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15 mai 2009

Jean MORÉAS, Jean-Luc MOREAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Moréas (1856-1910), à l'état civil Ioannis Papadiamantopoulos, est un auteur grec d'expression française.
C'est un poète symboliste, qui définit joliment ce genre poétique : "la poésie symbolique cherche à vêtir l'Idée d'une forme sensible... » .
Les Syrtes
composent un très long poème découpé en paragraphes. "La feuille des forêts" en est un passage.

La feuille des forêts

La feuille des forêts
Qui tourne dans la bise
Là-bas, par les guérets,
La feuille des forêts
Qui tourne dans la bise,
Va-t-elle revenir
Verdir* la même tige ?

L'eau claire des ruisseaux
Qui passe claire et vive
A l'ombre des berceaux,
L'eau claire des ruisseaux
Qui passe claire et vive,
Va-t-elle retourner
Baigner* la même rive ?

Jean Moréas ("Les Syrtes - conte d'amour XI", 1884)
* Le tiret (Verdir - la même tige ?... Baigner - la ...) a été supprimé par commodité, on peut le restituer au texte original de Moréas.

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Un autre beau passage sans titre, des "Syrtes" :

Dans l'âtre brûlent les tisons,
les tisons noirs aux flammes roses ;
dehors hurlent les vents moroses,
les vents des vilaines saisons.
Contre les chenets roux de rouille,
mon chat frotte son maigre dos.
En les ramages des rideaux,
on dirait un essaim qui grouille :
c'est le passé, c'est le passé
qui pleure la tendresse morte ;
c'est le bonheur que l'heure emporte
qui chante sur un ton lassé.

Jean Moréas ("Les Syrtes - Remembrances" , 1884)  

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La vallée de la Bièvre a été aussi mise en vers par Jean Moréas, comme par Victor Hugo et d'autres auteurs (voir le paragraphe "Victor Hugo") :

Memento *

La route monte entre des murs et tourne et longe l'enclos planté d'arbres rangés, qui n'ont encore de vert, sinon un peu de mousse.

Allée, platanes
De belle écorce,
Vieux bancs de pierre,
Je vous revois
Dans la lumière
De cette fin
D'hiver bénin.

Dans la vallée
Au creux charmant
La Bièvre coule
Et se déroule
Comme un ruban.

Jean Moréas ("Esquisses et souvenirs", Mercure de France, 1908) * Memento signifie ici Souviens-toi. On pourrait titrer ce texte La Bièvre.

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Permanence de "La lune d'argent", dans les paysages nocturnes de Jean Moréas.

La lune d'argent

Dans l'âtre brûlent les tisons,
Belle lune d'argent, j'aime à te voir briller
Sur les mâts inégaux d'un port plein de paresse,
Et je rêve bien mieux quand ton rayon caresse,
Dans un vieux parc, le marbre où je viens m'appuyer.

J'aime ton jeune éclat et tes beautés fanées,
Tu me plais sur un lac, sur un sable argentin,
Et dans la vaste nuit de la plaine sans fin,
Et dans mon cher Paris, au bout des cheminées.


Jean Moréas ("Les Stances", 1893) 

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Eau printanière, pluie harmonieuse ...

Eau printanière, pluie harmonieuse et douce
Autant qu'une rigole à travers le verger
Et plus que l'arrosoir balancé sur la mousse,
Comme tu prends mon coeur dans ton réseau léger !

À ma fenêtre, ou bien sous le hangar des routes
Où je cherche un abri, de quel bonheur secret
Viens-tu mêler ma peine, et dans tes belles gouttes
Quel est ce souvenir et cet ancien regret ?


Jean Moréas ("Les Stances", 1893) 

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Ô mer immense ...

Ô mer immense, mer aux rumeurs monotones,
Tu berças doucement mes rêves printaniers ;
Ô mer immense, mer perfide aux mariniers,
Sois clémente aux douleurs sages de mes automnes.

Vague qui viens avec des murmures câlins
Te coucher sur la dune où pousse l'herbe amère,
Berce, berce mon cœur comme un enfant sa mère,
Fais-le repu d'azur et d'effluves salins.

Loin des villes, je veux sur les falaises mornes
Secouer la torpeur de mes obsessions,
- Et mes pensers, pareils aux calmes alcyons,
Monteront à travers l'immensité sans bornes
.


Jean Moréas ("Les Syrtes", 1884) 

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Ultime paysage, dans lequel voudrait se fondre l'auteur :

Quand je viendrai m'asseoir dans le vent ...
 
Quand je viendrai m'asseoir dans le vent, dans la nuit,
Au bout du rocher solitaire,
Que je n'entendrai plus, en t'écoutant, le bruit
Que fait mon cœur sur cette terre,
 
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d'écume :
D'un coup de lame alors il te faut m'emporter
Pour dormir dans ton amertume
.


Jean Moréas ("Les Stances", 1893)


Jean-Luc Moreau est né en 1937. Il a publié des histoires et des poèmes pour les enfants et les adolescents, (Sous le masque des mots, Devinettes, Poèmes de la souris verte … ) et des anthologies de poésie contemporaine ou plus classique (Poèmes à saute-mouton, Poèmes de Russie ...). Voir la catégorie POÉSIES PAR THÈME : l'école

Un voyage à travers des paysages variés, avec "l'oncle Octave" :

L'oncle Octave

J'ai bourlingué, dit l'oncle Octave,
De Vancouver à Tamatave,
De ShangaÏ au Cap et jusqu'à
San José de Costa Rica.
Souventes fois je rêve encore
DeTimor et de Travancore,
Mais sachez-le, par-dessus tout
J'aime le Perche et le Poitou.

Jean-Luc Moreau ("L'arbre perché" - éditions Pierre Jean Oswald)



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15 mai 2009

Georges MOUSTAKI - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Georges Moustaki, né en 1934 , est un parolier-poète, auteur compositeur interprète à qui on doit de beaux textes : "Milord", "Eden blues", pour Edith Piaf, "La Dame brune" avec Barbara, "Ma liberté", "Ma solitude", "Grand-père"... Voici son Île de France :

Deux suggestions pour l'utilisation de ce texte dans les classes élémentaires :

  • ne proposer aux élèves que les 4 premières strophes
  • Pour la construction poétique différente de celle d'une chanson, garder "Mon" dans la première strophe, et le remplacer par "En" dans les trois suivantes.

Avec nos excuses à Georges Moustaki.

Mon Île de France

Elle n'est même pas au bout du monde
On n'y va pas chercher de l'or
Il n'y a pas de plages blondes
Ce n'est pas une île au trésor
Mon île de France

Elle n'est pas dans le Pacifique
Ni dans aucun autre océan
On peut y aller en péniche
Ou bien couper à travers champs
Mon* île de France

Il n'y a pas de sortilège
Qui vous ensorcelle le cœur
L'hiver il tombe de la neige
Le printemps ramène les fleurs
Mon* île de France

Lorsque le vent pousse ma voile
Sur les vagues des champs de blé
Je m'arrête pour une escale
A l'ombre de ses marronniers
Mon* île de France

Là sur un rivage de mousse
L'aventure au bout du sentier
M'offre une fille à la peau douce
Et un coin d'herbe pour aimer
Mon* île de France

Adieu Tahiti, Fort-de-France
Adieu Doudou et Vahiné
Qu'elle est douce ma douce France
Depuis que je l'ai rencontrée
Mon île de France

Elle n'est même pas au bout du monde
On n'y va pas chercher de l'or
Il n'y a pas de plages blondes
Ce n'est pas une île au trésor
Mon île de France

Georges Moustaki (Ducretet-Thomson, 1962) - * On suggère de remplacer "Mon" par "En"...



15 mai 2009

Alfred de MUSSET - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Alfred de Musset (1810-1857) est un des plus importants poètes du XIXe siècle. Une biographie et une bibliographie sont visibles à cette adresse : http://www.etudes-litteraires.com/musset.php

On trouve sur le blog ICI la Chanson de Barberine et le poème À Ninon. 

La poésie À mon frère, revenant d'Italie est publiée intégralement dans la catégorie BRASSENS chante les poètes.
En voici un court extrait, on y trouvera des cartes postales d'Italie :

À mon frère, revenant d'Italie

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens
Du pays dont je me souviens
Comme d'un rêve,
De ces beaux lieux où l'oranger
Naquit pour nous dédommager
Du péché d'Ève.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naple enchâsse dans l'azur
Sa mosaique,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,
N'est-ce pas qu'il nous laisse au coeur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange ?

 

Toits superbes ! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre coeur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise !

Mais de quoi vais-je ici parler ?
Que ferais-je à me désoler,
Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j'ai failli mourir,
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire ?

Ami, ne t'en va plus si loin.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin,
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ma main
Serre la tienne.

Alfred de Musset ("Poésies nouvelles")



15 mai 2009

Gérard de NERVAL - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Gérard de Nerval  (1808-1855) est le pseudonyme qu'a emprunté Gérard Labrunie, poète "moderne". Il est l'auteur des Filles du Feu (1854) ; Les Chimères (1854) ; Aurélia ou le rêve et la vie (1855) et a traduit le poète allemand Heinrich Heine.
En grande détresse matérielle et morale, il finit par se pendre.

