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lieu commun

20 février 2007

Ballade à la lune - Alfred de Musset

1. C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

2. Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

3. Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?

5. Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

6. Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?

4*. Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?

7. Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?

8. Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.

Va, lune moribonde,
Le beau corps de Phébé
La blonde
Dans la mer est tombé.

Tu n'en es que la face
Et déjà, tout ridé,
S'efface
Ton front dépossédé.

Rends-nous la chasseresse,
Blanche, au sein virginal,
Qui presse
Quelque cerf matinal !

Oh ! sous le vert platane
Sous les frais coudriers,
Diane,
Et ses grands lévriers !

Le chevreau noir qui doute,
Pendu sur un rocher,
L'écoute,
L'écoute s'approcher.

Et, suivant leurs curées,
Par les vaux, par les blés,
Les prées,
Ses chiens s'en sont allés.

Oh ! le soir, dans la brise,
Phoebé, soeur d'Apollo,
Surprise
A l'ombre, un pied dans l'eau !

Phoebé qui, la nuit close,
Aux lèvres d'un berger
Se pose,
Comme un oiseau léger.

9. Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
L'histoire
T'embellira toujours.

10. Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
Bénie,
Pleine lune ou croissant.

T'aimera le vieux pâtre,
Seul, tandis qu'à ton front
D'albâtre
Ses dogues aboieront.

T'aimera le pilote
Dans son grand bâtiment,
Qui flotte,
Sous le clair firmament !

Et la fillette preste
Qui passe le buisson,
Pied leste,
En chantant sa chanson.

Comme un ours à la chaîne,
Toujours sous tes yeux bleus
Se traîne
L'océan montueux.

11. Et qu'il vente ou qu'il neige
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m'asseoir ?

12. Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Peut-être quand déchante
Quelque pauvre mari,
Méchante,
De loin tu lui souris.

Dans sa douleur amère,
Quand au gendre béni
La mère
Livre la clef du nid,

Le pied dans sa pantoufle,
Voilà l'époux tout prêt
Qui souffle
Le bougeoir indiscret.

Au pudique hyménée
La vierge qui se croit
Menée,
Grelotte en son lit froid,

Mais monsieur tout en flamme
Commence à rudoyer
Madame,
Qui commence à crier.

" Ouf ! dit-il, je travaille,
Ma bonne, et ne fais rien
Qui vaille;
Tu ne te tiens pas bien. "

Et vite il se dépêche.
Mais quel démon caché
L'empêche
De commettre un péché ?

" Ah ! dit-il, prenons garde.
Quel témoin curieux
Regarde
Avec ces deux grands yeux ? "

Et c'est, dans la nuit brune,
Sur son clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Alfred de Musset (En italique, les passages que Brassens n'a pas repris pour la chanson. * Brassens a également modifié l'ordre des strophes (strophe 4) par rapport au texte de Musset)

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20 février 2007

Ballade des dames du temps jadis

(indications en italique pour la chanson)  

Dites moi où, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine;
Archipiada ni Thaïs
Qui fut sa cousine germaine;
Écho, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sus étang,
Qui beauté eut trop plus qu' humaine?
Mais où sont les neiges d'antan ? (bis pour les deux derniers vers)

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré fut et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint Denis ?
Pour son amour eut cette essoine*.
Semblablement où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ? (idem)

La reine Blanche comme lys
Qui chantait a voix de sirène,
Berthe aux grands pieds, Biétris, Alis,
Aremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, , Vierge souveraine ? (ce "où" est omis dans la chanson)
Mais où sont les neiges d'antan ? (idem)

Prince, n'enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Qu' à ce refrain ne vous ramène :
Mais où sont les neiges d''antan ? (idem)

François Villon  essoine* : peine


20 février 2007

Gastibelza - Victor Hugo

Gastibelza

1.Gastibelza, l'homme à la carabine
Chantait ainsi :
Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine ?
Quelqu'un d'ici ?
Chantez, dansez, villageois ! la nuit gagne
Le mont Falù*,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

2.Quelqu'un de vous a-t-il connu Sabine
Ma señora ?
Sa mère était la vieille maugrabine
D'Antequera,
Qui chaque nuit criait dans la Tour Magne
Comme un hibou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

3.Vraiment, la reine eût, près d'elle, été laide
Quand, vers le soir,
Elle passait sur le pont de Tolède
En corset noir.
Un chapelet du temps de Charlemagne
Ornait son cou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

