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1 avril 2008

PP 09 - L'humour de JACQUES PRÉVERT

- Jacques Prévert -

Jacques Prévert (1900-1977), poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ... Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.

Comme souvent en poésie, quand les textes sont destinés aux élèves, on en coupe des passages. Le poème bien connu qui suit, un classique pour les exercices de création poétique, est en version originale. A vous de juger si ...

Cortège

Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d'Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de corde avec un danseur de têtes
Un maréchal d'écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite soeur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du Gaz de Paris
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l'orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l'Académie française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d'autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

logo_cr_ation_po_tique Poèmes à la manière de "Cortège"  

La structure du poème se prête facilement au "mariage" de deux groupes nominaux, reliés par "avec". On pourra favoriser la production individuelle par les élèves d'éléments séparés, et les apparier collectivement, ou par groupes de recherche. Avec de grands élèves, le vers complet peut-être créé individuellement ou dans le groupe.

Exemples [proposés par le blog]:

un cheval de manège  avec une bretelle d'autoroute >> un cheval d'autoroute avec une bretelle de manège

ou, en choisissant un thème unique pour le poème :

Les animaux se marient
un cheval de manège  avec un poisson d'aquarium   >> un cheval d'aquarium avec un poisson de manège

autre thème : Étonnants métiers disparus
un directeur d'école avec un coiffeur pour chiens   >> un coiffeur d'école avec un directeur pour chiens

Imaginez des illustrations pour les textes produits !

Voyez ICI quelques consignes , et des productions d'élèves ICI  :

 http://www.saxon.ch/ecoles/5p_yves/2001_2002/poesies_ex.ecrite/prevert.htm

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Soyez polis (2e strophe du poème)

(...)

Il faut être très poli avec la Terre
Et avec le
Soleil
Il faut les remercier le matin en se réveillant
Il faut les remercier pour la chaleur
Pour les arbres
Pour les fruits
Pour tout ce qui est bon à manger
Pour tout ce qui est beau à regarder
À toucher
Il faut les remercier
Il ne faut pas les embêter...
Les critiquer
Ils savent ce qu'ils ont à faire
Le
Soleil et la Terre
Alors il faut les laisser faire
Ou bien ils sont capables de se fâcher
Et puis après
On est changé
En courge
En melon d'eau
Ou en pierre à briquet
Et on est bien avancé...
Le soleil est amoureux de la
Terre
Ça les regarde
C'est leur affaire
Et quand il y a des éclipses
Il n'est pas prudent ni discret de les regarder
Au travers de sales petits morceaux de verre fumé
Ils se disputent
C'est des histoires personnelles
Mieux vaut ne pas s'en mêler
Parce que
Si on s'en mêle on risque d'être changé
En pomme de terre gelée
Ou en fer à friser
Le Soleil aime la
Terre
La Terre aime le Soleil
Et elle tourne
Pour se faire admirer
Et le
Soleil la trouve belle
Et il brille sur elle
Et quand il est fatigué
Il va se coucher
Et la Lune se lève
La lune c'est l'ancienne amoureuse du
Soleil
Mais elle a été jalouse
Et elle a été punie
Elle est devenue toute froide
Et elle sort seulement la nuit
Il faut aussi être très poli avec la
Lune
Ou sans ça elle peut vous rendre un peu fou
Et elle peut aussi
Si elle veut
Vous changer en bonhomme de neige
En réverbère
Ou en bougie
En somme pour résumer
Deux points, ouvrez les guillemets :
" Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres ... des épidémies des tremblements de terre
des paquets de mer des coups de fusil ...
Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit. "

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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Bain de soleil

La salle de bains est fermée à clef
Le soleil entre par la fenêtre
et il se baigne dans la baignoire
et il se frotte avec le savon
et le savon pleure
il a du soleil dans l'oeil.

Jacques Prévert ("Textes divers"  (1929-1977) - Oeuvres complètes tome II - Gallimard-La Pléiade, 1996)

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L'amiral

L'amiral Larima
Larima quoi
la rime à rien
l'amiral Larima
l'amiral Rien.

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Frontières

- Votre nom ?
- Nancy.
- D'où venez-vous ?
- Caroline.
- Où allez-vous ?
- Florence.
- Passez.

- Votre nom ?
- On m'appelle Rose de Picardie, Blanche de Castille,
  Violette de Parme ou Bleue de Méthylène.
- Vous êtes mariée ?
- Oui.
- Avec qui ?
- Avec Jaune d'Oeuf.
- Passez.