Voici deux tableaux, où s'exprime en touches discrètes la sensibilité du poète (tiens, ça rime, pur hasard, Gérard)...

Avril

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853)

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Le coucher du soleil
   
Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries
Et jette l'incendie aux vitres du château,
Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d'eau
Tout plongé dans mes rêveries !

Et de là, mes amis, c'est un coup d'œil fort beau
De voir, lorsqu'à l'entour la nuit répand son voile,
Le coucher du soleil, riche et mouvant tableau,
Encadré dans l'arc de l'Étoile !

Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853) - Des signes de ponctuation, les tirets, ont été supprimés des textes pour simplifier la pérsentation.


retour au sommaire Poésie en français sur le thème du paysage ? cliquez ICI



15 mai 2009

Anna de NOAILLES, Marie NOËL, Germain NOUVEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

La Comtesse Anna de Noailles (1876-1933) est une romancière française, mais c'est surtout par sa poésie sensible et lyrique qu'elle est connue.

"Soyez bénis, porteurs d'infinis paysages,
Esprits pleins de saisons, d'espace et de soupirs."


(extrait d'un poème d'Anna de Noailles adressé aux "Poètes romantiques")

On propose souvent le texte suivant aux élèves du Cycle 2, sans la dernière strophe.

Chaleur

Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.

Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l’air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.

Du soleil comme de l’eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.

Un infini plaisir de vivre
S’élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.

Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions Calmann-Lévy, 1902)

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Autre poème, plus long, du même recueil, ici, on ne propose généralement à la classe que les strophes colorées :

Le jardin et la maison (parfois intitulé Crépuscule)

Voici l’heure où le pré, les arbres et les fleurs
Dans l’air dolent et doux soupirent leurs odeurs.

Les baies du lierre obscur où l’ombre se recueille
Sentant venir le soir se couchent sur leurs feuilles,

Le jet d’eau du jardin, qui monte et redescend,
Fait dans le bassin clair son bruit rafraîchissant;

La paisible maison respire au jour qui baisse
Les petits orangers fleurissent dans leurs caisses.

Le feuillage qui boit les vapeurs de l’étang
Lassé des feux du jour s’apaise et se détend.

Peu à peu la maison entr’ouvre ses fenêtres
Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,

Et comme elle, penché sur l’horizon, mon coeur
S’emplit d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur …

Anna de Noailles ("L'ombre des jours" - Editions Calmann-Lévy, 1902)

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Il fera longtemps clair ce soir ...

Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...

Les marronniers, dans l'air plein d'or et de splendeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.

De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.

Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir.

Anna de Noailles ("L'offrande lyrique", 1912)

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On a découpé ce poème (dont le texte original ne comporte deux parties nettement séparées, marquées ici par des pointillés) en strophes, pour en faciliter l'utilisation en classe :

Matin de printemps

La pluie, enveloppante, ombrage
L'espace, les bois, la prairie,
Et forme sur le paysage
Une cage en verroterie.

C'est la pluie allègre d'avril,
Elle est mince, dansante et lâche
Comme des perles sur un fil.

Elle est joyeuse ! C'est sa tâche
De descendre en jets allongés,
De se glisser, de se loger
Dans les fentes et les entailles
Des bourgeons aux vertes écailles,
Acérés comme un dur métal.

Soudain la voici qui s'arrête
Et qui suspend ses gouttelettes
Comme une glycine en cristal.

...

Déchaînant son étourderie,
Le vent, trébuchant et dansant,
Éparpille sur la prairie
Ses lambeaux d'air réjouissants.

Le soleil renaît, résolu.
Que l'air est bon quand il a plu !

Le sol, que l'onde pénétrait,
Délivre ses parfums secrets :
Odeur de résines, de graines,
Fines essences souterraines,
Secs effluves des minéraux...

La vrille du chant d'un oiseau
Fouille le ciel et le perfore.
L'azur est peinturé d'aurore.
Jamais midi n'a tant brillé.

Tout éclate de bonne chance !
Un jardin, respirant, élance
Ses mois arômes vanillés.

Une poule, ivre de jactance.
Lasse, heureuse, les yeux cillés.
Adresse au poudroyant silence
Son long hoquet ensoleillé...

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)

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Mêmes raisons pour le découpage à postériori de ce poème, dont on retrouvera la forme originale en supprimant les sauts de paragraphe :

Matin d'été

Le chaud velours de l'air offre à la rêverie
Un divan duveteux où mon esprit s'ébat,
La verte crudité de la jeune prairie
Est pour l'œil ébloui un exaltant repas.

L'ombrage et le soleil quadrillent la pelouse
Où le brûlant matin se repose, encagé ;
Il semble qu'en volant, une guêpe recouse
Le merveilleux éther par ses jeux dérangé.

Mon immobile rêve a l'ampleur d'un voyage ;
J'entends le bruit mouvant et lointain de l'été :
Murmure énigmatique où tout est volupté.

Le ciel, aride et pur, est comme un bleu dallage,
Mon cœur calme bénit les dieux aériens,
Et je croise les mains, n'ayant besoin de rien
Que de penser à toi dans un clair paysage....

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)

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Les bords de la Marne

La Marne, lente et molle, en glissant accompagne
Un paysage ouvert, éventé, spacieux.
On voit dans l'herbe éclore, ainsi qu'un astre aux cieux,
Les villages légers et dormants de Champagne.

La Nature a repris son rêve négligent.
Attaché à la herse un blanc cheval travaille.
Les vignobles jaspés ont des teintes d'écaille
À travers quoi l'on voit rôder de vieilles gens.

Un automnal buisson porte encor quelques roses.
Une chèvre s'enlace au roncier qu'elle mord.
Les raisins sont cueillis, le coteau se repose,
Rien ne témoigne plus d'un surhumain effort
Qu'un tertre soulevé par la forme d'un corps.

Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)



Marie Noël (1883-1967) est une poète d'inspiration religieuse, à la poésie souvent mélancolique et triste. On lui a décerné le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1962.

Chant de rouge-gorge

Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois, au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ? ...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance ;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense …
Il n’est tombé qu’une goutte dedans …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup …

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient …

Est-ce bien tout ? ... Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient ...

Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et Cie, 1930 et Stock, 1948)

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L'île

Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,

Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.

Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.

Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.

Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.

Marie Noël ("Chants et Psaumes d'automne" - Éditions Stock, 1947)

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Chant de nourrice

                                     pour endormir Madeleine

Dors, mon petit, pour qu’aujourd’hui finisse.
Si tu ne dors pas, si c’est un caprice,
Aujourd’hui, ce vieux long jour,
Ce soir durera toujours.

Dors, mon petit, pour que demain arrive.
Si tu ne dors pas, petite âme vive,
Demain, le jour le plus gai,
Demain ne viendra jamais.

Dors, mon petit, afin que l’herbe pousse,
Ferme les yeux, les herbes et la mousse
N’aiment pas dans le fossé
Qu’on les regarde pousser.

Dors, mon petit, pour que les fleurs fleurissent.
Les fleurs qui, la nuit, se parent, se lissent,
Si l’enfant reste éveillé,
N’oseront pas s’habiller.

Mais s’il dort, les fleurs en la nuit profonde,
N’entendant plus du tout bouger le monde,
Tout doucement, à tâtons,
Sortiront de leurs boutons.

Quand il dormira, toutes les racines
Descendront sous terre au fond de leurs mines
Chercher pour toutes les fleurs
Des parfums et des couleurs.

Les roses alors et les églantines,
Vite, fronceront avec leurs épines
Leurs beaux jupons à volants
Rouges, roses, jaunes, blancs.

Les nielles feront en secret des pinces
À leur jupe étroite et les bleuets minces
Serreront leur vert corset
Avec un petit lacet.

Les lys du jardin si nul ne les gêne
Iront laver leur robe à la fontaine,
Et le lin qui fit un vœu
Passera la sienne au bleu.

Les gueules du loup et les clématites
Monteront leur coiffe et les marguerites
Habiles repasseront
Leurs bonnets et leur col rond.

Et quand à la fin toutes seront prêtes,
En robes de noce, en habits de fête,
Alors d’un pays lointain
Arrivera le matin.

Et saluant toute la confrérie,
Le matin pour voir la terre fleurie,
Du bout de son doigt vermeil
Rallumera le soleil.

Et pour que l’enfant, mon bel enfant sage,
Voie aussi la terre et son bel ouvrage,
Il enverra le soleil
Le chercher dans son sommeil.

Viens, mon petit, viens voir, chère prunelle,
Pendant ton somme, écoute la nouvelle,
Notre jardin s’est levé …
Aujourd’hui est arrivé !