4.Le roi disait, en la voyant si belle
À son neveu :
"Pour un baiser, pour un sourire d'elle,
Pour un cheveu,
Infant don Ruy, je donnerais l'Espagne
Et le Pérou !"
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

5.Je ne sais pas si j'aimais cette dame
Mais je sais bien,
Que, pour avoir un regard de son âme
Moi, pauvre chien,
J'aurais gaiement passé dix ans au bagne
Sous les verrous,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

6.Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre
De ce canton,
Je croyais voir la belle Cléopâtre
Qui, nous dit-on,
Menait César, empereur d'Allemagne
Par le licou,
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

7.Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe
Sabine, un jour,
A tout vendu, sa beauté de colombe,
Tout son amour,
Pour l'anneau d'or du comte de Saldagne,
Pour un bijou,
Le vent qui vient à travers la montagne
M'a rendu fou.

Falù* se prononce "Falou"  -  Georges Brassens - librement adapté du poème "Guitare" de Victor Hugo (recueil "Les Rayons et les Ombres", chap XXII, 1837)

Texte original du poème (mise à jour, 3 janvier 2016 ! ... voir plus bas)
Les strophes manquantes sont situées par rapport au texte de la chanson (numérotés) /

entre les strophes 2 et 3 :

Dansez, chantez ! Des biens que l'heure envoie
Il faut user.
Elle était jeune et son œil plein de joie
Faisait penser
A ce vieillard qu'un enfant accompagne.
Jetez un sou !
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

entre les strophes 5 et 6 :

Un jour d'été que tout était lumière,
Vie et douceur,
Elle s'en vint jouer dans la rivière
Avec sa sœur,
Je vis le pied de sa jeune compagne
Et son genou.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

entre les strophes 7 et 8 :

Sur ce vieux banc souffrez que je m'appuie,
Car je suis las.
Avec ce comte elle s'est donc enfuie !
Enfuie, hélas !
Par le chemin qui va vers la Cerdagne,
Je ne sais où.
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

... et cette ultime strophe du poème que je ne connaissais pas et que j'avais donc omise,
quel dommage et quelle erreur !
ce qui me vaut une remise en place de Bernard (merci Bernard!) en ce début janvier 2016.
Quelques années après la voici elle aussi remise en place.
Elle apporte un élément indispensable, et on comprend pourquoi le poète est rendu fou, au présent.
Quant à moi, je mérite certainement le pilori, mais pas la dague au clou, par pitié :

Je la voyais passer de ma demeure,
Et c'était tout.
Mais à présent je m'ennuie à toute heure,
Plein de dégoût,
Rêveur oisif, l'âme dans la campagne,
La dague au clou ... -
Le vent qui vient à travers la montagne
M'a rendu fou ! 


20 février 2007

La marine - Paul Fort

La marine

On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour,
Tout's les joies, tous les soucis,
Des amours qui dur'nt toujours
C'est là l'sort de la marine
Et de tout's nos petit's chéries.
On accoste, vite un bec,
Pour nos baisers, l'corps avec!

Et les joies et les bouderies,
Les fâcheries, les bons retours,
On les r'trouve en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour.
On a ri, on s'est baisé,
sur les neunœils, sur les nénés,
Dans les ch'veux à pleins bécots
Pondus comm' des œufs, tout chauds!

Tout c'qu'on fait dans un seul jour
Et comme on allonge le temps,
Plus d'trois fois dans un seul jour,
Content, pas content, content!
Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron.
Ca vous met la joies dans le cœur
La peine aussi et c'est bon.

On n'est pas la pour causer,
Mais on pens' mêm' dans l'amour
On pens' que d'main y f'ra jour
Et qu'c'est un' calamité.
C'est là l'sort de la marine,
Et de tout's nos petit's chéries,
On accost' mais on devine
Qu'ça s'ra pas le paradis!

On aura beau s'dépécher
Fair' bon dieu, la pige au temps,
Et l'bourrer d'tous nos pêchés
Ca n's'ra pas ça et pourtant...
Tout's les joies, tous les soucis,
Des amours qui dur'nt toujours,
On les r'trouvent en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour.

Paul Fort


19 février 2007

Les oiseaux de passage

(titre original du poème : Oiseaux de passage)      

C’est une cour carrée et qui n’a rien d’étrange :
Sur les flancs, l’écurie et l’étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l’eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d’or.

