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1 mars 2008

Maurice ROLLINAT - le féminin en poésie

Maurice Rollinat (1846-1903) est un poète français.

Sait-on que le poème connu qui suit se trouve dans un recueil des plus sombres de Maurice Rollinat, "Les névroses". Il s'agit ici d'un animal à qui le poète prête des sentiments humains, ceux d'une mère :

La biche

La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
A disparu dans la nuit brune.

Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.

Mais aucune réponse, aucune,
A ses longs appels anxieux !
Et le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.

Maurice Rollinat ("Les Refuges" - recueil "Les Névroses", 1883)

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Du recueil "Paysages et Paysans", quelques portraits féminins dans les paysages Berrichons de la fin du XIXe siècle où a vécu l'auteur une partie de sa vie.

La partie en italique de ce poème n'est en général pas proposée :

La rieuse 

Ses rires grands ouverts qui si crânement mordent
Sur le fond taciturne et murmurant des prés,
Sont métalliques, frais, liquides, susurrés,
Aux pépiements d’oiseaux ressemblent et s’accordent.

Excités par la danse, ils se gonflent, débordent
En cascades de cris tumultueux, serrés,
De hoquets glougloutants, fous et démesurés,
Qui la virent, la plient, la soulèvent, la tordent.

      On la surnomme la Rieuse.
      La santé la fait si joyeuse
Qu’elle vit sa pensée en ses beaux yeux ardents ;

      Son âme chante tout entière
      Dans sa musique coutumière,
Sur le robuste émail de ses trente-deux dents.

— "Est-elle heureuse ! » — mais, la triste expérience
      Vous chuchote sa méfiance :
      « Ici-bas, tout bonheur est court.
      Le ver, comme disent les vieilles,
      Couve aux pommes les plus vermeilles.
      Tôt ou tard, elle aura son tour
      Dans la tristesse. Quelque jour,
      Elle ira, funèbre et chagrine,
      Au long des bois, au bord de l’eau.
      Alors, ce sera le sanglot
      Qui contractera sa poitrine.
      Au lieu de leurs pimpants vacarmes,
      Sur ses lèvres viendront croupir
      Le silence du long soupir,
      Le sel âcre et brûlant des larmes.
      Car, ainsi va notre destin :
      L’illusion flambe et s’éteint.
      Après l’innocence ravie
      Le Mal enlacé du remord !
      Et l’épouvante de la mort
      Après l’ivresse de la vie !"

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La veuve 

Hélas oui ! longtemps, son malheur
Lui fut prédit par ses alarmes.
Mais, par ce temps ensorceleur
De bruine dans la chaleur,
Elle pose un peu sa douleur
Comme un soldat pose ses armes.
De l’azur moite il pleut des charmes !
L’arc-en-ciel étend ses couleurs
Sur la molle extase des fleurs,
De l’eau, des frênes, et des charmes.
Et, tendrement, aux longs vacarmes
Des oiseaux plaintifs et siffleurs,
La veuve sourit dans les pleurs
Au soleil qui luit dans les larmes.
 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La mendiante 

Bissac vide, et pas un petit sou dans les poches,
La mendiante, au soir, traîne un pas de crapaud,
Comme un fantôme lent sous son mauvais capot
Que, de chaque côté, vont tirochant ses mioches.

Et puis, tout s’enténèbre. Elle tremble effarée ;
Ses petits, s’envasant, s’accrochent à ses bras,
Et, dans l’obscur opaque, au sein du limon gras,
L’horreur suprême étreint la famille égarée.

Soudain, l’ombre s’entr’ouvre aux glissantes lueurs
De la lune. La mère a souri dans ses pleurs
       Au bon astre livide et jaune...

Et dit : « Personn’ n’ nous fut pitoyable aujourd’hui !
C’est p’têt’ pour ça q’ la lun’, dans l’ si noir de la nuit,
       D’un bout d’ clarté nous fait l’aumône.
 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La baigneuse 

Le temps chauffe, ardent, radieux ;
        Le sol brûle comme une tôle
        Dans un four. Nul oiseau ne piaule,
        Tout l’air vibre silencieux...
Si bien que la bergère a confié son rôle
    À son chien noir aussi bon qu’il est vieux.

        Posant son tricot et sa gaule,
        Elle ôte, à mouvements frileux,
        Robe, chemise, et longs bas bleus :
        Sa nudité sort de sa geôle.
Tout d’abord, devant l’onde aux chatoiements vitreux
        Elle garde un maintien peureux,
        Mais enfin, la chaleur l’enjôle,
        Elle fait un pas et puis deux...
        Mais si l’endroit est hasardeux ?
        Si l’eau verte que son pied frôle
Allait soudainement lui dépasser l’épaule ?
Mieux vaut se rhabiller ! mais avant, sous un saule,
        D’un air confus et curieux,
        Elle se regarde à pleins yeux
        Dans ce miroir mouvant et drôle.

Sur le fond taciturne et murmurant des prés,
Sont métalliques, frais, liquides, susurrés,
Aux pépiements d’oiseaux ressemblent et s’accordent. 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898)  

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L'aveugle

L’humble vieille qui se désole
       Dit, gémissant chaque parole :
       « Contr’ le sort j’ n’ai plus d’ résistance.
       Que l’ bon Dieu m’appell’ donc à lui !
       La tomb’ s’ra jamais que d’ la nuit
       Ni plus ni moins q’ mon existence.

Mais la fille s’écrie, essuyant une larme :
Parlez pas d’ ça ! J’ vas dire un’ bell’ complaint’ d’aut’fois, »
Et, quenouille à la taille, un fuseau dans les doigts,
Exhale de son cœur la musique du charme.

La vieille aveugle, assise au seuil de sa chaumière,
Écoute avidement la bergère chanter,
Au son de cette voix semblant les enchanter
On dirait que ses yeux retrouvent la lumière.

Tour à tour elle rit, parle, soupire et pleure,
Étend ses maigres doigts d’un geste de désir
Vers quelque objet pensé qu’elle ne peut saisir,
Ou, comme extasiée, immobile demeure.

Et, lorsque la bergère a fini sa chanson,
Elle lui dit : "Merci ! tu m’as rendu l’ frisson,
       La couleur, et l’ bruit du feuillage,

Tu m’as fait r’voir l’eau claire et l’ beau soleil luisant,
Mon enfanc’, ma jeuness’, mes amours ! À présent
       J’ peux ben faire le grand voyage
."

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La meunière 

La meunière, une forte et rougeaude jeunesse,
Chantait dans sa charrette en piquant son bardeau ;
Tout à coup, l’animal quittant son pas lourdaud,
Partit brusque ! il venait de sentir une ânesse.

Celle-ci, l’ayant vu du fond du brouillard pâle,
D’un long cri de désir hélait le bourriquot
Lequel hâtait sa course en ébranlant l’écho
D’un grand hi-han tout plein de sa vigueur de mâle.

Jointe, ce fut l’éclair ! Entre ses pieds roidis
Il lui serra les flancs et l’eut toute ! Et, tandis
Qu’allaient se consommant ces amours bucoliques,

Renversée en arrière, avec un œil fripon,
La meunière, à deux mains rabattant son jupon,
Riait, jambes en l’air sur les limons obliques
. 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898) 

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La petite sœur (passages)

En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,

La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.

C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.

...

Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.

Ils sont là, parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :

Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !

Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.

Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.

Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Éternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.

...

Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone :
Ce qu’elle dit — ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !

Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.

...

Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.

L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
À le porter — taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.

... 

Maurice Rollinat ("Paysages et paysans", 1898)



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