Marie Noël ("Les chansons et les heures" - Editions Crès Et Cie, 1930 et Stock, 1948)

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Si j'étais plante ... (extrait)

Si j'étais plante, je ne voudrais pas être de ces plantes qui ont trop affaire à l'homme. Ni avoine, ni blé, ni orge parqués, sans pouvoir en sortir, dans un champ en règle (et on ne laisse même pas aux blés leurs bleuets pour se distraire) ni surtout ces légumes soumis et rangés, ces carottes alignées, ces haricots qu'on dirige à la baguette, ces salades qu'on force à pâlir en leur serrant le cœur quand il fait si beau alentour et qu'elles voudraient bien être grandes ouvertes.

J'accepterais encore d'être herbe à tisane, serpolet ou mauve, ou sauge, pourvu que ce fût dans un de ces hauts battus des vents où ne vont les cueillir que les bergers. Mais j'aimerais mieux être bruyère, gentiane bleue, ajonc, chardon au besoin, sur une lande abandonnée, ou même un champignon pas vénéneux, mais pas non plus trop comestible, qui naît dans la mousse, un matin, au creux le plus noir du bois, qui devient rose sans qu'on le voie et meurt tout seul le lendemain sans que personne s'en mêle ...

Marie Noël ("Notes intimes" - Éditions Stock, 1959)


Germain Nouveau (1851-1920) a fréquenté Mallarmé, Jean Richepin et Charles Cros, puis Arthur Rimbaud avec qui il travaille à l'édition des Illuminations . Il sera aussi proche de Verlaine. Après avoir été interné en asile psychiatrique, Germain Nouveau termine son existence dans l'errance et le mysticisme. 

En forêt

Dans la forêt étrange, c’est la nuit;
C’est comme un noir silence qui bruit;

Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.

Un vent d’été, qui souffle on ne sait d’où,
Erre en rêvant comme une âme de fou;

Et, sous des yeux d’étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.

Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d’oiseaux et de loups;

Il vient aussi des senteurs de repaires;
C’est l’heure froide où dorment les vipères,

L’heure où l’amour s’épeure au fond du nid,
Où s’élabore en secret l’aconit;

Où l’être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.

- Pourtant la lune est bonne dans le ciel,
Qui verse, avec un sourire de miel,

Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.

Germain Nouveau ("Premiers vers", 1872-1878 -  réédité avec d'autres recueils : "Oeuvres Poétiques violume I - Premiers vers - Dixains réalistes - Notes parisiennes - La doctrine de l' amour", avec une préface de Jacques Brenner, Gallimard 1953)



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15 mai 2009

Louisa PAULIN, Charles PÉGUY - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Louisa Paulin , Loïza Paulin en occitan (1888-1944) a vécu dans le Tarn, où elle fut institutrice. Elle a d'abord écrit ses poèmes uniquement en français, puis en français et en occitan.
Je me suis mise à la langue d'Oc par repentir d'avoir si longtemps ignoré mon pays et peut-être de l'avoir un peu méprisé”.

On trouvera sur le site des éditions Vent Terral, des recueils bilingues qu'on peut commander (2 € de frais de port seulement). Mais qu'est-ce qu'on attend ? C'est ici (copier-coller) : http://www.ventterral.com/tema/ome.php?lien=tema#louisa

Chant pour le vent du Sud

O brise du Sud, viens boire la neige
Nous sommes repus de gel et de vent
Un doux pissenlit a tiré de terre
Un petit soleil tout en or vibrant.

O brise du Sud, viens boire la neige
Nous sommes repus de froid et de pluie,
Une pâquerette a tiré de terre
Un petit soleil frangé de sang vif.

O brise du Sud, qu'amour te protège,
Nous avons tous faim et soif d'être heureux
Chaque œil de bourgeon épie, tout peureux,
Ton souffle d'azur qui boira la neige.

Louisa Paulin  ("Rythmes et cadences", éditions du Languedoc, 1947) - On écoutera ce texte, chanté dans le CD "Romances Du Gai Savoir" ; "Le Tombeau de Louisa Paulin", op. 41: V. Chant pour le Vent du Sud - compositeur : Louis-Noel Belaubre ; éditions L'Empreinte Digitale, 1990)

Notez qu'on peut emprunter, si on est enseignant (en tous cas on pouvait), au CDDP du Tarn, la "Mallette pédagogique Louisa Paulin" (Dossier pédagogique 2007 accompagné de poèmes de l'auteure). On trouvera aussi d'autres poèmes d'auteurs occitans, en version bilingue.

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Silenci de l'auton

Silenci de l'auton quand lo vent s'es pausat
doç coma una pluma de palomba
escapada de la negra man del caçaire.
Silenci saure de l'auton
ont s'ausis la darrièra vèspa
e lo mai escondut al plus prigond del còr.

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Silence de l'automne

Silence de l'automne quand le vent s'est posé,
doux comme une plume de palombe
échappée de la noire main du chasseur.
Silence blond de l'automne
où l'on entend la dernière guêpe
et le plus caché au plus profond du cœur.

Louisa Paulin  ("Direm a la nòstra nena", Vent Terral, 1994, bilingue)

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À partir du texte occitan, une version non autorisée de ce poème, très légèrement différente (avec tout le respect qu'on doit à la mémoire de Louisa Paulin). Pour rétablir dans le deuxième vers l'ordre naturel adjectif-nom substantif ("negra man" peut se dire plus naturellement "main noire"), et surtout éviter la répétition dans le dernier vers, absente en occitan. Mais on chipote peut-être  : 

Silence de l'automne

Silence de l'automne quand le vent s'est posé,
doux comme une plume de palombe
échappée de la main noire du chasseur.
Silence blond de l'automne
où l'on entend la dernière guêpe
et ce qui est caché au plus profond du cœur.

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La cançon del silenci.

Vèni, ausirem, anuèit, la Cançon del silenci,
la cançon que comença,
quand s'escantís, la nuèit, lo cant del rossinhòl ;
la cançon que s'ausís al doç cresc de l'erbeta,
la cançon de l'aigueta
que se pausa, un moment, al rebat d'un ramèl ;
la cançon de la branca
que fernís e que dança
desliurada del pes amorós d'un ausèl ;
la secreta conçon breçant l'ombra blavenca
del lir còrfondut de promessa maienca,
qu'espèra, per florir, un signe del azur.

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La chanson du silence

Viens, nous entendrons, ce soir, la chanson du silence,
la chanson qui commence,
quand s'achève, la nuit, le chant du rossignol ;
la chanson qu'on entend à la douce croissance de l'herbe,
la chanson de l'eau vive
qui se repose, un moment, au reflet d'un rameau ;
la chanson de la branche
qui frissonne et qui danse
délivrée du poids amoureux d'un oiseau ;
la secrète chanson berçant l'ombre bleuâtre
du lis défaillant de promesse printanière,
qui attend, pour fleurir, un signe de l'azur.

Louisa Paulin  ("Chants d'amour et de paix" - "Les Amis de Louisa Paulin", 1998) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.

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Fum 

Non, non, anuèit vòli fugir l'ostal !
Vòli lo fial de lum que s'estira suls camps
Quand lo lauraire aluca un fuòc d'erbassas.
O fial de fum, vèni ligar un raive,
Un rave que m'escapa
– coma tu, lial de fum –
Per fugir cap a las estelas.

- - - - -

Fumée

Non, non, ce soir je veux fuir la maison !
Je veux le fil de fumée qui s'étire sur les champs
Quand le laboureur allume un feu de mauvaises herbes.
Ô fil de fumée, viens lier un rêve,
Un rêve qui m'échappe
comme toi, fil de fumée
Pour fuir vers les étoiles.

Louisa Paulin ("Sorgas- Sources", Bibliothèque de la Revue du Tarn, Édouard Privat, 1940 et "Poèmes", Éditions de la Revue du Tarn, 1969) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.

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Un texte de René-Guy Cadou commence par ces mêmes vers : "C'était un petit hameau" (voir au paragraphe de cet auteur)

Le hameau

C'était un petit hameau
Qui était entouré d'eau
Comme une île.

Il était clair et tout rond,
Il n'avait qu'un petit pont
Et n'était qu'une presqu'île.

Il n'avait ni pharmacien,
Ni curé, ni médecin,
Ni notaire.

Il n'avait que des maisons
Qui faisaient un petit rond
Sur le terre.

Il n'avait que du soleil,
Que de l'espace et du ciel,
Et du rêve.

Il attendait le printemps,
Il écoutait l'eau, le vent
Et leur rire.

C'était un hameau perdu.
Son nom, personne n'a su
Me le dire.

Louisa Paulin (dans l'anthologie d'Armand Got et Charles Vildrac "La Poèmeraie" - Bourrelier-Colin, 1963 et "Poèmes", Éditions de la Revue du Tarn, 1969) - Aux éditions Vent Terral, les recueils de Louisa Paulin ont été réédités.



Charles Péguy (1873-1914) est un écrivain et poète d'inspiration mystique, catholique.

On trouvera ici le texte intégral de la "Présentation de la Beauce à Notre-dame-de-Chartres", grand poème lyrique, qui situe dans un "océan des blés" le grand vaisseau de la cathédrale de Chartres, et donne au paysage beauceron sa dimension mystique et humaine.

Présentation de la Beauce à Notre-Dame-de-Chartres

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l'océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.

Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l'océan de notre immense peine.