Loin de l’endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d’avoine en poussière s’entasse,
La poule l’éparpille à coups d’ongle et de bec.


Plus haut, entre les deux brancards d’une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d’aise, assoupi,
Hérissé, l’œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu’une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l’œil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s’arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d’un plongeon les moires de l’étang.


Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d’argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l’ébène et tantôt de l’émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?


Ô vie heureuse des bourgeois ! Qu’avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne,
Ça lui suffit : il sait que l’amour n’a qu’un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : « C’est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir. »

Son devoir ! C’est-à-dire elle blâmait les choses
Inutiles, car elle était d’esprit zélé ;
Et, quand des papillons s’attardaient sur des roses,
Elle cassait la fleur et mangeait l’être ailé.


Elle a fait son devoir ! C’est-à-dire que oncque
Elle n’eut de souhait impossible, elle n’eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu’on a dans le sommeil,
Pour aller voir la nuit comment le ciel s’allume
Et mourir au matin sur le cœur du soleil.


Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours, pour ces gens-là cela n’est point hideux.
Ce canard n’a qu’un bec, et n’eut jamais envie
Ou de n’en plus avoir ou bien d’en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu’ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !


N’avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l’espace,
Si haut qu’il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d’une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l’ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l’œil en l’air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.


Qu’est-ce que vous avez, bourgeois ? Soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n’entendront pas.
Et d’ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?


Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent feraient éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d’atteindre sa chimère,
Plus d’un, l’aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu’importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
À l’haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L’averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l’abîme et chevauchent l’orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l’étendue ample, rois de l’espace.
Là-bas ils trouveront de l’amour, du nouveau.
Là-bas un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.


Là-bas, c’est le pays de l’étrange et du rêve,
C’est l’horizon perdu par delà les sommets,
C’est le bleu paradis, c’est la lointaine grève
Où votre espoir banal n’abordera jamais.


Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux.
Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

Jean Richepin

De ce texte, Brassens a retiré les passages en italique pour la chanson.
Pour une analyse plus fine de ce poème, voir ici


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19 février 2007

Clins d'oeil du jour




Michel Deville, né en 1931 est un cinéaste connu (Un Monde presque paisible, La Maladie de Sachs, Benjamin ou les Mémoires d’un puceau, Péril en la demeure, le Dossier 51, La Lectrice…).
C'est aussi un poète, moins connu, auteur de huit recueils (au "cherche midi éditeur" : Rien n'est sûr, Poézies, Mots en l'air, L'Air de rien).

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Tristan et Yseut

- Parle-moi, dit Yseut à Tristan.
- Je t'aime, dit Tristan à Yseut.
- Je sais. Mais c'est tout ? demanda Yseut.
- Je t'aime beaucoup, répondit Tristan.
- Mais encore ? insista Yseut.
- Je t'adore, ajouta Tristan.
- C'est attristant, pensa Yseut.

Michel Deville ("Mots en l'air" 1993)

Un autre clin d'oeil :

Mots Croisés

Les grands seigneurs, les chevaliers,
Les grands prélats ou de moins grands
Et la cohorte des manants
En route vers Jérusalem
S'arrêtaient le soir, harassés.
Certains écrivaient des poèmes,
D'autres, toujours l'amour des mots,
Devant les grilles des châteaux
Jouaient à un jeu
Baptisé
En souvenir d'eux
Mots croisés.

Michel Deville ("les Croisades")


et à la manière de Rudyard Kipling ("Tu seras un homme mon fils", voir plus bas ) ...

Lorsque et si ...

Lorsque l'on tremble encore à l'approche de l'autre,
Lorsque le doute encore est infiniment nôtre,
Lorsque les intuitions sont approximatives,
Lorsque devient l'humeur, pour un rien, agressive,
Lorsque la main est moite et le regard crétin,
Lorsque le tutoiement est encore incertain,
Lorsqu'on éclate en pleurs pour une peccadille,
C'est qu'on est amoureux, ma fille.

Si tu ne trembles plus, si tu n'as plus de doute,
Si ton humeur est droite ainsi qu'une autoroute,
Si galante est ta main
Et ton regard câlin,
Si tu en viens au tu sans tergiversation,
Si tu ne pleures plus avec obstination,
Si tu tires la langue à toute ta famille,
Tu seras un homme, ma fille.

Michel Deville ("Rien n'est sûr")


Rudyard Kipling, a écrit "If ..." (Si ...), en 1910. C'est la version traduite de l'anglais par l'écrivain Pierre Maurois (en 1918), qui est généralement retenue :

Tu seras un Homme, mon Fils (autre titre : Si ...)