Jacques Prévert ("Choses et autres" - Gallimard, 1972)

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Et la fête continue

Debout devant le zinc
Sur le coup de dix heures
Un grand plombier zingueur
Habillé en dimanche et pourtant c'est lundi
Chante pour lui tout seul
Chante que c'est jeudi
Qu'il n'ira pas en classe
Que la guerre est finie
Et le travail aussi
Que la vie est si belle
Et les filles si jolies
Et titubant devant le zinc
Mais guidé par son fil à plomb
Il s'arrête pile devant le patron
Trois paysans passeront et vous paieront
Puis disparaît dans le soleil
Sans régler les consommations
Disparaît dans le soleil tout en continuant sa chanson

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Le coquillage

Dans une chambre au sixième
Un coquillage est posé sur la table
soudain il se met à chanter
L'homme est réveillé par le bruit de la mer
il voit le coquillage
il lui sourit
il veut le prendre avec les mains
mais le coquillage s'enfuit

Jacques Prévert

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Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied

Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt
Un ciel tout à fait vert
Et des nuages en osier
Une église dans une malle
La malle dans un grenier
Le grenier dans une cave
Sur la tour d'un château
Le château à cheval
A cheval sur un jet d'eau
Le jet d'eau dans un sac
A côté d'une rose
La rose d'un fraisier
Planté dans une armoire
Ouverte sur un champ de blé
Un champ de blé couché
Dans les plis d'un miroir
Sous les ailes d'un tonneau
Le tonneau dans un verre
Dans un verre à Bordeaux
Bordeaux sur une falaise
Où rêve un vieux corbeau
Dans le tiroir d'une chaise
D'une chaise en papier
En beau papier de pierre
Soigneusement taillé
Par un tailleur de verre
Dans un petit gravier
Tout au fond d'une mare
Sous les plumes d'un mouton
Nageant dans un lavoir
A la lueur d'un lampion
Éclairant une mine
Une mine de crayons
Derrière une colline
Gardée par un dindon
Un gros dindon assis
Sur la tête d'un jambon
Un jambon de faïence
Et puis de porcelaine
Qui fait le tour de France
A pied sur une baleine
Au milieu de la lune
Dans un quartier perdu
Perdu dans une carafe
Une carafe d'eau rougie
D'eau rougie à la flamme
A la flamme d'une bougie
Sous la queue d'une horloge
Tendue de velours rouge
Dans la cour d'une école
Au milieu d'un désert
Où de grandes girafes
Et des enfants trouvés
Chantent chantent sans cesse
A tue-tête à cloche-pied
Histoire de s'amuser
Les mots sans queue ni tête
Qui dansent dans leur tête
Sans jamais s'arrêter

Et on recommence
Un immense brin d'herbe
Une toute petite forêt ...

etc, etc, etc.

Jacques Prévert

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Les animaux ont des ennuis

à Christiane Verger

Le pauvre crocodile n’a pas de C cédille
On a mouillé les L de la pauvre grenouille
Le poisson scie a des soucis
Le poisson sole, ça le désole
Mais tous les oiseaux ont des ailes
Même le vieil oiseau bleu
Même la grenouille verte
Elle a deux L avant l’E

Laissez les oiseaux à leur mère
Laissez les ruisseaux dans leur lit
Laissez les étoiles de mer
Sortir si ça leur plaît la nuit
Laissez les p’tits enfants briser leur tirelire
Laissez passer le café si ça lui fait plaisir

La vieille armoire normande et la vache bretonne
Sont parties dans la lande en riant comme deux folles
Les petits veaux abandonnés pleurent
Comme des veaux abandonnés
Car les petits veaux n’ont pas d’ailes
Comme le vieil oiseau bleu
Ils ne possèdent à eux deux
Que quelques pattes et deux queues

Laissez les oiseaux à leur mère
Laissez les ruisseaux dans leur lit
Laissez les étoiles de mer
Sortir si ça leur plaît la nuit
Laissez les éléphants ne pas apprendre à lire
Laissez les hirondelles aller et revenir

Jacques Prévert

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Être ange

Être ange
C'est étrange
Dit l'ange
Être âne
C'est étrâne
Dit l'âne
Cela ne veut rien dire
Dit l'ange en haussant les ailes
Pourtant
Si étrange veut dire quelque chose
Étrâne est plus étrange qu'étrange
Dit l'âne
Étrange est
Dit l'ange en tapant des pieds
Étranger vous-même
Dit l'âne
Et il s'envole

Jacques Prévert

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Quartier libre

J'ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l'oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
a répondu l'oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu'on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l'oiseau.