Un sanglot rôde et court par-delà l'horizon.
A peine quelques toits font comme un archipel.
Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.
L'épaisse église semble une basse maison.

Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire.

Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.

Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D'un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.

Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille.
Nous n'avançons jamais que d'un pas à la fois.
Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois,
Et toute leur séquelle et toute leur volaille

Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille
Ont appris ce que c'est que d'être familiers,
Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers,
Vers un dernier carré le soir d'une bataille.

Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
Dans le recourbement de notre blonde Loire,
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
N'est là que pour baiser votre auguste manteau.

Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse,
Et la Loire coulante et souvent limoneuse
N'est là que pour laver les pieds de ce coteau.

Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
Le portail de la ferme et les durs paysans
Et l'enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.

Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
Et nous avons connu dès nos premiers regrets
Ce que peut receler de désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate

Et qui se couche au ras d'un sol inévitable
Dur comme une justice, égal comme une barre,
Juste comme une loi, fermé comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.

Un homme de chez nous, de la glèbe féconde
A fait jaillir ici d'un seul enlèvement,
Et d'une seule source et d'un seul portement,
Vers votre assomption la flèche unique au monde.

Tour de David voici votre tour beauceronne.
C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir...

Charles Péguy ("Présentation de la Beauce à Notre-Dame-de-Chartres")



15 mai 2009

Jean ORIZET - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Jean Orizet est né en 1937. Il est l'auteur de nombreux recueils et d'anthologies de poésie, et l'un des fondateurs de la revue Poésie 1, devenue Poésie1/Vagabondages (éditions le cherche midi), première revue de poésie distribuée en kiosques.

Parmi les derniers livres parus de Jean Orizet : Une anthologie de la poésie amoureuse en France (Bartillat, janvier 2008) ; Anthologie de la Poésie Française (Larousse, 2007) ; L'attrapeur de rêves, roman poétique (Melis, 2006) ; et pour les enfants de 7 à 12 ans : Les plus beaux poèmes pour les enfants (le cherche midi, 1997, paru aussi en Livre de Poche, 2004)

Deux poèmes extraits du recueil "Silencieuse entrave au temps" :

Sur la prunelle des saisons (extrait)

Sur la prunelle des saisons
le vent s’éloigne vers les collines embuées.
Je ne suis que l’apprenti
d'un paysage qui sait tout.

Jean Orizet ("Silencieuse entrave au temps", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1972)

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En raison de leur difficulté, les trois derniers vers de ce poème sont en principe supprimés du texte proposé aux classes élémentaires :

Haute ponctuation du silence

Sur la neige émiettée de rouges-gorges
les sapins, haute ponctuation du silence,
supportent presque tout le poids de l'hiver.

Leurs branches savent retenir le soleil
ou tisser une trame de bise
pour quelque vêtement solennel

dont l'homme aime à se parer
quand il veut bannir ses phantasmes
aux grandes soldes des saisons.

Jean Orizet ("Silencieuse entrave au temps", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1972)

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L'or sous le givre

Grise et blanche
une froide alchimie nocturne
brise l'instant

Au matin
c'est le couperet du soleil
qui tranche

Une pie cherche de l'or
sous le givre
de la branche

Jean Orizet ("Miroir oblique" - Librairie de Saint-Germain des Prés, 1969)



15 mai 2009

Benjamin PÉRET, Cécile PÉRIN - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Benjamin Péret (1899-1959) est un poète français surréaliste ("Le Grand jeu", 1928 édité dans la collection  Poésie/Gallimard en 1969). Membre actif du Mouvement Dada (voir Breton, Desnos, Tzara...), il est celui qui a le plus exploré et pratiqué l'écriture automatique. Dans ses poèmes, il dérange avec humour le sens du texte et des mots, en toute liberté. Révolutionnaire, contre toutes les institutions, il s'engage aux côtés des Républicains en 1936 pendant la guerre civile d'Espagne.
Sur sa tombe on peut lire cette épitaphe qui lui avait sans doute tenu lieu de règle de vie : "Je ne mange pas de ce pain-là."

Les temps révolus

Le soleil de ma tête est de toutes les couleurs
C'est lui qui brûle les maisons
de paille
où vivent les seigneurs échappés des cratères
et les belles dames qui naissent chaque matin
et meurent chaque soir
comme les moustiques
Moustique de toutes les couleurs
que viens-tu faire ici
II fait un soleil de chien
et la houle secoue les montagnes
maintenant que les montagnes
nagent sur une mer de lumière
une mer sans vie sans poids sans chaleur
où je ne mettrai pas le bout de mon pied

Benjamin Péret ("Le grand jeu", 1928,  Gallimard, réédité en Poésie-Gallimard, 2001)



Cécile Périn (1877-1959) - Autre temps, autres moeurs : "Cécile Périn, née à Reims le 29 janvier 1877, fit ses études au lycée de sa ville natale. Elle eut de bonne heure le culte de l'Art, et se voua toute jeune à la poésie. De petites feuilles locales accueillirent ses premiers essais. Elle s'adonna aussi pendant quelque temps à la sculpture, mais elle dut l'abandonner après son mariage avec le poète Georges Périn"... ("Poètes d'hier et d'Aujourd'hui", Gérard Walch, Delagrave, 1916) 

Aube

Un invisible oiseau dans l’air pur a chanté.
Le ciel d’aube est d’un bleu suave et velouté.

C’est le premier oiseau qui s’éveille et qui chante.
Écoute ! Les jardins sont frémissants d’attente.

Écoute ! Un autre nid s’éveille, un autre nid,
Et c’est un pépiement éperdu qui jaillit.

Qui chante le premier ? Nul ne le sait. C’est l’aurore.
Comme un abricot mûr le ciel pâli se dore.

Qui chante le premier ? Qu’importe ? On a chanté.
Et c’est un beau matin de l’immortel été.

Cécile Périn ("Variations du coeur pensif" - Editions Sansot, 1911)

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Danse

Qui danse parmi le thym ?
Est-ce un rayon, un lutin,
Peut-être un petit lapin ?

Est-ce une abeille en maraude,
Une couleuvre qui rôde,
Un lézard couleur d'émeraude ?

Je ne sais. Mais je sais bien
Que tout danse ce matin
Parmi les touffes de thym,

Que l'esprit est une abeille,
Un subtil lézard qui veille,
Un lutin qui s'émerveille,

--Ou bien ce petit lapin
Qui joue et bondit soudain
Parmi les touffes de thym.
 

 

Cécile Périn ("Pénélope" - Editions Savel, 1950)

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Arc-en-ciel
 
On n’entend sous le feuillage
Que le bruit des gouttes d’eau,
Que la cloche du village
Et qu’un faible cri d’oiseau.
 
Un parfum de terre fraîche
Monte des prés alanguis,
Et comme un chat le vent lèche,
Tiède et souple, à petit bruit,
 
L’herbe que courbe l’averse
Et les fleurs couleur de miel,
Sous les nuages que perce
Un fugitif arc-en-ciel.

Cécile Périn ("La Coupe" - Editions Flory, 1937)

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Oasis

Le murmure des séguias
Bruit doucement dans l'air calme,
Sur l'azur limpide, il n'y a
Que le balancement des palmes.

Dans le silence vert et bleu
De l'oasis où l'eau frissonne,
Liquide aussi, mystérieux,
Le chant d'une flûte résonne,

Et de l'ombre fraîche, en écho,
Sous les palmes qu'un souffle incline,
Mille rires naissent de l'eau
Ou d'autres flûtes cristallines
.

Cécile Périn ("La Coupe" - Editions Flory, 1937).

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Chant à voix basse

Chante. La mer s'écrase au bord des rochers noirs ;

Même en dormant elle palpite.

Chante à mi-voix. Le vent frais et léger du soir

Ramène les vagues en fuite.

Sur l'immensité bleue et laiteuse, au couchant,
S'allongent des reflets de cuivre.

Et de son grand vol courbe une mouette fend
Le ciel limpide et le fait vivre.

Tout est souple, le vent, la vague, les oiseaux.
Devant tes yeux, contemplative,

Sois vibrante et sensible aux plus faibles échos,
Ne demeure jamais passive
.

Cécile Périn



 

15 mai 2009

Louis PIZE, Gisèle PRASSINOS, Raymond QUENEAU - PRINT POÈTES 11 : PAYSAGES en français

Louis Pize (1892-1976), écrivain documentaire et poète, a décrit les paysages et les hommes de son Ardèche natale, le Vivarais, les Cévennes. Il fut l'ami de Francis Jammes et de Patrice de la Tour du Pin. Son recueil "Les Muses champêtres" nous fournit ce paysage désolé en hiver :

Montagne

À travers les grandes prairies,
Le vent caché dans le brouillard
Pourchasse les feuilles flétries
Du sycomore et du fayard.

Toutes les cimes familières
Ont disparu du ciel trop bas,
Et, pour éclairer les bruyères,
Le soleil ne se lève pas.

Seuls habitants du plateau morne,
Un pauvre chien, quelques brebis …
Le pâtre, assis sur une borne,
Souffle dans ses doigts engourdis.