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.

Rudyard Kipling    (Bernard Lavilliers l'a mis en musique et interprété (1988).

Pour les amateurs, il existe d'autres traductions de la poésie de Kipling, la dernière de 2006 !
Voyez plutôt ici : http://www.crescenzo.nom.fr/kipling.html

19 février 2007

Les passantes

Antoine Pol (1888-1971) a publié Les Passantes en 1918, dans Émotions poétiques.
Georges Brassens découvre le recueil dans les années 40, chez un bouquiniste. Ce n'est qu'en 1972 qu'il compose une musique sur ces paroles, et veut rencontrer Antoine Pol, mais le poète est mort quelques mois auparavant ...

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Les passantes

Je veux dédier ce poème,
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets,
A celles qu'on connaît à peine ,
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais.

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre,
Et qui, preste, s'évanouit,
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui.

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage,
Font paraître court le chemin,
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre,
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main.

jaq_Brassens_P_de_T_blogA la fine et souple valseuse *
Qui vous sembla triste et nerveuse,
Par une nuit de carnaval,
Qui voulut rester inconnue,
Et qui n'est jamais revenue,
Tournoyer dans un autre bal.

Á celles qui sont déjà prises, 
Et qui, vivant des heures grises        
Près d'un être trop différent,                              Album "Putain de toi" (2006) **
Vous ont, inutile folie,                                         (Photo : Lieucommun)
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses,
Et portent encor votre deuil,
A celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées,
Victimes d'un stupide orgueil.

Chères images aperçues,
Espérances d'un jour déçues,
Vous serez dans l'oubli demain,
Pour peu que le bonheur survienne,
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin.

Mais si l'on a manqué sa vie,
On songe, avec un peu d'envie,
A tous ces bonheurs entrevus,
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre,
Aux coeurs qui doivent vous attendre,
Aux yeux qu'on n'a jamais revus.

Alors, aux soirs de lassitude,
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir,
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes,
Que l'on n'a pas su retenir.

Antoine Pol ("Émotions poétiques" 1918)
* cette strophe est quand même chantée par Maxime Le Forestier dans sa reprise des chansons de Brassens.
** Dans l'album "Putain de toi" (2006) Jehro interprète en anglais et en reggae "Les Passantes" ... une curiosité.

analyse plus fine de ce texte, ici
Cette poésie sera rangée également dans
"LETTERA AMOROSA" : POÉSIES "hors classe"


19 février 2007

Pensée des morts - Alphonse de Lamartine

En italique, les passages qui ne sont pas chantés par Brassens. Pour la chanson, les strophes ont été modifiées (ordre et contenu). Le texte chanté est porté à la suite du poème.

Pensée des morts (texte original de Lamartine)

Voilà les feuilles sans sève
Qui tombent sur le gazon,
Voilà le vent qui s'élève
Et gémit dans le vallon,
Voilà l'errante hirondelle
Qui rase du bout de l'aile
L'eau dormante des marais,
Voilà l'enfant des chaumières
Qui glane sur les bruyères
Le bois tombé des forêts.

L'onde n'a plus le murmure,
Dont elle enchantait les bois;
Sous des rameaux sans verdure
Les oiseaux n'ont plus de voix;
Le soir est près de l'aurore,
L'astre à peine vient d'éclore
Qu'il va terminer son tour,
Il jette par intervalle
Une heure de clarté pâle
Qu'on appelle encore un jour.

L'aube n'a plus de zéphire
Sous ses nuages dorés,
La pourpre du soir expire
Sur les flots décolorés,
La mer solitaire et vide
N'est plus qu'un désert aride
Où l'oeil cherche en vain l'esquif,
Et sur la grève plus sourde
La vague orageuse et lourde
N'a qu'un murmure plaintif.

La brebis sur les collines
Ne trouve plus le gazon,
Son agneau laisse aux épines
Les débris de sa toison,
La flûte aux accords champêtres
Ne réjouit plus les hêtres
Des airs de joie ou d'amour,
Toute herbe aux champs est glanée :
Ainsi finit une année,
Ainsi finissent nos jours!

C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
A l'approche des hivers.

C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissé mûrir!
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que ton coeur aime?
Je regarde le gazon.

