Saint-John Perse - PP12 - ENFANCES - TEXTES EN FRANÇAIS
- Saint-John Perse -
Saint-John Perse (1887-1975), est le nom de plume, entre-autres pseudonymes, de l'écrivain, poète et diplomate guadeloupéen Alexis Leger (prononcer "Leuger"). Il quitte la Guadeloupe avec ses parents à l'adolescence et vit en métropole, où il rencontre des écrivains et des poètes : Francis Jammes, Paul Claude, André Gide ... Parallèlement à son parcours de poète, il mène une carrière de diplomate de premier plan (Secrétaire général du Ministère des Affaires Etrangères, de 1933 à 1940), compromise, dans cette période de montée du nazisme et du fascisme, par ses positions politiques, plutôt hostiles aux entreprises d'Hitler en Europe. Il s'exile aux Etats-Unis en 1940, où sont publiés la quasi totalité de ses ouvrages, après le recueil "Anabase" (1925). le Prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1960.
D'autres textes de l'auteur sur ce blog ) l'occasion du Printemps des Poètes 2011 ("d'Infinis paysages") : http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_poetes_11___poetes_d_outre_mer/index.html
On trouvera également de nombreuses informations sur la vie de l'auteur et sur son œuvre considérable : http://www.fondationsaintjohnperse.fr/
Pour fêter une enfance (I à IV - passages du recueil "Éloges")
I
Palmes… !
Alors on te baignait dans l’eau-de-feuilles-
vertes ; et l’eau encore était du soleil vert ; et les
servantes de ta mère, grandes filles luisantes,
remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui
tremblais…
(Je parle d’une haute condition, alors, entre
les robes, au règne de tournantes clartés.)
Palmes ! et la douceur
D’une vieillesse des racines… ! La terre
Alors souhaita d’être plus sourde, et le ciel
plus profond, où des arbres trop grands, las d’un
obscur dessein, nouaient un pacte inextricable…
(J’ai fait ce songe, dans l’estime : un sûr
séjour entre les toiles enthousiastes.)
Et les hautes
racines courbes célébraient
l’en allée des voies prodigieuses, l’invention
des voûtes et des nefs,
et la lumière alors, en de plus purs exploits
féconde, inaugurait le blanc royaume où j’ai
mené peut-être un corps sans ombre…
(Je parle d’une haute condition, jadis, entre
des hommes et leurs filles, et qui mâchaient de
telle feuille.)
Alors, les hommes avaient
une bouche plus grave, les femmes avaient
des bras plus lents ;
alors, de se nourrir comme nous de racines,
de grandes bêtes taciturnes s’ennoblissaient ;
et plus longues sur plus d’ombre se levaient
les paupières…
(J’ai fait ce songe, il nous a consumés sans reliques.)
II
Et les servantes de ta mère, grandes filles
luisantes…Et nos paupières fabuleuses … Ô
clartés ! ô faveurs !
Appelant toute chose, je récitai qu’elle était
grande, appelant toute bête, qu’elle était belle et
bonne.
Ô mes plus grandes
fleurs voraces, parmi la feuille rouge, à
dévorer tous mes plus beaux
insectes verts !Les bouquets au jardin sen-
taient le cimetière de famille. Et une très petite
sœur était morte : j’avais eu, qui sent bon, son
cercueil d’acajou entre les glaces de trois cham-
bres. Et il ne fallait pas tuer l’oiseau-mouche
d’un caillou…Mais la terre se courbait dans nos
jeux comme le fait la servante,
celle qui a le droit à une chaise si l’on se tient
dans la maison.
… Végétales ferveurs, ô clartés ô faveurs !...
Et puis ces mouches, cette sorte de mouches,
Vers le dernier étage du jardin, qui étaient
Comme si la lumière eût chanté !
… Je me souviens du sel, je me souviens du
sel que la nourrice dut essuyer à l’angle de
mes yeux.
Le sorcier noir sentenciait à l’office : « Le
monde est comme une pirogue, qui, tournant et
tournant, ne sait plus si le vent voulait rire ou
pleurer… »
Et aussitôt mes yeux tâchaient à peindre
un monde balancé entre les eaux brillantes,
connaissaient le mât lisse des fûts, la hune sous
les feuilles, et les guis et les vergues, les haubans
de liane,
où trop longues, les fleurs
s’achevaient en des cris de perruches.
III
... Puis ces mouches, cette sorte de mouches,
et le dernier étage du jardin... On appelle.
J'irai... Je parle dans l'estime.
Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il
n'y a plus ?
Plaines ! Pentes ! Il y
avait plus d'ordre ! Et tout n'était que
règnes et confins de lueurs. Et l'ombre et la
lumière alors étaient plus près d'être une même
chose... Je parle d'une estime... Aux lisières le
fruit
pouvait choir
sans que la joie pourrît au rebord de nos
lèvres.
Et les hommes remuaient plus d'ombre avec
une bouche plus grave, les femmes plus de songe
avec des bras plus lents.
... Croissent mes membres, et pèsent, nourris
d'âge ! Je ne connaîtrai plus qu'aucun lieu de
moulins et de cannes, pour le songe des enfants,
fût en eaux vives et chantantes ainsi distribué...
À droite
on rentrait le café, à gauche le manioc
(ô toiles que l'on plie, ô choses élogieuses !)
Et par ici étaient les chevaux bien marqués,
les mulets au poil ras, et par là-bas les bœufs ;
ici les fouets, et là le cri de l'oiseau Annaô
- et là encore la blessure des cannes au moulin.
Et un nuage
violet et jaune, couleur d'icaque, s’il s’arrê-
tait soudain à couronner le volcan d'or,
appelait-par-leur-nom, du fond des cases,
les servantes !
Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y
a plus ?...
IV
Et tout n’était que règnes et confins de
lueurs. Et les troupeaux montaient, les vaches
sentaient le sirop-de-batterie… Croissent mes
membres
et pèsent, nourris d’âge ! Je me souviens des
pleurs
d’un jour trop beau dans trop d’effroi, dans
trop d’effroi !... du ciel blanc, ô silence ! qui
flamba comme dans un regard de fièvre…Je pleure,
comme je
pleure, au creux de vieilles douces mains…
Oh ! c’est un pur sanglot, qui ne veut être
Secouru, oh ! ce n’est que cela, et qui déjà berce
mon front comme une grosse étoile du matin.
Que ta mère était belle, était pâle
lorsque ta mère était grande et lasse, à se pencher,
elle assurait ton lourd chapeau de paille ou
de soleil, coiffé d’une double feuille de siguine,
et que, perçant un rêve aux ombres dévoué,
l’éclat des mousselines
inondait ton sommeil !
… Ma bonne était métisse et sentait le ricin ;
toujours j’ai vu qu’il y avait les perles d’une
sueur brillante sur son front, à l’entour de ses
yeux – et si tiède, sa bouche avait le goût des
pommes-rose, dans la rivière, avant midi.
… Mais de l’aïeule jaunissante
et qui si bien savait soigner la piqûre des
moustiques,
je dirai qu’on est belle, quand on a des bas
blancs, et que s’en vient, par la persienne, la
sage fleur de feu vers vos longues paupières
d’ivoire.
… Et je n’ai pas connu toutes Leurs voix, et
je n’ai pas connu toutes les femmes, tous les hommes qui servaient la haute demeure
de bois ; mais pour longtemps encore j’ai
mémoire
des faces insonores, couleur de papaye et
d’ennui, qui s’arrêtaient derrière nos chaises
comme des astres morts.
(...)
le poème complet, avec les passages V et VI, est à lire ici, dans une mise en page simplifiée : http://www.jehat.com/Jehaat/Fr/Poets/Saint-John-Perse.htm
Saint-John Perse ("Éloges", dans "La Nouvelle Revue française", 1910 - Gallimard, 1925, 1948, etc)
dans "Œuvres complètes", Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1972
réédition de poche : "Éloges suivi de La gloire des rois, Anabase et Exil", 1967 (Collection Poésie/Gallimard n°14)
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Chanson
Mon cheval arrêté sous l'arbre plein de tourterelles, je siffle un sifflement si pur, qu'il n'est promesses à leurs rives que tiennent tous ces fleuves. Feuilles vivantes au matin sont à l'image de la gloire...
Et ce n'est point qu'un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d'un vieil arbre,
appuyé du menton à la dernière étoile,
il voit au fond du ciel de grandes choses pures qui tournent au plaisir.
Mon cheval arrêté sous l'arbre qui roucoule, je siffle un sifflement plus pur...
Et paix à ceux qui vont mourir, qui n'ont point vu ce jour.
Mais de mon frère le poète, on a eu des nouvelles. Il a écrit encore une chose très douce. Et quelques-uns en eurent connaissance.
Saint-John Perse ("Anabase" 1924, réédité dans "Éloges suivi de La gloire des rois, Anabase et Exil", 1967 - Collection Poésie/Gallimard n°14)