Louis Pize ("Les Muses champêtres", 1925)



Gisèle Prassinos, née en 1920, est écrivaine, poète et artiste peintre, tout ça au féminin très singulier, marqué de surréalisme.

Dans tes yeux il y a la mer

Dans tes yeux il y a la mer.

Sur la mer il y a la tempête.

Dans la tempête : une barque.

Dans la barque : une petite fille.

Dans la petite fille il y a ton enfant

et je vais me noyer maman

si tu ne cesses de gronder.

Gisèle Prassinos

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La neige

Il paraît que le ciel et la terre
vont se marier.
Avant l’aube le fiancé
sur sa fille
a jeté son voile de mousse
lentement et sans bruit
pour ne pas l’éveiller.

Elle sommeille encore il est tôt
mais déjà exaltés
impatients d’aller à la noce
les arbres ont mis leur gants
par milliers
et les maisons leurs chapeaux blancs.

Gisèle Prassinos ("Le ciel et la terre se marient" - Éditions ouvrières, 1979)



Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.

Soyez polis (2e partie du poème)

I

[...] (1ère partie du poème, non retranscrite ici)

II

Il faut aussi (1) être très poli avec la terre (2)
Et avec le soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier

Pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
À toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter... les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le soleil et la terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé ...
Le soleil est amoureux de la terre

La terre est amoureuse du soleil
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le soleil aime la terre
La terre aime le soleil
C'est comme ça

Le reste ne nous regarde pas
La terre aime le soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :

"Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit."

  • (1) "aussi" fait référence à la première partie du poème. Ce mot peut et est parfois supprimé quand on ne propose que cette partie II - (2) Prévert écrit terre, soleil, lune sans majuscule (généralement ils en prennent une quand ils désignent nos objets célestes particuliers)

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied

Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt
Un ciel tout à fait vert
Et des nuages en osier
Une église dans une malle
La malle dans un grenier
Le grenier dans une cave
Sur la tour d'un château
Le château à cheval
A cheval sur un jet d'eau
Le jet d'eau dans un sac
A côté d'une rose
La rose d'un fraisier
Planté dans une armoire
Ouverte sur un champ de blé
Un champ de blé couché
Dans les plis d'un miroir
Sous les ailes d'un tonneau
Le tonneau dans un verre
Dans un verre à Bordeaux
Bordeaux sur une falaise
Où rêve un vieux corbeau
Dans le tiroir d'une chaise
D'une chaise en papier
En beau papier de pierre
Soigneusement taillé
Par un tailleur de verre
Dans un petit gravier
Tout au fond d'une mare
Sous les plumes d'un mouton
Nageant dans un lavoir
À la lueur d'un lampion
Éclairant une mine
Une mine de crayons
Derrière une colline
Gardée par un dindon
Un gros dindon assis
Sur la tête d'un jambon
Un jambon de faïence
Et puis de porcelaine
Qui fait le tour de France
À pied sur une baleine
Au milieu de la lune
Dans un quartier perdu
Perdu dans une carafe
Une carafe d'eau rougie
D'eau rougie à la flamme
À la flamme d'une bougie
Sous la queue d'une horloge
Tendue de velours rouge
Dans la cour d'une école
Au milieu d'un désert
Où de grandes girafes
Et des enfants trouvés
Chantent chantent sans cesse
À tue-tête à cloche-pied
Histoire de s'amuser
Les mots sans queue ni tête
Qui dansent dans leur tête
Sans jamais s'arrêter

Et on recommence
Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt ...
................................................

etc, etc, etc.

Jacques Prévert (dans "Le Cheval de Trois", recueil poétique en trois parties (textes de Jacques prévert, André Virel et André Verdet), Éditions France-Empire, 1946  -  "Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied", Édition posthume, Gallimard, 1985 - réédité en Gallimard/Jeunesse, 2001 , suivi de "Le dromadaire mécontent")

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Le paysage changeur

De deux choses lune
l'autre c'est le soleil
les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
leur soleil c'est la soif la poussière la sueur le goudron
et s'ils travaillent en plein soleil le travail leur cache le soleil
leur soleil c'est l'insolation
et le clair de lune pour les travailleurs de nuit
c'est la bronchite la pharmacie les emmerdements les ennuis
et quand le travailleur s'endort il est bercé par l'insomnie
et quand son réveil le réveille
il trouve chaque jour devant son lit
la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui
alors il se lève
alors il se lave
et puis il sort à moitié éveillé à moitié endormi
il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie
et il prend l'autobus
le service ouvrier
et l'autobus le chauffeur le receveur
et tous les travailleurs à moitiés réveillés à moitié endormis
traversent le paysage figé entre le petit jour et la nuit
le paysage de briques de fenêtres à courants d'air de corridor
le paysage éclipse
le paysage prison
le paysage sans air sans lumière sans rires ni saisons
le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au coeur de l'hiver
le paysage éteint
le paysage sans rien
le paysage exploité affamé dévoré escamoté
le paysage charbon
le paysage poussière
le paysage cambouis
le paysage mâchefer
le paysage châtré gommé effacé relégué et rejeté dans l'ombre
dans la grande ombre
l'ombre du capital
l'ombre du profit
Sur ce paysage parfois un astre luit
un seul
le faux soleil
le soleil blême
le soleil couché
le soleil chien du capital
le vieux soleil de cuivre
le vieux soleil clairon
le vieux soleil ciboire
le vieux soleil fistule
le dégoûtant soleil du roi soleil
le soleil d'Austerlitz
le soleil de Verdun
le soleil fétiche
le soleil tricolore et incolore
l'astre des désastres
l'astre de la vacherie
l'astre de la tuerie
l'astre de la connerie
le soleil mort.

Et le paysage à moitié construit à moitié démoli
à moitié réveillé à moitié endormi
s'effondre dans la guerre le malheur et l'oubli
et puis il recommence une fois la guerre finie
il se rebâtit lui-même dans l'ombre
et le capital sourit
mais un jour le vrai soleil viendra
un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
et les travailleurs sortiront
ils verront alors le soleil
le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
et ils se compteront
et ils se comprendront
et ils verront leur nombre
et ils regarderont l'ombre
et ils riront
et ils s'avanceront
une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l'enterreront dans la terre sous le paysage de misère
et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
ils le brûleront
ils le raseront
et ils en fabriqueront un autre en chantant
un paysage tout nouveau tout beau
un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil
et même ILS CHANGERONT L'HIVER EN PRINTEMPS*.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949) - * capitales d'imprimerie dans le texte original 

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Immense et rouge

Immense et rouge
Au-dessus du Grand Palais
Le soleil d'hiver apparaît
Et disparaît
Comme lui mon cœur va disparaître
Et mon sang va s'en aller
S'en aller à ta recherche
Mon amour
Ma beauté
Et te trouver
Là où tu es.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Un vent fou ...

Un vent fou venant de la mer
             hurle chante et siffle et rit
Un grand chien rouge
et fou lui aussi
léchant les murs court derrière lui
Le bleu du ciel est déporté
 par le vent noir de l'incendie
La Côte d'Azur est sur le gril
La Colombe sent le roussi
Langues de feu du Saint-Esprit

Le vent est noir le feu aussi
 et les deux larrons en foire
sont plus forts que Ruggieri

Des touristes avec leurs déesses
prennent place
 pour voir le bouquet
Des pommes de pin incandescentes
en passant leur frôlent les fesses

Tous de rire et d'être contents
Le spectacle vaut le dérangement
Et avec ça par-dessus le marché
 aucune perte humaine
pour le moment
 à déplorer

Tout seul un olivier
jette désespérément
 vers le ciel calciné
deux bras carbonisés
comme un nègre lynché.

Jacques Prévert ("Arbres" poèmes - gravures de Ribemont-Dessaignes - Gallimard, 1977)

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Le ruisseau

Beaucoup d’eau a passé sous les ponts
et puis aussi énormément de sang
Mais aux pieds de l’amour
coule un grand ruisseau blanc
Et dans les jardins de la lune
où tous les jours c’est ta fête
ce ruisseau chante en dormant
Et cette lune c’est ma tête
où tourne un grand soleil bleu
Et ce soleil c’est tes yeux.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963) 

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La plage des sables blancs

Oubliettes des châteaux de sable
Meurtrières fenêtres de l'oubli
Tout est toujours pareil
Et cependant tout a changé
Tu étais nue dans le soleil
Tu étais nue tu te baignais
Les galets roulent avec la mer
Et toujours j'entendrai
Leur doux refrain de pierres heureuses
Leur gai refrain de pierres mouillées
Déchirant refrain des vacances
Perdu dans les vagues du souvenir
Déchirants souvenirs de l'enfance
Brûlée vive par le désir
Merveilleux souvenir de l'enfance
Éblouie par le plaisir.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Exilé des vacances ...

