et je ne savais pas que c'était le dernier,
Le dernier voyage de tous nos rêves,
Au loin les monts bleuis vers nous semblaient geler
Et près d'eux, sur le ciel, crachaient les crématoires.
 

Isaïe Spiegel ("Une échelle vers le ciel" - Gallimard, 1979)

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ALBANIE

Ismaïl Kadaré, né en 1936, est un grand écrivain ("Le Général de l'armée morte") et poète albanais.
Il a obtenu l’asile politique en France en 1990.

Un poème en albanais, la langue officielle du pays :

Peisazh (Paysage)

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur
Sillen në fushën e ngrirë
Shkelin mbi ngricë gjithkund.
Korbat mbi kokat e tyre
Enden kërcënueshëm.
Krokama
E tyre tregon se në kodin
E lashtë diçka nuk punon.

Ç'janë ato plaka me të zeza që flasin një gjuhë të vdekur:
Korba mbi fushën e ngrirë.
Krokama të shkreta plot hutim.


Ismaïl Kadaré

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et sa traduction en français :

Paysage (Peisazh)

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Elles errent parmi les labours
durcis par le gel,
foulant la glace qui craque sous leurs pas.
Au-dessus d'elles,
menaçants, les corbeaux tournoient.
Leurs croassements semblent indiquer
qu'il y a quelque chose de détraqué dans le Code de l'espèce.

Qui sont ces vieilles tout en noir parlant une langue morte?
Quelques corneilles foulant le gel des labours.
De pauvres croassements égarés.
                                                                      

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) version française établie par Claude Durand et l’auteur
avec la collaboration de Mira Mexi, Edmond Tupja et Jusuf Vrioni

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Même quand mon souvenir ... 

Même quand mon souvenir affaibli,
pareil aux trams d'après minuit,
ne s'arrêtera plus qu'aux principaux arrêts,
jamais je ne t'oublierai.

Je garderai en mémoire
le crépuscule immense et silencieux de ton regard,
et ce gémissement étouffé contre mon épaule
comme les flocons d'une neige un peu folle.

C'est l'heure de se séparer.
Je vais m'en aller loin de toi.
Rien là qui puisse étonner.

Pourtant, une autre nuit, les doigts
d'un autre dans tes cheveux viendront
s'entrelacer aux miens, mes doigts
de milliers de kilomètres de long.

Ismaïl Kadaré ("Poèmes" - Éditions Fayard 1997) 

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RUSSIE

Youna Morits est née en 1937.

Je voudrais savoir

Je voudrais bien savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tombe le soir
sur le jour par traîtrise,
pourquoi le roseau chante
mais pas les autres plantes,
pourquoi dans sa tanière
l’ours peut dormir l’hiver
mais moi, qu’il pleuve ou vente,
je dois aller apprendre
l’histoire et la grammaire!

Je voudrais bien savoir
qui a donné leur nom
aux pommes et aux poires
et à chaque saison;
qui a fait qu’on appelle
éléphant l’éléphant
alors qu’il n’a pas d’ailes,
bien plus lourd qu’un enfant;
pourquoi a-t-on nommé
ainsi le crocodile,
lui qui n’a pas croqué
ma petite soeur Odile?

Je voudrais bien savoir
pourquoi la pauvre chèvre
ne fait que bégayer,
pourquoi toujours mes lèvres
ont comme un goût salé
quand je dis des sottises ?

Je voudrais tant savoir,
je voudrais qu’on me dise
pourquoi tous les regards
et aussi les nuages
se lisent comme un livre,
pourquoi sur le visage
il y a des yeux qui vivent,
il y a des yeux qui vivent ?

Youna Morits (dans l'Anthologie de la poésie russe pour enfants" -  Circé poésie, 2000) - source : Printemps des Poètes, site officiel

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Vera Pavlova, poétesse et musicienne russe, est née à Moscou en 1963. Elle y vit toujours. "L'Animal céleste", paru en 2004 est le premier de ses recueils traduit en français :

La balance

Sur un des plateaux la joie.
Sur l'autre le chagrin.
Le chagrin est lourd.
Voilà pourquoi
la joie est plus haute.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

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Je voudrais t’écrire une lettre ...

Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot
de reproche, de rancune, d’insolence,
pas de coquetterie, de caprice, de bravade,
pas de flatterie, de mensonge, d’entourloupe,
pas la moindre billevesée, pas de vaine philosophie…
Je voudrais t’écrire une lettre
dans laquelle il n’y aurait pas un mot.

Vera Pavlova ("L'Animal céleste" - traduit du russe par Jean-Baptiste et Hugo Para - éditions L'Escampette, 2004).

On peut lire ce poème de Vera Pavlova  dans "Poètes russes d’aujourd’hui" - Éditions La Différence, en collaboration avec l'université Natalia Nesterova de Moscou, 2005) - Cette anthologie bilingue est préfacée par Konstantin Kedrov :  "Par la diversité de ses courants, de ses écoles, la poésie russe contemporaine est aussi foisonnante que celle du début du siècle dernier".

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Maria Tsetaeva (ou Tsvetaïeva), (1892-1941).

"la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace
de passer sans laisser d'ombre".
Maria Tsetaeva

L'auteure a passé une partie de son existence à Paris. C'est en français qu'elle écrit ce texte :

Neige

Neige, neige
Plus blanche que linge,
Femme lige
Du sort : blanche neige.
Sortilège !
Que suis-je et où vais-je ?
Sortirai-je
Vif de cette terre

Neuve ? Neige,
Plus blanche que page
Neuve neige
Plus blanche que rage
Slave ...
Rafale, rafale
Aux mille pétales,
Aux mille coupoles,
Rafale-la-Folle !