Leur tombe est sur la colline,
Mon pied la sait; la voilà!
Mais leur essence divine,
Mais eux, Seigneur, sont-ils là?
Jusqu'à l'indien rivage
Le ramier porte un message
Qu'il rapporte à nos climats;
La voile passe et repasse,
Mais de son étroit espace
Leur âme ne revient pas.

Ah! quand les vents de l'automne
Sifflent dans les rameaux morts,
Quand le brin d'herbe frissonne,
Quand le pin rend ses accords,
Quand la cloche des ténèbres
Balance ses glas funèbres,
La nuit, à travers les bois,
A chaque vent qui s'élève,
A chaque flot sur la grève,
Je dis : N'es-tu pas leur voix?

Du moins si leur voix si pure
Est trop vague pour nos sens,
Leur âme en secret murmure
De plus intimes accents;
Au fond des coeurs qui sommeillent,
Leurs souvenirs qui s'éveillent
Se pressent de tous côtés,
Comme d'arides feuillages
Que rapportent les orages
Au tronc qui les a portés!

C'est une mère ravie
A ses enfants dispersés,
Qui leur tend de l'autre vie
Ces bras qui les ont bercés;
Des baisers sont sur sa bouche,
Sur ce sein qui fut leur couche
Son coeur les rappelle à soi;
Des pleurs voilent son sourire,
Et son regard semble dire :
Vous aime-t-on comme moi?

C'est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau,
N'emporta qu'une pensée
De sa jeunesse au tombeau;
Triste, hélas! dans le ciel même,
Pour revoir celui qu'elle aime
Elle revient sur ses pas,
Et lui dit : Ma tombe est verte!
Sur cette terre déserte
Qu'attends-tu? Je n'y suis pas!

C'est un ami de l'enfance,
Qu'aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre ceur;
Il n'est plus; notre âme est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
Ami, si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié?

C'est l'ombre pâle d'un père
Qui mourut en nous nommant;
C'est une soeur, c'est un frère,
Qui nous devance un moment;
Sous notre heureuse demeure,
Avec celui qui les pleure,
Hélas! ils dormaient hier!
Et notre coeur doute encore,
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair!

L'enfant dont la mort cruelle
Vient de vider le berceau,
Qui tomba de la mamelle
Au lit glacé du tombeau;

Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l'autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière :
Vous qui voyez la lumière,
Vous souvenez-vous de nous?

Ah! vous pleurer est le bonheur suprême,
Mânes chéris de quiconque a des pleurs!
Vous oublier c'est s'oublier soi-même :
N'êtes-vous pas un débris de nos coeurs?

En avançant dans notre obscur voyage,
Du doux passé l'horizon est plus beau,
En deux moitiés notre âme se partage,
Et la meilleure appartient au tombeau!

Dieu du pardon! leur Dieu! Dieu de leurs pères!
Toi que leur bouche a si souvent nommé!
Entends pour eux les larmes de leurs frères!
Prions pour eux, nous qu'ils ont tant aimés!

Ils t'ont prié pendant leur courte vie,
Ils ont souri quand tu les as frappés!
Ils ont crié : Que ta main soit bénie!
Dieu, tout espoir! les aurais-tu trompés?

Et cependant pourquoi ce long silence?
Nous auraient-ils oubliés sans retour?
N'aiment-ils plus? Ah! ce doute t'offense!
Et toi, mon Dieu, n'es-tu pas tout amour?

Mais, s'ils parlaient à l'ami qui les pleure,
S'ils nous disaient comment ils sont heureux,
De tes desseins nous devancerions l'heure,
Avant ton jour nous volerions vers eux.

Où vivent-ils? Quel astre, à leur paupière
Répand un jour plus durable et plus doux?
Vont-ils peupler ces îles de lumière?
Ou planent-ils entre le ciel et nous?

Sont-ils noyés dans l'éternelle flamme?
Ont-ils perdu ces doux noms d'ici-bas,
Ces noms de soeur et d'amante et de femme?
A ces appels ne répondront-ils pas?

Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire
Leur eût ravi tout souvenir humain,
Tu nous aurais enlevé leur mémoire;
Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain?

Ah! dans ton sein que leur âme se noie!
Mais garde-nous nos places dans leur coeur;
Eux qui jadis ont goûté notre joie,
Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur?

Etends sur eux la main de ta clémence,
Ils ont péché; mais le ciel est un don!
Ils ont souffert; c'est une autre innocence!
Ils ont aimé; c'est le sceau du pardon!

