Elsa - Louis Aragon
Elsa
Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse,
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse.
Ô forte et douce comme un vin,
Pareille au soleil des fenêtres,
Tu me rends la caresse d'être,
Tu me rends la soif et la faim
de vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin.
C'est miracle que d'être ensemble,
Que la lumière sur ta joue,
Qu'autour de toi le vent se joue,
Toujours si je te vois, je tremble,
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble.
M'habituer m'habituer,
Si je ne le puis qu'on me blâme,
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué,
Ah crevez les yeux de l'âme
S'ils s'habituaient aux nuées
Pour la première fois ta bouche,
Pour la première fois ta voix,
D'une aile à la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche,
C'est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche.
Prends ce fruit lourd et palpitant,
Jettes-en la moitié véreuse,
Tu peux mordre la part heureuse,
Trente ans perdus et puis trente ans,
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la rends.
Ma vie en vérité commence
Le jour où je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'a montré la contrée
Que la bonté seule ensemence
Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre
A la Noël entre tes doigts.
Je suis né vraiment de ta lèvre,
Ma vie est à partir de toi.
Louis Aragon (musique de Léo Ferré : les passages en italique ont été retirés pour la chanson).