Exilé des vacances
dans sa zone perdue
il découvre la mer
que jamais il n'a vue
La caravane vers l'ouest
la caravane vers l'est et vers la Croix du Sud

et vers l'Étoile du Nord
ont laissé là pour lui
de vieux wagons couverts de rêves et de poussière

Voyageur clandestin enfantin ébloui
il a poussé la porte du Palais des Mirages
et dans les décombres familiers de son paysage d'ombres inhospitalières
il poursuit en souriant son prodigieux voyage
et traverse en chantant un grand désert ardent

Algues du terrain vague
caressez-le doucement.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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Les palmes et les branches ...

Les palmes et les branches
les tiges et les feuillages
tout ça c'est les hélices de la terre
qui la font naviguer dans les mers du ciel
Au milieu un grand arbre
n'arrête pas de tourner
Et le bateau La Terre
roule par tous les temps
et pendant son voyage
on voit dans son sillage
des tas de poissons volants
qui nagent dans l'air liquide
et y volent en même temps

Et la lune c'est le phare
pour les traversées de nuit
et le soleil c'est le grand sémaphore avec
ses trois cent soixante-cinq signaux pour
tous les jours multicolores.

Jacques Prévert ("Grand bal de printemps" - La Guilde du Livre, Lausanne, 1951)

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La couleur locale

Comme il est beau ce petit paysage
Ces deux rochers ces quelques arbres
et puis l'eau et puis le rivage
comme il est beau
Très peu de bruit un peu de vent
et beaucoup d'eau
C'est un petit paysage de Bretagne
il peut tenir dans le creux de la main
quand on le regarde de loin
Mais si on s'avance
on ne voit plus rien
on se cogne sur un rocher
ou sur un arbre
on se fait mal c'est malheureux
Il y a des choses qu'on peut toucher de près
d'autres qu'il vaut mieux regarder d'assez loin
mais c'est bien joli tout de même
Et puis avec ça
le rouge des roses rouges et le bleu des bluets
le jaune des soucis le gris des petits gris
toute cette humide et tendre petite sorcellerie
et le rire éclatant de l'oiseau paradis
et ces chinois si gais si tristes et si gentils…
Bien sûr
c'est un paysage de Bretagne
un paysage sans roses roses
sans roses rouges
un paysage gris sans petit gris
un paysage sans chinois sans oiseau paradis
Mais il me plaît ce paysage-là
et je peux bien lui faire cadeau de tout cela
Cela n'a pas d'importance n'est-ce pas
et puis peut être que ça lui plaît
à ce paysage-là
La plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu'elle a
La plus belle fille du monde
je la place aussi dans ce paysage-là
et elle s'y trouve bien
elle l'aime bien
Alors il lui fait de l'ombre
et puis du soleil
dans la mesure de ses moyens
et elle reste là
et moi aussi je reste là
près de cette fille-là
A côté de nous il y a un chien avec un chat
et puis un cheval
et puis un ours brun avec un tambourin
et plusieurs animaux très simples dont j'ai oublié le nom
Il y a aussi la fête
des guirlandes des lumières des lampions
et l'ours brun tape sur son tambourin
et tout le monde dans une danse
tout le monde chante une chanson.

Jacques Prévert (paru dans "Le Cheval de Trois" , aux Éditions France-Empire, 1946 et dans "Spectacle", Gallimard, 1949)

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Tournesol *

Tous les jours de la semaine
En hiver en automne
Dans le ciel de Paris
Les cheminées d'usines ne fument que du gris

Mais le printemps qui s'amène, une fleur sur l'oreille
Au bras une jolie fille
Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille
Elle n'a pas de grand nom pas de nom de famille
Et danse aux coins des rues
À Belleville à Séville

Tournesol Tournesol Tournesol
Valse des coins de rues
Et les beaux jours sont venus
La belle vie avec eux

Le génie de la Bastille fume une gitane bleue
Dans le ciel amoureux
Dans le ciel de Séville dans le ciel de Belleville
Et même de n'importe où

Tournesol Tournesol
C'est le nom de la fleur
Le surnom de la fille

Jacques Prévert ("Spectacle", Gallimard, 1949) - * texte et disposition des strophes conformes à l'original - Une chanson a adapté ce poème pour les paroles en répétant certains passages. Elle a été chantée par Yves Montand sur une musique de Joseph Kosma. 

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Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Nuages

Je suis allée chercher mon tricot de laine et chevreau
m’a suivie
le gris
il se méfie pas comme le grand
il est encore trop petit

Elle était toute petite aussi
mais quelque chose en elle parlait déjà vieux comme le
monde
Déjà
elle savait des choses atroces
par exemple
qu’il faut se méfier
et elle regardait le chevreau et le chevreau la regardait
et elle avait envie de pleurer
Il est comme moi
dit-elle
un peu triste et un peu gai
Et puis elle eut un grand sourire
et la pluie se mit à tomber.

Jacques Prévert ("La pluie et le beau temps" - Gallimard, 1955)

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sans titre

Le vrai jardinier
se découvre
devant la pensée
sauvage.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)

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sans titre

La pluie
ne tombe pas du ciel
l'oiseau
comme nous
est un animal terrestre.

Jacques Prévert ("Fatras" - Gallimard, 1966)



Raymond Queneau (1903-1976) a appartenu au mouvement surréaliste, dont il a été exclu, comme bien d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire l'OuLiPo (ou OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle). Voir plus de détails et de textes ainsi que des idées de création poétique ici : Raymond Queneau et l'OULIPO - lieucommun

Paysage de Queneau, soumis à "L'Instant fatal" :  le ciel, la mer et "les pins têtus", que "sabre" un soleil  surréaliste :

Pins, pins et sapins

Le ciel la mer saline et les rochers pleins d'eau
Le coeur de l'anémone auprès des pins têtus
La marche auprès du ciel la marche auprès de l'eau
Et la course assoiffée auprès des pins têtus ;

herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s'est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s'égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus

le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l'eau

tandis qu'une bestiole à l'ombre d'un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu'un regard disperse une route inutile

Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - Gallimard, 1948 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Port

Le mur qui s’allonge
Et le toit qui plonge
Les bois tout pourris
Ne sont plus ici.

La grue très oblique
Les porcs les barriques
Bien que disparus
Sont rien moins que vus.

Ce bateau sans grâce
Près du ciel s’efface
Laissant le jour gris
S’enfuir avec lui.

Raymond Queneau ("Les Ziaux", Gallimard 1943 - réédité en Poésie/Gallimard sous le titre "L'Instant fatal, précédé de Les Ziaux", 1966)

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Le poème qui suit est, parmi d'autres textes d'autres auteurs, proposé par le site du Printemps des Poètes à l'adresse: http://www.printempsdespoetes.com (copier-coller le lien)

Vesper

Le berger pique une étoile
il dit c'est celle-là
c'est celle-là qui étincelle
et qui scintille exprès pour moi
ce n'est pas telle ou telle autre
dans le grand champ picoré
quelle poule gigantesque
a pu trouer le noir papier
non ce n'est pas celle rouge
ce n'est pas la verte non plus
ce n'est pas celle qui bouge
une seule lui a plu
le berger sait que cette étoile
le mène à travers la vie
et le recouvre de son voile
lorsqu'il s'endort dans la nuit
d'ailleurs c'est une planète
mais sur la question le berger
n'a pas d'idée aussi nette
qu'en aurait un cosmonaute.

Raymond Queneau ("Battre la campagne", Gallimard 1968 - réédité en Poésie/Gallimard, avec deux autres recueils dans un même ouvrage : "Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots ", 1981)



15 mai 2009

Jeanne RAMEL-CALS, Charles-Ferdinand RAMUZ, Henri de RÉGNIER, Pierre REVERDY, Jean RICHEPIN - 11 PAYSAGES FR

Jeanne Ramel-Cals (1883-1976),  parfois sous le nom d'auteur Jane Cals, romancière, peintre et dessinatrice, journaliste et poète, illustratrice de ses ouvrages, a vécu dans le Tarn. De l'ouvrage, "Légendaire de Cordes sur Ciel", la ville de Cordes, classée dans les "Plus beaux villages de France", tire son surnom.

Robes de printemps *

La saison est venue des robes nouvelles, pour la terre et pour les humains.
Je voudrais une robe verte, comme les prés qui vont pousser ; je voudrais une robe à bouquets, comme les champs qui vont fleurir ; je voudrais aller à pieds nus, bras nus, coiffée d'un chapeau fait comme une guirlande, avec une branche enroulée ; je voudrais avoir toute la vallée autour de mes hanches, toutes les lianes des haies autour de ma tête, et des écharpes de nuées qui flotteraient jusqu'à la lune.

Jeanne Ramel-Cals ("La ronde", éditions Fayard, 1920) - * texte original vérifié



Des poètes suisses de langue française sont présents dans cette catégorie : Nicolas Bouvier, Blaise Cendrars, Philippe Jaccottet, Alexandre Voisard, et Charles-Ferdinand Ramuz ci-dessous.

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un romancier ("La grande peur dans la montagne", 1926) et poète suisse de langue française.

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"Je comprends mal un paysage sans eau ; un ruisseau, d'ailleurs, me suffit. Mais l'immensité des terres, sans une source, sans une fontaine, sans une mare où le ciel vienne se mirer, de tels sites, malgré le charme de leurs lignes ou la grandeur de leurs contours, me semblent vite une prison…"

(extrait du "Journal" de Charles-Ferdinand Ramuz, note datée du 12 mars 1902).