Ils furent ce que nous sommes,
Poussière, jouet du vent!
Fragiles comme des hommes,
Faibles comme le néant!
Si leurs pieds souvent glissèrent,
Si leurs lèvres transgressèrent
Quelque lettre de ta loi,
Ô Père! ô Juge suprême!
Ah! ne les vois pas eux-même,
Ne regarde en eux que toi!

Si tu scrutes la poussière,
Elle s'enfuit à ta voix!
Si tu touches la lumière,
Elle ternira tes doigts!
Si ton oeil divin les sonde,
Les colonnes de ce monde
Et des cieux chancelleront :
Si tu dis à l'innocence :
Monte et plaide en ma présence!
Tes vertus se voileront.

Mais toi, Seigneur, tu possèdes
Ta propre immortalité!
Tout le bonheur que tu cèdes
Accroît ta félicité!
Tu dis au soleil d'éclore,
Et le jour ruisselle encore!
Tu dis au temps d'enfanter,
Et l'éternité docile,
Jetant les siècles par mille,
Les répand sans les compter!

Les mondes que tu répares
Devant toi vont rajeunir,
Et jamais tu ne sépares
Le passé de l'avenir;
Tu vis! et tu vis! les âges,
Inégaux pour tes ouvrages,
Sont tous égaux sous ta main;
Et jamais ta voix ne nomme,
Hélas! ces trois mots de l'homme :
Hier, aujourd'hui, demain!

Ô Père de la nature,
Source, abîme de tout bien,
Rien à toi ne se mesure,
Ah! ne te mesure à rien!
Mets, à divine clémence,
Mets ton poids dans la balance,
Si tu pèses le néant!
Triomphe, ô vertu suprême!
En te contemplant toi-même,
Triomphe en nous pardonnant !

Alphonse de Lamartine ("Harmonies poétiques et religieuses" - Livre deuxième 1830)


Pensée des morts (texte remanié et mis en musique par Brassens)

Voilà les feuilles sans sève
qui tombent sur le gazon
voilà le vent qui s'élève
et gémit dans le vallon
voilà l'errante hirondelle
qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais
voilà l'enfant des chaumières
qui glane sur les bruyères
le bois tombé des forêts

C'est la saison où tout tombe
aux coups redoublés des vents
un vent qui vient de la tombe
moissonne aussi les vivants
ils tombent alors par mille
comme la plume inutile
que l'aigle abandonne aux airs
lorsque des plumes nouvelles
viennent réchauffer ses ailes
à l'approche des hivers

C'est alors que ma paupière
vous vit palir et mourir
tendres fruits qu'à la lumière
dieu n'a pas laissé murir
quoique jeune sur la terre
je suis dejà solitaire
parmi ceux de ma saison
et quand je dis en moi-même
"où sont ceux que ton cœur aime?"
je regarde le gazon

C'est un ami de l'enfance
qu'aux jours sombres du malheur
nous preta la providence
pour appuyer notre cœur
il n'est plus : notre âme est veuve
il nous suit dans notre épreuve
et nous dit avec pitié
"Ami si ton âme est pleine
de ta joie ou de ta peine
qui portera la moitié?"

C'est une jeune fiancée
qui, le front ceint du bandeau
n'emporta qu'une pensée
de sa jeunesse au tombeau
Triste, hélas ! dans le ciel même
pour revoir celui qu'elle aime
elle revient sur ses pas
et lui dit : "ma tombe est verte!
sur cette terre déserte
qu'attends-tu? je n'y suis pas!"

C'est l'ombre pâle d'un père
qui mourut en nous nommant
c'est une sœur, c'est un frère
qui nous devance un moment
tous ceux enfin dont la vie
un jour ou l'autre ravie,
enporte une part de nous
murmurent sous la pierre
" vous qui voyez la lumière
de nous vous souvenez vous ? "

Voilà les feuilles sans sève
qui tombent sur le gazon
voilà le vent qui s'élève
et gémit dans le vallon
voilà l'errante hirondelle
qui rase du bout de l'aile
l'eau dormante des marais
voilà l'enfant des chaumières
qui glane sur les bruyères
le bois tombé des forêts


18 février 2007

Humberto Ak'abal - poète du Guatemala

Humberto Ak'abal (1952-) est né au Guatemala. Il écrit dans sa langue maternelle, le maya quiché, et traduit lui-même ses poèmes en espagnol.