Jacques Prévert

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Les belles familles

Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVII
Louis XVIII

et plus personne plus rien...
qu'est-ce que c'est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu'à vingt
?

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
 

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J’ai vu passer un homme (titre proposé)

Un matin
dans une cour de la rue de la Colombe ou de la rue
des Ursins
des voix d'enfants
chantèrent quelque chose comme ça :

Au coin d’la rue du Jour
et d’la rue Paradis
j’ai vu passer un homme
y a que moi qui l’ai vu
j’ai vu passer un homme
tout nu en plein midi
y a que moi qui l’ai vu
pourtant c’est moi l’plus petit
les grands y savent pas voir
surtout quand c’est marrant surtout quand c’est joli

Il avait des ch’veux d’ange
une barbe de fleuve
une grande queue de sirène
une taille de guêpe
deux pieds de chaise Louis treize
un tronc de peuplier
et puis un doigt de vin
et deux mains de papier
une toute petite tête d’ail
une grande bouche d’incendie
et puis un œil de bœuf
et un œil de perdrix

Au coin d’la rue du Jour
et d’la rue Paradis
c'est là que je l’ai vu
un jour en plein midi
c'est pas le même quartier
mais les rues se promènent partout où ça leur plaît.

Jacques Prévert ("Grand bal du printemps" - 1951 et Gallimard, 1976)

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La pêche à la baleine

À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d'une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l'armoire allongé,
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc ?
Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Qui ne m'a rien fait, papa,
Va la pêpé, va la pêcher toi-même,
Puisque ça te plaît,
J'aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
Et le cousin Gaston.
Alors dans sa baleinière le père tout seul s'en est allé
Sur la mer démontée...
Voilà le père sur la mer,
Voilà le fils à la maison,
Voilà la baleine en colère,
Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
La soupière au bouillon.
La mer était mauvaise,
La soupe était bonne.
Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole :
À la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
Et pourquoi donc que j'y ai pas été ?
Peut-être qu'on l'aurait attrapée,
Alors j'aurais pu en manger.Mais voilà la porte qui s'ouvre, et ruisselant d'eau
Le père apparaît hors d'haleine,
Tenant la baleine sur son dos.
Il jette l'animal sur la table,
une belle baleine aux yeux bleus,
Une bête comme on en voit peu,
Et dit d'une voix lamentable :
Dépêchez-vous de la dépecer,
J'ai faim, j'ai soif, je veux manger.Mais voilà Prosper qui se lève,
Regardant son père dans le blanc des yeux,
Dans le blanc des yeux bleus de son père,
Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait ?
Tant pis, j'abandonne ma part.
Puis il jette le couteau par terre,
Mais la baleine s'en empare, et se précipitant sur le père
Elle le transperce de père en part.
Ah, ah, dit le cousin Gaston,
On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.

Et voilà
Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
Et la baleine, la larme à l'œil contemplant le foyer détruit.
Soudain elle s'écrie :
Et pourquoi donc j'ai tué ce pauvre imbécile,
Maintenant les autres vont me pourchasser en moto-godille
Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
Alors éclatant d'un rire inquiétant,
Elle se dirige vers la porte et dit
À la veuve en passant :
Madame, si quelqu'un vient me demander,
Soyez aimable et répondez :
La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d'années, sans doute elle reviendra...

Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

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Voici un court texte expiatoire...

Mea culpa

C’est ma faute
C’est ma faute
C’est ma très grande faute d’orthographe
Voilà comment j’écris
Giraffe.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

... auquel Prévert apporte un rectificatif (un codicille) clin-d'oeil quelques années après dans un autre recueil. Les élèves apprécieront  :

Sans faute (codicille)livre_Pr_vert_choses_et_autres

J'ai eu tort d'avoir écrit cela autrefois
Je n'avais pas à me culpabiliser
Je n'avais fait aucune phaute d'ortographe
J'avais simplement écrit giraffe en anglais.

Jacques Prévert ("Choses et autres" - Gallimard, 1966 et 1972)

logo_cr_ation_po_tique Jouer avec l'orthographe

Choisir des noms d'objets ou d'animaux, et imaginer une bonne raison de les orthographier différemment.
Exemple :
Éléphant s'écrira ailéphant pour être plus léger et voyager, éléfan s'il est supporter d'une équipe de rugby (le pack), éléfaon s'il est adopté par une biche (c'est n'importe quoi ça) ...
Il reste à construire une histoire à la manière peut-être d'un article de presse, ou d'un conte ("Il était une fois...").

Cet exercice se rapproche des mots-valise, décrits ailleurs.

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