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Le pays

C'est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers
il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
sont là comme un autre silence.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

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Le recueil "Pénates d'argile" regroupe des textes de différents auteurs suisses, et des poèmes en prose de Ramuz :

Le saule

Il y a un vieux saule tordu qui regarde son image dans le lac ; mais elle lui semble laide, car l'eau la déforme encore et la disperse au remous de ses vagues tant que l'arbre fini par ne plus se voir ; et il se regrette, encore qu'il se sache privé de beauté ; mais il est seul à s'aimer sous la figure où il se reconnaît, parce qu'on passe sans prendre garde à lui ou que les femmes ont peur, se jetant de côté avec un petit cri et croyant voir devant elles un pendu.
Et quand il ne peut plus s'admirer; il se tourne vers les peupliers qui sont rangés sur le rivage ; ils sont souples et ils cèdent au vent, balancés en mesure et agitant leurs petites feuilles vertes comme des fumées d'autel. Le saule s'étonne de cette façon qu'ils ont de ne jamais rester immobiles et, comme il est dans l'eau, ils sont dans l'air où il attend debout, condamné au repos par la rigidité de son tronc ; alors il les méprise et rentre sa tête dans ses épaules comme un qui ne s'inquiète de personne.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Pénates d'argile", Ch. Eggimann et Cie, 1904)

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Chaleur

L'ombre du tilleul tourne dans la cour.
La fontaine fait un bruit de tambour.

Un oiseau s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur le toit brun et rouge,
La fumée d'un feu de bois bouge
contre le ciel tellement bleu qu'il est obscur.

On n'entend pas un bruit dans les champs
personne n'est en vue sur la route ;
seules dans les poulaillers, les poules
gloussent encore, de temps en temps.

Puis plus rien qu'un arbre qui penche,
dans l'opacité de ses branches,
avec son ombre de côté,
comme sous un poids qui l'accable ;
et cet autre se laisse aller
en avant, comme un dormeur
qui a les coudes sur la table.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)

 

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Le silence
(titre proposé, passages du poème)

[...]

J'aime ce silence au-dessus des toits,
j'aime la fontaine et son bruit de voix.

Elle parle à la nuit qui l'écoute,
et la voix s'en va le long de la route.

[...]

Il fait sommeil, le vent s'est tu,
et la douce lune se penche
comme un visage entre les branches.

Charles-Ferdinand Ramuz ("Le petit village", Ch. Eggimann et Cie, 1903 et "Vers", éditions Mermod, 1946)



Henri de Régnier (1864-1936) est un romancier et poète, qualifié de néo-parnassien, ou de symboliste. Les Symbolistes, de Jean Moréas à Stéphane Mallarmé, en passant par Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud, Samain ... dans des registres et des styles très variés, se sont attachés aux rapports entre l'homme et la Nature, en peignant impressions et mystère.

Henri de Régnier a épousé Marie de Hérédia, fille du poète José-Maria de Hérédia (voir dans cette même catégorie), et poète elle-même sous le pseudonyme de Gérard d’Houville, obligée de "masculiniser" son nom pour exister comme auteure (voir textes sur ce blog dans la catégorie PRINT POÈTES 2010 : DES FEMMES POÈTES).

Henri_de_R_gnier_plaque_maison

plaque apposée sur une façade à Paris (rue Boissière, XVIe arrdt - source : http://fr.wikipedia.org)

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" L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...
"

Ces deux vers, qui pourraient passer pour un poème court, avec leur force d'évocation, sont extraits de ce poème :

Le jardin mouillé

La croisée est ouverte, il pleut
Comme minutieusement,
À petit bruit et peu à peu
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit ;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.
Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel ;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel ...

Il pleut, et les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.

Henri de Régnier ("Les Médailles d'argile" - Mercure de France, 1903)

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Le poème qui suit, est un paysage symboliste, où déjà s'installent les pins (comme pour d'autres poésies de l'auteur, les pointillés qui ferment le texte en font partie. Ils ne signifient pas que le texte est incomplet) :

Paysage

On voit de cette place*, entre ces deux pins verts
Dont l'écorce est vermeille,
La douceur d'un beau ciel au-dessus d'une mer
À son azur pareille.

Les beaux arbre égaux que balance le vent,
En leurs fines aiguilles
Laissent pendre leurs fruits, écailleux et vivants,
Ainsi que des coquilles.

Dans le flot invisible et transparent de l'air
Elles baignent, bercées,
Tant le ciel semble bien continuer la mer
Jusques en nos pensées

Où se confond, avec le murmure marin,
De la vague  à la grève,
Le doux, le doux soupir que fait, parmi les pins,
La brise la plus brève ...
 

 

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910) - *on attendrait "plage", mais non, c'est place

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L'arbre, et la forêt de pins ont encore inspiré l'auteur, pour ce poème tout d'une traite. Il faudra trouver en arrivant aux points-virgules des espaces pour souffler un peu :

Les pins

Les pins chantent, arbre par arbre, et tous ensemble ;
C'est toute une forêt qui sanglote et qui tremble,
Tragique, car le vent, ici, vient de la mer ;
Sa douceur est terrible et garde un goût amer
Et d'endormir nos soirs il se souvient encore
D'être né du sursaut d'une farouche aurore
Dans l'écume qui bave et la houle et l'embrun ;
Et, sous les hauts pins roux qui chantent, un à un,
Ou qui grondent en unissant de cime à cime
Le refrain éternel de leur flot unanime,
Le bonheur qui s'endort et qui ferme les yeux
Croit entendre, en un rêve encore soucieux,
La rancune ancienne et la rauque colère,
Couple hargneux qui hurle et se guette et se flaire,
Passer dans sa mémoire et mordre son sommeil ;
Et la joie, au sommet des grands arbres vermeils
Que le soir fait de pourpre et que l'heure ensanglante,
Ressemble à la colombe hamonieuse et lente
Et dont le chant roucoule et se perd et s'éteint
Dans la rouge rumeur que murmurent les pins.

 

Henri de Régnier ("Les Jeux rustiques et divins", 1897)

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Le bois de pins (titre proposé pour différencier du précédent)

J'aime ce bois de pins dont vous avez chanté
La verdure marine,
Qui sent bon la chaleur, le soleil et l'été,
L'écorce et la résine.
La coquille en craquant s'y mêle sous les pas
À la pomme écailleuse.
Entre les troncs on voit la mer border, là-bas,
La plage sablonneuse.
 

Henri de Régnier

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*Ce poème est titré Soir d'automne, quand il est donné en classe, mais son titre original est simplement Soir. La troisième strophe, jugée trop sombre et plus difficile, est en général laissée dans l'ombre... du soir :

Soir d'automne *

Il est doux, ô mes yeux, lorsque le vent d'automne
Cesse de s'acharner à l'arbre dont frissonne
Le spectre dépouillé qui craque et tremble encor,
De voir, dans l'air muet, où son vol se balance,
Tomber en tournoyant à travers le silence,
Une dernière feuille d'or.

Quand au jour éclatant qui se voile succède
Le crépuscule lent, humide, mol et tiède,
Qui fait perler la mousse au dos des bancs velus,
Il est doux, au jardin mystérieux, d'entendre
Résonner dans le soir le rire obscur et tendre
Des visages qu'on ne voit plus.

Il est doux, ô mon cœur, lorsque la route est noire,
D'écouter longuement au fond de sa mémoire
Le pas du Souvenir aux échos de la nuit.
Si le divin flambeau est mort en sa main sombre,
Et s'il n'est pas l'Amour, peut-être en est-ce l'ombre,
Au moins, qu'il ramène avec lui ! ...

Henri de Régnier ("Le Miroir des heures" - Mercure de France, 1910)

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Un autre classique des écoles :

La lune jaune

Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride
Foulions la terre rouge et le chaume blessant,
Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides
Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,

Savions-nous, quand l’amour brûlait sa haute flamme
En nos cœurs déchirés d’un tourment sans espoir,
Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes
Que sa cendre serait si douce à notre soir,

Et que cet âpre jour qui s’achève et qu’embaume
Une odeur d’eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s’arrondit entre les peupliers ?
 

 

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902) 

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Le lieu de cette "Promenade", dans le même recueil, n'est pas difficile à situer :

Promenade

Sur l'eau verte, bleue ou grise,
Des canaux et du canal,
Nous avons couru Venise
De Saint-Marc à l'Arsenal.

Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente à son gré
J'ai vu tourner ta Fortune,
O Dogana di Mare !

Souffle de l'Adriatique,
Brise molle ou sirocco,
Tant pis, si son doigt m'indique
La Cà d'Or ou San Rocco !

La gondole nous balance
Sous le felze, et, de sa main,
Le fer coupe le silence
Qui dormait dans l'air marin.

Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons ;
Tes détours et tes dédales,
Venise, nous les savons !

L'eau luit ; le marbre s'ébrèche;
Les rames se font écho
Quand on passe à l'ombre fraîche
Du Palais Rezzonico.