Ce petit livre : Kamoyoyik, contient de très courts poèmes.
Voici un aperçu de la poésie de Humberto Ak'abal, avec une proposition de traduction en français
pour POÉSIES pour la CLASSE - LETTERA AMOROSA
Vos remarques seront  les bienvenues.

 

livre_Kamoyoyik_blog

Photo : lieucommun

No vuelvas (littéralement : "ne reviens pas")

No vuelvas la mirada
para ver quién soy.

Es tarde,
no me esperes,
es lejos para mis pasos.

Mis alas están cansadas,
dormiré la noche
entre las ramas
de cualquier árbol.

Ne te retourne pas

Ne te retourne pas
pour voir qui je suis.

Il est tard,
ne m'attends pas,
c'est trop loin pour moi.

Mes ailes sont fatiguées,
je passerai la nuit
dans les branches
d'un arbre quelconque.

Humberto Ak'abal


Para cuando

Dejá de llorar
por tonterías
guardá esas lágrimas
para cuando
yo me muera

Pour quand
("dejá" et "guardá", accentués sont peut-être une écriture guatémaltèque de "deja", "guarda", à la 2è pers du singulier ou à la 2è du pluriel  : "dejad", "guardad" ...
Quien sabe ?

Cesse de pleurer
pour des broutilles
garde ces larmes
pour quand
je serai mort

Humberto Ak'abal ("Kamoyoyik")


17 février 2007

Jean Genet - Alfred de Musset - letteras ...

Jean Genet (1910-1986) a fréquenté très tôt la prison et la colonie pénitentiaire, pour délinquance.
Il s'engage dans la légion étrangère à 18 ans.
C'est à la maison d'arrêt de Fresnes en particulier, qu'il écrit ses premiers poèmes.
Cocteau et Sartre voient en lui un génie de son temps.
Rebelle permanent, il s'est engagé, dans la dernière partie de son existence, pour la défense des opprimés (Black Panthers, Palestine).
Jean Genet est aussi l'auteur de romans et de pièces de théâtre (la plus connue : "Les Paravents").

ciel_barbel__entre_deux_libert_s

Ciel barbelé entre deux libertés.                   Photo et montage: lieucommun

Le condamné à mort (extraits)

à Maurice Pilorge, assassin de vingt ans

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

Jean Genet ("Poèmes" 1945) Ce texte a été mis en musique par Hélène Martin. Etienne Daho le chante aussi.
Ce texte est rangé, mais y restera-t-il ? dans
"LETTERA AMOROSA" : POÉSIES "hors classe"


Deux autres poésies, celles-ci d'Alfred de Musset

Chanson de Barberine

Beau chevalier qui partez pour la guerre,
Qu'allez-vous faire
Si loin d'ici ?
Voyez-vous pas que la nuit est profonde,
Et que le monde
N'est que souci ?

Vous qui croyez qu'une amour délaissée
De la pensée
S'enfuit ainsi,
Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée,
Votre fumée
S'envole aussi.

Beau chevalier qui partez pour la guerre,
Qu'allez-vous faire
Si loin de nous ?
J'en vais pleurer, moi qui me laissais dire
Que mon sourire
Etait si doux.

Alfred de Musset 1810-1857 ("Poésies nouvelles") Ce texte estrangé dans POÉSIES pour la CLASSE - LETTERA AMOROSA


La poésie suivante est souvent raccourcie pour la classe (passages en italique supprimés). Encore une fois, c'est dommage, mais à vous de voir ...

À Ninon

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L'amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C'est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m'en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des voeux insensés :
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d'avance ;
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu'une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m'attache à vos pas :
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;
Peut-être diriez-vous que vous n'y croyez pas.

Si je vous le disais, que j'emporte dans l'âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d'azur en deux éclairs de flamme ;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu'une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous ne saurez rien. - Je viens, sans rien en dire,
M'asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l'entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m'être moins doux.

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j'écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m'empare ;
Et là, seul devant Dieu, plein d'une joie avare,
J'ouvre, comme un trésor, mon coeur tout plein de vous.

J'aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J'aime, et rien ne le dit ; j'aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m'est cher, et chère ma souffrance ;
Et j'ai fait le serment d'aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; - je vous vois, c'est assez.

Non, je n'étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu'à ma douleur même...
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

Alfred de Musset
Ce texte est rangé dans POÉSIES pour la CLASSE - LETTERA AMOROSA

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