Toi une, toi foule,
Toi mille, toi râle,
Rafale-la-Saoule
Rafale-la-Pâle
Débride, dételle,
Désole, détale,
À grands coups de pelle,
À grands coups de balle.

Cavale de flamme,
Fatale Mongole,
Rafale-la-Femme,
Rafale : raffole.

Marina Tsetaeva (cité par Eveline Amoursky - texte emprunté au site : www.espritsnomades.com )

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Poèmes à Blok (extrait)

Ton nom - un oiseau dans la main,
Ton nom - sur la langue un glaçon.
Un seul mouvement de lèvres.
Quatre lettres*.
La balle saisie au bond,
Dans la gorge un grelot d'argent.

Une pierre jetée dans l'étang
Sangloterait ainsi quand on t'appelle.
Dans le piaffement léger des sabots la nuit
Ton nom, son éclat, retentit.
Le chien du fusil qui claque à la tempe
Le dit.

Ton nom -
ah, impossible!
Ton nom - le baiser sur les yeux,
Sur le tendre froid des paupières.

Ton nom - le baiser sur la neige.
Gorgée d'eau bleue qui sourd, glaciale,
Avec ton nom - le sommeil est profond.

* BLOK, à qui est adressé ce texte
Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Ma journée est absurde ...

Ma journée est absurde non-sens
J'attends du pauvre une aumône,
Je donne au riche généreusement.

J'enfile dans l'aiguille un rayon,
Je confie ma clef au brigand
Et je farde mes joues de blanc.

Le pauvre ne me donne pas de pain,
Le riche ne prend pas mon argent,
Dans l'aiguille le rayon ne passe pas.

Il entre sans clef, le brigand,
Et la sotte pleure à seaux
Sur sa journée de non-sens. 

Marina Tsvetaïeva ("Marina Tsvetaïeva par Véronique Lossky" - Poètes d'Aujourd'hui, Seghers 1990)

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Pour grand-mère

L’ovale allongé, sévère,
Les plis de la robe noire …
Jeune grand-mère ! Qui baisait
Vos lèvres hautaines ?
Ces mains qui dans les salles de Chopin …
De chaque côté du visage glacé
Les boucles en spirales.
Le regard sombre, droit et exigeant,
Le regarde prêt de la bataille.
Les jeunes femmes ne regardent pas ainsi.
Jeune grand-mère, qui êtes-vous ?
Que d’occasions vous avez emportées,
Que de choses impossibles aussi
Dans le sein affamé de la terre,
Polonaise de vingt ans !
Le jour était innocent, le vent frais.
Les sombres étoiles mouraient.
Grand-mère! Ce cruel tourment
Dans mon coeur, serait-ce vous ? ...

Marina Tsvetaïeva ("Le ciel brûle", 1914 - éditions Gallimard, Poésie/Gallimard, 2002)

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Antonina Kimitval est née en 1940.

Le caneton

Le lac se couvrait de glace, le froid devenait plus âpre,
Par un jour sombre d’automne, j’aperçus un caneton.

Sans ami, seul, il nageait, barbotant dans les glaçons,
Luttant seul contre le gel qui figeait les eaux profondes.

Il désirait s’envoler mais il ne pouvait le faire.
La mort froide le guettait, l’oiseau voulait vivre, vivre.

Je voulus aller vers lui, il ne me comprenait pas.
Il s’enfuyait, déchirant la glace fragile encore ...

Il est resté seul ainsi, mourant sur le lac gelé
Et sa mort m’a rappelé le passé de mon pays..

Antonina Kimitval (dans la revue "Europe",  n° 607-608 de nov-déc 1979 : "Le livre, l'enfant dans le monde" - Les Éditeurs Français Réunis, 1979)


ROUMANIE

Magda Isanos (1916-1944).

 Le poème de la femme qui aimait le printemps (extrait)

Le printemps viendra.
Les fleurs porteront au sommet
La lumière qui brille
Du soleil
Et de la grande
Saison rêveuse.
"Pousse, fleur",
Murmurera la lumière de mai.
Des ailes
S'ouvriront à l'instant juste,
Et chaque chose se prolongera dans l'ombre secrète.
On aura beau changer d'habit pour l'amour,
La fleur, l'homme et l'élan
N'en resteront pas moins éphémères.

Magda Isanos ("Poésies" traduction d'Alain Bosquet, 1943) - source : site officiel du Printemps des Poètes ; "Couleur femme"


TURQUIE

Orhan Veli Kanik (1914 - 1950) est né à Istanbul.
C'est un poète populaire. Il a traduit en turc des poètes français, et a été Influencé par différentes écoles et mouvements poétiques, le dernier étant le Surréalisme.

J’écoute Istanbul (extrait)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Tout d’abord, le souffle du vent
Et le feuillage qui tangue
Lentement dans les arbres ;
Loin, très loin, les cloches des
Porteurs d’eau qui chantent,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Un oiseau passe,
Des oiseaux passent, leurs cris, leurs cris,
Filets qu’on retire des pêcheries,
Orteil d’une femme qui barbotte dans l’eau,
Les yeux fermés, j’écoute, Istanbul

(...)

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
Sur le trottoir passe une élégante,
De dépit, elle chante, chante, passe ;
Quelque chose tombe de ta main
Par terre
Une rose, sûrement.
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul.

Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
autour de ta taille volette un oiseau ;
Je sais si ton front est moite ou froid
Si tes lèvres sont humides et sèches ;
Ou si une lune blanche s’élève au-dessus du pistachier
Mon cœur qui bat me parle…
Les yeux fermés, j’écoute Istanbul
.

Orhan Veli



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