Henri de Régnier ("La Cité des eaux" - Mercure de France, 1902)

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En forêt

On quitte le grand'route et l'on prend le sentier
Où flotte un bon parfum d'arôme forestier.
 
Dans le gazon taché du rose des bruyères,
Surgissent, ça et là, des ajoncs et des pierres.
 
Un tout petit ruisseau que verdit le cresson
Frôle l'herbe, en glissant, d'un rapide frisson.
 
Nul horizon. Le long de cette sente étroite,
Une futaie à gauche, un haut taillis à droite.
 
Rien ne trouble la paix et le repos du lieu ;
Au-dessus, un ruban très mince de ciel bleu
 
Que traverse parfois, dérangé dans son gîte,
Un oiseau voletant, qui siffle dans sa fuite.
 
Puis, c'est, plus loin, une clairière à l'abandon,
Où noircissent encor des places à charbon ;
 
Des hêtres chevelus se dressent, en un groupe,
Des arbres épargnés à la dernière coupe.
 
De grands troncs débités s'étagent en monceau.
C'est tout auprés que prend sa source le ruisseau.

qui longe le sentier et traverse la route ;
Il sort d'un bassin rond qui filtre goutte à goutte.

Où tremble, reflété comme dans un miroir,
L'œil vacillant et clair de l'étoile du soir.

Henri de Régnier ("Apaisement", 1886" - réédition dans "Premiers poèmes" - Apaisement - Mercure de France, 1899)



Pierre Reverdy (1889-1960) n'est pas à ranger dans les poètes surréalistes. Était-il, pour avoir fréquenté Picasso, un "poète cubiste", comme on l'a dit ? Il a en tous cas inspiré des peintres, Henri Matisse et donc Pablo Picasso, et des écrivains et poètes tels que Louis Aragon, André Breton et Paul Éluard.

Les Œuvres complètes de Pierre Reverdy sont maintenant disponibles, le deuxième tome est paru (Flammarion, Collection Mille & une pages, 2010)

Calme intérieur

Tout est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
À travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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De la pierre à l’eau

Le ciel est trop bas
 Pour qu’on puisse rire
 La mer se retire
 Et le jour s’en va
Les lumières poussent au ras du sol
Au bord de l’eau crépitent les étoiles
l’odeur des arbres morts
les cris pris dans les voiles
Et le bras vigoureux qui dresse le décor
Les hommes
Les vaisseaux
Les feux du sémaphore
Sur le sable mouvant et les pas de la nuit
Dans le même rayon l’eau qui se décolore
Et le visage rond qui monte
 ou l’oeil qui rit
Ce coin où les signaux sont plus loin que le monde
Où le feu qui se pose est plus vite englouti
Quand le soleil éclate et que l’air devient rose
Ce coin sous les rochers humides
 Et à midi

Pierre Reverdy ("Main d'oeuvre - 1913-1949", Les œuvres libres, 1949)

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Horizon

Mon doigt saigne
Je t'écris
Avec

[...]

Au détour du chemin
Les arbres saignent
Le soleil assassin
Ensanglante les pins
Et ceux qui passent dans la prairie humide

[...]

Ma main rouge est un mot
Un appel bref où palpite un sanglot

Du sang versé sur le papier buvard
L'encre ne coûte rien

Je marche sur des taches qui sont des mares
Entre les ruisseaux noirs qui vont plus loin
Au bout du monde où l'on m'attend
C'est la fontaine ou les gouttes de sang qui coulent
    de mon cœur que l'on entend
Un clairon dans l'azur sonne la générale.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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Heure

Un œil se ferme à l’horizon
                     L’autre se lève
Combien de temps faut-il pour parcourir la nuit
Le bruit et la lumière
Étoiles et grelots
            Quelqu’un sur la montagne a jeté son manteau
                     Et derrière
                                       L’eau
            Le soleil éteint qui tombe
Et le chant plus gai d’un oiseau
            Le tour du monde
                              Tout se dresse autour du rideau
                       Les voix qui montent vont plus haut
                       ou les marches plus basses
                              Celui qui redescend
                              Marche la tête basse
L’ombre s’allonge
                              Le ciel s’éclaire
On écoute les bruits tomber tout près du mur
                                     Contre la terre

Pierre Reverdy ("Autres poèmes retrouvés" dans "Oeuvres complètes", Tome I, Flammarion, 2010)

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Son de cloche

Tout s'est éteint
Le vent passe en chantant
Et les arbres frissonnent
Les animaux sont morts
Il n'y a plus personne
Regarde
Les étoiles ont cessé de briller
La terre ne tourne plus
Une tête s'est inclinée
Les cheveux balayant la nuit
Le dernier clocher resté debout
Sonne minuit.

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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 La neige tombe 

La neige tombe
Et le ciel gris
Sur ma tête où le toit est pris
La nuit
Où ira l'ombre qui me suit
À qui est-elle
Une étoile ou une hirondelle
Au coin de la fenêtre
La lune
Et une femme brune
C'est là
Quelqu'un passe et ne me voit pas
Je regarde tourner la grille
Et le feu presque éteint qui brille
Pour moi seul
Mais là où je m'en vais il fait un froid mortel.

Pierre Reverdy ("Sources du vent" - 1929)

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Temps couvert

Je suis au milieu d’un nuage
de neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le poids de la terre
à peine soulevée

Pierre Reverdy ("Cravates de chanvre" - 1922)

 

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Deux poèmes graphiques et parallèles :

En face

                 Au bord du toit

Un nuage danse

Trois gouttes d'eau pendent à

La gouttière

Trois étoiles

Des diamants

Et vos yeux brillants qui regardent

Le soleil derrière la vitre

Midi
 

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)

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  Les ardoises du toit

Sur chaque ardoise

                              qui glissait du toit

                                            on

                                      avait écrit

                                                         un poème


La gouttière est bordée de diamants

                                              les oiseaux les boivent
   

Pierre Reverdy ("Plupart du temps -  Poèmes" - 1915-1922, éditions Flammarion et Gallimard, 1969)



 

Jean Richepin  (1849-1926), romancier, auteur pour le théâtre et poète, est l'auteur de La Chanson des gueux (1876), son premier recueil de poèmes sur la misère de son époque, qui lui a valu un mois de prison. La Chanson des gueux est restée longtemps censurée.

"Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux." [...]

début de la "Ballade du Roi des Gueux", dans "La Chanson des gueux"

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On trouvera dans l'œuvre de Richepin, plus de lieux de misère, comme ce "chemin creux", que de paysages idylliques :

Le chemin creux

Le long d'un chemin creux que nul arbre n'égaie,
Un grand champ de blé mûr, plein de soleil, s'endort,
Et le haut du talus, couronné d'une haie,
Est comme un ruban vert qui tient des cheveux d'or.

De la haie au chemin tombe une pente herbeuse
Que la taupe soulève en sommet inégaux,
Et que les grillons noirs à la chanson verbeuse
Font pétiller de leurs monotones échos.

Passe un insecte bleu vibrant dans la lumière,
Et le lézard s'éveille et file, étincelant,
Et près des flaques d'eau qui luisent dans l'ornière
La grenouille coasse un chant rauque en râlant.

Ce chemin est très loin du bourg et des grand'routes.
Comme il est mal commode, on ne s'y risque pas.
Et du matin au soir les heures passent toutes
Sans qu'on voie un visage ou qu'on entende un pas.

C'est là, le front couvert par une épine blanche,
Au murmure endormeur des champs silencieux,
Sous cette urne de paix dont la liqueur s'épanche
Comme un vin de soleil dans le saphir des cieux,

C'est là que vient le gueux, en bête poursuivie,
Parmi l'âcre senteur des herbes et des blés,
Baigner son corps poudreux et rajeunir sa vie
Dans le repos brûlant de ses sens accablés.

Et quand il dort, le noir vagabond, le maroufle
Aux souliers éculés, aux haillons dégoûtants,
Comme une mère émue et qui retient son souffle
La nature se tait pour qu'il dorme longtemps.

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876, BNF 1881 - édition intégrale illustrée par Steinlen, parue en 1910 aux éditions Édouard Pelletan - réédition posthume aux Éditions De La Belle Étoile, 1933, et d'autres éditions plus récentes)

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La neige est belle
 
La neige est belle. Ô pâle, ô froide, ô calme vierge,
Salut ! Ton char de glace est traîné par des ours,
Et les cieux assombris tendent sur son parcours
Un dais de satin jaune et gris couleur de cierge.

Salut ! dans ton manteau doublé de blanche serge,
Dans ton jupon flottant de ouate et de velours
Qui s'étale à grands plis immaculés et lourds,
Le monde a disparu. Rien de vivant n'émerge.

Contours enveloppés, tapages assoupis,
Tout s'efface et se tait sous cet épais tapis.
Il neige, c'est la neige endormeuse, la neige

Silencieuse, c'est la neige dans la nuit.
Tombe, couvre la vie atroce et sacrilège,
Ô lis mystérieux qui t'effeuilles sans bruit !

Jean Richepin ("La Chanson des gueux", 1876)


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